Article body

Introduction

Au sein de plusieurs juridictions occidentales, comme au Canada, aux États-Unis, au Royaume-Uni et en Australie, l’adoption est un moyen de protéger les enfants en besoin d’un milieu familial permanent qui, pour diverses raisons, ne peuvent pas rester ou retourner dans leur famille d’origine (Palacios et al., 2019). Les enfants orientés vers ce projet de vie peuvent arriver dans leur famille adoptive à différents âges, avec un bagage marqué par des déplacements, des enjeux de santé physique et mentale et l’exposition à des facteurs d’adversité précoce et prénatale (Lee et al., 2018 ; Smith, 2014). À cet effet, des parents adoptifs rapportent des difficultés d’attachement et de comportements chez leur enfant (Smith, 2014 ; Waid et Alewine, 2018), dont des comportements agressifs envers les membres de la famille (Follan et Mcnamara, 2014 ; Lyttle et al., 2021 ; Selwyn et Meakings, 2016 ; Vasquez et Miller, 2018). De plus, les difficultés se cumulent pour plusieurs familles (Waid et Alewine, 2018). Aux États-Unis, certaines études ont montré qu’en comparaison avec les enfants adoptés de l’international ou par une adoption privée[1], les enfants adoptés en protection de la jeunesse (PJ) présentent plus de difficultés, et ce, tant sur le plan de la santé physique, du développement socioaffectif que du développement cognitif et des réalisations académiques (Vandivere et Mcklindon, 2010 ; Waid et Alewine, 2018).

Il faut toutefois considérer qu’avec la diminution constante des adoptions internationales depuis le milieu des années 2000 (Smolin et al., 2023), ces enfants vivent avec davantage de troubles et de besoins de santé complexe (Roach et al., 2023), de sorte que leur profil est maintenant similaire à celui des enfants adoptés en PJ. Selon Smith (2014), la moitié des enfants américains adoptés en PJ manifestent des problèmes émotionnels et comportementaux persistants.

À la longue, ces difficultés peuvent mettre l’engagement des parents adoptifs en PJ à rude épreuve (Testa et al., 2015) ou les mener à développer un trauma secondaire. Figley (1995) le définit comme le changement des comportements et des émotions, issu du fait de connaitre un événement traumatique vécu par un proche et du stress découlant du soutien empathique à cette personne. Alors que cette expérience a été documentée chez des professionnels de la relation d’aide, des études récentes montrent des niveaux élevés de trauma secondaire chez les parents d’accueil (Bridger et al., 2020 ; Hannah et Woolgar, 2018 ; Ottaway et Selwyn, 2016 ; Perry, 2014) et les parents adoptifs (Lyttle et al., 2021 ; Selwyn et Meakings, 2016), en raison de leur proximité émotionnelle et du partage d’un vécu quotidien avec un enfant traumatisé. Conrad (2004) fournit une liste non exhaustive de symptômes psychologiques ou physiques liés au trauma secondaire. Il parle d’abord d’émotions déstabilisantes à un niveau jamais ressenti, telles que : colère, tristesse, anxiété, chagrin prolongé, culpabilité, peur, etc. Il ajoute une détresse intense sur une plus longue période que celle à laquelle la personne est normalement habituée, accompagnée d’hypervigilance, d’épuisement, de sentiment d’isolement social, de cynisme, de sautes d'humeur, d’irritabilité, de perte d’espoir et d’évitement. Il complète avec des problèmes de santé apparus ou augmentés, comme des maux de tête, maux d’estomac, maux de dos, problèmes de sommeil, etc. Le cumul de ces symptômes, couplé aux grandes difficultés de l’enfant, génère un besoin important de services pour ces familles. Récemment, le concept de trauma de filiation a émergé des travaux réalisés par les autrices du présent article (Tremblay et Pagé, 2023), pour rendre compte de manière plus juste de l’expérience traumatique des parents adoptifs en PJ dont le sentiment d’être le parent est régulièrement mis à l’épreuve par les comportements d’agression et de rejet envers eux de la part de l’enfant adopté.

Plusieurs auteurs soulignent l’importance des services postadoptions pour soutenir les parents adoptifs (Barth et Miller, 2000 ; Brooks et al., 2002 ; Dhami et al., 2007 ; Houston et Kramer, 2008). Les besoins des familles adoptives en termes de soutien et de services peuvent être de différents ordres, notamment du soutien financier ou matériel (Bonin et al., 2014 ; Hartinger-Saunders et al., 2015 ; Reilly et Platz, 2004 ; Waid et Alewine, 2018), du soutien par les pairs (Dhami et al., 2007; Hartinger-Saunders et al., 2015), des services spécialisés en santé mentale pour l’enfant (Hartinger-Saunders et al., 2015), de l’accompagnement psychoéducatif (Waid et Alewine, 2018), des services juridiques (Mcdonald et al., 2001) et de l’aide psychologique pour le parent (Reilly et Platz, 2004 ; Waid et Alewine, 2018). L’intensité et la nature des besoins des familles adoptives en ce qui concerne le soutien postadoption varient selon les caractéristiques de l’enfant, des parents adoptifs et de l’adoption (Lee et al., 2020). Ces besoins ne se limitent pas à la période de transition à l’arrivée de l’enfant dans la famille, mais plutôt s’accentuent avec le temps (Wind et al., 2007) pour culminer à l’adolescence (Dhami et al., 2007 ; Smith, 2014 ; Waid et Alewine, 2018). D’après le Modern Adoptive Families Study, 75 % des 1 450 familles adoptives américaines ayant répondu à ce questionnaire en ligne révèlent des besoins importants en matière de services postadoption, notamment parce qu’elles sont confrontées à un cumul d’enjeux d’adaptation liés à l’adoption et aux besoins particuliers[2] des enfants (Lee et al., 2020). La seule étude répertoriée comparant les besoins des familles en fonction du type d’adoption montre que les parents qui adoptent en PJ ont les plus grands besoins en termes de services après l’adoption (Merritt et Festinger, 2013).

Lorsque l’enfant adopté présente des comportements agressifs envers sa famille adoptive, non seulement les parents ont-ils besoin de services en lien avec les problématiques de l’enfant, mais aussi en termes d’interventions d’urgence afin de protéger les membres de la famille. Dans l’étude de Selwyn et Meakings (2016), quand la police intervient et propose aux parents adoptifs de porter plainte, ces derniers ne veulent pas criminaliser leur enfant. Ils souhaitent plutôt obtenir des services pour que les comportements agressifs cessent, que la relation avec lui soit rétablie et qu’ils ne soient pas tenus responsables pour les comportements de ce dernier.

Malgré la démonstration des besoins de services des familles qui adoptent en PJ, plusieurs obstacles à leur utilisation sont identifiés dans les écrits scientifiques : la crainte d’être jugés s’ils demandent de l’aide, la peur d’être tenus responsables des difficultés de l’enfant, le manque de connaissances quant aux services disponibles, une offre de services qui ne correspond pas à la disponibilité des familles, des services dont la qualité et l’accessibilité sont variables ou trop coûteuses, la sous-évaluation des difficultés des familles (Bonin et al., 2014 ; Dhami et al., 2007 ; Mckay et Ross, 2010 ; Reilly et Platz, 2004 ; Selwyn, 2017 ; Smith, 2014 ; Vasquez et Stensland, 2016). Sur ce dernier point, de nombreuses familles adoptives ont tendance à minimiser leurs besoins et leurs difficultés, de sorte qu’elles font appel à des services en situation de crise, lorsque les difficultés s’accumulent jusqu’à l’atteinte d’un point de rupture ou à la suite d’un événement stressant ou traumatique (Dhami et al., 2007 ; Egbert, 2015 ; Lushey et al., 2018 ; Waid et Alewine, 2018). Certaines études notent un manque d’adéquation entre les besoins des familles adoptives et l’offre de services postadoption, que ce soit parce qu’ils ne ciblent pas les bons besoins ou parce que le soutien est insuffisant (Follan et Mcnamara, 2014 ; Reilly et Platz, 2004 ; Suetterlein, 2007 ; Vasquez et Stensland, 2016 ; White, 2016).

L’adoption en protection de la jeunesse au Québec

Au Québec, plus de 3 000 enfants ont été adoptés depuis 2010 (Directeurs de La Protection de La Jeunesse/Directeurs provinciaux, 2023). Outre quelques bébés confiés à l’adoption régulière peu de temps après leur naissance, la majorité de ces enfants ont fait l’objet d’une prise en charge par la PJ, surtout pour des motifs de négligence ou de risque de négligence (Chateauneuf et al., 2020 ; Pagé et Hélie, 2017). Leurs parents présentent un cumul de problématiques, telles que consommation abusive de drogues ou d’alcool, problèmes de santé mentale, criminalité, violence familiale, etc. (Chateauneuf, 2015). Au Québec, les enfants orientés vers un projet d’adoption sont principalement âgés de deux ans ou moins au moment de leur retrait du milieu familial (Hélie et al., 2020), ce qui contraste avec d’autres pays occidentaux, comme aux États-Unis, où les enfants pris en charge par la protection de l’enfance sont âgés en moyenne de 6,1 ans au moment de leur adoption (U.S. Department of Health and Human Services, 2022). Les enfants placés en vue de leur adoption peuvent également présenter diverses problématiques de santé physique ou mentale ainsi que des troubles neurodéveloppementaux (Chateauneuf et al., 2020).

Le Québec a aussi la particularité d’être doté du programme Banque mixte (BM), qui s’appuie sur la planification concurrente (Chateauneuf et Lessard, 2015 ; D’andrade, 2009 ; Katz, 1999). Il consiste à poursuivre simultanément un projet de vie privilégié (le retour dans le milieu familial) et un projet de vie alternatif (l’adoption par la famille d’accueil BM). Cela crée un espace d’ambiguïtés, tant pour les parents d’accueil qui désirent adopter que les intervenantes qui les accompagnent (Goubau et Ouellette, 2006 ; Ouellette et al., 2009). Ainsi, les enfants orientés vers ce programme sont jugés à haut risque d’abandon et sont accueillis par une famille d’accueil qui s’engage à les adopter, le cas échéant (Chateauneuf et Lessard, 2015). Les postulants à l’adoption sont évalués, entre autres, pour leur capacité à collaborer avec le système de la PJ et à s’occuper d’un enfant sans avoir la certitude qu’il deviendra le leur (Pagé et al., 2019). Le fait qu’ils se considèrent les parents de cet enfant généralement bien avant que la filiation ne soit officiellement établie, occasionne son lot de frustrations, d’impuissance et d’angoisse. De plus, la crainte de se faire retirer la garde de l’enfant avec qui ils n’ont aucun lien juridique peut occuper une grande place (Pagé et Poirier, 2015).

À notre connaissance, une seule étude s’est penchée sur les services reçus par des parents ayant adopté à travers la BM (Gagné et Pouliot, 2021). Huit parents du Saguenay–Lac-Saint-Jean ont été rencontrés pour connaitre leur point de vue sur les services reçus alors qu’ils étaient encore en famille d’accueil, avant l’adoption légale de leur enfant. Il en ressort que des parents ont le sentiment d’être mal informés relativement à tous leurs droits et responsabilités et d’être mal préparés aux particularités du rôle de parent d’accueil BM. Ils déplorent le manque de transparence quant au vécu d’adversité précoce de l’enfant qu’ils accueillent et le manque de ressources formelles spécialisées pour répondre aux besoins de l’enfant. Comme les programmes similaires à la BM ailleurs dans le monde sont marginaux, il existe peu de connaissances sur la réalité de ces familles une fois que l’adoption est prononcée et que les intervenantes de la PJ se retirent de leur vie, que ce soit en termes de défis rencontrés, de besoins ou d’utilisation de services.

Outre une aide financière pour le congé d’adoption avec le Régime québécois d’assurance parentale, l’accès à un intermédiaire pour l’actualisation d’une entente de communication entre famille adoptive et famille d’origine après l’adoption, ainsi qu’un service de recherche d’antécédents et de retrouvailles pour les personnes adoptées de 14 ans et plus et pour les parents d’origine, le réseau public québécois n’a aucune autre offre de services postadoption. Dans ce contexte, il est pertinent d’enrichir les connaissances sur les besoins des parents ayant adopté via la BM et des démarches entreprises pour trouver de l’aide une fois que l’accompagnement des services de la PJ prend fin, surtout lorsque leur enfant démontre des problématiques relationnelles et comportementales complexes. Le présent article a pour objectif de présenter le thème de l’aide recherchée et obtenue pour faire face à ces difficultés et répondre aux besoins de la famille. Il a émergé des entretiens dans le contexte d’une étude sur l’expérience de trauma secondaire chez des parents adoptifs BM.

Méthodologie

Dans le cadre d’un mémoire de maîtrise en travail social (Tremblay, 2020), une étude qualitative exploratoire a été réalisée afin de mieux comprendre l’expérience de trauma secondaire vécue par des parents ayant adopté, en BM, un enfant qui présente des difficultés relationnelles et comportementales importantes. Au plan conceptuel, l’expérience de vivre quotidiennement auprès d’un enfant extériorisant les séquelles d’un passé de maltraitance par des comportements d’agression et des relations conflictuelles peut grandement affecter le parent, au point de lui générer un trauma secondaire (Figley, 1995) ou même un trauma de filiation (Tremblay et Pagé, 2023). Dans ce contexte, il faut mieux comprendre les besoins de services et la recherche d’aide de ces parents.

Participants et déroulement du recrutement

Les participants ont été recrutés parce qu’ils s’identifiaient aux réalités fournies sur deux listes non exhaustives : l’une présentant des difficultés relationnelles et comportementales chez l’enfant, l’autre contenant les symptômes du trauma secondaire tels que décrits précédemment par Conrad (2004) et Figley (1995). Aucun nombre spécifique pour chacune de ces listes de difficultés n’était requis, mais elles devaient être jugées par les parents adoptifs comme ayant entraîné chez eux des symptômes du trauma secondaire. L’objectif n’était pas d’établir un diagnostic de leur trauma secondaire, mais de mieux comprendre l’expérience des parents adoptifs vivant quotidiennement auprès d’un enfant présentant d’importants problèmes relationnels et comportementaux. L’enfant devait avoir été adopté par la BM et être mineur au moment de l’entrevue.

Quatre groupes communautaires ayant un mandat provincial d’offre de services spécialisés en attachement ou en adoption ont transmis l’annonce de recrutement à leurs membres par courriel. Les parents qui reconnaissaient leur situation familiale dans les listes étaient invités à communiquer par courriel avec la première autrice du présent article. Un bref échange téléphonique avec chacun d’eux a permis de vérifier s’ils satisfaisaient aux critères d’inclusion, de répondre à leurs questions et de planifier la date de l’entrevue.

Tous les parents ayant donné suite à l’annonce de recrutement (N=10) font partie de l’échantillon. Leurs caractéristiques sociodémographiques sont présentées dans le Tableau 1. Ils ont en moyenne 50 ans (38-60 ans). Au total, ils ont 25 enfants, avec une moyenne de 2,5 enfants par famille, dont la majorité sont des enfants adoptés au Québec, au Canada ou à l’international. Par ailleurs, les questions d’entrevue ont porté uniquement sur les enfants adoptés par la BM (N=11, car un des parents a adopté des jumeaux). L’âge moyen de ces derniers à l’arrivée dans la famille est de 1,97 ans (0-4 ans) et de 12,88 ans au moment de l’entrevue (7-17 ans).

Tableau 1

Caractéristiques sociodémographiques des parents et de leur famille (N=10)

Caractéristiques sociodémographiques des parents et de leur famille (N=10)

-> See the list of figures

Déroulement et outil de collecte de données

Des entretiens semi-dirigés d’une durée de 90 à 180 minutes ont eu lieu en personne pour chacun des parents à l’endroit de leur choix (5 à domicile, 3 au travail, 2 en lieu neutre) à l’été 2018. Ils ont adopté à Montréal, en Mauricie et dans la Capitale-Nationale. Ils ont rempli un questionnaire sociodémographique à la fin de l’entretien.

Pour les fins du mémoire, une grille d’entretien comprenant quatre thèmes a été préparée : 1) l’élaboration du projet de devenir une famille d’accueil BM, 2) l’arrivée de l’enfant dans la famille, 3) les difficultés relationnelles et comportementales de l’enfant ainsi que ses effets sur le parent, et 4) la croissance post-traumatique. Les résultats présentés dans cet article viennent des réponses des parents aux questions suivantes :

  • Avez-vous eu besoin d’aide extérieure ?

    • Qu’est-ce qui vous a motivé à aller chercher de l’aide ?

    • Qui avez-vous sollicité ?

    • Qu’est-ce que ça a donné ?

  • Qu’est-ce que vous auriez aimé avoir comme service, comme connaissances préalables à l’adoption ?

    • Comme préparation, formation ou intervention, à quel moment dans le parcours ?

    • Est-ce que des groupes de pairs avec d’autres parents adoptifs BM auraient aidé ?

Stratégie d’analyse des données

Les entretiens ont été enregistrés numériquement, retranscrits intégralement. Les données nominatives ont été remplacées par un numéro pour assurer la confidentialité des parents. Les transcriptions ont été soumises à une analyse de contenu. Le logiciel NVivo a été utilisé pour générer les codes initiaux à partir des extraits de toutes les transcriptions puis pour regrouper les codes selon des thématiques émergentes. Ce codage a été fait par la première autrice. Les thèmes ont été révisés et validés par la directrice du mémoire. Un travail de rédaction s’en est suivi afin de définir chaque thématique. Plusieurs révisions de cette rédaction de la part des deux autrices ont permis de peaufiner l’organisation de l’analyse, de manière à reconstruire une histoire cohérente de l’expérience des parents rencontrés. La directrice du mémoire s’est assurée d’une analyse la plus objective possible dans tout le déroulement de l’analyse et de la rédaction.

Considérations éthiques

Cette étude a été autorisée par le comité d’éthique de la recherche de l’Université du Québec en Outaouais. Les parents ont reçu par courriel la description du projet et le formulaire de consentement. Il a été revu et expliqué aux parents, avant d’être signé en deux copies, au début des entretiens. Durant l’entretien, étant donné la nature délicate de la recherche, les parents ont pu prendre autant de pauses qu’ils le désiraient. Bien qu’ils aient été informés qu’ils y étaient autorisés à tout moment, aucun d’entre eux n’a souhaité se retirer de la recherche. Ils ont de plus obtenu une liste de références de services psychosociaux en cas de besoin.

Résultats

Les résultats feront d’abord état de la présence de lourdes problématiques comportementales et relationnelles chez l’enfant, telles que rapportées par leurs parents, qui sont à l’origine des demandes d’aide de ces derniers. Puis, suivra la présentation des nombreuses portes auxquelles les parents ont dit avoir cogné pour tenter de trouver de l’aide en lien avec ces problématiques et leurs effets sur l’ensemble des membres de la famille adoptive.

À l’origine de la recherche d’aide : des problématiques comportementales et relationnelles lourdes chez l’enfant

Depuis l’accueil de l’enfant dans leur famille, les parents ont observé de nombreuses problématiques chez lui qui se sont accentuées à l’adolescence. Comme les enfants sont arrivés à un jeune âge, l’ampleur des difficultés rapportées par les parents est surprenante. Certains jeunes avaient un diagnostic : syndrome Gilles de la Tourette, trouble sévère du comportement, troubles d’attachement, d’apprentissage, d’anxiété, du déficit de l’attention ou du spectre de l’autisme. Des parents ont parlé de problèmes de sommeil ou liés à l’alimentation ; par exemple, ils ont relaté que leur enfant « faisait du pica », c’est-à-dire mangeait des choses non comestibles comme la mousse de sa couette ou les cadres de fenêtres. Certains ont dit que l’enfant mangeait en cachette ou en très grande quantité. Ils ont également raconté que leur enfant faisait régulièrement des crises interminables, dans une complète désorganisation, nécessitant une présence et une supervision constantes. Les parents ont nommé d’autres problématiques telles que l’automutilation, l’opposition, la provocation et le harcèlement. « Il harcèle tout le temps, pour obtenir, avoir, avoir, avoir ! Tu lui dis non, 32 fois, il va avoir une 33e fois » (Parent 10). Ils ont ajouté l’hyperactivité, la délinquance ou les difficultés d’attachement, car l’enfant testait constamment le lien avec eux. Ils ont mentionné que l’enfant présentait des difficultés relationnelles autant avec la famille et les pairs que les autres adultes, et ce, dans tous les milieux qu’il fréquentait : garderie, école, activités parascolaires, centre d’accueil, etc. Un des principaux constats de la recherche est que les parents ont reconnu être confrontés à un niveau élevé d’agression physique ou psychologique de la part de leur enfant, et ce, dès son jeune âge. Par exemple, ils ont raconté comment celui-ci pouvait cracher, mordre, détruire des biens ou des pièces dans la maison, frapper les animaux, les humains, avec des objets, coups de pied, de poing et de tête. Un parent a dépeint une des crises de son enfant :

« Il descend en bas, puis il commence, bang ! bang ! dans les murs, puis il démolit sa chambre cette fois-là. Alors le gypse, les panneaux de gypse arrachés à quatre, cinq endroits, des gros trous, là qui font à peu près deux, trois pieds. Son bureau, son lit, démolis. Les blocs Lego, il en avait à peu près 1 000, ils ont été distribués partout. Puis, il avait une planche dans les mains, puis quand sa mère s’est présentée pour dire : “Bien ça suffit !” Il voulait la frapper en disant : “Je vais te tuer !” » (Parent 10)

Porte numéro un : les services de première ligne

Les parents ont demandé de l’aide lorsqu’ils considéraient que leurs compétences parentales, acquises de manière autodidacte grâce aux formations et nombreuses lectures sur l’adoption, ne suffisaient plus pour faire face à la situation. Comme toute famille qui rencontre des difficultés, les parents ont d’abord cherché de l’aide auprès des services de première ligne (centre local des services communautaires [CLSC], médecin de famille). Ils ont alors perçu une absence de services spécialisés sur les enjeux liés à l’adoption, à l’attachement, au trauma complexe et à la santé mentale infantile. Plusieurs parents ont exprimé le sentiment d’être mieux informés que l’intervenante.

« […] Ç’a lu en quelque part que probablement que si lui, il a un trouble du lien d’attachement, il faudrait peut-être faire ça comme ça, mais… elle ne connaît pas notre enfant. Elle connaît pas les troubles du lien d’attachement. Tsé, ça arrive, puis là ça te dit quoi faire ! Tsé ! Je veux dire, j’ai une garderie, je travaille en éducation. Tsé, j’en sais probablement plus que toi. Donc là, tu arrives, tu essaies de venir m’aider quand dans le fond, tu m’aides pas. Tu me nuis plus qu’autre chose. Ou tu me juges toi-même ! » (Parent 8)

Les parents ont vu leur détresse augmenter lorsqu’ils se retrouvaient face à une intervenante qui, à bout de ressources, soit persistait à entreprendre des interventions inefficaces ou référait à d’autres professionnels qui n’étaient pas plus sensibilisés aux enjeux spécifiques à l’adoption. Dans ce cas, il s’ajoutait la lourdeur de recommencer du début le récit de leur histoire. Cet éternel recommencement est énergivore. « Puis là… t’es constamment en suivi, à l’hôpital, à poser des questions, à monter des dossiers, parce que c’est ça que tu fais, tu montes un dossier, tu fais… Je ne sais pas combien il y a de cartables, de suivis de dossiers de ma fille » (Parent 7).

Un autre constat est la grande frustration exprimée par les parents face aux services limités dans le réseau public qui leur ont semblé inadaptés à la lourdeur des problématiques de leur enfant. D’une part, la longue attente avant d’obtenir des services et la durée limitée des épisodes de services, d’autre part, leur ont donné l’impression que la gravité et la persistance des problématiques de l’enfant n’étaient pas prises au sérieux. Les parents ont dit appréhender une fin prématurée des services, sachant que les améliorations perçues au plan des comportements de leur enfant n’étaient que temporaires. Conséquemment, ils ont mentionné craindre de se retrouver à nouveau seuls pour gérer des situations épuisantes. « Alors on est encore suivis par une travailleuse sociale qui va venir jeudi. […] Puis je ne veux pas qu’elle me laisse ! » (Parent 5). Quelques parents ont souligné que pour eux, l’aide reçue du système public était insuffisante et arrivait trop tardivement.

Certains parents ont cherché de l’aide du côté des organismes communautaires. Quelques-uns se sont intégrés à des groupes de soutien où ils ont échangé avec d’autres familles vivant les mêmes réalités qu’eux. Ils ont trouvé ces groupes utiles lorsque les rencontres entre pairs étaient orientées sur des solutions plutôt que strictement sur le partage de difficultés. D’autres ignoraient l’existence de ces groupes, mais ils auraient souhaité les connaître plus tôt dans leur parcours d’adoption. Quelques parents ont utilisé des services de gardiennage ou de répit. Bien que ces services aient apporté un certain soutien, ils ont considéré qu’ils n’étaient pas adaptés aux besoins particuliers de leur enfant et aux enjeux de l’adoption. Un parent a exprimé que les enfants avec un grave trouble de l’attachement et des comportements difficiles nécessitant une supervision constante n’avaient pas de lieu de répit dans sa région : « Les répits […] c’est pour les enfants autistes. Ou sinon il y a d’autres répits, mais c’est pour les enfants déficients intellectuels. Mais il n’y en a pas d’organisme de répit pour les enfants comme nous autres » (Parent 2).

Porte numéro deux : les services du secteur privé

Comme les services de première ligne n’ont pas répondu à leurs besoins en temps opportun, des parents se sont tournés vers le privé, malgré les coûts importants. « C’était comme 13 ou 14 mois avant de recevoir de l’aide du CLSC. Fait que je suis allé voir dans le privé, parce que j’ai besoin d’aide […] » (Parent 5). Cela a permis, pour quelques parents, de trouver des intervenantes psychosociales un peu mieux formées aux enjeux de l’adoption.

« [Q]uand on a rencontré [l’intervenante], pis les gens qui gravitent autour d’elle, on a fait, oh, oh, là on tombe dans une autre affaire, là. Ils pouvaient nous expliquer ce qui se passait, pis nous dire qu’on s’inventait pas des affaires, là » (Parent 1).

Considérant les importants retards de certains enfants sur le plan académique, des parents ont eu recours à des services privés d’orthopédagogues, d’orthophonistes ou de tuteurs scolaires pour soutenir leur enfant dans ses apprentissages scolaires. Ces services ont pu pallier lorsque les devoirs et leçons entraînaient des difficultés relationnelles avec le parent : « Il y a une tutrice qui vient pour ses leçons. Parce que quand il est avec moi, il est intimidé, il a peur de l’échec avec moi. Il ne veut pas me déplaire » (Parent 5).

Porte numéro trois : l’intervention en urgence d’Info-Social, de la police ou de la DPJ

Quand l’ampleur des crises et le haut niveau de désorganisation de l’enfant ont nécessité une intervention d’urgence, trois ressources ont été utilisées par les parents. L’une d’elles a été l’accueil psychosocial où un parent et son enfant se sont rendus en personne pour montrer l’urgence de la situation.

« À la réception, il y avait quelqu’un avant moi, mais… […] ça m’a demandé tout mon courage […] je ne voulais pas pleurer. Puis là, j’ai dit : “Madame, je viens vous voir parce que mon garçon et moi, on a des problèmes. On a besoin d’aide TOUT DE SUITE.” Et puis là bon, ils nous ont pris. Je n’ai jamais vu une réceptionniste aussi allumée, elle a compris là. C’est maintenant… » (Parent 5).

Quand les agressions sont devenues trop importantes, des parents ont été contraints d’appeler la police, parfois à plus d’une reprise. « Tu appelles aux urgences sociales, qu’est-ce qu’ils disent : “Appelez une ambulance ou la police.” C’est tout… » (Parent 10). Ces parents sont réticents à recourir à une intervention policière, car leur intention est d’obtenir une aide efficace pour freiner les comportements agressifs de leur enfant sans pour autant judiciariser la situation.

Pour deux parents, un placement volontaire en urgence à la DPJ est devenu nécessaire lorsque le délai d’attente pour obtenir des services de première ligne a mené à l’escalade des comportements agressifs.

« [La pédopsychiatre] a dit : “[…] Vous avez pris trop de temps, la crise s’est accentuée. Maman ne va vraiment pas bien. Coco ne va vraiment pas bien, la famille est en train de tomber.” Fait que là “[…] Si vous avez la possibilité d’ici les prochaines 24-48 heures d’aller en urgence en pédopsychiatrie faites-le […] puis après ça bien, un placement volontaire.” C’est ça qu’on a fait » (Parent 2).

Une porte tournante : les services de la protection de la jeunesse

Il faut rappeler que les parents ont tous été en relation avec des intervenantes de la DPJ au moment où ils sont devenus famille d’accueil BM. Concernant cette époque, ils ont parlé d’un manque de suivi à la suite du placement initial et du sentiment d’être laissés à eux-mêmes face aux difficultés de l’enfant, parce que ce dernier était considéré en sécurité dans leur famille. Pourtant, selon eux, un suivi plus régulier aurait permis à la fois le développement de liens de confiance entre eux et les intervenantes et la détection plus rapide de difficultés. Ils ont exprimé que les relations les plus favorables étaient celles où l’intervenante était disponible, sans jugements et empathique. Malheureusement toutes ne leur ont pas démontré une telle ouverture.

« [Q]uand elle a vu trois références [dans les notes de l’intervenante précédente] : “La mère ne collabore pas.” 3 fois sur 5 ans, elle a dit : “Bien là, vous voyez, vous ne collaboriez même pas”. Bien là, c’est comme réduire beaucoup… Ça, c’était grave […] Vraiment on a senti qu’il y avait un biais. Il y avait une décision qui était, dès le départ, une fermeture : “Vous êtes le mauvais objet, puis on va vous le montrer”, tsé » (Parent 10).

N’étant pas détenteurs de l’autorité parentale au moment où ils sont parents d’accueil, les parents ont dû obtenir l’autorisation des parents d’origine ou de l’intervenante (si certains aspects de l’autorité parentale avaient été transférés au DPJ) lorsque l’enfant requérait des services. Cependant, les délais pour obtenir cette autorisation et les efforts pour convaincre de l’importance des services ont ennuyé certains parents, de sorte qu’ils ont préféré retarder le recours aux services après le jugement d’adoption pour ne plus avoir à se justifier. Ils ont senti que les intervenantes minimisaient les difficultés qu’ils observaient chez l’enfant. Certains se sont senti les mains liées, exprimant que le double rôle de l’intervenante de la DPJ, qui pouvait tout autant les soutenir que leur enlever l’enfant, était peu propice à l’établissement d’une relation de partenariat autour d’un but commun, soit le bien-être de l’enfant, les entrainant plutôt dans une lutte de pouvoir.

« Alors c’est ça, c’est “Ferme-là, puis suis-nous, fais ce qu’on te dit puis ça va fonctionner”. Alors je l’ai fait parce que c’est important. Je ne parle pas d’avoir une barre de chocolat, je parle d’avoir un enfant, donc c’est un projet de vie incroyable, donc je ne pouvais pas me permettre de trop critiquer en avant, malheureusement. Je suis très critique, mais dans ça, dans mon processus, pas du tout. Bien très critique là, mais… Je n’ai pas pu l’être, je ne pouvais pas » (Parent 5).

Cette tension vécue durant les mois précédant l’adoption a ressurgi pour les parents qui se sont à nouveau tournés vers la DPJ, quelques années plus tard, pour trouver de l’aide. Cette expérience a replongé les parents dans un état de vulnérabilité face à l’intervenante de la DPJ, comme aux premiers instants alors qu’ils étaient en famille d’accueil. Le risque de se faire retirer la garde de leur enfant sans leur consentement ou de perdre le contrôle de la situation les a inquiétés. Pourtant, leur dernier espoir était d’y retrouver des intervenantes qui comprendraient bien leur réalité et les enjeux de leurs enfants.

C’est ainsi que pour trois parents, les grandes difficultés relationnelles et les comportements agressifs de l’enfant ont été l’élément déclencheur qui a mené au placement de l’enfant en centre de réadaptation ou en centre hospitalier. Ces placements ayant une visée temporaire, un retour à la maison était généralement envisagé. Par contre, l’instabilité et la chronicité de la situation ainsi que l’ampleur des problèmes pouvaient entrainer un replacement. Comme pour ce jeune, de retour à la maison après son placement en centre d’accueil :

« Mais l’été s’est mal passé. Plus l’été avançait, plus l’intensité relationnelle, c’est l’expression qui a été dite, dans le cadre d’un trouble d’attachement sévère, a fait en sorte que son comportement s’est détérioré et rempiré par rapport à ce qui précédait, donc avec nous des violences de plus en plus grandes, des cris, des oppositions, puis des démolitions, carrément de pièces de la maison. Ce qui fait qu’il a été retourné au Centre jeunesse » (Parent 10).

Un autre parent a cherché activement une ressource d’hébergement pour son enfant puisque la DPJ a refusé de le prendre en charge alors qu’il allait bientôt devenir majeur. Enfin, un dernier a fait part de ses hésitations quotidiennes à demander le placement de son enfant. Ces exemples montrent combien la tension extrême vécue quotidiennement rend la cohabitation difficilement envisageable, voire impossible.

Une porte négligée : de l’aide pour soi

Ces situations extrêmement difficiles ont eu un impact réel sur le bien-être et l’état de santé physique, mentale et affective des parents. Par exemple, devant les agressions incessantes de leur enfant, certains ont admis avoir ressenti une forte poussée d’agressivité, qui leur était jusque-là inconnue. Ils ont eu peur de répondre de manière agressive à l’ampleur des agressions physiques et verbales de l’enfant envers eux.

« Oui, à un moment donné, il a fallu que je me contrôle parce que… Parce que tu n’es plus capable de te faire frapper, tu n’es plus capable de te faire traiter de grosse vache, d’hostie de chienne, de pute, de salope. Tu n’es plus capable. Puis c’est tout le temps. Fait qu’à un moment donné tu as des mécanismes de défense qui apparaissent. Fait que oui, j’ai eu envie de lever ma main à un moment donné » (Parent 2).

Certains ont eu le sentiment de ne plus se reconnaître, de découvrir un monstre en eux-mêmes. D’autres se sont sentis très vulnérables quand l’enfant devenait agressif et n’ont pas su comment réagir. Ces expériences ont entraîné des émotions intenses : colère, tristesse, culpabilité, peur, sentiment d’usure ou de disparaître, perte d’espoir. Ils ont confié vivre des niveaux de stress et d’hypervigilance intenses. Différents problèmes de santé sont apparus ou se sont aggravés depuis l’accueil de l’enfant. Tous ces éléments sont des symptômes associés au trauma secondaire. Ils ont aussi raconté les impacts sur le temps, leurs finances, leur vie de famille, leur couple, leur vie professionnelle et sociale.

Certains ont choisi d’aller chercher de l’aide pour eux-mêmes, mais ne se sentant pas du tout accueillis quand ils ont partagé leur vécu, ils ont finalement abandonné les services. D’autres ont trouvé que l’aide obtenue pour l’enfant leur a offert une occasion de ventiler : « Puis de toute façon, la façon dont elle parle avec moi, je trouve que c’est plus de l’aide pour moi que pour mon gars » (Parent 5). L’épuisement extrême qu’ont vécu des parents a fait que parfois, ils ne sont même pas arrivés à nommer l’aide qu’ils auraient souhaité obtenir.

« On aimerait pouvoir se faire aider. […] On est tellement fatigués, on est tellement dans notre routine puis dans nos affaires qu’on le sait même plus ce qui nous aiderait ! Même plus […] Je trouve que c’est ça le plus difficile de… Tsé, si quelqu’un me demande : “C’est quoi que t’as besoin ?” je le sais pas » (Parent 8).

Derrière toutes ces portes : le sentiment d’une souffrance non entendue

Les parents rencontrés ont tous fait état de sentiments négatifs qui témoignaient de leur impuissance face à un entourage et un système qui semblaient ignorer leur souffrance. Ils ont raconté avoir le sentiment que les intervenantes n’entendaient pas ou ne comprenaient pas l’importance de leur détresse. Certains ont eu l’impression que pour les intervenantes, il était inconcevable que l’enfant placé dans un milieu fonctionnel continue à avoir des difficultés, une fois adopté, et que ses parents adoptifs aient besoin d’aide.

« Donc en fait, quand on se sentait psychologiquement dépassé, puis que tsé, on essayait d’aller chercher de l’aide, nous, ce qu’on réalisait c’est que comme on est deux personnes éduquées, puis on a une maîtrise universitaire, on paraît relativement bien. […] On était bien habillés, on a une belle maison moderne puis tout ça. Bien c’est comme si on n’avait pas l’air démunis. Je ne sais pas comment l’expliquer. Pourtant on l’était ! Mais pour eux autres : “Non, tsé, ils sont corrects”. Parce qu’on n’était pas par terre en train de pleurer puis de s’ouvrir les veines » (Parent 4).

Cela a été d’autant plus difficile pour eux, car après avoir été soumis à une évaluation rigoureuse comme postulants à l’adoption, ils ont ressenti un sentiment d’échec parental. Ils ont vécu le deuil du parent qu’ils avaient rêvé d’être.

« Tout le monde a une opinion sur la DPJ, mais là, tu te dis : “Heille! Eux autres qui enlèvent les enfants au monde, ils ont considéré que toi, tu étais un excellent parent !” c’est quelque chose, là. C’est comme si tu avais eu un diplôme, tsé, du gouvernement qui te dit que tu es vraiment hot ! Puis là tu échoues ! Tu as l’impression que tu peux pas échouer quand t’as la DPJ, elle-même, qui t’a attribué le titre de bon parent. C’est difficile » (Parent 8).

Plusieurs ont exprimé que lorsque leur enfant se comportait bien à l’extérieur de la maison, leur crédibilité était remise en question quand ils racontaient l’ampleur de ses crises. Comme si l’enfant avait un handicap invisible pour les autres, car il se situait sur le plan relationnel. C’est pourquoi ils ont eu l’impression de se battre pour convaincre de la nécessité d’avoir recours à des services. Certains parents ont eu le sentiment que leur opinion n’a pas été prise en compte dans les services pour leur enfant, même s’ils étaient les mieux placés pour identifier ses besoins. Ils se sont sentis accusés d’avoir une mauvaise lecture de la situation, parce qu’ils étaient trop impliqués émotionnellement, contrairement aux professionnels du domaine scolaire ou psychosocial qui avaient une position objective d’experts. Comme cette mère qui a exprimé qu’il y avait un problème avec ses enfants au CPE : « Vous me dites que mes enfants fonctionnent bien en groupe. Moi ce n’est pas ça que je vois. [L’éducatrice] a dit : “Bien ça doit être vous”. Fait que tu sais, c’était moi le problème ! » (Parent 4)

Ils ont aussi beaucoup parlé du sentiment d’être jugés par l’entourage, que ce soit à la garderie, à l’école, par les avocats, les juges ou les policiers, mais surtout par les intervenantes sociales. Ils ont exprimé qu’il y avait toujours quelqu’un qui leur disait pouvoir faire mieux qu’eux, qui critiquait leurs méthodes éducatives ou leurs interventions. Tous ces jugements ont eu un grand impact sur eux. Conséquemment, toute difficulté ayant persisté après l’adoption, surtout quand l’enfant n’avait pas de diagnostic, a été associée à leur incompétence parentale. « Pis théoriquement, c’est toujours de la faute du parent. Fait qu’il faut toujours que tu te défendes à dire, mais, non, mais là, c’est plus compliqué (rires). Fait que t’as l’air du mauvais parent » (Parent 1). Un parent racontait comment les policiers l’ont tenu responsable de la crise de son enfant quand il les a appelés en renfort :

« Là on est dans ça, les policiers débarquent, mais c’est des nouveaux à chaque fois. Ils ne savent pas c’est qui cette affaire-là. Donc ils veulent comprendre qu’est-ce qu’on a fait pour le mettre en rogne de même ? Ainsi de suite, donc c’est dur à vivre ça. Tsé, émotivement parlant, c’est tuant » (Parent 10).

Certains ont trouvé que l’obtention d’un diagnostic a permis qu’ils soient enfin pris au sérieux, car, sans celui-ci, l’enfant demeure l’oublié du système : « pas de diagnostic, t’as plus rien, tu tombes dans rien » (Parent 10).

Discussion

Les parents de la présente étude ont rapporté le cumul et la persistance d’importantes difficultés comportementales et relationnelles chez leur enfant, ce qui correspond aux résultats d’études antérieures concernant les enfants adoptés en PJ, dont plusieurs ont des besoins particuliers ou un trauma complexe (Smith, 2014 ; Testa et al., 2015 ; Vandivere et Mcklindon, 2010 ; Waid et Alewine, 2018). Tout comme pour les études américaines (Waid et Alewine, 2018 ; Wind et al., 2007), les témoignages des parents rencontrés confirment que les difficultés de certains enfants adoptés persistent pendant plusieurs années et s’accentuent à l’adolescence ou même avant. Il faut noter qu’en moyenne, les enfants américains suivis par la PJ sont adoptés plus tardivement que les enfants québécois. Bien que l’âge avancé de l’enfant au moment de son adoption soit un facteur de risque bien documenté dans les écrits scientifiques (Lee et al., 2020 ; Paniagua et al., 2019 ; Wijedasa et Selwyn, 2017), la présente étude soulève que l’âge lors du placement n’est pas le seul facteur de risque à considérer puisque les enfants sont placés dans leur famille BM à un très jeune âge (moins de 2 ans en moyenne) et certains présentent malgré tout des comportements extrêmement difficiles.

Nos résultats brossent un portrait inédit des démarches de recherche de services de familles adoptives québécoises. Face à leurs souffrances et ressentant les séquelles de ce qui a toutes les apparences d’un trauma secondaire, les parents ont multiplié les démarches dans leur recherche de solutions. Comme plusieurs autres études l’ont fait ressortir, ils trouvent difficilement l’aide dont leur enfant et eux ont réellement besoin (Follan et Mcnamara, 2014 ; Gagné et Pouliot, 2021 ; Reilly et Platz, 2004 ; Suetterlein, 2007 ; Vasquez et Stensland, 2016 ; White, 2016). Lorsque la problématique vécue par l’enfant est ciblée et qu’une offre de service existe, cela est plus simple pour les parents. Toutefois, les besoins des familles adoptives rencontrées sont complexes et nécessitent une réponse adaptée à de multiples niveaux, une réalité qui semble davantage reconnue aux États-Unis qu’au Québec (Burke et al., 2018 ; Gagné et Pouliot, 2021 ; Lee et al., 2020).

L’expérience des parents rencontrés montre les difficultés d’accessibilité à des services spécialisés en adoption, une réalité partagée ailleurs dans le monde occidental (Dhami et al., 2007 ; Mckay et Ross, 2010 ; Selwyn, 2017 ; Smith, 2014). Les parents ont révélé que leur détresse a augmenté lorsque les intervenantes, par manque d’outils ou de connaissances, n’ont pas su comment répondre à leurs grands besoins. Ceux-ci sont très souvent de l’ordre de problèmes de santé mentale chez l’enfant, comme le relève l’étude de Hartinger-Saunders et al. (2015). Tel que le souligne la recension de Selwyn (2017), les parents de notre étude ont également exprimé leur méconnaissance des ressources existantes.

Par ailleurs, les services postadoptions dans le réseau québécois des services publics sont nettement sous-développés par rapport aux autres juridictions occidentales. Quelques professionnels de la santé et des services sociaux offrent des services spécialisés en privé aux personnes adoptées et aux familles adoptives, mais ils ne sont pas présents dans toutes les régions du Québec, demeurent difficiles à trouver et sont très coûteux.

Quelques organismes communautaires et milieux associatifs en adoption existent bien qu’ils soient peu connus (L’observateur, 2020). Certains parents rencontrés ont dit complètement ignorer leur existence et auraient souhaité pouvoir bénéficier des services offerts. Ceux qui y ont eu recours ont apprécié les services de ces groupes. De même que dans d’autres études (Dhami et al., 2007 ; Hartinger-Saunders et al., 2015), quelques parents ont parlé de l’aide pratique et du soutien par les pairs face à des situations difficiles. Ils ont fortement déploré le manque de services de répit spécialisés pour les enfants à besoins particuliers comme les leurs.

Le manque de ressources en situation d’urgence est un facteur important à mettre en lumière quand on sait qu’au quotidien, ces parents se retrouvent dans des situations où leur propre sécurité peut être mise en péril. Pour les parents qui ont eu besoin d’une intervention policière, celle-ci n’a été là que pour limiter les dégâts, et n’a pas assuré la sécurité et la stabilité sur le long terme. Pour cette raison, les parents de la présente recherche et ceux d’autres études ont raconté qu’ils appréhendaient de recourir à cette intervention, car aucun n’a eu envie de judiciariser les comportements de leur enfant. Ils ont plutôt souhaité une aide pour soutenir une relation non abusive et restauratrice, à l’extérieur du système judiciaire (Selwyn et Meakings, 2016).

Certaines représentations sociales au sujet des familles adoptives contribuent à complexifier la recherche d’aide des parents adoptifs. Par exemple, le fait que ces derniers soient scrupuleusement évalués participe aux attentes élevées quant à leurs compétences parentales, qui devraient être au-delà de la norme, en vue de prendre soin d’un enfant ayant un bagage d’adversité (Piché, 2021 ; Selwyn et Meakings, 2016). Certaines croyances, telles que celle selon laquelle l’adoption peut « sauver » les enfants abandonnés, grâce à l’amour et aux bons soins des parents adoptifs (Suetterlein, 2007), mènent à croire que les difficultés des enfants adoptés peuvent se résorber du fait de l’adoption.

Similairement aux parents rencontrés par Selwyn et Meakings (2016), les parents de cette étude ont exprimé à plusieurs reprises le sentiment d’être jugés par des intervenantes, quant à certaines de leurs interventions envers l’enfant qui étaient perçues comme inadéquates. Ils ont parlé du sentiment qu’on les tenait responsables des comportements de leurs enfants, que leur opinion n’était pas prise en compte, qu’on minimisait leurs difficultés et qu’ils ne se sentaient pas entendus. Dès lors, si on les juge responsables de la situation, il devient difficile pour l’intervenante de reconnaître les symptômes du trauma secondaire, qui est lui-même lié aux expériences difficiles avec l’enfant, d’aider le parent à l’identifier et de le soutenir. D’autant plus que certains ont bien mis de l’avant le fait que leur épuisement a fait en sorte qu’ils ne savaient même plus de quelles formes d’aide ils avaient besoin.

Enfin, un autre facteur à tenir en compte est que les services actuels fonctionnent trop couramment en silo, soit pour l’enfant, soit pour le parent. Pour soutenir la complexité des situations et s’assurer qu’aucun membre de la famille n’est oublié, une intervention systémique serait souvent plus appropriée. Devant cette réalité, il devient important de mieux comprendre les réels besoins des parents pour que les services soient efficaces (Lee et al., 2020 ; Selwyn, 2017). Il est ressorti de cette étude que malgré les nombreux impacts sur leur santé physique, mentale et affective liés à leur trauma secondaire (Figley, 1995), peu de parents ont exprimé explicitement leurs besoins d’aide personnelle. Ils ont plutôt souhaité mettre toutes leurs ressources disponibles (énergie personnelle, temps et argent) dans l’obtention de soins pour leur enfant, ce qui a laissé peu d’espace pour leurs propres besoins, leurs ressources n’étant pas infinies. De la même manière, pour promouvoir le développement d’un sentiment de filiation chez le parent adoptif (Pagé, 2012) et prévenir le trauma de filiation (Tremblay et Pagé, 2023), il est clair que des services spécifiques aux parents, tenant compte de leur expérience d’agression et de rejet de la part de leur enfant, seraient à propos.

Forces et limites

Au-delà de la contribution scientifique de cette étude, c’est-à-dire d’aider à mieux comprendre l’expérience souffrante des parents adoptifs vivant quotidiennement avec un enfant ayant de grands problèmes de comportements et relationnels, elle a servi à mettre en lumière l’absence de services adéquats pour les soutenir. Le fait d’avoir choisi principalement l’angle des comportements et des relations difficiles ne permet pas de reconnaitre toutes les formes de difficultés que pourraient vivre ces parents. La petitesse de l’échantillon n’autorise pas la généralisation des résultats à tous les parents vivant ces expériences. Il serait important de poursuivre des recherches avec un échantillon plus grand. Comme l’échantillon provient de certaines régions uniquement, il ne suffit pas à établir un portrait représentatif de toutes les régions du Québec.

Retombées pour la pratique

À la lumière de ces résultats, trois éléments apparaissent essentiels pour la pratique auprès des parents adoptifs : la formation, le soutien et la prévention des agressions.

Formation pré et postadoptive

Il semble que la préparation à l’adoption en BM soit inégale à travers les époques et les régions. Les parents de cette étude ont témoigné n’avoir reçu que très peu, voire pas du tout, de formation préparatoire. À la lumière du discours des parents, certains thèmes de formations apparaissent incontournables avant le placement de l’enfant, soient : les particularités de l’adoption et de la parentalité adoptive, l’attachement et le trauma complexe, les diagnostics de santé physique et mentale possibles. Il devrait être prioritaire d’instaurer des formations pérennes et uniformes à l’ensemble des régions du Québec. Un bottin des ressources existantes, mis à jour régulièrement, devrait leur être offert.

Dès le placement de l’enfant dans sa famille d’accueil BM, soutenir les compétences parentales et la santé mentale des parents d’accueil s’avère essentiel. Toujours selon le discours des parents, des formations sur comment surviennent les traumas secondaires ou de filiation et les moyens de les prévenir seraient souhaitables. Les intervenantes devraient être au fait des symptômes de ces traumas, pour offrir un soutien et une aide empathique essentielle.

Soutenir les parents dans leur vulnérabilité

Un autre élément, suggéré par Cairns (2008), serait de sensibiliser le réseau informel (famille, amis) pour diminuer le risque de jugement et favoriser un meilleur soutien. Comme l’ont mentionné les parents, ils ont plutôt eu l’impression d’être seuls et de ne pas pouvoir réellement exprimer leurs difficultés et leurs émotions à leurs proches et aux intervenantes, car ils ne se sont pas sentis entendus.

De fait, les parents auraient souhaité avoir, pour eux-mêmes, un espace sécuritaire pour ventiler, sans crainte de jugement de la part d’une intervenante et en l’absence de l’enfant. De la même façon que le parent doit apprendre à contenir son enfant pour l’aider à se réguler, l’intervenante doit également apaiser le parent et agir comme tutrice de résilience. Certains parents rencontrés ont exprimé avoir parfois croisé une professionnelle empathique qui les a épaulés. Cette capacité d’empathie est d’une grande importance afin de soutenir ces parents alors qu’ils sont hautement vulnérables et fragilisés. Il faut tout de même préciser qu’être empathique rend l’intervenante plus à risque de développer elle-même un trauma secondaire. Le contexte actuel de surcharge de travail en protection de la jeunesse peut entraver la capacité d’empathie des intervenantes. Un suivi clinique pour ces dernières devrait être offert.

Plusieurs parents ont exprimé vivre des deuils, à la fois de l’enfant rêvé et du parent qu’ils auraient rêvé d’être. Accompagner ce deuil, qui évoluera au fil du temps, devrait faire partie du suivi de postadoption pour ces parents.

Prévenir les agressions

Les comportements agressifs et rejetants du jeune ont eu un impact majeur sur la vie des parents interviewés. Selon le Consortium national sur l’agression envers les parents et la famille dans l’enfance et l’adolescence (2021), il importe de préparer les membres de la famille à anticiper l’apparition de comportements difficiles, voire agressifs chez l’enfant, particulièrement lorsqu’il présente des troubles neurodéveloppementaux ou un trauma complexe, en vue de contribuer à développer les compétences requises pour désamorcer les crises avant qu’elles ne surviennent. En ce sens, il peut être opportun d’enseigner aux parents des techniques d’intervention de crise. Afin de s’assurer d’agir le plus tôt possible, Selwyn et Meakings (2016) recommandent que toutes les intervenantes en postadoption vérifient la présence de comportements agressifs de la part des enfants envers les parents. D’après les autrices, les parents ne seront pas enclins à rapporter de tels comportements de manière proactive, par crainte d’être jugés. Il est possible que les parents aient besoin d’aide pour reconnaître les signes de celle-ci et pouvoir ensuite apaiser l’enfant. Il serait judicieux d’encourager les parents à trouver de l’aide pour eux-mêmes et à se défaire du mythe qu’ils doivent être de « super » parents.

Conclusion

Cette étude qualitative souligne que pour les familles adoptives en BM dont l’enfant présente des difficultés comportementales et relationnelles significatives, au point de manifester des comportements d’agression, l’expérience parentale peut être extrêmement difficile. Les intervenantes en place pour soutenir ces familles, tant en amont qu’en aval du jugement d’adoption, ne sont pas suffisamment outillés pour répondre efficacement aux besoins de ces familles. La formation d’équipes de soins professionnels, axée sur les enjeux de l’adoption et des traumas qui peuvent l’accompagner, est essentielle pour soutenir les parents qui prennent soin de ces enfants adoptés en BM, et ce, même si tous ne présentent pas des difficultés aussi importantes. Les professionnels doivent être sensibilisés à adapter leur intervention en fonction de l’individualité des familles et des membres qui la composent, en tenant compte de leurs traumas personnels et familiaux. Un soutien précoce et continu permettrait de travailler à apaiser les séquelles de ces traumas, dans le but de prévenir le désengagement des parents, et même le placement de l’enfant.