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Les multiples échecs des interventions onusiennes dans les années 90’ eurent, ironiquement, un effet réfrigérant sur l’espoir post-guerre froide d’un « Nouvel ordre mondial ». Après l’euphorie interventionniste suivant la fin de l’antagonisme Est-Ouest, les déboires des missions de paix en Somalie, au Rwanda, à Haïti, en Iraq du Nord et en Angola illustrèrent non seulement la complexité et la difficulté des interventions de tierces parties, mais également l’importance et la nécessité d’un entendement adéquat du phénomène. Or, résultant de cette constatation, un large processus de réflexion fut entamé au niveau international afin d’analyser les prémisses théoriques et pratiques des interventions dans les conflits armés et, par extension, de fournir une compréhension générale ayant une portée normative. Cette problématique est toujours, aujourd’hui, une source intarissable de débats pour les étudiants et les praticiens des relations internationales.
From Promise to Practice : Strenghtening un Capacities for the Prevention of Violent Conflict, sous la direction de Chandra Lekha Sriram et Karin Wermester, s’inscrit dans le courant de cette quête arturienne d’un meilleur entendement des conditions suffisantes et nécessaires à la prévention et la gestion efficace des conflits armés. De fait, ce projet du International Peace Academy (ipa) a pour objectif d’identifier, à l’intérieur du système onusien, les avenues possibles afin de consolider notre capacité à prévenir les conflits violents. Autrement dit, les auteurs posent la question, fondamentale, à savoir comment la communauté internationale doit-elle coordonner ses efforts humanitaires, sécuritaires et de développement dans le but d’éviter préalablement la manifestation de la violence ?
Dans le but de mener à terme cette ambition, From Promise to Practice nous propose trois groupes d’articles. En premier lieu, les trois premiers articles traitent des ramifications conceptuelles sur lesquelles nous devons bâtir notre compréhension des interventions préventives. Pour ce faire, les auteurs tentent d’élaborer un appareil théorique représentant l’interaction entre les conflits armés et les interventions. En deuxième lieu, neuf articles explorent la réalité et la complexité des interventions préventives sur le terrain en nous offrant un large éventail d’études de cas où la communauté internationale réussit ou échoua dans son rôle de prévention. En dernier lieu, deux textes cherchent à mettre en lumière les leçons et recommandations possibles découlant de la diversité des études de cas afin de servir, ultimement, à l’élaboration de politiques d’intervention onusiennes.
Eu égard à la partie théorique de l’ouvrage, les articles de Chandra Lekha Sriram, Karin Wermester et Donald Rothchild développent une vision singulière des conflits. Selon eux, les enjeux sécuritaires et économiques sont intimement liés. Ainsi, les auteurs argumentent en faveur d’une interprétation holistique des conflits où les défis de développement et de sécurité s’entrecoupent. Cette interprétation, selon laquelle les enjeux de sécurité et de développement sont intrinsèquement liés, se démarque sensiblement de l’interprétation classique. Cette dernière suppose généralement une distinction théorique et pratique entre, d’une part, les interventions « structurelles » où les intervenants circonscrivent leurs activités aux causes originaires du conflit et, d’autre part, aux interventions « opérationnelles » caractérisées par des activités cherchant à éliminer ou réduire les manifestations immédiates de la violence.
En contrepartie, Lekha Sriram, Wermester et Rothchild proposent une approche intégrative où l’on discrimine entre le « contenu du problème » – c’est-à-dire les risques et défis associés aux différentes phases d’un conflit – et le « contenu de la réponse » – les diverses stratégies déployées par la communauté internationale dans le but de prévenir le conflit. Ainsi, les auteurs distinguent cinq « phases » dans un conflit : conflit potentiel, gestation du conflit, catalyseur/mobilisation du conflit, escalade du conflit et post-conflit. À ceci correspondent respectivement cinq « actions préventives » : prévention structurelle, gestion et prévention du conflit, gestion de la crise et diplomatie préventive, gestion de la crise/conflit et terminaison et construction de la paix. À chacune de ces « phases » s’ajoute une panoplie de stratégies et d’outils ainsi que les acteurs onusiens pouvant les employer. D’ores et déjà on perçoit l’ambition démesurée de circonscrire une telle conception à l’intérieur d’une soixantaine de pages. Pour reprendre la formule de Kant, ce livre n’aurait pas été aussi long à lire s’il n’avait été aussi court.
En dépit du caractère heuristique de la démonstration, qui se veut avant tout un « outil » analytique, le lecteur s’interroge sur la nécessité d’une telle construction. En effet, la valeur d’un « outil » est directement proportionnelle à l’intérêt que confère son utilisation. Or, en ce qui a trait à l’appareil théorique présenté ci-haut, la question reste à débattre. L’intuition est séduisante et pourrait mener à des conclusions importantes. Toutefois, on ne voit pas encore la plus-value d’une telle entreprise et, en fin de compte, le lecteur demeure avec l’impression que la version finale reste toujours à écrire.
Ceci dit, cette interprétation critique de l’ouvrage ne mine pas la valeur globale de From Promise to Practice : Strengthening un Capacities for the Prevention of Violent Conflict. En effet, la grande richesse du livre est tributaire des neuf études de cas présentées sur les différents incidents au Kenya, à Fiji, en Tanzanie (Zanzibar), au Tadjikistan, au Burundi, en Georgie (Javakheti), au Timor oriental, au Libéria et en Colombie. Regrouper, au sein d’un même ouvrage, une telle diversité géographique et d’une telle qualité représente un tour de force majeur. Quoique la plupart des analyses ne persisteront vraisemblablement pas au passage du temps en raison de leur actualité (par exemple, le chapitre portant sur le Libéria et les conclusions s’y associant ne survivent pas aux récents événements), il n’en demeure pas moins qu’elles fournissent une somme d’informations non négligeable sur une multitude de cas. De fait, la majorité des lecteurs apprendra beaucoup, ce qui, à notre avis, devrait être l’ambition ultime de toute production intellectuelle qui se respecte.
En définitive, From Promise to Practice : Strenghtening un Capacities for the Prevention of Violent Conflict se révèle être un bon ouvrage de lecture. Les lecteurs habitués aux débats théoriques sur l’analyse des conflits ou sur les interventions de tierces parties ne verront guère leur appétit satisfait. L’ambition conceptuelle du livre demeure trop schématique et incomplète pour réellement révolutionner l’étude des interventions onusiennes. Néanmoins, ce recueil d’articles a l’avantage de présenter des études de cas inusités et variés et, par conséquent, contribuent nécessairement à une meilleure compréhension de la réalité et des difficultés associées à la prévention de la violence au niveau international. En dernière analyse, la lecture de cet ouvrage bénéficiera sans contredit à tous.