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War and Gender, de Joshua Goldstein, est un livre provocant. Il suscitera toute une gamme de réactions chez les personnes qui le liront, allant de l’autosatisfaction (« je vous l’avais dit que les hommes étaient aussi des victimes ») à l’indignation (« qu’est-ce qui lui a pris ? »). Ce livre en fera réfléchir certains, alors que d’autres s’en lasseront rapidement. En tant que théoricienne critique de nature féministe, j’ai lu cet ouvrage en haussant souvent un sourcil en guise de scepticisme. L’analyse de certains de ses arguments m’a surprise, mais j’ai conclu ma lecture avec l’idée que le professeur Goldstein se devait d’ajouter une touche plus personnelle à son travail. Son analyse, quoiqu’exhaustive, est également superficielle à certaines occasions. Ses arguments, quoique présentés en fonction d’une approche positiviste, sont biaisés et frôlent la condescendance, ce qui est dangereux.
Dans le contexte des relations internationales, cet ouvrage se veut une contribution à la littérature sur la guerre et les sexes. Il s’intéresse aux moyens par lesquels le sexe influence la guerre, et la guerre influence le sexe. Pour Goldstein, la notion de sexe englobe « les rôles et les corps masculins et féminins sous tous leurs aspects ». Sa recherche s’appuie sur une série d’hypothèses qu’il « teste ». Nous ne pouvons ici exposer chacune de ces hypothèses en détail, mais une certaine attention doit tout de même leur être accordée. Par exemple, il rejette les prétentions selon lesquelles les femmes ne peuvent faire de bons soldats. Il a trouvé peu de preuves empiriques appuyant la thèse que des éléments biologiques empêchent la participation des femmes à la guerre, mais en a découvert certains qui corroborent le fait que la taille et la force physique sont des facteurs importants. Il rejette l’argument selon lequel les femmes ont une propension à éduquer. Il conclut que « les meilleures explications aux rôles des sexes dans un contexte de guerre se trouvent dans les infimes différences sexuelles innées qui touchent la taille moyenne et la rudesse, et l’idée culturelle d’hommes forts et braves qui féminisent leur ennemis pour mieux les dominer » (p. 406). Goldstein tire plusieurs conclusions qu’il croit être pertinentes aux relations internationales. L’une des plus importantes est le fait qu’il faut « accorder plus d’attention aux sexes (bien entendu, il ne s’agit pas d’accorder plus d’attention aux femmes) » (p. 407). Il avance aussi que pour intégrer les sexes, il faut adopter plusieurs niveaux d’analyse. Il réfléchit aussi sur les dilemmes « sociaux » qui se dégagent de ses conclusions. Par exemple, il affirme que les parents des garçons font face à un dilemme concernant la façon de socialiser leurs fils. Si les garçons sont socialisés d’une manière masculine, ils subiront des torts émotionnels ; si des traits de personnalité féminins sont favorisés, ils pourraient être considérés comme efféminés.
Je n’ai aucun doute sur le fait que Goldstein veut aborder honnêtement la question des sexes et de la guerre avec une certaine ouverture d’esprit et dans la perspective de découvrir des faits véridiques. Il n’est pas indifférent aux horreurs de la guerre auxquelles font face les hommes et les femmes. En revanche, on observe une certaine négligence dans le langage qui frôle la condescendance. D’une couverture à l’autre, il y a des phrases que je contre-vérifierais pour m’assurer qu’elles sont vraiment de son cru. Je me suis demandé si les phrases avaient été formulées pour provoquer, ou si aucune réflexion n’avait été portée sur la manière dont elles se liraient. L’un des problèmes est le style utilisé pour les citations. Il porte à confusion et il est parfois très difficile de trouver la source de l’information. S’il s’agit du choix de l’éditeur, alors le style devrait être sérieusement revu.
Ce n’est cependant pas qu’une question de style. Il y a trop de choix éditoriaux superflus de la part de l’auteur. Dans un exposé sur les femmes dans le contexte de la Guerre civile américaine décrivant les pensées d’une jeune femme, il écrit qu’une « adolescente a écrit sur ses fantasmes spécifiquement féminins » (p. 318). Il y a quelque chose de troublant dans la tournure de cette phrase. Est-il nécessaire d’ajouter l’élément « fantasmes spécifiquement féminins » ? On trouve plusieurs autres exemples où, si l’on inverse la phrase pour qu’elle réfère aux hommes au lieu des femmes, on aurait un résultat très bizarre. Par exemple, dans une discussion sur les femmes au combat, il affirme que « les éléments de preuve concernant les femmes soldats et les femmes du milieu politique en temps de guerre semblent appuyer les féministes libérales ; les femmes peuvent assumer ces rôles efficacement » (p. 60).
Un autre élément troublant de ce livre est l’exposé sur l’expertise académique féministe par rapport à la guerre. Des 414 pages de texte (le reste étant consacré aux notes et à la bibliographie), 24 portent sur les théories féministes de la guerre et de la paix. Il n’y a aucune référence à la race et il place les féministes post-modernes dans la même catégorie que les féministes traditionnelles. L’auteur nous fournit un tableau (p. 37) présentant les « Travaux importants de science politique féministe sur la guerre, 1982-1998 ». Cette liste comprend des ouvrages connus, comme le Woman and War de Jean Bethke Elshtain. Toutefois, elle inclut aussi le Global Gender Issues de Spike Peterson et Anne Sisson Runyan, et le Gender and International Relations de Rebecca Grant et Kathleen Newland. Ce dernier comprend un chapitre de J. Ann Tickner sur Morgenthau, mais aucun n’est consacré aux femmes et à la guerre. Quoi qu’il en soit, il fait référence à ces livres, et à d’autres, pour démontrer les lacunes de la littérature sur la guerre et les sexes. Certes, il existe une lacune dans la littérature, mais une liste comme celle de Goldstein n’est pas une représentation adéquate de la littérature, et je crois qu’elle mine l’intégrité de son travail.
Ces commentaires sur la formulation des phrases et la composition des tableaux peuvent sembler insignifiants, mais ils témoignent d’un manque de caractère réfléchi qui se dégage du livre. En tant que féministe, cela me fait prendre mes distances par rapport à ce qui est écrit et m’amène à remettre en question la recherche.
Il y a aussi des éléments de ce travail qui peuvent sembler dangereux. Au chapitre 6, l’auteur pose la question suivante : « Est-ce les femmes ou les hommes qui sont les principales victimes de la guerre ? », pour conclure que « ni les hommes, ni les femmes ne sont avantagés par la guerre au profit de l’autre sexe. Les femmes ne font pas une bonne affaire, dans l’ensemble, lorsque les hommes portent le fardeau de leur protection, et les hommes ne font pas une bonne affaire lorsqu’ils jouent à la guerre pendant que les femmes en assument les coûts. Les deux sexes perdent à la guerre, mais ils perdent d’une manière différente » (p. 402). Le danger est lié au fait que de telles affirmations pourraient être utilisées pour appuyer les antiféministes qui ont adopté l’approche des « hommes qui sont aussi victimes ». Bien peu pourraient suggérer que les hommes ne sont pas des victimes de la guerre, mais l’expérience différente que vivent les femmes – et que les féministes ont bien du mal à élucider – pourrait se perdre dans le vocable « quelque peu différente ». Dans le texte, on reconnaît la dualité des sexes et la domination de la masculinité. Mais en affirmant que la masculinité peut nuire aux hommes, Goldstein passe sous silence la dominance systématique et envahissante que subissent les femmes sur tous les fronts. La masculinité nuit peut-être aux hommes, mais elle contribue aussi à leur assurer le pouvoir.
Plusieurs autres questions me sont venues à l’esprit à la lecture de cet ouvrage. Par exemple, Goldstein accorde une grande importance à la culture, sans toutefois vraiment analyser d’où elle émane. Elle est prise pour donnée. Peut-on vraiment associer le sexe et la biologie, comme le suggère Goldstein ? Quel type de féministe est Goldstein ? Sa thèse de la « synergie possible du féminisme avec le libéralisme traditionnel » suggère qu’il puisse être attiré par des variantes du libéral féminisme, mais l’accent mis sur la culture comme élément déterminant laisse présager une autre approche. La position de l’auteur n’est pas tout à fait claire, et cela explique peut-être certains des problèmes recensés plus haut.
Il n’y a aucun doute qu’un effort considérable a été consacré à la rédaction de ce très gros livre. Sa lecture fut une expérience engageante, parfois troublante. Je ne sais pas vraiment à qui cet ouvrage est destiné, mais je sais qu’il provoquera de nombreuses réactions.