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S’il est un objet des Relations internationales et des études sur la sécurité de plus en plus médiatisé et malgré tout assez peu étudié jusqu’à récemment, c’est sans aucun doute celui de la privatisation de la sécurité. Les conflits de ces dernières années ont jeté une lumière nouvelle sur ce phénomène qui voit d’importantes structures privées proposer des services traditionnellement assurés par la force publique. En tant qu’entreprises privées assurant une offre aussi sensible que la sécurité, l’enjeu de la régulation de leurs activités interroge, mobilise, dérange et crispe parfois, aussi bien les acteurs privés – compagnies de sécurité (psc) et clients – que les acteurs institutionnels ou la société civile.
Dans cet ouvrage, James Cockayne et l’équipe de l’International Peace Institute (ipi) entendent apporter une contribution originale au débat sur l’opportunité d’un cadre, quelle que soit sa nature, régulant l’industrie globale de sécurité. Cette étude de faisabilité entend cerner les possibilités et les modalités de mise en place de ce canevas assurant aussi bien la définition de standards que leur mise en oeuvre. L’objectif ici avoué est avant tout de répondre à la demande formulée par des gouvernements et des acteurs de l’industrie d’allier, au sein d’un même dispositif global, initiatives étatiques et privées de régulation de la sous-traitance de la sécurité, des initiatives existantes mais souvent méconnues, parfois redondantes et rarement mises en oeuvre.
Le propos s’ouvre sur l’étonnement, cette constatation qui pousse à approfondir une question. Ici, il s’agit du constat d’insuffisance, pour ne pas dire d’échec, des différents efforts régulateurs entrepris aux niveaux national, intergouvernemental ou encore privé, visant à adopter un cadre adéquat et efficace.
Par exemple, l’existence de législations aux États-Unis ou en Afrique du Sud, deux principaux États d’origine de psc, peine à montrer ses effets. La portée matérielle et géographique de ces législations pose toujours question, avec comme conséquence directe l’échec de leur mise en oeuvre, comme en témoigne le peu de poursuites pour des infractions, souvent avérées, liées aux domaines des droits de la personne et du droit international humanitaire. Cette constatation n’a rien d’étonnant dès lors que l’on garde à l’esprit le caractère transnational de cette industrie, qui la rend parfois insaisissable au droit d’un seul État, ou encore les liens et les intérêts qui l’unissent à son État d’origine dans des relations commerciales.
Sur le plan international, les auteurs ne peuvent que constater la non-pertinence des conventions sur le mercenariat. Le mercenaire, précisément défini par le droit international, saurait difficilement être confondu avec les employés de psc contemporaines, malgré les confusions terminologiques répétées d’observateurs en quête de labellisation.
À ce jour, l’initiative suisse ayant mené au Document de Montreux reste le processus international jouissant du plus de crédibilité auprès de l’industrie et des États d’origine. Ce texte, établi à la suite de consultations entre représentants d’États et de l’industrie, n’a toutefois pas de portée contraignante, ne faisant que rappeler les obligations pertinentes des États en matière juridique, ainsi qu’une série de bonnes pratiques pour les psc. L’absence d’appareil de mise en oeuvre enlève de même un certain intérêt à cette initiative. Elle n’en reste pas moins un point de départ intéressant pour la mise en place d’un cadre complet de définition et de mise en oeuvre de standards.
De points de départ et d’inspirations, il en est bien question dans la deuxième partie – la plus volumineuse – du livre. Celle-ci revient sur une trentaine de cadres déjà existants, qui couvrent des initiatives relatives non seulement à l’industrie globale de sécurité, mais également à d’autres domaines, de l’industrie du jouet à la gestion des déchets toxiques. L’analyse de leur pertinence en l’espèce, de leurs forces et de leurs faiblesses offre ultimement une opportunité unique d’apprentissage par les pairs. C’est par ce mécanisme que les chercheurs de l’ipi tirent enseignements et inspiration pour l’élaboration des différents cadres qu’ils proposent en troisième partie. Est démontré par exemple l’impact majeur des incitants sur la coopération du secteur privé, aussi bien du côté de l’industrie que de ses clients. Ici, de nombreuses psc, en plein déficit de légitimité auprès des opinions publiques, gouvernements et clients, se prétendent depuis plusieurs années demandeuses de mécanismes permettant de séparer le bon grain de l’ivraie dans leur secteur.
La troisième partie, conçue comme un véritable mode d’emploi, opérationnalise donc ces enseignements. Cinq propositions de cadre global sont formulées, du plus au moins judiciarisé, impliquant à des degrés divers les parties prenantes identifiées, à savoir gouvernements, industrie et société civile. Création d’un tribunal arbitral, convention ou renforcement et implication intergouvernementale au sein d’un club déjà existant comme l’International Stability Operations Association ? Le lecteur prendra sa décision sur la modalité qu’il jugera la mieux adaptée.
En acceptant d’emblée la réalité et en s’attelant à la réalisation d’un objectif clair, James Cockayne et son équipe ont choisi de ne pas prendre la voie des interminables questionnements théoriques soulevés par la croissance du secteur privé de la sécurité sur l’abandon du paradigme wébérien de l’État. La démarche de l’ipi s’inscrit avant tout dans une approche d’ingénierie politique. Si cet ouvrage d’appui aux politiques remplit pleinement son objectif, on pourrait lui reprocher une approche quelque peu lissée à l’égard de cette industrie si controversée. Voilà certainement le prix à payer pour profiter de tous les interlocuteurs nécessaires à un tel travail. Il est certainement à mettre entre les mains de tous ceux qui s’intéressent aux questions de sécurité, mais surtout peut-être entre celles des décideurs d’aujourd’hui et de demain.