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Récentes, mais foisonnantes, les études sur la démocratisation se sont penchées sur les transitions des années 1970 en Europe du Sud, puis sur celles des années 1980 en Amérique latine, avant d’être renouvelées par les expériences de l’Europe de l’Est des années 1990. La transition démocratique, définie comme le processus complexe de sortie pacifique d’un régime autoritaire, est devenue un objet d’étude à part entière, notamment analysé par les chercheurs Guillaume O’Donnell, Philippe Schmitter et Laurence Whitehead. Nourri de cette littérature de référence, le livre de Renée Fregosi offre une synthèse des processus de transformation élargie aux questionnements contemporains sur la consolidation démocratique, la justice transitionnelle, le populisme ou encore la gouvernance. Là réside le premier intérêt d’un ouvrage qui, rappelant l’ambivalence des mouvements de démocratisation, apporte des outils de compréhension indispensables à l’analyse des mutations des régimes politiques, au moment où les récents bouleversements du Maghreb en soulignent l’actualité, l’utilité et la pertinence.
Au-delà de la présentation des fondamentaux de la discipline, Renée Fregosi apporte un éclairage sur les ressorts du passage à la démocratie. « [A]xe définitionnel de la démocratie », les élections sont mises en perspective avec les stratégies de contournement que constituent les fraudes électorales et les pratiques intrusives du contrôle international. Tout un chapitre est également consacré à « ce que consolider veut dire », une thématique stimulante qui permet à l’auteur de revenir sur le rôle primordial des partis politiques. C’est en effet le pluralisme partisan, mais aussi la capacité des groupes politiques à former des alliances, qui favorise la pérennisation et la stabilisation du fonctionnement démocratique. La gouvernance et la gouvernabilité, concepts mobilisateurs liés à l’étude sur les transitions, conduisent à une réflexion sur l’évolution des politiques publiques, l’équilibre entre l’individuel et le collectif, ainsi que les intérêts des élites, qui expliquent la fragilité des démocraties et les tentations d’autoritarisme. Enfin, Renée Fregosi montre comment, à la charnière du basculement de régime, l’établissement progressif de la justice transitionnelle entre en conflit avec les nécessités de la stabilité politique et de la paix civile. Les acteurs politiques et la population se sont longtemps méfiés de la condamnation et de la sanction judiciaires des anciens collaborateurs, jusqu’à la montée en puissance des organes judiciaires internationaux qui a favorisé, dans les années 2000, un « justicialisme tous azimuts ».
L’ouvrage s’articule autour d’une double réflexion dynamique sur l’autoritarisme et la démocratie, l’une et l’autre se répondant sans cesse dans le souci didactique d’expliquer les moteurs des processus transitionnels. Ainsi rattaché à la discipline contestée de la transitologie, il ne fait pas l’économie d’une définition précise, scientifique et transnationale de ce que représente une transition démocratique, identifiant les conditions de sa réalisation sans en dissimuler les arrangements intrinsèques. Il s’appuie en outre sur une étude comparative riche qui permet d’« analyser en termes globaux ces étranges phénomènes politiques que sont les transitions ». Son mérite ne tient pas seulement à l’étendue du spectre géographique et temporel des expériences démocratiques citées, car Renée Fregosi revient également sur les logiques de résistance caractéristiques de certains pays comme Cuba et la Chine. Les exemples sont donc nombreux et le lecteur souhaiterait même qu’ils soient parfois plus longuement développés. Un retour sur la situation des Balkans, où les trajectoires de transformation démocratique sont singulières, aurait d’ailleurs été le bienvenu. Mais c’est le propre d’un ouvrage scientifique concis qui, en moins de deux cents pages, réussit à présenter un vaste tableau des expériences de démocratisation sans en négliger les fondements théoriques : il éveille la curiosité, propose des pistes et suscite l’envie d’aller à la découverte d’autres auteurs.
Richesse des illustrations et abondance des sources concourent ainsi à montrer la pluralité des trajectoires de transformation et, finalement, l’idiosyncrasie des régimes démocratiques et autoritaires, comme les hasards du succès de la démocratie. Étayé par d’utiles notes de bas de page et une riche bibliographie en fin d’ouvrage – références dont l’auteur ne se prive pas de relativiser les conclusions –, le livre de Renée Fregosi guide le lecteur intéressé par un sujet qui ne cesse d’être réinterprété au gré de nouvelles études et d’événements inédits.