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Cet ouvrage présente un cas complexe d’un non-(État) à la recherche de sa réintégration politique et économique. Cette publication constitue une contribution à plusieurs littératures : celle sur la gestion internationale des conflits et sur la construction de la paix, celle traitant des États dits « déstructurés » ou « faibles » et enfin celle plus pointue sur l’histoire récente du Congo.
Ravagé par des décennies de régime Mobuto, le Congo a subi deux grandes guerres depuis 1996 qui ont fait plus de trois millions de morts et des milliers de victimes civiles (enfants soldats, viols systématiques des femmes, etc.) : la première débutant en 1996 et aboutissant à la fin du régime de Mobutu et à la prise du pouvoir par la force par Laurent-Désiré Kabila ; la seconde déclenchée en 1998 par l’agression de deux pays voisins, l’Ouganda et le Rwanda. Willame campe son étude dans le cadre des huit années d’intervention internationale qui ont suivi ces guerres : il analyse le processus de sortie de la guerre s’ouvrant en juillet 1999 avec la signature des Accords de Lusaka qui, bien que remplis de contradictions, conditionneront les négociations entre les parties et le comportement de la communauté internationale jusqu’à la signature de l’Accord global et inclusif de décembre 2002. Celui-ci ouvrira à son tour la voie à la tenue d’élections présidentielles en juillet 2006 et à la fondation de la 3e République. Il appert que la stratégie internationale allait longtemps être fondée sur un principe contredisant le droit international : les Accords de Lusaka rendaient en effet le respect de la souveraineté et de l’intégrité territoriale du Congo conditionnel à la mise sur pied d’un dialogue intercongolais, qui relevait de la souveraineté nationale. Cette incohérence contribuera à retarder le retrait des troupes étrangères du territoire congolais, et à ainsi laisser perdurer le pillage de ses ressources naturelles. Ce « contexte de prédations » par les États voisins contribuera d’ailleurs à la poursuite de la guerre et à la perpétuation d’un climat de terreur dans les zones de conflit (Kivu, Ituri et Nord-Katanga) ; une situation de violence constante qui sert de couverture aux activités d’exploitation illégale des ressources minérales du Congo par les milices et les armées étrangères.
L’étude de ce processus de transition est organisée autour de trois acteurs principaux, les « faiseurs de paix » : Louis Michel, ministre d’État belge, puis commissaire européen au développement et à l’aide humanitaire, qui a grandement contribué à remettre à l’agenda la question de la guerre au Congo ; Joseph Kabila, remplaçant à la présidence, plus pragmatique que son père refuznik (Laurent-Désiré Kabila, assassiné en janvier 2001) ; et finalement l’onu qui malgré sa passivité initiale a en définitive joué un rôle important dans la désescalade de la crise au Congo. À travers ces trois acteurs, l’auteur présente les principales facettes de ce conflit complexe, l’évolution des calculs des diverses parties et le rôle des principaux joueurs internationaux. La décennie 1990 est une période difficile pour l’onu qui peine à s’adapter au changement du contexte international et à répondre à la demande en matière de gestion de conflits. Marquée par son incapacité à prévenir le génocide rwandais (la Belgique sera aussi grandement influencée par cette expérience), l’organisation cherche péniblement à regagner sa crédibilité à travers sa gestion de ce conflit qui n’intéresse pas les grandes puissances. Ces huit années (1998-2006) seront marquées par plusieurs erreurs d’appréciation et des problèmes de coordination entre les acteurs internationaux, mais aussi avec les acteurs nationaux. Si la Résolution 1304 (2000) du Conseil de sécurité déclarait finalement le Congo victime d’une agression extérieure, pointait du doigt ses responsables, et autorisait la mise sur pied d’une opération de paix, ce n’est qu’en mars 2001 que s’effectueront les premiers déploiements. Il faudra ensuite attendre près de quatre années et le massacre de neuf casques bleus en Ituri, pour que le mandat et les directives de la Mission des Nations Unies en République démocratique du Congo (monuc) soient finalement adaptés aux impératifs sur le terrain. Pourtant, nonobstant ces retards et toutes les critiques pouvant de façon légitime être faites à l’encontre de la monuc, l’auteur arrive à la conclusion qu’aucune autre alternative n’était possible ; dans ces conditions, aucune autre organisation que l’onu n’aurait pu intervenir plus efficacement au Congo.
Une fois le processus de transition lancé, les intervenants internationaux – plus particulièrement le Comité international d’accompagnement de la transition composé de la monuc, des représentants des cinq pays membres permanents du Conseil de sécurité, des pays les plus importants d’Afrique, de la Belgique, du Canada, de l’Union africaine et de l’Union européenne – mettront de l’avant leurs priorités, en l’occurrence la tenue rapide d’élections ainsi que l’adoption de lois électorales et de choix constitutionnels acceptables, correspondants à un schéma directeur appliqué universellement dans les situations de postconflit, en dépit des défis particuliers de chaque situation. Cette ingérence extérieure sera d’ailleurs ressentie négativement par certaines parties du conflit et par certains acteurs de la société civile. Ainsi, les « faiseurs de paix » étrangers alloueront toutes leurs énergies et leurs ressources dans le processus électoral, au détriment d’autres facettes de la transition, en l’occurrence la remise sur pied et le « brassage » de l’armée congolaise, ainsi que le désarmement, la démobilisation et la réintégration des combattants des diverses milices actives sur le territoire congolais. Les élections n’ont par contre pas tout réglé au Congo : si elles sont considérées par la communauté internationale comme la stratégie de sortie par excellence, elles ne sont pas une fin en soi : elles n’entraînent pas de façon automatique la construction d’un État moderne ni la sortie d’une dynamique alimentaire, qui nécessitent toutes deux un engagement international plus large et une acceptation de la tutelle sur le Congo établie de facto.
Le livre de Willame décrit très clairement et succinctement une guerre complexe et un processus de transition impliquant une grande diversité d’acteurs. Il s’agit d’un excellent ouvrage d’introduction aux guerres du Congo des années 1990 et aux complexités de la gestion des conflits et de la construction de la paix. Le Congo offre aussi un cas instructif d’État dont la faiblesse attire la convoitise de ses voisins et dont les populations sont les premières victimes, ce que souligne l’auteur tout au long de l’ouvrage. Le seul bémol pouvant être apporté concerne le traitement trop peu approfondi de la formule « d’État sous tutelle de fait » ; soulevée en conclusion seulement, malgré le sous-titre prometteur de l’ouvrage. Il aurait été intéressant de lire une analyse plus longue de ce qu’un tel statut international signifie.