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La forte évolution de la Chine au cours des vingt dernières années fascine et irrite à la fois. Or le siècle qui s’ouvre devrait être celui de la Chine. Voilà la thèse de cet ouvrage publié à quelques mois des Jeux olympiques de Pékin. Le livre aborde les composantes de la réussite et des faiblesses du géant chinois, longtemps resté assoupi et qui, dorénavant, fait figure de nouvelle frontière. Face à la pléthore de publications consacrées à l’empire du Milieu, ce livre se démarque de la littérature foisonnante qui existe sur l’objet chinois, en ce sens qu’il entrelace les analyses politique et économique.
Au terme d’un propos liminaire dans lequel l’auteur souligne combien la vocation de la Chine à devenir une très grande puissance était prévisible, l’ouvrage traite en cinq chapitres de la reprise en main par la Chine de son destin. Dès le premier chapitre, un survol cursif de l’Histoire illustre comment le modèle de la « Chine puissance » a servi d’antidote au traumatisme engendré par la domination des Occidentaux, inscrite dans les traités de Nankin (1842) et de Tianjin (1858). La fierté nationale du peuple chinois ne s’est jamais accommodée de la suprématie étrangère, ce complexe de la dignité bafouée expliquant, amplement, le rejet par la Chine du modèle politique démocratique occidental.
Aujourd’hui, la renaissance chinoise (chap. 2) inquiète d’autant plus que le réveil chinois a été minoré par rapport à la fin de l’ère bipolaire (chute du mur de Berlin, crise des Balkans, guerres en Irak, etc.). Pourtant, l’ouverture au monde (adhésion à l’omc, participation au G8, etc.), la croissance à deux chiffres de l’économie et le sursaut nationaliste ne doivent pas masquer les lacunes en termes d’ouverture politique (répression de la place Tian’anmen), de libertés publiques (presse, religions), de fractures sociales (la moitié de la population vit avec moins de deux euros par jour) et de tensions démographiques (vieillissement de la population, urbanisation galopante…), ou encore de déficit énergétique (malgré le projet de barrage des Trois gorges) et de pollutions écologiques.
Dans le chapitre 3, l’auteur met en exergue le revirement de l’adhésion de la Chine à l’omc (11 décembre 2001) qui marque la fin de la « sinomania » et le début de sa perception comme une menace tant commerciale que militaire. L’« atelier du monde », pivot de l’économie mondiale (12,7 % du pib mondial), dévoreur de matières premières (7 millions de barils de pétrole par jour) et responsable des délocalisations d’entreprises (made in China), fait peur. Parallèlement, sa montée en puissance militaire (le budget de la défense représente 4,3 % du pib) associée à son entrée dans le cercle restreint des puissances spatiales (États-Unis, Russie, Europe, Japon) alimentent le fantasme d’un dessein belliciste qui se nourrit de l’obsession taïwanaise.
Le chapitre 4 montre que pour nombre de pays du Sud, le dumping social chinois s’est traduit par la destruction massive d’emplois dans l’industrie textile (Turquie, Maghreb, Mexique), mais a aussi représenté une aubaine pour les exportateurs de pétrole (Venezuela), de minerais (Chili, Brésil) ou de produits agricoles (Argentine). Rétrocédée à la Chine en 1997, Hong-Kong a perdu son caractère exceptionnel de porte d’entrée dans le marché chinois pour être reléguée au rang de région administrative de moins en moins spéciale. Dans une moindre mesure, certes, le Japon subit aussi l’ascendant chinois (membre permanent du Conseil de sécurité de l’onu, arme nucléaire), les deux pays n’ayant pas le choix de s’entendre (la Chine est le premier partenaire commercial du Japon). Quant aux Européens, ils jouent en ordre dispersé, faisant tour à tour montre d’irritation et de timidité, d’agacement et de prudence face à la Chine, ainsi que l’a révélé en 2005 la crise du textile. À l’inverse, la rivalité sino-américaine s’apparente à un véritable bras de fer, ce qu’illustre le maintien d’un yuan faible et de l’embargo sur les armes.
En l’état actuel des choses, la Chine possède le potentiel d’une superpuissance qu’elle n’est pas encore (chap. 5). Or l’empire du Milieu présente des vulnérabilités susceptibles de provoquer des tensions majeures avec les autres puissances, telles que la résurgence d’un nationalisme activiste, l’option du capitalisme d’État ou la dépendance pétrolière. En intervenant comme médiateur dans la crise nucléaire nord-coréenne en 2004, la Chine a amorcé une « nouvelle diplomatie » davantage adepte du multilatéralisme. Mais Pékin ne sera pas une superpuissance tant qu’elle ne maîtrisera pas son environnement immédiat, en particulier Taïwan, dont Washington ne peut pas se détourner. Faire sauter le verrou taïwanais reste, toutefois, le préalable au siècle de la Chine. Pour conclure, si le xixe siècle a été celui de l’humiliation et le xxe celui du relèvement, le xxie devrait être le siècle de l’affirmation, voire de la domination sur la scène internationale.
Destiné à un large public, cet ouvrage n’a d’autre ambition que de dépasser le lectorat des cénacles académiques. L’ouvrage vulgarise le débat sur la puissance chinoise, permettant ainsi de débroussailler l’épais maquis qui caractérise la société chinoise prise dans la tourmente de la mondialisation. Bien informé, il est d’autant plus agréable à parcourir que son auteur adopte un style délibérément didactique, voire journalistique, pourraient dire certains détracteurs.