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Voici un ouvrage qui procède à une analyse de la coopération sécuritaire interétatique en considérant les réalités propres au continent africain. L’auteur nous démontre que cette coopération s’est inspirée dans un premier temps du modèle des Nations Unies ou des instruments de coopération européens en matière de sécurité. Cependant, Benedikt Franke contribue à exposer – à travers une grille d’analyse théorique, une rétrospective historique et une analyse institutionnelle – les différents éléments uniques et d’intérêt académique de la coopération dans le domaine sécuritaire en Afrique, alors que l’isolement de l’Afrique dans le domaine académique se traduit par une pauvreté d’études des processus d’intégration en matière sécuritaire sur le continent.

Dans sa grille analytique, l’auteur présente la coopération sécuritaire en Afrique sous l’angle des différents courants théoriques des relations internationales en démontrant, in fine, l’utilité de l’approche constructiviste.

En effet, l’auteur constate l’insuffisance des approches traditionnelles telles que le réalisme et le néolibéralisme institutionnel, qui pèchent parfois par eurocentrisme, et oublient des caractéristiques propres à l’Afrique dans le domaine de la coopération sécuritaire. Cinq défis différents liés à cette spécificité africaine sont présentés : la nature propre de l’État en Afrique, le caractère particulier des problèmes sécuritaires, la prolifération des schémas régionaux et continentaux de coopération dans le domaine sécuritaire, le rôle d’unification des idéologies telles que le panafricanisme et la portée des normes en Afrique.

Une autre faiblesse des approches rationnelles est leur portée limitée lorsqu’il s’agit d’expliquer les évolutions de cette coopération. Elles ne tiennent en effet compte ni du rôle central d’une socialisation identitaire derrière la motivation qui a poussé et pousse encore les États africains à coopérer, ni du rôle des institutions à forger ces relations entre États, ni même de la coexistence des différentes logiques régionalistes.

C’est donc l’importance des facteurs intersubjectifs que l’auteur définit comme un élément clé pour comprendre les motivations derrière une intensification de la coopération sécuritaire entre États africains. Voilà la raison pour laquelle le constructivisme est utilisé comme théorie complémentaire aux théories traditionnelles afin de pouvoir incorporer dans l’analyse la formation d’une identité collective, la diffusion des normes, l’apprentissage social et la construction de communautés.

Pour Benedikt Franke, un exemple de ceci est le rôle du panafricanisme, en premier lieu comme facteur d’unification et de mobilisation pendant les indépendances des années 1950 et 1960. Ensuite, après la guerre froide, comme moyen de promotion d’une identité commune africaine et du désir de minimiser l’interventionnisme non africain dans les affaires du continent pour aboutir à la formation d’une « communauté imaginaire », qui sera redécouverte dans les années 1990 pour soutenir les avantages d’une approche communautaire commune pour la résolution des conflits.

Dans la partie historique, on constate la fin des conflits entre États et la floraison et pérennisation des conflits intraétatiques dans le continent oublié. Pour éviter des accusations de néo- colonialisme ou d’ingérence dans les affaires d’un État et pour ne pas s’engager dans des conflits sans fin, les anciennes colonies et les nouvelles puissances visent à appuyer des mesures locales de résolution des conflits et des interventions par les Africains eux-mêmes. Le continent africain, quant à lui, a été longtemps réticent à la création d’une force d’intervention, d’une armée à caractère régionale destinée à sauvegarder la paix. Cette réticence s’est adoucie, à la suite des différents conflits qui ont eu lieu dans les années 1990 et devant le constat de l’impact qu’une guerre peut avoir sur les États voisins.

C’est à cette même période que, sur le plan de l’architecture institutionnelle, la coopération interétatique devient plus significative dans les domaines de la paix et la sécurité. Les organisations telles que la sadc, la cedeao et la ceeac développent des mécanismes propres pour la prévention, la gestion et la résolution des conflits qui font que la coopération dans le secteur de la sécurité devient une réalité au niveau régional. Parallèlement, ces expériences régionales servent d’appui pour construire une coopération prenant en compte l’ensemble du continent africain, où l’Union africaine (ua) a, peu à peu, consolidé son rôle de leader stratégique. Les interventions africaines au Burundi, au Liberia, au Darfour, en Somalie et dans les îles Comores témoignent des efforts du continent africain pour prendre son propre destin en main.

En conclusion, Benedikt Franke nous fait part du progrès considérable dans la coopération sécuritaire en dépit de la marginalisation économique de l’Afrique, du sous-développement des États et de l’existence des conflits violents dans le continent. En soulignant ces difficultés et les défis existants, l’auteur constate des exemples émergents de coopération, dont les institutions manquent hélas ! de ressources pour un fonctionnement optimal.

Cet ouvrage est complet dans tous les sens du terme. On y trouve non seulement une partie théorique sur l’étude de la coopération régionale en Afrique dans le domaine sécuritaire, mais aussi une rétrospective des différentes étapes depuis l’Organisation de l’Unité africaine (oua) à l’ua de nos jours, de même qu’une section consacrée à la structure et aux organes responsables de la mise en pratique et de la définition des interventions dans le domaine sécuritaire par les États africains. Les chapitres à ne pas négliger sont celui contenant des études de cas dans lesquelles l’ua est intervenue et ceux qui font l’analyse des forces africaines en attente et des mécanismes d’alerte rapide au niveau de la région et du continent.

Ce livre est sans aucun doute le produit d’une recherche approfondie où des considérations théoriques sont complétées par des observations factuelles et analytiques obtenues grâce à de nombreux entretiens de caractère qualitatif et à une connaissance approfondie du domaine. Il est vivement conseillé aux politologues, aux spécialistes de l’Afrique, de même qu’aux chercheurs et étudiants de Relations internationales, notamment dans le domaine de la sécurité et la défense.