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De nombreuses études montrent que l’annonce du diagnostic d’un enfant ayant des besoins spécifiques [1] occasionne un stress important chez les parents (Cohen, 1999 ; Dodgson et al ., 2000 ; Stewart et Mishel, 2000 ; O’Brien, 2001 ; Pelchat et al. , 2005). En effet, les enfants en situation de handicap ou qui ont des maladies chroniques graves nécessitent souvent un suivi physiologique, psychologique, social et pédagogique étroit (Carter et al. , 2007), générant pour les parents des changements et des adaptations psychosociales de taille (Ben Thabet et al. , 2013) ainsi qu’un aménagement du temps entre vie familiale et vie professionnelle (Guyard et al. , 2013 ; Brekke et Nadim, 2017). En Norvège, vivre avec un enfant ayant des problèmes de santé est une réalité pour de nombreuses familles. On estime qu’entre 15 et 20 % des enfants auront des besoins spécifiques pendant l’enfance (Newacheck et Kim, 2005 ; Vollrath, 2015) et seront amenés à côtoyer un large éventail de professionnel-le-s de la santé ainsi que des professionnel-le-s sociaux et de l’éducation (Carter et al. , 2007). De ce fait, les parents peuvent être sollicités davantage après l’apparition des besoins spécifiques de l’enfant et leurs rôles tendront alors à se redéfinir (Elliot Brown et Barbarin, 1996). Plusieurs études montrent comment le suivi d’un enfant avec des besoins spécifiques influence négativement la santé des parents (Seltzer et al ., 2001 ; Olsson et Hwang, 2006 ; Burton et al. , 2008 ; Solberg et al. , 2011). Certaines de ces études décrivent également une fluctuation de la santé des mères et des pères, avec des conséquences plus négatives pour les mères (Olsson et Hwang, 2006 ; Burton et al. , 2008). D’autres montrent que le niveau socioéconomique et d’instruction des parents d’enfants ayant des besoins spécifiques a des répercussions sur leur santé et leur qualité de vie (Skreden, 2011 ; Ben Thabet et al. , 2013). Parmi ces parents, les personnes issues de l’immigration peuvent avoir des difficultés particulières (Berg, 2014). La barrière linguistique et les problèmes de communication qui peuvent en découler, le manque de connaissances des systèmes de protection sociale en général et du système de santé en particulier, un revenu faible ainsi qu’un réseau social limité constituent des défis supplémentaires (Kittelsaa, 2012a ; Berg, 2014). Ainsi, l’articulation des caractéristiques migratoires avec le fait d’avoir un enfant aux besoins spécifiques peut donner lieu à une « double vulnérabilité » (Berg 2012 ; 2014). Dans la lignée de ces auteurs, nous analyserons le fonctionnement des familles au regard de cette vulnérabilité accentuée par la présence d’un enfant ayant des besoins spécifiques.

Le but du présent article est de comprendre comment les membres de familles issues de différents types d’immigration redéfinissent leurs rôles, s’organisent au quotidien pour gérer le suivi de l’enfant ayant des besoins spécifiques. Dans quelles mesures les différents types d’immigration influent-ils sur la gestion familiale? Comment l’apparition et la gestion des besoins spécifiques de l’enfant redéfinissent-ils la place et le rôle de la mère et du père ainsi que des autres membres de la fratrie et de la famille élargie? Quelle signification peut avoir la « prise en charge institutionnelle » proposée à ces familles dans la vie familiale quotidienne?

L’accompagnement des familles ayant un enfant avec des besoins spécifiques en Norvège

Les enfants aux besoins spécifiques peuvent être diagnostiqués à différents moments : dès la naissance, dans le système préscolaire local [2] (0-5 ans) ou, dans certains cas, à partir de six ans dans des classes ordinaires. Pour certains enfants, il peut s’agir d’un état transitoire ; d’autres ont des maladies chroniques ou des handicaps à partir de la naissance ; d’autres encore développent des besoins spécifiques plus tard (Vollrath, 2015). Cela implique de faire face aux besoins de l’enfant à travers un accompagnement adapté. De ce fait, les enfants peuvent être orientés vers des classes ordinaires, ou vers des classes spécialisées en milieu ordinaire ou en école spécialisée. Quel que soit le lieu de scolarisation, chaque enfant bénéficie selon ses besoins d’un suivi mené par les services de santé spécialisés et par un service pédagogique spécialisé (OCDE, 1995, p. 126). Des professionnel-le-s interviennent auprès de l’enfant diagnostiqué comme ayant des besoins spécifiques, et doivent informer la famille de toute aide ou compensation à laquelle elle peut prétendre. Ces professionnel-le-s doivent également orienter la famille vers d’autres instances pour une meilleure compréhension du contenu de ces mesures ( Pasient- og brukerrettighetsloven [Loi des patients et des utilisateurs des services], 1999, § 3.2). En effet, le soutien des services sociaux est présenté comme un facteur complémentaire important pour le bon fonctionnement de la gestion familiale des problèmes de santé ( Helsedirektoratet [Direction de la Santé], 2013) . Pour soutenir les parents d’enfants ayant des besoins spécifiques, l’État norvégien peut accorder une aide à la fois financière et humaine. Chaque famille a droit à la mise en place d’une « équipe de soutien » ou « groupe de responsabilité », instance gérée par un coordonnateur, qui est un-e professionnel-le médicosocial-e chargé de suivre l’enfant et d’élaborer, en collaboration avec la famille et les autres professionnel-le-s un plan écrit individualisé de l’enfant (Helsedirektoratet [Direction de la santé, 2013]. Le service public norvégien de la protection sociale et du travail [NAV] peut accorder des subventions suite à une maladie chronique ou une situation de handicap (NAV, 2013). D’autres dépenses peuvent être prises en charge par le NAV, comme la compensation d’une perte du salaire temporaire chez un parent professionnellement actif. Par l’intermédiaire des services municipaux, les familles peuvent demander à bénéficier d’une « aide aux aidants », alors offerte au parent qui s’occupe de l’enfant quand ce dernier a besoin d’un suivi conséquent (Helsedirektoratet [Direction de la Santé], 2013). L’« aide aux aidants » a plusieurs formes. Il peut s’agir de l’accueil de l’enfant dans une institution ou chez une famille d’accueil durant une journée, une fin de semaine ou des périodes plus longues. Un assistant peut également rendre une visite de quelques heures par semaine à l’enfant, au domicile familial. Il peut s’agir d’une allocation, sorte de complément de revenu qui ne se substitue pas à un salaire et n’est pas déterminée par la situation financière de la famille ( Finnvold, 2009 ). Ces aides et subventions ne sont pas automatiquement liées au fait que l’enfant ait été diagnostiqué comme ayant des besoins spécifiques. Pour avoir accès à une ou plusieurs formes de soutien, les parents ou le professionnel en charge de l’enfant doivent soumettre une demande écrite pour chaque prestation demandée. Outre ces aides, les parents peuvent également bénéficier d’un congé spécial pour se rendre disponibles et accompagner leur enfant aux contrôles de suivi régulier des services de santé. Le NAV est donc chargé de l’octroi de plusieurs aides financières, en plus de favoriser l’insertion professionnelle. L’accès gratuit aux cours de langues pour les personnes immigrées en Norvège est régi par la loi ; ne peuvent y prétendre que les personnes qui ont reçu un permis de séjour d’asile ainsi que leurs familles ( Introduksjonsloven [Loi d’introduction], 2003). Il faut préciser que tous les immigrés détenteurs d’un permis de séjour sont invités à participer aux cours de langues, mais ceux-ci ne sont gratuits que pour les réfugiés. Les pouvoirs publics norvégiens s’accordent autour de l’importance, pour le développement d’un enfant ayant des besoins spécifiques, de rester dans le milieu familial (Barne-, likestillings- og inkluderingsdepartementet [ministère de l’Enfance, de l’Égalité et de l’Inclusion sociale], 2013). La famille est associée à un soutien d’une meilleure qualité (Eriksen, 2003). Les familles jouissent ainsi de droits supplémentaires fondés sur des critères spécifiques. L’objectif de ces politiques est de permettre aux familles de participer au marché du travail dans une mesure égale, qu’elles aient ou n’aient pas d’enfant avec des besoins spécifiques ( Arbeids- og sosialdepartementet [département du Travail et des Affaires sociales], 2005) ; Barne-, likestillings- og inkluderingsdepartementet [ministère de l’Enfance, de l’Égalité et de l’Inclusion sociale], 2013). Le processus de désinstitutionalisation touchant de façon générale l’ensemble des personnes ayant des besoins spécifiques, on a assisté à un transfert de soutien des institutions vers les familles (Eriksen, 2003). Cette privatisation domestique du soutien à l’égard, plus particulièrement, de l’enfant ayant des besoins spécifiques place les familles au centre du système de soutien et de soins. Or, les procédures sont complexes et les parents ont besoin d’avoir accès à un certain nombre d’informations pour s’orienter dans le système. Les parents immigrés rencontrent des défis supplémentaires avant d’accéder à ces droits (Fladstad et Berg, 2008).

Une méthodologique inductive

Cet article présente des données empiriques recueillies dans le cadre d’une recherche concernant la participation au travail de parents immigrés en Norvège ayant des enfants avec des besoins spécifiques. Le projet de recherche financé par le Conseil de Recherche Norvégien [3] (The Research Council of Norway) inclut une partie quantitative fondée sur l’analyse de registres ainsi qu’une partie qualitative fondée sur des entretiens semi-directifs. Cet article s’appuie sur l’analyse de vingt-sept entretiens individuels semi-directifs et trois entretiens de groupe avec des parents immigrés, soit au total vingt et une familles. Les entretiens de groupe réunissaient des pères ou des mères provenant du même pays d’origine, de façon à faciliter la libre expression des vécus ( Kreuger et Casey, 2000, p. 3-37).

L’échantillon était constitué de familles dont un ou plusieurs enfants a des problèmes de santé et est reconnu comme ayant des besoins spécifiques. De plus, au moins un des deux parents, originaires du même pays (Pologne, Pakistan et Vietnam), est immigré de première génération.

Nous ne nous sommes pas intéressées aux couples originaires d’autres pays ni aux couples d’origines mixtes, et nous avons porté notre attention uniquement sur les enfants dont les besoins ne nécessitaient pas une prise en charge institutionnelle permanente.

Parmi les vingt et une familles, nous avons rencontré six couples parentaux et chaque parent a été interviewé séparément afin de pouvoir s’exprimer le plus librement possible. Chaque parent rencontré est marié ou l’a été avec un partenaire de son pays d’origine ou de celui de ses parents. Treize parents rencontrés sont originaires du Pakistan, neuf de Pologne et cinq du Vietnam. Ces trois pays d’origine comptent des représentants nombreux parmi la population issue de l’immigration en Norvège. Les personnes immigrées d’origine vietnamienne ont vécu longtemps en Norvège ; les parents sont les enfants ou les conjoints de réfugiés qui y ont émigré dans les années 1970 et 1980 à la suite de la guerre du Vietnam. Les familles pakistanaises, d’abord établies dans les années 1960 dans le cadre d’une immigration de travail, représentent aujourd’hui un groupe important parmi l’immigration extraeuropéenne. La population de ces deux groupes de parents se compose, d’une part, de parents arrivés en Norvège dans le cadre du regroupement familial et, d’autre part, de parents nés en Norvège à la suite de l’immigration de leurs propres parents. Ces parents d’origine pakistanaise et vietnamienne ont un permis de séjour illimité ou permanent, ou sont des citoyens ayant acquis la nationalité norvégienne. Tous ont une situation juridique stable. L’immigration polonaise est plus récente et, en raison des règles de l’espace économique européen, l’un des deux parents doit avoir un contrat de travail en Norvège. Leur permis de séjour est donc lié à un tel contrat. Les trois groupes de familles présentées ici ont les mêmes droits d’accès aux services, aux soins de santé et à l’aide sociale que tout citoyen norvégien. En Norvège, les immigrés représentent 13,8 % de la population, et 3 % de la population norvégienne est née de parents immigrés (Statistics Norway, 2017). Le plus grand groupe d’immigrés est actuellement celui d’origine polonaise. Parmi l’immigration non européenne, les Pakistanais sont au 5 ème rang en importance démographique et les Vietnamiens, au 8 ème rang (Statistics Norway, 2017).

Notre guide d’entretien, basé sur des questions ouvertes, couvrait divers aspects de la vie quotidienne de la famille, dans le but d’en saisir les expériences, les choix et les ressources ainsi que les expériences et le vécu. Nous nous sommes intéressées au vécu des parents d’un enfant avec des besoins spécifiques en nous focalisant sur la gestion familiale du suivi de l’enfant au quotidien, et au rapport qu’entretiennent les parents avec les acteurs de l’aide sociale et l’aide apportée à l’enfant. Les entretiens ont été enregistrés et systématiquement retranscrits. Nous avons recouru à des traducteurs pour la conduite de neuf des vingt-sept entretiens individuels et d’un entretien de groupe. Si la présence d’un traducteur peut biaiser les données, elle a été le seul moyen dont nous disposions pour accéder à certaines familles – surtout celles d’origine polonaise – se caractérisant par une immigration récente.

Le comité Norvégien Régional d’Éthique (REK) a approuvé l’étude. La participation des parents reposait sur une base volontaire et faisait suite à la distribution d’informations écrites par deux services hospitaliers norvégiens . Les données présentées dans cette étude ont été anonymisées. Notre approche d’analyse est inductive et se fonde sur l’analyse de contenu des entretiens.

Cette démarche d’analyse permet d’abord d’identifier les vécus, les choix et les croyances transmis par les mots (Moliner et al ., 2002). Nous avons privilégié une présentation idéale-typique (Weber, 1965 [1922]) à travers la construction de cas pour caractériser et illustrer la diversité des situations rencontrées. En effet, face à un matériau qualitatif riche et divers, la démarche idéale-typique ne s’est pas réduite à une opération de typologie mais constitue à la fois le résultat d’un certain mode de conceptualisation et l’instrument d’une stratégie d’analyse spécifique, qui place la quête de sens des individus au cœur du dispositif méthodologique. Cette démarche idéale-typique a été articulée avec les configurations familiales (Élias, 1993 ; Lahire, 1995), où nous avons cherché à comprendre les relations d’interdépendance entre le fonctionnement des familles et le fait d’avoir un enfant aux besoins spécifiques. Dans le tableau qui suit, nous présentons le nombre de familles ainsi que leurs principales caractéristiques.

Tableau 1. Idéaux-types et relation avec : nombre d’enfants par famille, activité de la mère (au travail ou en formation)

Tableau 1. Idéaux-types et relation avec : nombre d’enfants par famille, activité de la mère (au travail ou en formation)

Sur les neuf pères rencontrés, un seul était au chômage.

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Une population immigrée hétérogène

Nous avons choisi de présenter nos résultats à travers quatre idéaux-types de familles : trois en partant de l’origine ou la raison principale de l’immigration des parents, et un dernier qui recoupe les trois précédents mais diffère par le lien marital : mère ou père immigré(e) par regroupement familial, père ou mère nouvellement arrivé(e), famille dont la mère est de deuxième génération et famille dont les parents sont divorcés. Chaque idéal-type mettra en lumière des thèmes récurrents, comme le processus migratoire, la scolarité des parents, le besoin de suivi de l’enfant, la distribution des tâches dans la famille, le réseau social, le suivi institutionnel de l’enfant et la santé des membres de la famille.

Familles du regroupement familial

Chez cet idéal-type, un membre du couple – dans l’échantillon étudié, il s’agira davantage de la mère que du père – a rejoint son conjoint dans le cadre d’une procédure de regroupement familial, alors que ce dernier s’est installé tôt (enfant, adolescent ou jeune adulte) au pays (depuis 20 à 30 ans). L’autre conjoint, dont la présence en Norvège s’explique par le mariage, a une ancienneté de résidence inferieure (entre 10 et 15 ans). Ces six familles de notre échantillon sont d’origine vietnamienne ou pakistanaise. Les mères comprennent la langue norvégienne, mais s’expriment souvent avec difficulté. Trois mères travaillent dans des cantines ou des jardins d’enfants (deux à temps partiel et une à temps plein), et les maris travaillent comme ouvriers dans l’industrie, le nettoyage, le transport, ou comme employés d’entreprises de services. Trois mères n’exercent pas d’activité professionnelle salariée et s’occupent principalement de la famille et de la maison. Toutes ces familles comptent entre deux et quatre enfants, dont un a des besoins spécifiques. Si la formation scolaire des parents varie de cinq à seize années de formation, la majorité a dix ans de scolarité. Trois des familles ont un enfant avec des problèmes complexes de développement, qui exigent un suivi continu de l’enfant en raison du comportement imprévisible de celui-ci. Les autres familles ont des enfants avec différents diagnostics qui génèrent un retard du développement cognitif ou des maladies chroniques cardiaques. Tous ces enfants sont nés en Norvège après le regroupement familial. Certains de ces enfants manifestant des problèmes comportementaux sont scolarisés dans une classe spéciale au sein d’une école en milieu ordinaire. D’autres sont intégrés dans des classes en milieu ordinaire.

Des parents décrivent comment, après avoir fait l’expérience du suivi des enfants par le système préscolaire norvégien des barnehager , ils regrettent de ne pas avoir profité de cette offre plus tôt dans le processus de développement de l’enfant, aussi bien pour l’enfant que pour le couple et la famille. Une mère dit : «  J’étais très jeune, quand l’enfant est né. Je ne savais rien… très jeune… Il aurait peut-être dû aller dès la première année si j’avais su [l’importance] , je l’aurais amené à partir d’un an [au jardin d’enfants] ... donc je regrette cette époque que j’aurais dû avoir comme mère. […] mais la langue [norvégienne] était un problème. »

La gestion du comportement de l’enfant manifestant des problèmes comportementaux est décrite par les parents comme lourde et pleine de défis, surtout avec la croissance de l’enfant, qui fait qu’il devient plus fort et, dans certains cas, peut développer une agressivité envers les personnes autour de lui.

Cette situation peut entraîner chez le couple parental des divergences dans la manière d’intervenir auprès de l’enfant ayant des besoins spécifiques. Une mère explique : «  Les enfants avec besoins spécifiques sont très exigeants ; de ce fait, ce n’est pas facile, nous [elle et le mari] avons beaucoup d’altercations et nous sommes en désaccord. Nous ne sommes pas d'accord, jamais d'accord, car il [le mari] peut avoir d'autres opinions que moi, de cette façon nous avons de nombreux conflits. » Une mère décrit des conséquences psychologiques graves pour le petit frère, et une autre mère met l’accent sur le manque de temps consacré aux autres enfants dans la famille. Une mère dit : «  Elle [la petite sœur] voulait avoir de l’attention, elle se fâchait et jetait des choses… » Une autre confie : «  Le frère ainé il devient très rapidement irrité, parce qu’il veut avoir de la tranquillité. Il veut rester dans sa chambre à travailler ou à lire, mais le frère [qui a des besoins spécifiques] il court et il le dérange beaucoup ».

La responsabilité principale des tâches ménagères et du suivi des enfants incombe à la mère. Le père prend soin des enfants lorsqu’il est à la maison, surtout si la mère est occupée à d’autres tâches ménagères. Un père dit :

Je me sens souvent désolé pour ma femme, parce qu’elle a la responsabilité principale [du suivi de l’enfant]. Elle va à l’école, aussi [cours de norvégien]. Donc, je m’occupe de notre fils, en plus que j’ai un travail très lourd… Je travaille, mais pendant le week-end ou quand je suis à la maison, je suis très disposé à l’aider. Nous faisons tout ensemble. Le week-end, nous travaillons tous ensemble, nous nous aidons mutuellement à la maison.

Deux mères disent qu’elles ont peu de contact avec d’autres familles et n’ont pas de famille élargie en Norvège, ni de leur propre côté ni de celui du mari. Une famille reçoit de « l’aide aux aidants » une fin de semaine par mois et une semaine en été ; une autre famille touche une aide élargie de décharge institutionnelle. D’autres disent ne pas réussir à obtenir de l’aide de la part de la protection sociale communale ou du NAV, soit par manque de connaissance du fonctionnement du système d’aide, soit en raison de la complexité des démarches administratives pour l’octroi de ces soutiens. Quatre parents (mères et pères) racontent une succession de réponses négatives à leurs demandes de soutien auprès de la protection sociale pour obtenir de l’aide de décharge ou de l’aide financière de leur commune, ainsi que la fatigue et la perte de motivation qui en découlent.

Quatre mères disent n’avoir pas de temps pour elles-mêmes, se sentir fatiguées, isolées et déprimées. Elles décrivent une absence ou une insuffisance de réseau de proximité (deux mères disent avoir une seule amie sur laquelle pouvoir compter). Une mère dit qu’aussi bien elle que son mari se sentent fatigués physiquement et psychiquement :

Je suis très fatiguée du point de vu physique et psychique, parce qu’il n’est pas un enfant tranquille, il court partout, il est agité tout le temps … il est très hyperactif donc… Moi j’étais un peu plus ronde, mais maintenant j’ai perdu beaucoup de poids, … je dors mal la nuit […] des fois je suis assise et je pleure seulement.

Cette mère ne dort que trois ou quatre heures par nuit, parce que l’enfant se réveille souvent. Deux de ces mères n’ont pas de travail fixe et reçoivent des mandats ponctuels de la part de la protection sociale (NAV). À ce propos, l’une d’elles affirme : «  Aussi bien physiquement que psychiquement je me sens mieux quand je suis au travail. Quand je sors au travail en tout cas j’oublie la partie de la maison qui me préoccupe le plus » Une autre ajoute : « Oh ça signifie beaucoup! On oublie le quotidien et l’épuisement, on voit qu’on vit » .

Toutefois, la fragilité de l’état de santé de l’enfant fait que plusieurs mères ont du mal à trouver un travail fixe.

Ce premier idéal-type fait ressortir plusieurs facteurs intrafamiliaux et contextuels qui peuvent avoir une influence sur la gestion familiale des problèmes de santé. Comment ceux-ci sont-ils vécus par les familles nouvellement immigrées, qui représentent le prochain idéal-type identifié dans le cadre de notre analyse?

Familles récemment immigrées

Ce groupe de familles est représenté dans notre échantillon par cinq familles polonaises qui ont immigré au cours des dix dernières années. Chez ces familles, c’est le mari qui a émigré le premier, pour chercher un travail stable afin de rehausser le niveau de vie économique de toute la famille (deux à quatre ans avant l’immigration des autres membres de celle-ci). Ces pères travaillent souvent dans le secteur du bâtiment comme ouvriers spécialisés. Dans quatre des cinq familles polonaises, l’enfant aux besoins spécifiques est né en Pologne.

Après l’émigration du père, c’est la mère, avec la famille élargie, en Pologne, qui a assumé le suivi de l’enfant pendant ses premières années de vie. Pour certaines, les tâches afférentes s’ajoutaient à un emploi professionnel. Tous les parents ont reçu une formation et accumulé de l’expérience professionnelle dans leur pays d’origine. Trois familles n’ont qu’un seul enfant, celui qui éprouve des besoins spécifiques ; une famille a deux enfants et une autre en a trois.

Le diagnostic de ces enfants peut être lié aussi bien à des problèmes neurologiques, par exemple un retard de développement cognitif, qu’à un handicap physique, par exemple des suites d’une paralysie cérébrale, ou qu’à une maladie cardiaque chronique. Les enfants et adolescents ayant des problèmes de motricité ont besoin d’aide tant pour leur hygiène personnelle que pour s’habiller ou que se déplacer. Globalement, ces enfants requièrent le suivi d’un des parents le matin, avant l’école ou le jardin d’enfant, après leur sortie de ceux-ci et pour les tâches quotidiennes. Dans notre échantillon, ce sont les mères qui assumaient la responsabilité principale de ce suivi. Certaines mères avaient des périodes de douleur musculaire associée aux tâches quotidiennes, notamment le déplacement de l’enfant. Trois mères décrivent leur propre santé mentale comme variable avec des périodes de dépression. Un père de notre échantillon a dit s’occuper activement des soins à l’enfant quand il était à la maison, les fins de semaine. Il précise aussi : «  Le plus [des soins et du suivi] c’est ma femme qui fait. C’est surtout elle … elle conduit la voiture et elle le [l’enfant] porte partout » .

Dans ces familles, c’est le père qui est responsable de l’économie familiale, du fait de son arrivée antérieure par contrat de travail. Ces enfants et ces jeunes aux besoins spécifiques sont intégrés dans des classes normales ou vont dans des écoles spécialisées. Ces familles n’ont pas de famille élargie en Norvège mais sont en contact avec un réseau d’immigration polonaise. Ce réseau permet à certaines familles de mieux connaître le système d’offre sanitaire et de protection sociale.

Suite à son intégration par le travail et du fait qu’il réside depuis plus de temps dans le pays, le père parle habituellement mieux le norvégien que la mère. Ces parents n’ont pas accès aux cours gratuits de norvégien, et plusieurs mères disent ne pas avoir les moyens économiques pour se payer des cours.

La majorité de ces mères souhaitent retrouver une vie professionnelle à l’extérieur de la maison qui leur permette d’améliorer leur connaissance de la langue du pays. Cependant, les tâches de suivi de l’enfant aux besoins spécifiques limitent cette voie. Certaines mères travaillent dans le ménage pour gagner un petit revenu, tout en étant conscientes que leur formation professionnelle antérieure devrait leur ouvrir de meilleurs secteurs du marché. Le fait que ces mères restent à la maison ou exercent un travail qui ne nécessite pas une communication verbale génère un cercle vicieux qui limite le perfectionnement linguistique ainsi que l’accès à un travail plus qualifié et mieux rémunéré. Un père indique à ce sujet :

[…] elle [ma femme] parle très peu avec des norvégiens. Mais si elle sortait pour travailler et rencontrer des norvégiens elle serait rapide dans l’apprentissage de la langue. Ce serait aussi mieux pour elle qu’elle puisse aller au travail, sur le plan économique ainsi que pour son intégration ici en Norvège et pour apprendre le norvégien. 

Les deux parents sont satisfaits du suivi de santé par le système sanitaire du nouveau pays. Mais ils le décrivent comme exigeant en termes de temps investi personnellement. Du fait que les pères parlent mieux le norvégien, les deux parents assument souvent ensemble les visites et l’accompagnement de l’enfant dans les services spécialisés. Des pères ont connu des réactions négatives d’employeurs à leurs demandes de congés payés, auxquels ils ont pourtant droit. Certaines de ces familles parviennent à impliquer des travailleurs sociaux ou à se tourner vers l’expertise juridique afin de faire respecter leurs droits en matière de protection sociale.

Du fait que ces familles connaissent aussi bien l’offre du système sanitaire polonais que celle du système norvégien, ils tirent le meilleur des deux systèmes. Deux familles disent que l’offre en physiothérapie est meilleure en Pologne qu’en Norvège. De ce fait, une famille voyage avec l’enfant deux fois par ans pour des séjours de physiothérapie intensive, à ses frais, dans son pays d’origine.

Cet idéal-type qui vient d’être présenté montre une gestion ardue avec des répercussions sur la santé des mères et un arbitrage fortement sexué entre le « pourvoyeur de soins » et le « pourvoyeur de revenus », indépendamment de leur formation et de leur expérience professionnelle antérieures ; la mère se caractérise alors par une moins bonne intégration dans la société d’accueil, notamment en raison de la migration échelonnée de la famille. D’autres aspects liés au fait d’être nouveaux dans le pays avec un enfant dont le diagnostic est clair peuvent néanmoins accélérer l’accès à l’aide institutionnelle et l’établissement d’un « groupe de soutien ».

Quelles est l’expérience de mères immigrées de deuxième génération en termes d’accès à l’État providence, et quel poids a la culture d’origine sur les choix liés à la gestion familiale des problèmes de santé de l’enfant?

Familles dont la mère est issue de l’immigration

Dans cet idéal-type, la mère est née en Norvège ou est arrivée avant l’âge scolaire. Elle est fille de parents immigrés du Pakistan, et sa scolarité a été partagée entre la Norvège et le Pakistan avec des séjours de formation scolaire au Pakistan. Elle est mariée ou était mariée à un homme immigré de première génération aussi originaire du Pakistan. Notre échantillon comptait cinq familles, dont trois constituées d’une mère divorcée et de ses enfants. Nous présenterons la gestion des problèmes de santé pour les mères divorcées dans le dernier idéal-type, pour nous limiter ici à présenter deux familles caractérisées par un couple parental marié dont la femme est issue de l’immigration pakistanaise.

Selon ces femmes, le partage du travail est lié à « la tradition ». Une d’elles a reçu une formation de haut niveau, et a cessé toute activité professionnelle après la naissance de l’enfant ayant des besoins spécifiques. Dans les deux cas, la mère s’occupe maintenant exclusivement des enfants et de la maison. Le mari travaille à temps plein et fait des heures supplémentaires pour faire face aux dépenses du ménage. Ces deux familles ont chacune plusieurs enfants. Une mère dit :

Même si je suis née ici, j’ai cependant adopté la culture de ma famille, qui originairement est de l’Asie, donc moi je dois suivre cette culture. Celle-ci donne une surcharge à nous les femmes, parce que nous sommes responsables des enfants, de la famille, de la maison, du mari, nous avons donc beaucoup de tâches. Donc moi j’ai une grande charge […] Donc si tu as un enfant avec des besoins spécifiques dans la famille, la mère n’arrive pas à travailler. Et tu as des pertes économiques et donc le mari doit travailler en extra.

Ces enfants avec des problèmes de retard cognitif et comportementaux exigent la présence continue d’un adulte. Ils sont insérés dans des écoles ou des classes spécialisées. Une mère précise que l’offre est plus adaptée que celle du jardin d’enfants normal, mais que d’un autre côté, l’enfant copie plus facilement des comportements déviants d’autres enfants aux besoins spécifiques. Le processus de diagnostic des problèmes de développement de l’enfant est décrit différemment par les deux familles. L’un a été rapide et proactif, avec une prise en charge par les services spécialisés ; l’autre diffus, fragmenté et moins systématique : les parents eux-mêmes ont dû faire preuve d’initiative pour bénéficier des services d’aides.

Bien que les deux mères dont il est question aient grandi en Norvège, elles vivent différemment l’accès aux services de la protection sociale. Pour elles, cela semble être lié plus à la qualité de l’offre de suivi dans le quartier, qui varie considérablement d’un quartier à l’autre, qu’à un manque de connaissance du système. Si l’une des familles se dit satisfaite de l’aide reçue (décharge diurne par un assistant toutes les fins de semaine, mise en place rapide « d’un groupe de soutien »), la mère de l’autre famille précise, concernant la demande d’« aide aux aidants » :

Nous avons déjà fait la demande d’aide deux trois fois en tout cas, mais notre quartier il est très difficile à octroyer du soutien d’aide… j’ai été à l’hôpital où j’ai parlé avec l’assistante sociale qui m’a confirmé que ce quartier est un quartier très difficile pour accorder de l’aide aux aidants pour les parents et qu’il faut presqu’une lutte entre notre quartier et l’hôpital [pour obtenir de l’aide].

Une de ces mères parle des conséquences sur les autres enfants de la fratrie ainsi que sur leur demande d’attention : « […] Quand on a des enfants handicapés, ils [frères et sœur] peuvent être agressifs, ils se plaignent qu’on ne les aime pas. Et cela vient aussi de ma fille, qui dit : “Est-ce que tu m’aimes, maman? ” »

Des problèmes de santé accompagnent aussi ici ces mères, qui, souvent, ont des problèmes de sommeil attribuables au réveil fréquent de l’enfant pendant la nuit. Une de ces mères doit systématiquement dormir le jour pour récupérer les heures de sommeil perdues de la nuit.

Ces familles ont un réseau familial et social élargi, qui offre un soutien pratique particulièrement tourné vers les autres enfants (sans besoins spécifiques), ainsi que la possibilité d’autres échanges au quotidien. Une mère raconte : «  Moi, j’ai beaucoup d’amis, parce que je suis née ici. Un grand réseau d’amis. Je connais des familles, je vais souvent en visite… Des fois sans mon fils, parce qu’il est très agité. Il peut frapper les autres enfants… Alors mon mari doit rester ensemble à la maison avec lui ».

Une de ces mères explique aussi que le fait de ne pas recevoir d’aide de la part de la famille de son mari (laquelle habite au Pakistan) tandis qu’elle en demande à sa propre famille (lignée maternelle) lui fait honte, du point de vue de sa culture.

Chez cet idéal-type, la culture est décrite comme un élément important dans le partage des tâches. Cependant, les exigences de suivi de l’enfant et de la fratrie plus nombreuse y figurent comme des priorités qui légitiment le partage traditionnel des tâches. Le réseau familial et social est une ressource pour ces familles, aussi bien du point de vue psychologique que, dans certains cas, du point de vue pratique. Le type d’offre qui varie entre les quartiers reste un défi afin que tous les enfants d’une même fratrie reçoivent une attention adéquate de la part de leurs parents.

Familles dont les parents sont divorcés

Parmi les huit parents de cette catégorie, mariés puis divorcés, ce sont principalement les mères qui s’occupent des enfants. Des huit familles, une seule partage le suivi de l’enfant (enfant avec des problèmes cardiologiques légers) entre le père et la mère (à raison d’une semaine sur deux chacun), deux pères visitent l’enfant un ou deux week-ends par mois, et cinq mères s’occupent totalement seules de l’enfant ou des enfants. Ce groupe de mères compte des immigrantes aussi bien de première que de deuxième génération, pakistanaises, vietnamiennes ou polonaises, avec des durées de formation variées (de dix à seize ans de scolarité). Huit des dix enfants aux besoins spécifiques ont des problèmes comportementaux ou une maladie neurologique ou cardiologique grave (deux sont atteints de problèmes cardiologiques légers), et demandent un suivi continu. Deux mères ont chacune deux enfants avec des besoins spécifiques. L’insertion scolaire de ces enfants varie : cinq sont insérés dans un jardin d’enfants ou dans une école normale, et cinq sont insérées dans une classe ou une école spécialisée. La majorité de ces familles compte au total un ou deux enfants, une famille en compte trois. Le suivi de l’enfant demande du temps à ces mères, aussi bien de jour que de nuit. Quelques mères reçoivent de « l’aide aux aidants » : Une mère reçoit quatre heures par semaine, une autre quatre journées par mois et une autre un fin de semaine par mois.

L’une d’elle évoque ce temps octroyé : « Je veux seulement utiliser le temps pour ma fille [sans besoins spécifiques], car je pense qu’elle reçoit peu d’attention, car il [le frère avec besoins spécifiques] absorbe l’attention tout le temps. […] Pendant ce temps moi et ma fille nous faisons des choses ensemble. Je l’amène en ville, et on fait plusieurs activités.»

Plusieurs mères attribuent la difficulté d’accès à l’aide de la protection sociale à un manque d’information systématique et rapide, indépendamment de la mise en place d’un « groupe de soutien ». Une mère raconte :

C'était très difficile pour nous... nous savions tout le temps qu'il avait besoin d'un assistant à plein temps, mais il ne l'a pas obtenu. … Maintenant, après presque 4 ans il l'a obtenu. C’était beaucoup de travail et beaucoup ... oui ... beaucoup de papiers et beaucoup d’aller et retour [avec les chargés de la municipalité et du jardin d’enfant] jusqu'à ce qu'ils ont réalisé qu'ils devaient [engager un assistent personnel pour l’enfant]. Il y avait aussi des moments où je devais aller le [l’enfant] chercher parce qu'ils ne disposaient pas suffisamment de personnel au jardin d’enfant. Donc, ç’a été difficile !

Ne pas tenir compte de l’avis des parents, qui pourtant se considèrent comme les premiers experts de la situation de l’enfant, est perçu comme un manque de reconnaissance de leur parole et de leur expertise.

Plusieurs mères précisent l’importance d’un travail flexible et la possibilité de travailler à temps partiel. Deux mères travaillent comme employées de bureau, une dans l’éducation, et deux autres dans des cantines. Deux mères ont entamé une nouvelle formation. Une mère souligne l’importance d’avoir un travail en dehors de la maison, pour son bien-être psychologique et social :

En pratique cela [le travail] signifie beaucoup …Le fait d’être avec un enfant qui a besoin de toi tout le temps c’est une énorme contrainte. Et le fait d’utiliser soi-même pour autre chose c’est très grand. Je ressens que je reçois plus d’énergie, quand je retourne d’un travail et je rencontre mon enfant...

Pour que l’employé soit bien disposé à travailler, des parents jugent qu’une attitude d’ouverture et de respect de la part de l’employeur dans son octroi de congés payés – nécessairement alloués au suivi médicosanitaire de l’enfant et à ses soins – est primordiale. Là-dessus, le vécu des mères varie : deux disent percevoir de la compréhension devant leurs absences régulières du travail liées au suivi de l’enfant par le système de santé ou à ses soins, mais d’autres ont eu des expériences négatives. Par exemple :

Moi, en tant que mère d'un enfant handicapé, j’ai droit à un congé dû à la maladie de l’enfant deux fois plus long... même si j’ai ce droit sur le papier et que je le montre à l'employeur, il est très difficile d’obtenir un travail. J’ai l’expérience que même si l'on est suffisamment qualifié pour faire ce travail et ils disent que tout est en ordre, ... mais dès que vous dites ... Et maintenant j’ai cessé de mentionner ... que j’ai un enfant qui est handicapé ... Car chaque fois que je l’ai dit je n'ai jamais eu d’emploi.

Dire ou ne pas dire que l’on est le parent d’un enfant handicapé relève d’un choix individuel dans lequel l’anticipation de la réaction, notamment de l’employeur, est déterminante. Le dire, c’est prendre le risque d’être exclu(e), d’emblée, du marché de l’emploi en raison des représentations que se feront les employeurs des besoins spécifiques de l’enfant – les considérant souvent comme une charge peu compatible avec une vie professionnelle.

Sur le plan du réseau familial et social de ces mères, celui-ci variait non seulement du fait d’être de première ou deuxième génération, mais aussi en fonction d’autres facteurs, comme la perception de la maladie dans la famille élargie, aussi bien par les parents que par l’ancienne belle-famille. Une mère divorcée de notre échantillon explique : «  Mon mari avait honte, il ne voulait pas se montrer en ville avec nous … sa famille est très archaïque dans leurs idées… nous ne nous rendions pas beaucoup chez eux non plus …et mon mari n’aime pas l’enfant ; …il ne démontre aucune affection pour lui ».

Certaines disent que le réseau d’amis s’est réduit après la naissance de l’enfant aux besoins spécifiques. Une autre ajoute que la maladie peut être taboue pour les grands-parents de l’enfant, qui essaieront de la cacher publiquement. Ainsi, la perception, non pas des besoins de l’enfant mais du handicap, peut affecter la vie sociale de ces parents et plus particulièrement de certaines mères, qui se retrouvent isolées.

La santé de ces mères est variable. Plusieurs d’entre elles ont une attitude de résilience [4] et de force face aux défis, d’autres ont des problèmes de dépression psychologique. Dans ce groupe, les mères divorcées, en majorité monoparentales, se préoccupent de consacrer du temps pour l’enfant sans besoins spécifiques – chose possible, pour la plupart, qu’avec l’aide de décharge (« aide aux aidants »).

Discussion

Les données présentées montrent que la présence d’un enfant aux besoins spécifiques perturbe plusieurs aspects de la vie conjugale, familiale et sociale des parents concernés. Des rôles ainsi que des nouvelles relations se redéfinissent afin de gérer aussi bien les nouveaux défis de santé, de développement et de suivi de l’enfant que la vie quotidienne familiale.

Cinq dimensions seront abordées à partir des différents idéaux-types : la redéfinition du rôle de parent, les relations au sein du couple, les relations avec les autres enfants, les relations avec la famille élargie et les relations avec les services sociaux.

La redéfinition du rôle de parent

La parentalité, par définition, implique un engagement dans le but de répondre aux besoins de l’enfant aux plans physique, affectif, intellectuel et social. Si un enfant a des besoins spécifiques, cet engagement parental devient largement plus intense. Nos données montrent clairement comment les parents doivent restructurer leur gestion du temps et d’autres priorités personnelles et familiales en raison des besoins spécifiques de l’enfant. Dans les quatre idéaux-types, c’est la mère qui assume la responsabilité principale du suivi quotidien de l’enfant. De ce fait, son rôle de mère s’accentue. Même si la majorité des mères aimeraient sortir de l’isolement, tant social que professionnel, que cette situation génère et assumer aussi un rôle professionnel, le partage traditionnel des tâches (l’homme pourvoyeur de revenus et la femme pourvoyeuse de soins) reste un schéma dominant dans les familles où les parents sont mariés.

Dans maintes familles, avoir un enfant avec des besoins spécifiques est cause d’une moindre participation de la mère au marché du travail (Hauge et al., 2013 ; Tøssebro et Paulsen, 2014). Les facteurs sont complexes, multiples et ils varient selon le type de famille. Mais il semble que l’ancienneté dans le pays et la modalité d’arrivée en sol national n’affectent qu’en partie la définition des rôles parentaux. En effet, dans toutes les familles rencontrées où les parents sont mariés, nous avons observé un partage traditionnel des rôles, où l’homme occupe un emploi à l’extérieur et la femme, quelle que soit sa situation professionnelle, s’occupe en premier lieu de l’enfant ayant des besoins spécifiques. La scolarité des mères, qui est considérée dans plusieurs études comme une variable importante pour l’exercice professionnel (voir notamment Tøssebro et Paulsen, 2014), ne semble pas non plus jouer un rôle déterminant dans la division des rôles au sein de ces familles immigrées. Cela s’observe de façon transversale pour les trois premiers types de familles analysés, où plusieurs mères mariées sont au foyer en dépit de leurs qualifications et expériences professionnelles antérieures à l’immigration (familles 1 et 2) ou antérieures à la naissance de l’enfant aux besoins spécifiques (famille 3). Les facteurs peuvent relever de l’intériorisation de stéréotypes sexués (familles 1 et 3) ou de la temporalité échelonnée de la migration des parents et d’une connaissance insuffisante de la langue norvégienne par la mère (famille 2). Dans toutes les familles, le respect d’une tradition dans laquelle les femmes s’occupent prioritairement de la famille constitue, de plus, un puissant dénominateur commun. Deux facteurs semblent quelque peu atténuer ce principe. La barrière linguistique touchant davantage les épouses, en raison de leur présence plus récente en Norvège, celle-ci peut créer un effet d’aubaine obligeant les pères, de facto , à être plus présents dans le suivi de l’enfant par les services de santé et dans les démarches de demande d’aide sociale. Du même coup, le fait que le mari joue souvent le rôle de traducteur dans les relations sociales avec les Norvégiens peut faire diminuer l’empressement de l’épouse à apprendre la langue du pays. Cela est d’autant plus vrai pour les immigrées polonaises, qui déplorent, en plus de la charge familiale, la difficulté d’accès économique aux cours de langue. De plus, le coût de la vie assez élevé en Norvège vient ébranler le modèle traditionnel où seul le père occupe un emploi rémunéré : ici, un seul salaire peut ne pas suffire à l’économie budgétaire du foyer. Ce besoin d’accès au marché du travail pour la femme peut modifier la définition qu’elle se fait de son propre rôle, même si la présence de l’enfant ayant des besoins spécifiques en restreint les possibilités. Ces femmes, poussées par la volonté d’occuper un emploi à l’extérieur de la sphère domestique, se retrouvent donc à freiner leurs aspirations. Ces circonstances accentuent la différenciation entre conjoints : les femmes sont mobilisées par les soins à dispenser à l’enfant, ce qui les éloigne de la sphère professionnelle, et les hommes sont acculés à travailler des heures supplémentaires pour augmenter le revenu familial, ce qui les éloigne d’autant plus de la sphère domestique.

Néanmoins, les hommes interviewés revendiquent leur implication dans la sphère familiale. La majorité des Pakistanais et des Polonais [5] rencontrés dans les trois catégories affirment partager le suivi de l’enfant avec leur femme, dès leur retour du travail. Ainsi, l’enjeu en tant que parent n’est pas tant d’accomplir ou non des tâches, mais de s’orienter vers ce qui nous est central au quotidien : pour la mère, s’occuper de l’enfant est au centre du quotidien, alors que pour le père, il s’agit d’une activité périphérique, le centre étant occupé par son emploi à l’extérieur. Seules trois des six mères immigrées dans le cadre d’un regroupement familial assument aussi des tâches professionnelles en complémentarité du rôle maternel. Plusieurs le justifient comme étant un processus adaptatif nécessaire dans une société basée sur un revenu binaire (où l’impôt et le coût de la vie sont élevés). Ces femmes qui occupent un emploi rémunéré soulignent aussi que les effets positifs du travail ne se limitent pas au revenu. Le travail, considéré comme une source d’énergie, permet de sortir de l’isolement et de la dépression psychologique. En effet, pour les parents d’enfants éprouvant des besoins spécifiques, l’emploi peut offrir des récompenses psychologiques (Breslau et al. , 1982). Donovan et al. (2005) montrent aussi combien le travail en dehors de la maison peut être un facteur de motivation et de promotion de la santé pour les mères d’enfants ayant des besoins spécifiques – et ce, même si le travail n’entraîne pas toujours une augmentation du revenu net de la famille.

Pour les mères divorcées, le rôle de mère et de breadwinner est encore plus important, même si la double responsabilité peut être un défi pour plusieurs dans le quotidien et où pour certaine l’accès à un travail stable reste laborieux. Les mères divorcées sont celles qui dans notre échantillon cumulent en partie activités de soins et de soutien à l’enfant ayant des besoins spécifiques et activité professionnelle pour subvenir aux besoins économiques de la famille. Ce sont aussi deux de ces mères qui essayent de se réorienter professionnellement par une nouvelle formation.

Après en avoir observé les conséquences sur le partage des rôles entre mère et père, voyons comment la gestion du suivi et des soins à l’enfant influent sur les relations de couple.

Les relations au sein du couple

La présence d’un enfant ayant des besoins spécifiques peut avoir différents types d’effets sur le couple.

En effet, le couple peut se solidariser mais aussi se diviser. Deux couples interviewés ont mis l’accent sur l’aide mutuelle vécue comme positive et source de joie et de résistance devant les défis communs. Ainsi, avoir un enfant avec des besoins spécifiques est considéré comme une épreuve qui peut renforcer le couple. Ailleurs, par contre, cette situation divisera le couple en raison de divergences de perception quant aux besoins spécifiques. Le handicap, la maladie chronique suscitent une réaction non nécessairement partagée des parents. Parmi les mères divorcées, seules deux précisaient que la séparation du couple avait été indépendante de la maladie de l’enfant.

Entre ces deux extrêmes – renforcement des liens et séparation –, il existe une palette de situations dans lesquelles les discussions, les tensions, les conflits peuvent se présenter dans le quotidien, en particulier sous le poids de la surcharge que portent les deux parents dans leurs rôles respectifs. Trois mères divorcées mettaient l’accent sur la perception différente de celle de leur ex, avec des processus divergents d’élaboration et d’acceptation ou de non-acceptation lors de la survenue de la maladie ou du handicap chez l’enfant. Une mère immigrée par regroupement familial décrit aussi des différences d’intervention entre elle et son époux face au comportement de l’enfant – différences qui généraient des disputes entre eux. Cinq parents des trois premiers idéaux-types mettent l’accent sur le fait que les disputes du couple sont causées surtout par leur surmenage, leur manque de répit de part et d’autre. Dans ces cas, les rôles parentaux stéréotypés font que la mère assume seule, pendant plusieurs heures par jour, l’accompagnement et la gestion des besoins ou du comportement problématique de l’enfant, tandis que le père travaille à temps plein, voire supplémentaire. Ainsi, le père comme la mère se retrouvent épuisés même si leur quotidien n’est pas identique. Des études empiriques sur la question montrent que le fait d’avoir un enfant ayant des besoins spécifiques affecte davantage les mères que les pères, à la fois sur le plan professionnel qu’en termes de bien-être psychologique (Warfield, 2005 ; Olsson et Hwang, 2006 ; Wendelborg et Tøssebro, 2010), et ce, indépendamment de l’appartenance culturelle (Samadi et McConkey, 2014). Nos données montrent de façon transversale que l’isolement des mères, la surcharge de travail, des problèmes de sommeil ou les préoccupations pour l’avenir de l’enfant et des autres enfants de la fratrie sont des facteurs favorisant la dépression psychologique de celles-ci. Ces facteurs sont manifestes chez plusieurs familles de notre échantillon, quelles que soient les caractéristiques migratoires.

Plusieurs hommes, soit ceux dont la femme est arrivée par regroupement familial, soit ceux figurant parmi les nouveaux immigrés, soutiennent leur femme dans l’idée qu’elle s’engage dans une activité professionnelle en dehors de la famille afin de sortir de l’isolement et de la dépression. On pourrait d’un côté interpréter cette donnée comme une volonté de la part de ces hommes de se conformer au modèle norvégien de dual-breadwinner ou state-carer (Pfau-Effinger, 1999, p. 63), et d’un autre côté comme une expression de la lourdeur des pressions économiques familiales au sein d’un système basé sur le revenu binaire et un coût de la vie élevé.

Les relations avec les autres enfants

De façon transversale, c’est-à-dire indépendamment du temps de résidence et de la situation familiale, plusieurs parents décrivent des vécus de souffrance parmi les autres enfants de la fratrie, dus à la fois aux contraintes temporelles des parents et aux situations conflictuelles que le comportement de l’enfant à besoins spécifiques peut engendrer. Le rôle de parent s’élargit quand l’enfant a des besoins spécifiques : en plus de jouer son rôle traditionnel auprès de l’ensemble de ses enfants, il devient soignant, thérapeute et « contrôleur » du comportement déviant de l’enfant à besoins spécifiques. Son attention devient particulière focalisée sur un des enfants, au détriment des autres. Les parents interviewés soulignaient, en effet, leur sentiment de culpabilité devant leur manque d’attention accordée aux autres enfants. Cela rejoint les conclusions des recherches s’intéressant aux effets de la présence d’un enfant à besoins spécifiques sur la vie de famille : elles indiquent un stress considérable sur l’ensemble de la famille immigrée (Piérart, 2013). Les récits recueillis par nous montrent que des frères ou sœurs réagissent par une demande d’attention explicite à leurs parents ou une demande de manifestation de l’amour parental. Ils décrivent aussi une irritation chez les autres enfants devant le comportement de l’enfant à besoins spécifiques – lequel nuit, par exemple, à leur concentration à l’heure des devoirs. Ces frères et sœurs ont souvent aussi moins l’occasion d’inviter des amis à la maison du fait du comportement exigeant de leur frère ou de leur sœur. Deux mères insistent sur l’importance d’éduquer la fratrie au respect, à la tolérance vis-à-vis de l’enfant et de son comportement spécial, et à la responsabilisation, par exemple en essayant d’inclure l’enfant à travers des activités ludiques. Néanmoins, toutes les difficultés ne sont pas uniquement liées à la présence d’un enfant à besoins spécifiques : un père d’une famille récemment immigrée avec plusieurs enfants d’âge scolaire souligne les difficultés de l’enfant aîné (adolescent) en bonne santé à accepter la nouvelle situation de la famille et à s’adapter aux changements causés par la migration, et non pas à la présence d’un frère ou d’une sœur ayant des besoins spécifiques (famille 2). Des recherches montrent que la capacité de résilience de la famille est un facteur déterminant d’adaptation de la fratrie, et relèvent l’importance de l’implication familiale et parentale dans le processus d’ajustement de la fratrie (Giallo et Gavidia-Payne, 2006). Notons aussi que même lorsque la famille élargie est présente (famille 3), avec par exemple les grands-parents qui s’occupent des autres enfants de la fratrie, ceux-ci manifestent toujours la volonté de faire l’objet d’une attention équivalente de la part de leurs parents.

Les familles les plus anciennement installées en Norvège (famille 3) sont celles qui jouissent d’une plus grande stabilité économique, d’une maîtrise plus fine de la langue et d’un réseau familial facilitant davantage la prise en charge de l’ensemble de la fratrie.

Les relations avec la famille élargie

De nombreuses études en sociologie de la famille ont souligné l’importance pour le couple parental du soutien de la famille élargie, et notamment celui des grands-parents. Or, concernant les familles immigrées ayant un enfant avec des besoins spécifiques, plusieurs études ont montré que la situation de ces familles était particulièrement complexe et mettent en relief leur sentiment d’isolement et de solitude (Fladstad et Berg 2008 ; Kittelsaa 2012a ; Berg 2014). L’étude de Kittelsaa (2012b) sur les parents immigrés montre que pour la majorité des familles, le support de la famille élargie relève davantage du mythe car s’ils reçoivent de l’aide de leurs proches, cela relève davantage de l’exception que d’une aide continue, étant donné que la famille immigrée élargie est souvent aussi occupée par son propre quotidien, comme toute autre famille.

Pour les familles immigrées de notre étude, les relations avec la famille élargie semblent complexes. Chez les familles d’immigration récente, une majorité de la famille élargie vit dans le pays d’origine. Cela renforce le sentiment d’isolement et d’épuisement du couple parental, qui ne peut bénéficier d’aucun soutien réel même si les appels téléphoniques et les nouvelles technologies de communication permettent, de bénéficier d’un soutien affectif et psychologique non négligeable.

Les familles immigrées par regroupement familial, celles de deuxième génération ainsi que certains divorcés d’origine pakistanaise ou vietnamienne bénéficient de la proximité avec leur famille élargie. Ces relations parfois complexes ont une influence sur le recours ou le non-recours à la famille élargie. Les grands-parents peuvent soutenir le couple parental, surtout à travers l’aide aux enfants sans besoins spécifiques. Pour certaines familles disposant d’une famille élargie à proximité, on note des sentiments ambivalents de la part des parents ou des beaux-parents, oscillant entre le soutien et la honte d’avoir un petit-enfant ayant des besoins spécifiques. Trois mères (familles 3 et 4) remarquent combien l’aide inconditionnée de leur propre mère a été un grand soutien dans les premiers temps après le diagnostic de l’enfant. Dans la tradition pakistanaise, l’épouse va normalement vivre avec la famille du mari (Sørheim, 2006, p. 228). Se rapprocher de la lignée maternelle peut alors être vécu comme difficile pour certains parents.

Les relations avec les services sociaux

Le soutien des services sociaux est présenté par les parents comme un facteur complémentaire important pour le bon fonctionnement de la gestion familiale des problèmes de santé. Les politiques municipales orientées vers les enfants ayant des besoins de soins supplémentaires peuvent aller dans deux directions : des transferts monétaires minimaux, qui facilitent les soins à domicile par les parents, ou des services « d’aide aux aidants », qui peuvent faciliter l’emploi des parents (Brekke et Nadim, 2017). D’un quartier à l’autre, nos données montrent des variations notables dans les services fournis et dans l’évaluation des besoins d’aide par les professionnels. Cela était déjà mis en évidence dans d’autres études (Eriksen, 2003), et il semble donc qu’il n’y ait pas eu de changement dans la dernière décennie. La majorité des femmes, quelle que soit la configuration familiale, voudraient travailler au moins à temps partiel aussi bien pour leur propre bien-être psychosocial que pour faciliter le budget familial. Une étude norvégienne de l’an 2000 sur des familles pakistanaises avec des enfants ayant des besoins spécifiques montrait en effet un désir de renforcement du rôle de la mère au foyer et une distance plus grande des parents à l’égard de l’aide sociale publique à travers « l’aide aux aidants » (Sørheim, 2000). L’aide sociale par l’entremise de « l’aide aux aidants » est malgré tout décrite dans notre étude comme fondamentale, surtout pour que l’attention des parents soit portée adéquatement sur tous les enfants de la fratrie. C’est ce qui ressort des différents idéaux-types. L’« aide aux aidants » serait cruciale dans les familles divorcées où la mère gère seule le suivi des enfants. Goussot et al. (2012) indiquent, dans une recension relative aux familles d’enfants autistes, l’importance d’une évaluation précoce de la situation familiale ainsi qu’une prise en charge précoce des parents. Cette étude montre également que l’accès aux ressources d’aides extrafamiliales est déterminant pour la bonne gestion familiale des problèmes de santé afin de favoriser le bien-être des parents, d’ailleurs décrit comme garant du bon développement social à venir de l’enfant.

Mêmes si les données montrent des variations d’un quartier à l’autre et même si les parents reçoivent l’aide d’un coordonnateur externe lié à un « groupe de responsabilité », les processus d’accès à ces ressources s’avèrent complexes et difficiles pour la majorité des familles. La barrière linguistique, le manque de connaissance du système d’aide mais aussi, pour certains parents, l’attitude de l’employeur, des représentants de l’aide publique, la bureaucratie et la fragmentation des services sont des défis que les familles issues de l’immigration doivent relever. L’accès aux ressources peut exiger des parents un temps et une énergie inestimables, et être vécu comme un obstacle plutôt que comme une aide. Une nouvelle étude canadienne rejoint nos données et montre la difficulté d’accès à plusieurs services par des mères immigrées avec un enfant autiste, à la fois en raison de la lenteur du processus de diagnostic, de problèmes de langue et de communication, de la fragmentation des services, et d’un réseau social limité (Khanlou et al ., 2017).

Comme nous le mentionnions plus haut, les problèmes ne relèvent pas du statut administratif des familles immigrantes, puisqu’elles ont les mêmes droits que les familles norvégiennes. Des études montrent par ailleurs que les familles norvégiennes peuvent aussi vivre des expériences difficiles quant au respect de ces droits (Kittelsaa et Tøssebro, 2014). Nos résultats rejoignent néanmoins ceux d’études précédentes en ce qui a trait aux défis liés à la double vulnérabilité des familles immigrantes (Fladstad et Berg, 2008 ; Berg, 2014 ; Khanlou et al. , 2017) ; notre étude démontre des tensions identiques en dépit de l’hétérogénéité migratoire. Nos résultats s’apparentent aux modèles décrits par Bouchard et al. (1996) pour rendre compte de la collaboration entre familles et professionnel-le-s de l’éducation spécialisée. En effet, les relations entre les familles immigrées et les services sociaux sont marquées par une dichotomie forte au niveau de l’expertise des professionnel-le-s, ce qui nuit à la collaboration mutuelle en vue de l’octroi des soutiens.

Conclusion

L’étude montre que la vie familiale quotidienne est perturbée et redéfinie par le besoin accru de suivi de l’enfant ; on voit alors apparaître une « famille soignante » où l’enfant est au centre des préoccupations. Les relations sociales (notamment, le travail ou le maintien d’un réseau d’amis) ainsi que « l’aide aux aidants » restent des ressources précieuses pour faire face aux défis qu’entraînent le handicap ou la maladie chronique de l’enfant. Par nécessité, la gestion familiale du suivi de l’enfant s’alimente au quotidien par des aides pratiques et des soutiens sociaux, familiaux et professionnels. Ceux-ci sont souvent variés et complémentaires, afin que la « famille soignante » puisse faire l’équilibre entre les soins à l’enfant et l’épanouissement de chacun de ses membres. Cet objectif, cependant, dans bien des situations des familles immigrées, ne dépasse par le stade de projet ; la réalité montre que plusieurs mères n’atteignent pas cet équilibre et qu’au contraire, leur santé psychosociale en est souvent affectée. En effet, ce sont les mères, indépendamment des différents processus migratoires de la famille, qui sont au centre de la prise en charge de l’enfant, et ce, quelle que soit leur situation sur le marché de l’emploi. Elles semblent être une variable d’ajustement entre l’équilibre économique de la famille et les aspirations et besoins de chacun de ses membres.

Nous intéresser aux familles immigrées, dans un contexte norvégien réputé pour son égalitarisme homme-femme plus répandu qu’ailleurs (Aarseth, 2009), nous a permis de mettre en lumière les tensions identitaires d’individus confrontés à une situation familiale et professionnelle pour laquelle rares sont ceux qui peuvent bénéficier d’un étayage suffisant. Au-delà de l’objectif politique, cet égalitarisme est aussi lié à des besoins et des contingences matérielles et économiques en raison desquels il est nécessaire que les deux conjoints exercent une activité professionnelle rémunérée. Pour les familles immigrées dont un enfant a des besoins spécifiques, la question du travail aussi bien pour les hommes que pour les femmes est centrale tant elle montre la nécessité des bricolages, à la fois pour l’adaptation au mode de vie du pays d’accueil et pour sortir de la « famille soignante ».