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Dans les relations entre le Canada et les États-Unis, les attentats de septembre 2001 ont réaffirmé que les enjeux économiques et de sécurité sont intimement liés. Ce collectif, publié sous la direction du professeur Albert Legault, vise à analyser les relations entre les deux partenaires à travers plusieurs dimensions de ces enjeux. Dans cette optique, les contributions des auteurs s’inscrivent généralement dans les diverses facettes du débat sur la formulation de la politique étrangère et de sécurité canadienne à l’égard de son puissant voisin du sud et d’une certaine façon, dans le cadre de l’espace continental nord-américain.
L’ouvrage est composé de cinq chapitres en plus d’un chapitre introductif et d’une courte conclusion. Dans le chapitre présentation, qui sert véritablement d’introduction, on rappelle très succinctement les dimensions théoriques et analytiques touchant l’intégration (au sens large) et la politique étrangère du Canada vis-à-vis des États-Unis. On constate que l’évolution des relations entre les deux partenaires ne semble ni correspondre aux modèles théoriques de l’intégration ni aux modèles traditionnels des relations canado-américaines. C’est pourquoi on propose de reprendre le modèle tridimensionnel de l’économiste Daniel Schwanen – visant à reconceptualiser les relations entre les deux partenaires – en modifiant toutefois les variables. Si l’on constate l’ancienneté de la coopération entre les États-Unis et le Canada dans divers domaines comme les industries de la défense, le pacte de l’automobile, le norad, etc., on remarque également que les conceptions américaines et canadiennes ne sont pas nécessairement identiques. En fait, le point nodal apparaît être une forme de plus en plus poussée d’interopérabilité – notion qui demeure à être définie comme le souligne Legault – plutôt qu’une forme d’intégration proprement dite. Les chapitres suivants visent à illustrer cette hypothèse à travers divers exemples.
Écrit par André Donneur et Valentin Chirica, le premier chapitre s’intéresse à l’immigration et la sécurité frontalière entre les deux États. Les auteurs dressent tout d’abord le portrait général du cadre bilatéral de la coopération entre les deux voisins avant et surtout après les attentats. La seconde partie s’attarde à la législation canadienne sur l’immigration, dont la révision avait débuté avant le 11 septembre 2001. Les auteurs décrivent le processus et les enjeux auxquels doit répondre la nouvelle loi dans le cadre sécuritaire post 11 septembre. À cet égard, ils analysent également la loi antiterroriste canadienne (C-36) qui influence également les questions frontalières et de l’immigration ainsi que les différences notables entre les législations canadiennes et américaines sur ces questions. Pour les deux auteurs, même s’il y a une certaine convergence entre les objectifs et une coopération de plus en plus étroite depuis le 11 septembre 2001, le Canada demeure le maître d’oeuvre de sa politique d’immigration. Le second chapitre poursuit et élargit la réflexion sur les dimensions sécuritaires. Athanasios Hristoulas et Stéphane Roussel se penchent sur la construction d’une communauté ou d’un périmètre de sécurité entre les trois partenaires de l’Amérique du Nord (Canada, États-Unis et Mexique). En premier lieu, les deux auteurs constatent que les liens entre l’intégration économique et l’intégration en matière de sécurité demeurent peu étudiés bien que l’exemple européen permette de faire quelques constats. Selon eux, différents facteurs – au nombre de six – peuvent induire la formation d’une communauté nord-américaine de sécurité comme la croissance des échanges commerciaux, la transformation des menaces à la sécurité, etc. Or, si ces facteurs sont présents, les obstacles à la construction d’un trilatéralisme sécuritaire sont aussi très présents ; Hristoulas et Roussel en recensent huit allant de l’asymétrie de puissance entre les acteurs aux différences linguistiques. Bien entendu, ces obstacles ne sont pas tous du même ordre et à terme, la coopération de plus en plus poussée en matière de sécurité entre les trois partenaires devrait se concrétiser. Dans cette optique, les auteurs suggèrent quelques principes et les secteurs d’activité les plus prometteurs pour le développement d’une relation trilatérale nord-américaine, notamment au niveau de ce que l’ocde identifie sous la notion des risques systémiques émergents.
Les trois chapitres suivants, ceux d’Albert Legault, Michèle Rioux, et de Yves Bélanger et Aude Fleurant, s’intéressent davantage aux enjeux économiques bien que le texte de Bélanger et Fleurant intègrent les deux aspects. Le texte de Legault propose l’analyse d’une question de premier plan : celle des ressources gazières et pétrolières canadiennes. Dans son texte passablement complet, Legault s’attarde aux principaux aspects : les débats sur les réserves, le rôle de la recherche et du développement dans ce secteur énergétique, la question de l’offre et la demande et les implications de ces différentes facettes pour la politique énergétique canadienne. Legault constate que la déréglementation a véritablement intégré les marchés énergétiques du gaz et du pétrole au niveau des partenaires nord-américains. Toutefois, si le Canada demeure un partenaire important pour les États-Unis pour ses besoins énergétiques, il n’en demeure pas moins que le Canada n’est plus dans une situation aussi confortable que dans les dernières décennies. Comme le souligne Legault dans sa conclusion, trois éléments méritent réflexion : la part déclinante des exportations canadiennes devant les besoins de plus en plus importants de notre voisin dans le secteur du gaz et du pétrole ; le besoin d’une meilleure coordination entre les gouvernements provinciaux et Ottawa au niveau des procédures réglementaires et enfin, le développement de technologies pour répondre à la demande et garantir une certaine sécurité énergétique aux citoyens du Canada. Pour sa part, Michèle Rioux analyse l’évolution du secteur des télécommunications en Amérique du Nord. Elle montre bien comment le secteur des télécommunications s’est littéralement transformé durant la décennie 1990. L’impulsion a été véritablement donnée par les États-Unis et ses entreprises qui ont été les pionnières dans la volonté de battre en brèche les situations de monopoles pour favoriser le marché et la concurrence. Ironiquement, si le secteur a été déréglementé, il n’en demeure pas moins que la réglementation demeure importante. Rioux constate que l’approche canadienne pour ce secteur a été plutôt favorable aux grands monopoles nationaux pour faire face au jeu de la concurrence. Le secteur des télécommunications est un exemple type d’un nouvel environnement de marché fondé sur la concurrence et de la capacité des États-Unis à exporter non seulement des biens et des services, mais aussi – et surtout – leurs conceptions du marché et ses normes. Le dernier texte de Bélanger et Fleurant boucle le tout en réfléchissant sur l’intégration de l’industrie de la défense entre les deux partenaires dans le cadre d’un contexte où la primauté de la sécurité intérieure du continent est affirmée, particulièrement par les États-Unis. Ils proposent un tour d’horizon sur ce commerce de la défense entre les deux partenaires en fonction de l’intégration des marchés, de l’interpénétration des bases industrielles de la défense et de l’interopérabilité des systèmes. Comme on peut s’y attendre, les industries canadiennes et américaines de défense sont totalement différentes. Il est d’ailleurs difficile d’affirmer l’existence d’une base industrielle de défense au Canada. Il est plus juste, selon les auteurs, de considérer le tout comme une base d’approvisionnement pour le secteur de la défense. Les liens dans ce secteur entre le Canada et les États-Unis semblent de plus en plus forts et s’acheminent vers une véritable intégration. Cependant, si le cadre sécuritaire nord-américain demeure le même, les choix possibles du Canada pour son économie de défense ne sont pas totalement absents. Toutefois, entre l’autonomie de plus en plus affirmée, une intégration intégrale et une volonté mitoyenne cherchant à maximiser les retombés économiques en maintenant une certaine autonomie, celle qui apparaît la plus conforme aux inclinaisons commerciales canadiennes est peut-être bien dans une intégration avec l’industrie américaine de défense concluent les auteurs. À suivre... Enfin, dans la courte conclusion, on propose d’appréhender la relation entre les deux voisins en fonction de la notion de solidarité organique, car les notions traditionnelles d’intégration et de souverainisme ne sont plus à l’ordre du jour.
La force de ce livre est d’offrir au public francophone des réflexions de la relation, dans divers domaines, entre le Canada et les États-Unis. Il offre un échantillonnage intéressant de sujets bien que d’autres, notamment le bois d’oeuvre, auraient mérité une étude fouillée. Certains textes négligent le rôle de plus en plus important des provinces et États dans la dynamique des relations canado-américaines. De plus, malgré la présentation succincte d’un cadre théorique, ce dernier ne semble pas être véritablement utilisé par les auteurs des différentes études et la conclusion propose d’autres réflexions sans y faire véritablement référence. En raison du peu d’études francophones sur ce sujet, le chapitre introductif aurait dû faire un survol beaucoup plus en profondeur du débat sur la politique étrangère, de défense et de sécurité du Canada.
Malgré ces quelques réserves, l’ouvrage est utile ; il s’inscrit dans les réflexions actuelles sur les relations entre les deux voisins nord-américains et dans le cas de la sécurité avec le Mexique. Le grand mérite des auteurs est de démontrer que nous devons maintenant nous éloigner des schèmes traditionnels de réflexion entre le souverainisme et l’intégrationnisme et réfléchir maintenant en des termes nouveaux bien que demeure une certaine forme de dépendance reliée aux choix antérieurs.