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Cet ouvrage, qui est le résultat d’une conférence portant sur la libéralisation du commerce dans l’hémisphère occidental qui s’est tenue à l’Université Saint Mary’s, Halifax, à l’automne 2002, s’inscrit dans le cadre de la littérature qui traite du régionalisme. Il est original, car il s’agit d’un des rares ouvrages qui présente les différents enjeux, impacts et perspectives liés à la création d’une Zone de libre-échange dans les Amériques (zlea) ainsi qu’une évaluation de la signification éventuelle de celle-ci pour l’économie mondiale.

Il existe néanmoins d’importants obstacles à la coopération en matière commerciale dans l’hémisphère venant à la fois des États-Unis et des pays d’Amérique latine et des Caraïbes. En effet, le principal obstacle aux États-Unis, l’acteur central de l’hémisphère tant du point de vue politique qu’économique, est le protectionnisme dans sa forme formelle – les restrictions sur les importations – et dans sa forme informelle – les subventions à l’agriculture. Quant aux pays d’Amérique latine et des Caraïbes, les principaux obstacles se rapportent plutôt à la croyance selon laquelle la mise en oeuvre des politiques économiques libérales ne s’est pas faite au bénéfice de leurs populations et à l’incapacité de ces pays à coopérer entre eux, compte tenu de l’existence d’intérêts divergents.

En dépit de leur immense pouvoir militaire et de leur capacité d’influence dans les Amériques, les États-Unis découvrent peu à peu qu’ils seront en mesure d’obtenir la coopération des autres pays de l’hémisphère que s’ils répondent aux besoins de leurs partenaires de l’hémisphère en matière de commerce.

Le livre recensé se divise en douze chapitres. Le premier chapitre, qui se veut introductif, présente les différents efforts de coopération ayant émergé dans l’hémisphère depuis les années 1980 – l’Accord de libre-échange nord-américain (alena), l’Accord de libre-échange canado-américain (ale), le Marché commun du Sud (mercosur), etc. – ainsi que les domaines où, dans les années à venir, la coopération sera possible, notamment en matière de commerce, de démocratie et d’architecture financière. À cet égard, Weintraub argue que si les objectifs en matière commerciale sont atteints, notamment par la conclusion d’un accord menant à la création d’une zlea, cela stimulera la coopération hémisphérique dans d’autres domaines, par exemple en matière d’investissements, de promotion de la démocratie, de réduction de la corruption et de lutte contre le terrorisme. La plupart des enjeux abordés dans ce chapitre d’introduction sont traités plus en détail dans les chapitres subséquents. Ou encore, ceux-ci abordent des thèmes pertinents lorsqu’il s’agit de concevoir la construction d’une communauté des Amériques.

Ainsi, les différents contributeurs à l’ouvrage abordent les thèmes suivants : l’histoire politique et économique de l’Amérique latine (chap. 1) ; les effets des investissements directs étrangers sur le commerce entre l’Amérique latine et les États-Unis (chap. 3) ; la nature du processus d’intégration mis en oeuvre par l’alena (chap. 4) ; l’architecture institutionnelle de l’alena : les origines et son évolution possible (chap. 5) ; le mercosur : les origines, son évolution et des spéculations sur son avenir (chap. 6) ; l’expérience européenne de l’intégration économique (chap. 7) ; la dollarisation des économies latino-américaines (chap. 8) ; la sécurité énergétique des États-Unis et leurs objectifs en cette matière (chap. 9) ; le capitalisme d’alliance (chap. 10) ; les principaux enjeux liés à la libéralisation des marchés dans le cadre des négociations de la zlea (chap. 11).

Weintraub et Boyd, dans la dernière partie de l’ouvrage, cherchent à rassembler l’essentiel des différents chapitres et émettent certaines réflexions notamment en ce qui concerne le leadership des États-Unis. Celui-ci serait essentiel pour l’atteinte de plusieurs objectifs dans l’hémisphère dont la création d’une zlea qui pourrait, ultimement, préparer la voie à la création d’une zone de stabilité et de croissance dans l’hémisphère.

Cela dit, l’analyse de l’architecture institutionnelle de l’alena effectuée par Mace et Bélanger au cinquième chapitre tombe à point. En effet, malgré l’interruption actuelle des négociations commerciales au niveau hémisphérique, nous pouvons nous interroger sur la forme que prendra l’architecture institutionnelle d’une future zlea : sera-t-elle à l’image de l’alena, qui prévoit, entre autres, un certain type de légalisation des obligations en matière de commerce, ou plutôt à l’image du modèle supranational de l’Union européenne ? Ces deux visions s’affrontent à l’échelle du continent américain.

Encore faut-il se demander si cette zlea est possible ou même souhaitable. Au dixième chapitre, Boyd soutient que l’adoption de politiques libérales dans le cadre d’un processus d’intégration où dominent d’importantes asymétries entre les membres pourrait conduire à la concentration des firmes, à la perturbation des structures économiques et à de multiples formes d’échecs.

Enfin, on peut s’interroger, à l’instar de Weintraub au premier chapitre, s’il faut voir une relation de cause à effet dans la simultanéité temporelle des politiques économiques libérales mises en place suite à l’échec du modèle de substitutions des importations au cours des années 1980 et les processus de démocratisation observables dans la région. À notre avis, il faut mettre de côté la recherche des déterminations économiques pour expliquer les transformations politiques vers la démocratie. Plutôt, il faut analyser les stratégies et les choix des acteurs en présence, tout en prenant en compte l’influence que peuvent exercer les éléments de structure sur leurs comportements.

Cet ouvrage, qui s’adresse à tout universitaire, étudiant, stratège politique ou commercial s’intéressant à l’étude des divers enjeux liés au régionalisme dans les Amériques et au commerce international, est pertinent et bien documenté.