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Cet ouvrage collectif sera d’une grande utilité pour les chercheurs en relations internationales qui s’intéressent aux théories de politique étrangère. Les auteurs présentent une synthèse pertinente des débats et des enjeux entourant l’émergence du réalisme néoclassique comme une nouvelle école théorique de politique étrangère. Afin de contribuer à une meilleure compréhension du réalisme néoclassique, les articles de l’ouvrage s’organisent autour des questions suivantes : comment les États, les décideurs et les institutions internes évaluent-ils les menaces et les opportunités internationales? Pourquoi, comment et dans quelles conditions les caractéristiques internes des États interviennent-elles entre, d’une part, les évaluations des menaces et des opportunités internationales faites par les leaders et, d’autre part, les politiques diplomatiques, militaires et d’économie étrangère qu’ils poursuivent ?
À travers l’interaction entre le système international et les dynamiques internes des États, le réalisme néoclassique envisage d’expliquer les grandes stratégies des États face aux modèles récurrents des dénouements des problématiques internationales. Toute la richesse de l’ouvrage réside déjà dans la diversité des contributions qui intègrent à la fois des variables externes et internes en systématisant certaines perceptions tirées de la pensée réaliste classique. Les directeurs de l’ouvrage rappellent avec justesse que le réalisme néoclassique met l’accent sur ce qui se passe à l’intérieur des États, sur les luttes entre les groupes ou sur les différences idéologiques qui influencent le processus décisionnel de politique étrangère.
Ces auteurs tendent à synthétiser le systémique et l’interne en accordant un effet causal au systémique du fait que les pressions systémiques sont filtrées par des variables intermédiaires internes pour produire des comportements de politique étrangère. Par exemple, Norrin M. Ripsman énumère quelques facteurs internes comme les législateurs, les groupes d’intérêt ou les médias. Les réalistes néoclassiques les analysent autour des deux variables que sont la puissance étatique et la perception des décideurs.
Les diverses contributions des auteurs illustrent la permanence des grands thèmes du réalisme classique, comme l’idée de l’État en tant qu’acteur principal du système, la nature conflictuelle des relations internationales, la place centrale du concept de puissance et la notion d’intérêt. Parallèlement, elles se centrent sur les rapports complexes entre l’État et la société. Le réalisme néoclassique présente alors une ontologie basée sur les acteurs unitaires et rationnels (États) en ajoutant à l’ontologie traditionnelle du réalisme les données de politique interne.
Les directeurs de l’ouvrage s’attardent aussi à mettre l’État en valeur au sein du réalisme néoclassique face au manque d’élaboration théorique de l’État par les néoréalistes. Comme Steven E. Lobell l’avance dans son chapitre, l’État désigne une variable qui intervient entre le système international et la politique étrangère. En d’autres mots, la politique étrangère demeure un produit de la coordination ou du conflit entre l’État et la société.
Les contributeurs se prononcent également sur l’apport du néoréalisme, d’où l’impact que produisent les structures du système international sur le comportement des États en les conditionnant de manière similaire. En dépit d’une convergence entre le néoréalisme et le réalisme néoclassique sur les distributions relatives de puissance, l’ontologie du réalisme néoclassique se définit par un rejet du caractère réducteur de l’ontologie du néoréalisme. Cela dit, la puissance ne peut pas être limitée aux facteurs matériels ; elle doit aussi être définie par d’autres éléments tels que la qualité du gouvernement ou la compétence des dirigeants.
En outre, les réalistes néoclassiques s’éloignent considérablement de la théorie de l’équilibre des puissances. Deux idées y sont rejetées : la tendance inhérente au système international et la tendance à s’allier avec d’autres États contre l’État ou les États qui semblent les plus menaçants. Les auteurs indiquent que les décideurs politiques peuvent mal percevoir la répartition des capacités des États et que, par conséquent, leur comportement doit nécessairement être différent de celui que propose la théorie néoréaliste de l’équilibre des puissances. À ce sujet, le chapitre de Mark Brawley démontre qu’il y a eu divergence de politiques entre la Grande-Bretagne, la France et l’Union soviétique devant la menace que représentait l’Allemagne dans les années 1920 et 1930, et ce, en raison de leurs politiques internes variées.
Par ailleurs, chez les réalistes néoclassiques, c’est la puissance qui est un concept central autour des dirigeants, du gouvernement et des groupes d’intérêt, ce qui montre qu’il existe une logique réaliste chez les tenants de cette école, contrairement à ce qu’on observe chez les libéraux et les constructivistes. Les diverses contributions de l’ouvrage présentent notamment une critique des théories d’Innenpolitik qui conçoivent la politique étrangère comme le produit des pressions politiques internes. On en comprend que ces approches négligent des éléments comme le nationalisme et l’unilatéralisme entre les institutions, les facteurs idéationnels comme l’idéologie ou le nationalisme.
En somme, il s’agit d’un ouvrage globalement réussi. La structure choisie par les directeurs, qui intègre une critique élaborée du réalisme néoclassique, mérite d’être soulignée en ce qui concerne la portée scientifique de l’ouvrage. Benjamin O. Fordham critique le réalisme néoclassique qui, selon lui, analyse l’impact des facteurs internationaux et des facteurs internes en les séparant artificiellement, et il indique que les États perçoivent l’environnement international par le biais de l’interaction de ces facteurs. Cependant, malgré cette diversité du contenu, cet ouvrage ne va pas au-delà d’un ajustement ontologique entre le réalisme classique et le néoréalisme, ce qui contraste avec une nouveauté méthodologique ou épistémologique fondamentale au sein du paradigme réaliste concernant les débats théoriques sur la politique étrangère.