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Les pirates somaliens, l’interminable conflit israélo-palestinien, les récentes opérations effectuées en Afghanistan et en Irak ne sont que quelques exemples des conflits auxquels la communauté internationale doit faire face. Ces conflits en apparence si différents ont en commun un même questionnement sur le rôle et la place de l’État. De fait, le statebuilding est revenu à l’ordre du jour et la littérature sur le sujet prolifère. Ce concept a été associé très tôt à la prémisse suivante : les conflits prennent naissance ou sont favorisés par l’absence ou la faiblesse étatique. Ce raisonnement a ouvert la voie à une importante littérature prônant le statebuilding et servant à justifier des interventions comme celles qui sont menées en Irak ou en Afghanistan. Or, cette relation causale entre la consolidation de la paix et le statebuilding est désormais remise en question. Faut-il bâtir des États afin de bâtir la paix ? Voilà l’importante question à laquelle tente de répondre l’ouvrage sous la direction de Charles T. Call et de Vanessa Wyeth.
Divisé en deux parties complémentaires, cet ouvrage propose une synthèse des connaissances théoriques et empiriques acquises ces dernières années dans le domaine du statebuilding. La première section, plus théorique et contextuelle, est construite selon quatre éléments principaux du statebuilding : la sécurité, la légitimité, les politiques en matière de finances publiques et d’économie, de même que la justice et l’État de droit. Loin de prôner un modèle unique, les auteurs insistent sur les éléments contextuels propres à chaque situation. Néanmoins, les diverses expériences de statebuilding tendent à démontrer que ces quatre fonctions sont essentielles à la viabilité de l’État dans des sociétés déchirées par la guerre.
La deuxième partie est consacrée à six études de cas (Somalie, Palestine, Bosnie et Herzégovine, Timor-Oriental, Afghanistan et Liberia) analysées en fonction de la relation entre les processus de paix vécus par ces différents pays et l’évolution de leurs États et de leurs institutions. Choisies selon trois éléments précis (expérience de guerre civile, problématique concernant la place et le rôle de l’État, rôle majeur joué par des acteurs internationaux), ces études de cas tentent de répondre aux interrogations suivantes : « Est-ce que le statebuilding a contribué à l’établissement de la paix ? Est-ce que la consolidation de la paix a favorisé l’établissement d’un État ? Quelles leçons peuvent être tirées de ces expériences ? »
Les exemples de la Somalie, de la Palestine et de la Bosnie et Herzégovine ont été sélectionnés parce qu’ils défient les notions traditionnelles de l’État internationalement reconnu. Cependant, le chapitre sur la Somalie se révèle particulièrement intéressant. La spécificité de l’exemple somalien réside non seulement dans le fait que le pays soit, depuis 1991, sans gouvernement central fonctionnel malgré de multiples initiatives de la communauté internationale, mais surtout dans le fait que la Somalie se soit adaptée à l’absence prolongée d’un État central. Les nombreux échecs de statebuilding, l’apparition de systèmes informels de gouvernance ainsi que la diminution progressive de l’anarchie en Somalie font en sorte que l’auteur de ce chapitre, Kenneth Menkhaus, croit plus en la faisabilité et en la durabilité de ces systèmes informels qu’au processus de statebuilding traditionnel. Ce pays apparaît donc comme un contre-exemple de l’idée préconçue précédemment évoquée selon laquelle un État central fort est le modèle qui garantit la paix et la stabilité.
Se démarquant d’une tendance actuelle de simplification à outrance, les auteurs n’essaient pas d’homogénéiser les cas afin d’offrir une « recette » de statebuilding. Ils démontrent plutôt qu’au-delà des quatre éléments essentiels au statebuilding il n’existe aucun modèle unique pouvant être appliqué et que toute tentative de reconstruction ou de construction d’un État doit être modulée selon le contexte historique, culturel, politique et social du pays. Loin de considérer le statebuilding comme une solution sine qua non de la paix, les auteurs reconnaissent toutefois qu’un État minimalement efficace et légitime est essentiel afin d’obtenir une paix durable. Cependant, il ne faut pas oublier que le fait de bâtir des États ne conduit pas directement et sans heurt à la paix. Le statebuilding et la consolidation de la paix sont des processus complexes et souvent contradictoires.
Cet ouvrage offre donc une réflexion en profondeur, tant théorique qu’empirique, sur le statebuilding et sur son importance dans le contexte de l’établissement d’une paix durable. Malgré une vision plutôt pessimiste des actions internationales menées jusqu’à ce jour dans le domaine du statebuilding, tous les auteurs s’entendent pour dire qu’il existe d’innombrables possibilités d’action pour les acteurs internationaux afin de contribuer à la paix et à la sécurité internationales. Ce livre intéressera certainement les chercheurs et les citoyens désireux de mieux comprendre les conflits qui déchirent de nombreuses sociétés contemporaines ainsi que de trouver des solutions pour l’établissement d’une paix durable.