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Introduction

À l’ère des changements climatiques anthropiques, les systèmes d’éducation au Canada et ailleurs dans le monde se dotent de politiques pour prendre en compte la nouvelle réalité environnementale au sein de ses établissements et investissent dans la création de contenu pédagogique pour faire leur part face à l’urgence planétaire (Field, 2017 ; Field et al., 2019 ; Field et al., 2023 ; UNESCO, 2021). Ces approches pédagogiques visent souvent à développer une conscience « verte » en plus de faire naître de nouvelles habitudes chez leurs élèves et leur famille (Blanchet-Cohen et Reilly, 2017 ; Chawla et Cushing, 2007 ; Glithero, 2015 ; Phoenix et al., 2017 ; Rousell et Cutter-Mackenzie-Knowles, 2020 ; Satchwell, 2013 ; UNESCO, 2005). Elles témoignent des attentes quant au rôle central que les élèves sont appelés à jouer face au dérèglement climatique en raison de la place particulière qu’elles et ils occupent : des personnes « de la prochaine génération » ayant un pouvoir agir et qui seront les plus touchées par la dégradation de l’environnement (Field, 2017 ; UNICEF, 2014). Cet investissement éducatif ne tient pas nécessairement compte de la complexité d’aborder la protection des ressources naturelles dans les sociétés axées sur la consommation ni des défis et des limites de la participation des jeunes dans de tels contextes (Cairns, 2021 ; Dunlop et al., 2021 ; Phoenix et al., 2017).

Même si les jeunes sont considérés comme compétents, capables de donner un sens au monde dans lequel elles et ils vivent et d’y contribuer (D’Amico et al., 2016), il reste que la mise en œuvre des processus et des droits de participation dépend principalement des adultes dans leur vie (Lansdown, 2010 ; Le Borgne et Tisdall, 2017 ; Lundy 2007). Dans ce contexte, il y a un risque d’instrumentaliser la participation des jeunes au profit des adultes et institutions. Surtout qu’il est souvent omis de prêter attention aux contextes dans lesquels les jeunes évoluent — leur école, la famille, leur quartier — et de les considérer comme des participantes et participants de tous les jours : en tant qu’agentes et agents de changement certes, mais aussi en tant qu’apprenantes et apprenants ainsi que citoyennes et citoyens actifs (Fielding et Moss, 2011).

Cet article examine la façon dont les familles se retrouvent au cœur de la mobilisation d’élèves engagés dans l’action environnementale et de la mission des écoles quant à la sensibilisation et la mise en œuvre de pratiques d’écocitoyenneté. Il commence avec une brève revue des différentes stratégies pour affronter le dérèglement climatique en milieu scolaire et les concepts qu’elles sous-tendent. Un portrait des contextes scolaires étudiés est ensuite brossé, avant de présenter les contraintes de participation auxquelles font face les élèves en lien avec l’environnement ainsi que les opportunités de collaboration avec les familles. Enfin, une réflexion est proposée pour actualiser la vision de l’écocitoyenneté qu’entretiennent les institutions scolaires.

Stratégies pour affronter le dérèglement climatique en milieu scolaire

L’école comme un lieu politique

L’éducation mise en œuvre par l’entremise d’institutions scolaires s’avère un des moyens par lesquels il est possible de concrétiser un projet de société (Vitiello, 2008). Ce projet guidera l’identification d’objectifs précis, ainsi que le développement d’approches pédagogiques et d’un curriculum qui les sous-tendent (Fielding et Moss, 2011). L’éducation et les institutions scolaires sont résolument politiques, tout comme les pédagogies et le curriculum sont loin d’être neutres : ils sont au service d’intérêts plus larges et souvent éloignés des intérêts des jeunes (Biswas, 2023 ; Weinstock, 2008). Les pédagogies et curriculum sont conçus pour aider les élèves à se mouvoir aisément dans une société et un monde précis, via les compétences, attitudes et comportements acquis, et d’y exercer leur citoyenneté (Vitiello, 2008), ce qui n’est pas toujours le cas (Abebe et Biswas, 2021 ; Biswas, 2023).

Les systèmes éducatifs ont longtemps été intéressés par la formation des travailleuses et travailleurs futurs capables de s’insérer dans une économie de marché compétitive où règnent la consommation et la recherche de croissance constante (Fielding et Moss, 2011). En effet, « la plupart de ces emplois […] continuent de servir le système économique même qui menace le droit à la vie, à la santé, à la culture (en particulier pour les communautés autochtones) et le meilleur intérêt des générations futures sur cette planète » (Abebe et Biswas, 2021 : 2, traduction libre).

Au Canada, on dénote un impératif moral ainsi qu’une responsabilité des écoles à la mise en place d’une éducation relative à l’environnement, incluse notamment dans la signature de l’Accord de Paris[1], dans la reconnaissance des droits de l’enfant par l’état et ses provinces, ainsi que dans le devoir de vigilance et de protection (duty of care) à même les politiques éducatives canadiennes (Field et al., 2023). De plus, le système d’éducation québécois est façonné par une volonté politique d’instaurer une « démocratie plus dialogique, plus participative » (Vitiello, 2008 : 171) à travers une éducation à la citoyenneté. Cette dernière inclut la participation à des activités politiques, la compréhension et le respect des différents points de vue, l’autonomisation et la responsabilisation des élèves pour générer un « vivre-ensemble » dans une société pluraliste (Jutras, 2010 ; Vitiello, 2008).

La pédagogie scolaire au service de l’environnement

Les enjeux climatiques forcent les milieux de l’éducation à se renouveler pour affronter les défis environnementaux. Souvent, les réponses éducatives face à l’incertitude qu’amène le dérèglement climatique résultent en des approches pédagogiques directives où il est question de changements de comportements et où les élèves ont peu de place pour s’affirmer (Field, 2017 ; Jickling et Wals, 2013). Les systèmes scolaires optent fréquemment pour la sensibilisation des élèves et l’adoption de nouveaux comportements chez elles et eux dans l’idée qu’ils se transmettent à leur entourage (Phoenix et al., 2017). À l’inverse, les approches éducatives participatives et ancrées dans le local répondent plus aux besoins des jeunes. Parce qu’il est difficile de prédire toute l’étendue des conséquences du dérèglement climatique, il semble plus approprié d’adopter des approches pour former à la négociation de demain : à miser sur le pouvoir agir des élèves et sur leur capacité à imaginer, former et créer l’avenir, au lieu de les former à adopter des comportements précis dits « verts » (Field, 2017 ; Jickling et Wals, 2013).

Il existe des enjeux liés à la représentation du dérèglement climatique ainsi qu’à la pédagogie utilisée pour former les jeunes à agir pour l’environnement, comme le démontre une recherche avec des organisations environnementales jeunesse dans le New Jersey. Cairns (2021) explore les différentes réponses pédagogiques à la violence lente (slow violence) de la destruction environnementale qui cible des populations marginalisées et racisées. Certaines organisations jeunesse mettent de l’avant une pédagogie « de l’immédiat », c’est-à-dire qu’elles misent sur l’atteinte d’un sentiment d’accomplissement personnel grâce à l’action individuelle face à un problème local. Cette approche part d’une bonne intention, soit celle de protéger les jeunes des blessures négatives qui pourraient résulter de la confrontation avec la violence de la destruction environnementale. Il faut souligner que ces approches « de l’immédiat » sont proposées par des facilitatrices et facilitateurs blancs qui reconnaissent le racisme environnemental, mais évitent de s’y attaquer à travers leurs activités avec les jeunes. Or, Cairns (2021) soulève le risque que ce genre d’approche renforce les dommages qu’elle souhaite résoudre. À l’inverse, d’autres organisations jeunesse, celles-ci menées par des personnes racisées en collaboration avec des aînées et aînés et des mouvements sociaux locaux, optent pour une pédagogie dite « d’excavation ». Cette dernière confronte les fondements historiques et structurels des injustices environnementales les ciblant. Cette approche mobilise les réponses émotionnelles tant redoutées par les premiers, comme la colère, la tristesse et la rancœur, vers des actions collectives telles que des manifestations ou des jardins communautaires pour imaginer collectivement des perspectives d’avenir plus justes.

La façon dont est abordé le dérèglement climatique peut jouer un rôle sur le sentiment de pouvoir agir des jeunes en lien avec ce dernier. Morin, Therriault et Bader (2022) le démontrent dans une recherche avec 29 élèves de la fin du secondaire de cinq écoles différentes dans la province de Québec. D’une part, certains se sentent impuissants face à la cause environnementale, notamment en raison des relations de pouvoir enchâssées à même l’institution scolaire, du manque de liberté qu’elles et ils y vivent et de la pression à se conformer. D’autre part, d’autres élèves perçoivent avoir un pouvoir agir dans leur école, grâce à l’instauration d’initiatives favorables à l’environnement et au soutien, à l’écoute et aux ressources reçus en vue d’actualiser leur pouvoir agir. Enfin, la recherche montre que comme les élèves sont libres d’agir ou non en fonction de ce qu’elles et ils estiment valable, il s’avère crucial de cultiver leur sentiment de pouvoir agir au-delà de l’action elle-même.

Outre la participation des élèves à la résolution de problèmes environnementaux, l’importance de créer un lien avec la nature est souvent sous-estimée pour susciter un engagement envers celle-ci (Berryman, 2003 ; 2022 ; Louv, 2008 ; Sobel, 1996). Entretenir un rapport positif avec la nature est une dimension non négligeable d’une éducation relative à l’environnement, du développement de l’humain et de son bien-être physique et émotionnel (Berryman, 2003 ; 2022).

La citoyenneté et son rapport à l’environnement

Les transformations scolaires pour intégrer l’action climatique au sein de leurs pédagogies vont jusqu’à se pencher sur le développement d’une citoyenneté qui inclue le rapport à l’environnement, « c’est-à-dire [les] relations personnelles et collectives à l’ensemble des réalités socioécologiques de nos milieux de vie » (Sauvé et al., 2017 : 2). On parle alors d’écocitoyenneté, « soit une citoyenneté consciente des liens étroits entre société et nature, une citoyenneté critique, compétente, créative et engagée, capable et désireuse de participer aux débats publics, à la recherche de solutions et à l’innovation écosociale » (Sauvé, 2014). Pour ce faire, l’éducation à l’écocitoyenneté devrait viser le développement de compétences critiques, éthiques et politiques à l’école comme en dehors (Sauvé, 2014). Parce que le dérèglement climatique s’immisce dans la vie des jeunes et de leur famille de façon complexe, il ne peut être complètement géré par les individus seuls. D’ailleurs, opter pour des solutions individuelles pour résoudre des enjeux collectifs est rarement démocratique (Hayward, 2021).

Pour Hayward (2021), il s’agit de réactualiser la démocratie via l’éducation à l’écocitoyenneté en développant un langage, des outils et des manières de mieux comprendre les besoins et réalités des jeunes et de leur famille, tels que la pression écologique de la pauvreté et de la violence, et en allant au-delà du changement de comportements individuels que sont la mise en place du recyclage et la réduction de déchets. L’action, le raisonnement critique, la compassion et l’interdépendance de tout un chacun, y compris avec la nature, sont des éléments intrinsèques d’une écocitoyenneté où dominent la collectivité et la collaboration (Hayward, 2021). L’éducation à l’écocitoyenneté appert comme un engagement politique qui passe par une « imagination démocratique » (Hayward, 2021 : 20) intimement liée à l’agentivité et plus particulièrement, à l’agentivité sociale.

L’agentivité sociale réintégrée à l’action climatique scolaire

Sen (1985) définit l’agentivité comme étant l’habileté d’une personne à agir en fonction de ce qu’elle conçoit comme essentiel et valide. Cette agentivité est accompagnée d’une liberté d’accomplir toutes choses en lien avec les valeurs et objectifs jugés importants par cette personne. L’agentivité peut s’exercer autant individuellement qu’en groupe et peut avoir une résonance particulière en contexte environnemental et scolaire (Blanchet-Cohen, 2008 ; Glithero, 2018 ; Hayward, 2021). Une recherche de Glithero (2018) menée avec 34 étudiantes et étudiants âgés entre 18 et 24 ans et finalistes ou récipiendaires d’une bourse d’étude visant à soutenir les jeunes Canadiennes et Canadiens à devenir des leaders environnementaux montre la forte tendance à percevoir l’individu comme étant le lieu où se déroulent les changements environnementaux — l’individu devenant le point central des actions menées. Or, miser uniquement sur cette dimension de l’agentivité réduit la vision de l’écocitoyenneté à l’accumulation d’aspirations, d’interactions et de choix personnels avec la nature et l’environnement (Hayward, 2021).

Paradoxalement, la conception de l’agentivité plus individuelle des étudiantes et étudiants s’accompagne de réflexions collectives et communautaires, révélant ainsi toute la complexité de l’agentivité des jeunes. Leurs réflexions plus égocentriques de l’agentivité agissent à titre de motivation personnelle, d’engagement et de passion pour soutenir la pertinence de leurs actions environnementales (Glithero, 2018). Quant à leurs réflexions plus collectives et communautaires de l’agentivité, elles évoquent les dimensions réflexives de l’action participative et collective menant à des changements sociaux et écologiques plus larges (Glithero, 2018). Même si cette conception de l’agentivité individuelle et collective est porteuse de sens et nécessaire pour l’engagement et l’action climatiques des étudiantes et étudiants, elles et ils perçoivent les milieux scolaires actuels comme limitant leur capacité d’action et le développement de leur pouvoir agir (Glithero, 2018). Les milieux scolaires ne sont pas forcément des lieux propices pour remettre en question et changer le statu quo, car l’éducation environnementale qu’on y trouve contribuerait plutôt à former de « bons intendants » (Glithero, 2015).

Le lieu de l’action environnementale doit s’élargir pour inclure non seulement l’individu, mais aussi le social et le collectif, se traduisant dans l’approche pédagogique préconisée (Glithero, 2018). Hayward (2021) milite ainsi pour une réintégration de la dimension sociale de l’agentivité au sein de l’action environnementale, notamment en milieu scolaire. L’agentivité sociale se définit comme étant la capacité à augmenter et améliorer la responsabilité collective pour la justice environnementale et à prendre des décisions en faveur de l’environnement. Une approche plus politique de la citoyenneté se basant sur l’agentivité sociale tel que le préconise Hayward (2021) permettrait d’actualiser le potentiel collectif de la citoyenneté, c’est-à-dire de collaborer et de raisonner ensemble pour créer des chemins alternatifs et de nouvelles formes de vie publique.

La participation des jeunes, entre instrumentalisation et transformation

Lorsqu’il s’agit d’initiatives de participation des jeunes, elles sont le plus souvent dirigées et contrôlées par les décideuses et décideurs politiques, les intervenantes et intervenants ainsi que les éducatrices et éducateurs, et sont formelles, institutionnalisées, discursives et étroites d’esprit (Liebel et Saadi, 2012 ; Wyness, 2018). Certaines formes de participation sont par le fait même légitimées, mettant de côté la diversité des façons dont les jeunes contribuent quotidiennement à leur famille et à la société (Liebel et Saadi, 2012 ; Wyness, 2018). En milieu scolaire, elles sont souvent orientées autour d’obligations morales et d’objectifs choisis par le personnel scolaire, limitant ainsi le libre arbitre des jeunes et leurs possibilités d’actions (Baraldi et Cockburn, 2018 ; Lansdown, 2010 ; Liebel et Saadi, 2012 ; Percy-Smith et al., 2020 ; Tisdall, 2015 ; Tisdall et al., 2014). Cette manière de faire force les élèves à formuler leurs intérêts et aspirations en fonction de l’institution et des ambitions des adultes, notamment lors des conseils d’école où l’ordre du jour est généralement géré par ces dernières et ces derniers (Wyness, 2018).

Ce qui est observé dans les milieux scolaires est en fait à l’opposé d’une définition de la participation qui soit nuancée, pédagogique, respectueuse des droits de l’enfant et relationnelle, c’est-à-dire « un processus d’apprentissage dans lequel les individus développent progressivement leurs capacités à participer, et ce, à travers la participation » (Percy-Smith et al., 2020 : 196, traduction libre). Dans ce contexte, les jeunes sont reconnus comme étant capables de prendre leurs propres décisions, tout en ayant aussi besoin d’un cadre leur permettant d’apprendre à réfléchir et de réévaluer leurs choix en temps voulu, le tout en étant protégés des choix dangereux (Ballet et al., 2011). Cette perspective met autant l’accent sur la nécessité d’avoir des opportunités de participation qu’un cadre clair pour que les jeunes apprennent à exercer leur agentivité en relation avec les autres, y compris les adultes, et ce, au quotidien (Ballet et al., 2011 ; Percy-Smith et al., 2020).

Une composante importante de cette approche est le côté relationnel de la participation, qui émergerait de la collaboration et du dialogue intergénérationnel (Fielding, 2007 ; Percy-Smith et al., 2020). Cette façon de concevoir la participation des jeunes fait écho au concept développé par Abebe (2019) : l’agentivité en tant que continuum et interdépendance. Comme nul n’est jamais complètement isolé, l’agentivité se déploierait continuellement et à différents degrés à travers les relations quotidiennes qu’entretiennent les jeunes avec d’autres jeunes, leur famille et leur communauté. Il s’agirait de créer des relations de confiance plus éthiques afin que la participation émerge et se développe. La création d’espaces libres où les jeunes peuvent explorer, expérimenter, exercer leur créativité, articuler et exprimer leurs idées est à privilégier pour atteindre cette forme de participation (Percy-Smith et al., 2020).

La participation pourrait devenir transformatrice si le processus d’apprentissage amène à confronter les structures de pouvoir, à promouvoir l’émancipation des jeunes et à contribuer à démocratiser la société et les relations sociales (Liebel et Saadi, 2012 ; Teamey et Hinton, 2014). En revanche, toute participation n’est pas transformatrice, bonne ou en faveur des droits des enfants, car elle peut être utilisée pour manipuler ou maintenir des relations de pouvoir (Hart, 1992 ; Liebel et Saadi, 2012). Il s'agit plutôt de la qualité de la participation qui peut entraîner des répercussions positives sur le développement des jeunes, par exemple une participation qui soit engagée dans des expériences civiques et politiques (Ferreira et al., 2012). D'ailleurs, les jeunes apprendraient à exercer leur écocitoyenneté à travers une participation active dans les prises de décisions locales, l'action sociale et en démontrant une résistance et une contestation critiques à l'exercice illégitime du pouvoir dans leur école, leur famille et leur communauté (Hart, 1997 ; Hayward, 2021).

Les relations élèves-familles-écoles au cœur du développement des jeunes

Qui plus est, l'écocitoyenneté en tant que forme de participation quotidienne et scolaire des jeunes est multidimensionnelle et se retrouve dans les sphères formelles et informelles de leur vie (Liebel, 2012), incluant les contextes socioculturels dans lesquels elles et ils évoluent (Tisdall et Punch, 2012). Ces derniers sont hautement importants, puisque le développement des jeunes est influencé par les interactions ayant lieu dans ces milieux de vie, tels que la famille, les groupes de pairs, l’école et leur quartier de résidence. Les facteurs affectant le bien-être des personnes significatives dans leur vie, leurs croyances et leurs valeurs socioculturelles ainsi que les politiques en place jouent un rôle dans leur développement, tout comme les facteurs individuels, familiaux et collectifs (Bronfenbrenner, 1979 ; 1989).

Il apparaît crucial pour l’école de bâtir un partenariat avec les familles et les communautés pour qu’une reconnaissance mutuelle et une relation de collaboration et d’égalité s’installent entre les divers milieux de vie (Audet et al., 2016 ; Humbeeck et al., 2006). Il est recommandé au personnel scolaire de mieux connaître les élèves, leur famille et les communautés dans lesquelles elles et ils s’insèrent, notamment afin de comprendre les dimensions multiples des expériences et trajectoires migratoires et scolaires de leurs élèves et de leur famille (Audet et al., 2016 ; Feyfant, 2015). La reconnaissance des expériences de racisme, de discrimination et de marginalisation que vivent les élèves et leur famille au quotidien, ainsi que les traumas qui en découlent font partie intégrante de cette démarche (Beiser et Hou, 2016 ; Blanchet-Cohen et al., 2017 ; James, 2018 ; Papazian-Zohrabian et al., 2018). Cette réalisation amène à réévaluer la disponibilité émotionnelle, physique et mentale des élèves et de leur famille quant à leur participation, implication et soutien aux activités scolaires et parascolaires (Feyfant, 2015).

L’engagement de l’école en faveur d’une culture d’équité et d’ouverture à la diversité sous toutes ses formes dans ses relations avec les élèves, les familles et la communauté, les attitudes du personnel scolaire envers les élèves et les familles d’origines variées, la qualité des relations entre le personnel, les élèves et leur famille, ainsi que la reconnaissance des processus d’exclusion au sein des écoles sont autant de dimensions qui favorisent le développement d’un climat scolaire inclusif et d’une culture d’équité scolaire (Archambault et al., 2018 ; Borri-Anadon et al., 2021).

Enfin, les valeurs prosociales et d’engagement communautaire ainsi que les pratiques environnementales des jeunes sont fortement influencées par les institutions avec lesquelles elles et ils fréquentent, telles que la famille et les milieux scolaires (Martinez et al., 2020 ; Uzzell, 2016). Il est d’autant plus important pour les écoles de tendre la main aux parents et aux familles, de communiquer le rôle primordial qu’ils jouent dans l’enseignement à la démocratie, en plus de travailler à obtenir leur soutien et leur participation lors de projets communautaires en lien avec l’environnement (Chawla et Cushing, 2007).

Le contexte scolaire étudié

Cette recherche se déroule au sein de deux écoles secondaires de la ville de Montréal (Québec, Canada), mais chapeautées par le même centre de services scolaire (CSS). Un Plan vert a été instauré par le CSS pour ses écoles. Ce Plan vert repose sur l’engagement et la participation des élèves dans le but qu’elles et ils développent des compétences pour devenir des citoyennes et citoyens écoresponsables à même de contribuer à un monde plus vert. Pour ce faire, l’ajout de composantes environnementales aux programmes scolaires et du développement d’une composante communautaire sont visés pour former les jeunes écocitoyennes et écocitoyens.

Une des initiatives environnementales étudiées est un comité vert (CV). Il se situe en dehors du curriculum scolaire obligatoire et a comme mission de sensibiliser et d’agir sur les questions environnementales aux abords de l’école. Le CV est localisé dans une école secondaire publique populaire auprès des familles et performante sur le plan académique. Le CV accueille généralement de 5 à 15 élèves de tous niveaux et peut compter sur le soutien de deux ou trois membres du personnel tout au long de l’année scolaire.

La deuxième initiative pro-environnement étudiée est le programme Environnement et agriculture urbaine (EAU). Il s’agit d’un programme comprenant un volet théorique en environnement et un volet pratique en agriculture et horticulture. Il est né d’une consultation publique auprès de la communauté, incluant des élèves, sur leurs besoins quant à l’enseignement secondaire des jeunes et repose sur un partenariat entre le centre de services scolaire, l’école, plusieurs organismes communautaires locaux ainsi qu’une école d’horticulture. Il s’agit d’un programme à option, car il est intégré au curriculum, mais peut être choisi par les élèves parmi d’autres options (sports, informatique, arts) pour compléter leur trajectoire scolaire. Il aspire à amener les élèves à réfléchir aux enjeux environnementaux, à la saine alimentation et à l’autosuffisance. Il vise également à accroître l’engagement et la motivation des élèves envers leurs apprentissages et à augmenter leur sentiment d’appartenance face à leur école et leur communauté. Selon le CSS, l’école secondaire est peu populaire auprès de la clientèle du quartier, qui est ethnoculturellement diversifié avec un faible niveau socioéconomique.

La recherche s’est déroulée dans un contexte de pandémie mondiale de COVID-19. Cette dernière a affecté autant les institutions scolaires de la province, le personnel scolaire et leurs pratiques, les élèves et leur famille, que la chercheuse. Le contexte plus large de mobilisation jeunesse contre le dérèglement climatique avec la jeune Suédoise Greta Thunberg comme figure de proue du mouvement populaire et international mené par les jeunes Fridays for future a aussi joué un rôle en arrière-plan.

Méthodologie

Cet article est basé sur une recherche doctorale dont l’objectif est d’étudier les façons dont se déroule la participation des jeunes dans deux initiatives scolaires en lien avec l’environnement et le dérèglement climatique de deux écoles secondaires ainsi que leurs retombées, en plus d’explorer si et comment cette participation peut être transformatrice (Liebel et Saadi, 2012 ; Teamey et Hinton, 2014). Cette recherche est soutenue par des approches qualitative, constructiviste, féministe et participative/transformatrice. Elle suppose que la nature de la réalité est plurielle, que tout ce qui existe est interrelié de manière complexe et que les individus développent des significations diverses et multiples de leurs expériences qu’ils négocient à travers leurs interactions avec les autres au quotidien (Blaikie, 1993 ; Creswell, 2013 ; Denzin et Lincoln, 2003 ; Stake 1995 ; Waskul, 2009). L’intersection des enjeux qui influencent la vie quotidienne de toutes personnes, ainsi que la positionalité de la chercheuse comme agissant sur sa façon d’appréhender le monde, font partie intégrante de la démarche de recherche (Dyrness, 2008 ; Jacobsen et Mustafa, 2019 ; Schrock, 2013). Je me situe en tant que femme blanche cisgenre ayant grandi au Québec et chercheuse en début de carrière, travaillant sur les droits et la participation des enfants et jeunes.

Le processus de production de connaissances peut aider à améliorer la vie des personnes impliquées dans l’étude (Dyrness, 2008 ; Mc Taggart, 1991 ; Mertens, 2003 ; 2009). Pour cette raison, notre étude s’inscrit dans un processus collaboratif et participatif avec le CSS, les écoles visées et le personnel scolaire. J’ai sciemment mis de l’avant une écoute en profondeur (deep listening) comme posture de recherche engagée afin de se donner du temps, d’amoindrir les relations de pouvoir et de laisser émerger toute initiative participative (Horton et Freire, 1990 ; Maguire 2000 [1987] ; Veissière, 2009). Ainsi, des portions de la recherche se sont insérées dans des processus itératifs avec les institutions, mais ce processus n’a malheureusement pas eu lieu avec les élèves, possiblement en raison de leur sursollicitation, l’accès restreint aux élèves en temps de pandémie ou parce qu’elles et ils n’en voyaient pas l’intérêt.

Ces postures théoriques se sont traduites à travers les choix méthodologiques effectués tout au long de la recherche. Plus concrètement, la collecte de données s’est échelonnée sur une période d’un an, de novembre 2020 à décembre 2021. En tout, 21 personnes ont accepté de participer à la recherche : huit élèves (quatre du CV et quatre d’EAU) ; 13 membres du personnel (trois du CV, quatre d’EAU, trois conseillères pédagogiques et trois professionnelles du CSS).

L’observation participante des cours d’EAU et des réunions du CV a permis d’être présente lors d’événements réels, d’observer, de réagir et de vivre les expériences avec les élèves et le personnel scolaire (Ghasarian, 2004 ; Punch, 2002). Elle s’est avérée être une façon d’apprendre à connaître les jeunes et de nouer des relations avec elles et eux sur une longue période, ce qui est un investissement éthique, respectueux et empreint de dignité humaine au cœur de la notion de participation jeunesse (Fetterman, 1989 ; Le Borgne, 2017 ; Linds et al., 2015 ; Paris, 2011 ; Punch, 2002). De fait, j’ai accompagné et épaulé les enseignantes et les élèves d’EAU dans leurs diverses activités en classe, au jardin et en sortie, en plus de soutenir le CV en prenant des notes pour le groupe et en aidant dans certaines tâches de présentation, de facilitation et d’organisation. Le cours d’EAU s’est déroulé en raison de deux sessions consécutives par neuf jours d’horaire de cours, tandis que le CV s’est réuni toutes les deux semaines sur l’heure du dîner, à l’école et via une plateforme en ligne en raison de la pandémie.

Cinq discussions de groupe ont eu lieu : trois avec des élèves (deux du CV et une d’EAU), une avec le personnel scolaire du CV et une avec du personnel scolaire et des professionnelles du CSS, et ont duré entre 60 et 90 minutes. Elles ont permis de saisir le point de vue de chaque groupe sur la participation des élèves au sein des initiatives et de l’école, sur leurs expériences respectives en leur sein, sur le rôle de l’école en lien avec le dérèglement climatique, sur les retombées des projets. Elles ont aussi rendu possible la remise en question des opinions des participantes face au point de vue des autres (Choak, 2012). Six entrevues semi-dirigées individuelles (trois avec des élèves — une du CV et deux d’EAU, deux avec du personnel scolaire d’EAU et une avec une professionnelle du CSS) ont eu lieu pour approfondir certaines thématiques et obtenir des détails plus personnels sur leur expérience (Rubin et Rubin, 2005).

Les entrevues et discussions de groupes ont été enregistrées, puis transcrites — sauf dans le cas de deux personnes qui ont préféré ne pas être enregistrées. Des notes manuscrites ou audio qui ont été transcrites ont été prises après chaque séance pour conserver les observations sur les relations entre les élèves et le personnel scolaire, leurs comportements et réactions, la structure et la pédagogie des activités ainsi que mes impressions, émotions, questions et inconforts. L’analyse thématique des notes de terrain et des transcriptions était exploratoire et inductive (Guest et al., 2012).

La conception et le déroulement de la recherche adhèrent au protocole éthique de l’Université Concordia et du Centre de services scolaire visé. Par souci d’anonymat des participants, les élèves et le personnel scolaire de cette étude ont été féminisés dans ce texte. De plus, les entrevues et notes de terrain ont été identifiées par type : groupe de discussion (GD), entrevue individuelle (I), notes de terrain (N) ; par milieu : programme environnement et agriculture urbaine (EAU), comité vert (CV), centre de services scolaire (CSS) ; par leur statut au sein du CSS : élève (É), personnel scolaire (PS), professionnelle (P). Un numéro a été attribué à chaque participante afin de maintenir la confidentialité.

La participation à la recherche était volontaire et toutes les participantes ont donné leur consentement éclairé. Les parents des élèves volontaires ont également consenti étant donné leur statut de mineures. Une attention particulière a été accordée au confort des élèves et du personnel scolaire participant à la recherche du début à la fin, notamment en raison de leur statut au sein des établissements scolaires. Dans la mesure où l’école est obligatoire pour les enfants âgés de 6 à 16 ans et qu’elle agit à titre d’employeur, autant les élèves que le personnel scolaire sont considérés comme « captifs » de leur environnement. Des rappels concernant le caractère volontaire de leur participation et leurs implications ainsi que sur les moyens d’éviter de participer sans éveiller de soupçons des personnes en autorité (« vous n’êtes pas obligées de répondre si vous n’en avez pas envie ») ont été faits avant et durant les entrevues et discussions de groupe et avant certaines interactions plus ciblées (« préfèrerais-tu que je te laisse seule ? »).

Enfin, adopter une méthodologie flexible et collaborative, examiner les processus de recherche, accorder une place importante à la réflexivité et permettre aux ambiguïtés de coexister sont autant de pistes pour une recherche éthique et de qualité (Law, 2004). Dans la prochaine section, nous verrons une partie des résultats de l’analyse menée, soit les contraintes et opportunités liées à la participation environnementale des élèves dans leur milieu scolaire.

Contraintes à la participation des élèves à l’école en lien avec l’environnement et opportunités de collaboration avec les familles

Manque d’actions à la portée des élèves et familles à convaincre

Le manque d’actions à la portée des élèves est non négligeable pour freiner leur élan de participation pour un avenir plus vert à l’intérieur comme à l’extérieur de l’école. Les élèves de secondaire 1 ont pris connaissance des conséquences de certaines habitudes de vie sur leur santé et l’environnement dans le cours d’EAU et sont appelées à les modifier au fil de l’année scolaire. Un extrait des notes de terrain témoigne du malaise de la chercheuse : « [j]e sentais que c’était décevant et culpabilisant pour les élèves de réaliser qu’elles ne mangent pas avec leurs parents à la table au souper, qu’elles ne mangent pas ou peu de fruits et de légumes, qu’elles mangent du pain blanc et pas de pain à grains entiers […] ; qu’en fait, elles ont très peu de pouvoir d’action dans ces domaines-là » (N-EAU).

Une réflexion d’une enseignante d’EAU montre que ce sont plutôt les parents qui sont visés par le changement de ces habitudes et révèle la position difficile qu’occupent les élèves dans cette transformation : « [c]’est peut-être vrai que de demander à ses parents à cet âge-là de réduire sa consommation de viande, ce n’est pas évident » (N-EAU-12). En ce sens, une autre élève s’ouvre sur ses tentatives pour réduire son empreinte écologique suite au cours d’EAU : « [d]ire à [mon père] d’arrêter d’acheter des bouteilles d’eau. Puis, la première fois que j’ai essayé de lui dire, il n’était pas… Il était fâché, il ne voulait pas. […] Je ne pense pas qu’il va arrêter. […] Et que si on voulait boire l’eau du robinet, on pourrait, mais que lui, il ne le ferait pas » (GD-EAU-É5).

Après avoir beaucoup appris sur les coûts environnementaux de l’importation et l’exportation de légumes dans son cours d’EAU, une élève décide d’intervenir : « je ne savais pas ça alors je faisais ça. Mais maintenant, j’arrête » (GD-EAU-É6). Elle constate cependant que malgré sa volonté de remplacer certaines habitudes alimentaires, sa mère est plutôt visée par le changement, ce qui n’est pas une garantie de succès : « J’achète des… Bien, pas moi, mais ma mère… Des légumes et fruits, des choses qui sont de Québec, au Canada. […] Ma mère est toujours comme : “Si c’est trop cher, on ne va pas le prendre”. […] Au moins, elle essaie » (GD-EAU-É6). Malgré l’ouverture et la volonté de cette mère, certaines contraintes, notamment celles d’ordre financier, ne peuvent être adressées immédiatement ni par l’élève ni par le parent.

Même si le programme EAU contribue à la production de fruits et de légumes locaux, ce qui est en soi une option d’action climatique en plus de remédier au désert alimentaire du quartier, une barrière additionnelle s’ajoute à leur « bonne » action. Cette démarche s’apparente aux habitudes alimentaires et les parents et familles se retrouvent une fois de plus visés si les élèves rapportent leur récolte à la maison. Lorsqu’on leur demande informellement pourquoi elles ne la ramènent pas chez eux, plusieurs répondent qu’elles ne cuisinent pas cet aliment à la maison ou qu’elles ne sont tout simplement pas intéressées, qu’elles n’en voient pas l’utilité. Il est à noter qu’une attention particulière a été portée par les enseignantes à la sélection d’une grande variété de légumes à cultiver afin de respecter la diversité ethnoculturelle des élèves et de leur famille.

Les mêmes thèmes sont repris par le CV lors de la journée de la Terre pour leurs actions de sensibilisation sur l’heure du dîner. La « boîte à lunch verte » incluant l’alimentation, l’achat en vrac et local, les contenants réutilisables, ainsi que l’empreinte écologique et les transports est abordée. Bien que l’événement soit perçu comme un succès par le personnel scolaire et certaines élèves du CV, pour d’autres, il est vu comme peu efficace : « parce que je pense que les élèves ont quand même vraiment une conscience écologique là » (GD-CV-É1) ; ce ne serait donc pas elles qu’il faudrait convaincre. L’espoir que les apprentissages et acquis liés à « l’éducation citoyenne », termes employés par le personnel scolaire du CV englobant les objectifs de sensibilisation, de conscientisation, d’éducation et de verdissement, se transmettent à la maison et à la communauté est d’ailleurs mis de l’avant par ces adultes ressources (GD-CV-PS).

Statut des élèves comme « jeunes » et familles comme potentielles alliées

Les résultats de l’analyse font ressortir que les élèves ne sont pas prises au sérieux, notamment à cause de leur âge et de leur statut à l’intérieur de l’école, mais aussi en dehors, ce qui constitue à la fois de la discrimination et une barrière à l’action environnementale :

« [o]n a beau nous dire : “Ah, vous n’êtes pas impliqués, que ce soit au niveau politique, niveau social.” […] Quand on veut prendre position, qu’on veut genre dire : “Ouais, nous, on n’est pas d’accord. Nous, on a des projets”, bien, on peut pas parler, en fait. Tu sais, on nous ferme la porte au nez et on nous fait : “Ah non, vous êtes encore des enfants. Vous comprenez rien”. Mais à la fin, est-ce qu’on est des enfants ou on n’est pas des enfants ? » (GD-CV-É2).

D’après les élèves du CV, le personnel scolaire ne semble pas intéressé à connaître leur opinion ni à l’écouter : « [Le CSS] ou juste en général la direction des écoles est pas très, très forte pour écouter les élèves » (GD-CV-É1) ; « ouais, en fait, genre on te demande ton avis, mais on s’en fout » (GD-CV-É2). Une élève évoque même le côté banal, voire instrumentalisé de la chose : « […] j’ai l’impression qu’ils font que c’est comme un jeu pour eux d’écouter les élèves » (GD-CV-É1). Cette impression se confirme lorsqu’une élève dite engagée n’est pas prise au sérieux par le personnel scolaire qui a choisi d’emblée le genre d’actions environnementales à mener à l’école :

« [q]uand [elle] parlait, on l’a toujours écoutée, on ne l’a jamais coupée, on n’a jamais arrêté parce que c’était plus elle qui amenait la “vibe” un peu plus politique, un peu plus poussée. Puis, je trouve qu’on l’a juste canalisée pour garder notre objectif d’exécution parce qu’on se regardait des fois puis comme, c’est le “fun” ce qu’elle est en train de dire, mais ce n’est pas là qu’on est cette année » (GD-CV-PS10).

Réaliser que la portée de leurs actions en tant qu’élèves et jeunes est restreinte par certaines contraintes, incluant le manque de reconnaissance et la discrimination, les amène à imaginer différents moyens de se faire entendre et à chercher des alliés pour faire pression sur le système scolaire et ainsi, agir au nom de l’environnement. Les élèves du CV constatent la nécessité d’un appui extérieur pour intervenir à l’intérieur de l’école : « [m]ais si ça reste coincé dans notre petite école perdue, bien ça va pas changer. Il faut qu’on arrive à comme projeter nos idées hors de l’école […] » (GD-CV-É2) ; « Il faut que ça sorte des élèves des écoles secondaires puis qu’on aille chercher genre les habitants qui sont pas à l’école, genre des adultes là, puis qui disent : “Bien on n’a pas de recyclage à l’école, venez nous aider à en avoir un genre” » (GD-CV-É4). Pour rejoindre leurs communautés, dont leur famille élargie et leurs parents, les élèves suggèrent de démarrer un hashtag, de rédiger une lettre ouverte dans les journaux, de faire la grève, le tout, pour intéresser les décideuses et décideurs scolaires et contrer leur inaction en lien avec l’environnement dans leur école (GD-CV-É1 ; GD-CV-É2 ; GD-CV-É3).

Les parents et familles sont appelés à agir comme intermédiaires auprès des institutions pour appuyer les élèves dans leurs actions et à les soutenir à travers la place qu’elles occupent dans les comités décisionnels scolaires. Une élève d’EAU qui souhaite commencer à recycler pour diminuer son empreinte écologique prend conscience qu’il n’est pas de son seul ressort de mettre en place cette pratique, car elle habite dans un immeuble à logements. Après plusieurs essais, l’aide de sa mère est requise pour intercéder en sa faveur auprès de la Ville et du propriétaire, ce qui n’est pas fructueux : « (…) mais quand ma mère a essayé de convaincre le propriétaire, bien, lui, il ne le fait pas » (GD-EAU-É6).

Sensiblement le même processus se déroule à l’intérieur de l’école. Une enseignante explique : « [b]ien, en fait, dès le début, les élèves [du CV] sont arrivés avec beaucoup d’idées, mais toutes les idées se sont heurtées à des murs […] on a dû faire toute une enquête pour découvrir pourquoi c’était impossible d’avoir le compost pour des raisons logistiques, donc avec [le CSS] et la Ville de Montréal puis, même chose pour le recyclage » (GD-CV-PS9). Les élèves font face à de nombreuses embûches et de multiples refus, que ce soit pour l’instauration du compost, du recyclage ou pour la mise en place d’un système de couverts réutilisables à la cafétéria. Une élève du CV renchérit : « c’est pas vrai qu’il y a cinq élèves qui peuvent par eux-mêmes genre changer le système de collecte de déchets d’une organisation au complet ou changer la manière que l’école se chauffe » (GD-CV-É1).

Une option pour changer les choses est de passer par le conseil d’établissement[2] de l’école, mais les élèves du CV se montrent critiques de son fonctionnement qui donnerait un pouvoir décisionnel disproportionné aux parents : « [m]ais l’impression que j’ai de plus en plus, c’est que toute l’organisation considère les parents comme les utilisateurs de l’école. C’est un peu absurde, mais genre, ils consultent les parents pour les décisions. C’est les parents qui ont le plus leur mot à dire. Genre au [conseil d’établissement], la majorité des membres votant sont parents » (GD-CV-É1). Les élèves doivent tenter de s’allier aux parents afin d’avoir une influence sur l’école qu’elles fréquentent tous les jours pendant cinq ans : « […] Puis le fait qu’il faut que j’aille convaincre les parents pour n’importe quelle décision que je veux passer, je trouve que c’est absurde. Genre, si tous les élèves sont d’accord sur quelque chose, tous les élèves sans exception, mais que les parents ne sont pas d’accord, ça reste que c’est un vote sur dix au conseil d’établissement » (GD-CV-É1).

Les effets répétés du manque de reconnaissance et d’écoute laissent leur marque : « [t]u sais, genre, on sait pas trop où se mettre et après, on est là genre, j’en ai marre de me battre avec des gens qui veulent pas entendre » (GD-CV-É2). Une élève parle du désengagement de ses pairs face au manque d’écoute des adultes ressources (GD-CV-É1), tandis que le personnel scolaire évoque comment les nombreux refus essuyés par les élèves ont été « durs » et démotivants pour elles (GD-CV-PS9 ; GD-CV-PS10).

Enfin, comme il est possible de voir, la responsabilité de rallier les parents et familles à la cause environnementale incombe aux élèves. Une élève du CV soulève le besoin de responsabilisation des adultes, du système scolaire, de l’école en général par rapport aux enjeux environnementaux (GD-CV-É1).

Discussion

Nous avons vu comment le besoin de soutien des parents et familles envers les actions environnementales des élèves est intimement lié à la réalisation de leurs propres contraintes d’action, que ce soit à l’école, au CSS qui la chapeaute ou dans leur communauté. Les parents et familles jouent un rôle clé dans les actions environnementales des élèves au sein de leur école et de leur vie quotidienne. Ce rôle est complexe. D’une part, les élèves constatent qu’il y a un manque d’actions environnementales à leur portée, puisque leurs parents et familles sont ciblés indirectement par les contenus pédagogiques enseignés. Des initiatives individuelles sont privilégiées par les institutions scolaires pour former ces jeunes écocitoyennes au détriment d’initiatives collectives et politiques. D’autre part, les élèves vivent un manque de reconnaissance allant jusqu’à la discrimination en lien avec leur statut d’élèves et de « jeunes », impliquant que des parents intercèdent en leur faveur auprès d’institutions, dont l’école, pour les appuyer dans leurs actions. Dans ces deux cas, la responsabilité de rallier les parents à la cause environnementale incombe aux élèves.

Par souci de transparence, ces écoles ne sont pas les seules à emprunter de telles avenues, tout comme les initiatives et pédagogies privilégiées sont loin d’être le seul modèle mis en place par les institutions scolaires. Morin, Therriault et Bader (2022) soulignent le niveau de satisfaction de certains élèves québécois envers leur établissement scolaire, stimulant leur sentiment de pouvoir agir, moteur de l’engagement social et de l’action environnementale. L’incursion au sein de ce CV et du programme EAU que nous proposons témoigne de la volonté des institutions scolaires de soutenir les élèves dans leur intérêt et engagement à l’égard de l’environnement, et de leur « offrir » des espaces de participation et d’éducation citoyenne sur fond de pandémie globale et de mobilisation jeunesse internationale contre le dérèglement climatique. Je mets en évidence leur désir d’écouter les élèves et de leur faire vivre des bons coups pour soutenir leur estime de soi et nourrir leur sentiment de pouvoir agir. Je souligne également la reconnaissance qu’elles manifestent face à la capacité des élèves à agir et influencer leur environnement, notamment par le jardinage, la sensibilisation et la réduction de leur empreinte écologique.

Ces « marques de confiance » présentent des risques, parce qu’elles réduisent l’écocitoyenneté à l’accumulation d’aspirations, d’interactions et de choix individuels avec la nature et l’environnement (Hayward, 2021). Nous signalons par le fait même les dangers de l’instrumentalisation de la participation et de la discrimination des élèves par des adultes de confiance en milieu scolaire. Ce « jeu de l’écoute » est à l’opposé d’une approche qui soit pédagogique, participative, éthique ainsi que respectueuse des droits de l’enfant et de son développement (Beiser et Hou, 2016 ; Lundy, 2007 ; Percy-Smith et al., 2020). Il s’agit d’une forme de manipulation et de « participation » symbolique où les élèves ont l’illusion de pouvoir s’exprimer et choisir, mais elles et ils sont plutôt amenés à prendre certaines décisions à leur insu (Hart, 1992 ; Rahnema, 2010). Ces résultats soulèvent le besoin d’examiner de façon critique la définition même d’écocitoyenneté utilisée par ces écoles pour penser leurs pédagogies et actions environnementales. Au-delà d’actions pour aider l’environnement, l’écocitoyenneté demande le développement de compétences critiques, éthiques et politiques (Sauvé, 2014) et passe inévitablement par une pédagogie qui prenne en compte la complexité de l’agentivité des jeunes, la nécessité d’agir collectivement, les contextes familiaux des élèves et la notion de participation transformatrice pour faciliter, voire amplifier la participation des jeunes en lien avec l’environnement.

Les initiatives étudiées misent sur l’agentivité individuelle pour conceptualiser l’élève en tant qu’actrice ou acteur social apte à transformer le monde, pour motiver à agir et penser le changement environnemental. Dans ce contexte, penser l’élève comme responsable de gérer la crise environnementale par des actions individuelles est problématique, puisque cette perspective provient d’un horizon capitaliste et un mode de gouvernance néolibéral, ce qui serait plutôt incompatible avec la protection de la nature à long terme (Aitken, 2018 ; Cairns, 2021). La crise climatique est imbriquée de façon insidieuse dans la vie des élèves et de leur famille et dépasse largement l’action individuelle des élèves pour l’endiguer (Hayward, 2021).

Repenser l’agentivité comme un continuum et une interdépendance met en lumière que ni l’élève ni le parent ne sont jamais complètement autonomes ni indépendants l’un de l’autre (Abebe, 2019 ; Biswas, 2023). L’agentivité des élèves se déploie quotidiennement à travers des processus relationnels et générationnels ancrés dans des contextes sociaux, culturels, matériels et politiques dans lesquels elles et ils vivent (Abebe, 2019). Leurs parents et familles également. Il faudrait ainsi reconnaître l’agentivité des jeunes élèves comme étant performative afin que le milieu scolaire se questionne sur les conditions et situations précises dans lesquelles leur agentivité peut être productive pour amener l’action environnementale en milieu scolaire plus loin (Abebe, 2019 ; Spyrou, 2011 ; Warming, 2011). Dans cette optique, une alliance entre les élèves et les parents du conseil d’établissement peut être une actualisation fructueuse de l’agentivité des élèves, car la capacité d’action des jeunes peut jaillir de certaines relations de subordination spécifiques (Hoechner, 2018). Cela ne signifie cependant pas de nier la capacité d’action des jeunes, mais plutôt de reconnaître que les demandes de soutien sont des formes d’agentivité et de participation (Kaukko et Wernesjö, 2017).

Les approches mises en place par le CV et le programme EAU se préoccupent peu voire pas des milieux socioculturels dans lesquels s’insèrent les jeunes ainsi que des dynamiques familiales y ayant cours. Ces stratégies d’action forcent les élèves à être en porte-à-faux avec leurs parents et familles. La recontextualisation de l’agentivité proposée implique de sortir d’une représentation des élèves comme étant déconnectés de leur entourage et milieu de vie (Abebe, 2019). Concevoir l’agentivité en tant que continuum et interdépendance rend valides différentes formes de participation et d’action de lutte au dérèglement climatique, dont la collaboration avec les parents et familles (et non l’opposition entre les élèves et leur famille) (Abebe, 2019 ; Hayward, 2021). Les élèves peuvent sentir qu’elles et ils peuvent agir si on les considère comme des êtres relationnels, si on les reconnecte avec leurs parents dans la lutte au dérèglement climatique et si on reconnaît les rôles respectifs qu’elles et ils occupent au quotidien (Abebe, 2019). Redonner sa complexité à l’agentivité permet de s’ouvrir à sa dimension collective pour rattacher la lutte au dérèglement climatique à la justice sociale et environnementale et ainsi dépasser les solutions individuelles aux enjeux collectifs (Hayward, 2021). Le besoin pour les milieux scolaires d’aller au-delà des actions individuelles a été bien documenté ; les élèves ayant un intérêt marqué pour l’engagement collectif (Blanchet-Cohen et Di Mambro, 2016 ; Scott, 2011).

Rarement démocratiques, les approches individuelles adressent peu les dimensions historiques et structurelles des injustices et barrières à l’action (Cairns, 2021 ; Hayward, 2021). De nombreuses solutions mises de l’avant par le CV et le programme EAU sont tout simplement hors de portée des élèves et de leur famille. Certains élèves ont peu d’influence sur les « décisions » familiales. Certaines familles ont même peu, voire aucun choix et jonglent avec des statuts d’immigration précaires, plusieurs emplois à faible revenu, de nombreux enfants, des loyers élevés, un réseau de soutien réduit, en plus d’être culturellement éloignées de la société d’accueil et de ses institutions. Certaines familles peuvent se buter à de la discrimination et du racisme systémique que l’élève ne peut gérer « seul » et qui n’est certainement pas une question de choix.

Dans ce contexte, se pencher sur les thèmes d’empreinte écologique et d’alimentation doit aller de pair avec une pédagogie dite d’excavation, où les barrières systémiques à l’action sont consciemment abordées, où les stratégies collectives sont sciemment mises de l’avant afin de ne pas imposer un fardeau indu aux élèves et à leur famille et de perpétuer ainsi le cycle de la violence structurelle, d’engendrer un désintérêt face à la question environnementale et de nuire à leur sentiment de pouvoir agir (Cairns, 2021 ; Hayward, 2021). Bien qu’Israël et ses collègues (2021) mettent en garde contre le fait de tenir pour acquis les barrières et facilitateurs de la participation des jeunes, encore plus en contexte d’exclusion et de marginalisation sociales, il reste qu’être conscient que remédier à la crise climatique ne repose pas sur la « simple » volonté des individus semble être un atout dans le contexte scolaire.

Le rôle de l’école quant à la mise en place d’une culture inclusive et d’équité, ainsi qu’une meilleure connaissance des élèves et de leurs contextes, de la façon complexe dont le dérèglement climatique exerce une pression sur la vie des jeunes et de leur famille, ainsi que de l’apport de l’action collective se doit d’être prise en compte pour soutenir une perspective d’écocitoyenneté telle que le stipule le mandat du CSS avec son Plan vert. Instaurer des démarches collectives cohérentes avec l’agentivité relationnelle des élèves demanderait une vocation ouvertement plus politique et démocratique de l’école, en accord avec la vision de l’écocitoyenneté de Hayward (2021), de l’impératif moral d’une éducation relative à l’environnement ayant cours au Canada (Field et al., 2023), ainsi que d’une pédagogie et d’un curriculum au service des jeunes et de leurs intérêts (Biswas, 2023).

Plus concrètement, le CV pourrait collaborer avec des organismes locaux pour qu’ils amplifient la voix et les actions des élèves, par exemple de façon à ce que leurs revendications soient entendues par les différents paliers de gouvernement. Les récoltes du jardin d’EAU pourraient être mises à contribution par la cafétéria de l’école, par une banque alimentaire locale ou même, qu’elles soient utilisées dans un cours de cuisine à même le programme EAU qui soit culturellement adapté aux élèves par les élèves[3]. Les plats cuisinés pourraient avoir une vocation utile et être apportés à des aînées et aînés, ce qui permettrait aux élèves de vivre des réussites cohérentes et significatives, une dimension fondamentale du sentiment de pouvoir agir (Morin, 2021). Ces démarches renforceraient le partenariat entre l’école, les familles et la communauté, en plus de cultiver une culture et climat scolaire inclusifs et d’équité (Archambault et al., 2018 ; Audet et al., 2016 ; Borri-Anadon et al., 2021). En ce sens, la justice sociale et la justice environnementale vont de pair (Blanchet-Cohen et Grégoire-Labrecque, 2021) et il ne repose pas seulement sur les épaules des élèves de s’attaquer aux injustices et à la crise climatique.

Il faut mentionner au passage la nécessité de réformer les instances décisionnelles scolaires telles que le conseil d’établissement afin d’instaurer une plus grande transparence des processus décisionnels et de redonner aux élèves la juste part qui leur revient comme utilisatrices et utilisateurs de l’école quant à la prise de décisions. Cela permettrait aux élèves, parents et membres du personnel de collaborer plus sainement, notamment en ce qui a trait à la vocation de leur école et du rôle qu’elle est appelée à jouer en lien avec le dérèglement climatique.

Les suggestions pour bonifier l’approche éducative environnementale de ces initiatives scolaires peuvent contribuer à confronter les structures de pouvoir mises en place, à promouvoir l’émancipation des élèves, en relation et non en porte-à-faux avec leur famille, mais aussi à démocratiser les relations entre les partis en présence (Percy-Smith et al ., 2020). En ce sens, les processus de participation ainsi que les objectifs finaux de ces démarches s’avèrent tous les deux fondamentaux et permettent de s’approcher d’une participation transformatrice autant pour les élèves, leur famille que le personnel scolaire (Tisdall et al ., 2014).

Malgré tout, toute participation des élèves n’est pas « bonne » en soi et il s’agit plutôt des conditions de participation qui confèrent sa qualité (Ferreira et al., 2012 ; Liebel et Saadi, 2012). Il existe de multiples façons d’exercer son agentivité en faveur de l’environnement en milieu scolaire dans le respect des élèves et de leur famille et en collaboration avec les membres du personnel qui méritent d’être explorées dans de futures recherches, dont l’activisme et la connexion avec la nature. Les perspectives familiales pourraient aussi être recueillies afin d’approfondir le sujet.

Enfin, les deux contextes, soit le CV et le programme EAU, mettent en évidence le besoin de développer des relations de confiance plus éthiques afin de laisser naître et grandir une participation plus significative pour les élèves (Percy-Smith et al., 2020). Les élèves restent des agentes et des agents d’information, de mobilisation et d’action à l’intérieur ainsi qu’à l’extérieur de l’école, éternellement relationnels. Pour cette raison, ce modèle d’écocitoyenneté nécessite la création d’espaces participatifs, collaboratifs, communautaires et intergénérationnels où les élèves peuvent apprendre à participer avec le soutien d’adultes bienveillants, dont leur famille, en imaginant des chemins alternatifs ensemble.