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Introduction

Le traumatisme craniocérébral (TCC), par son caractère inattendu, bouleverse la vie des adolescents ainsi que celle de leur famille. Il s’agit aussi d’une situation déchirante pour les professionnels de la santé qui vivent un profond malaise et de l’impuissance devant la souffrance de ces familles (Lefebvre et Levert, 2005). Les incapacités physiques, cognitives et affectives vécues par l’adolescent TCC vont affecter le fonctionnement et la dynamique familial pour de nombreuses années, sinon toute la vie (Lefebvre, Pelchat, Kalubi et Michallet, 2002; Lefebvre, Pelchat, Swaine, Gélinas et Levert, 2004; Pelchat et Lefebvre, 2004). L’expérience de ces familles est d’autant plus difficile à vivre que le TCC est une situation de santé complexe pour laquelle le pronostic est longtemps incertain et la réadaptation difficile ayant pour résultat l’apparition progressive d’incapacités, de problèmes médicaux, sociaux et humains (DePalma, 2001; Khan, Baguley et Cameron, 2003; Taylor, Wade, Stancin, Yeates, Drotar et Minich, 2002).

Chez les enfants et les adolescents, le TCC demeure l’une des premières causes de mortalité, de morbidité ou de séquelles permanentes, et ce, tant au Canada qu’aux États-Unis et en Angleterre (Colantonio, Dawson et McLellan, 1998; Garcia, Krankowski et Jones, 1998; Levin et Hanten, 2005). Par exemple, au Canada le TCC représente, chez cette clientèle, un taux de morbidité d’environ 30 % (Bourque, 2000; Friedman et Schopflocher, 1999; Statistique Canada, 2004). Au Québec, peu de données sont disponibles en ce qui concerne le taux de prévalence du TCC. Toutefois, il appert qu’entre 1988 et 1992, il y a eu en moyenne chaque année 4 753 jeunes ayant subi un TCC et qu’entre 1994-1995, 1 261 TCC ont été répertoriés chez les 0-14 ans (Fréchette, 1996). De plus, le nombre de TCC par année pour l’ensemble de la population québécoise est estimé à environ 13 000, la clientèle enfants-adolescents représentant le tiers de ce groupe (Gadoury, 2001).

Il ne fait aucun doute, dans les écrits recensés, que les traumatismes à la tête occasionnent des effets persistants sur les plans neurologique, cognitif, comportemental ainsi que social, et ce, à plus long terme (Anderson, Catroppa, Haritou, Morse et Rosenfeld, 2005; Colantonio et al., 1998; Hanks, Temkin, Machamer et Dikmen, 1999; Khan et al., 2003; Levin et al., 2005; Taylor et al., 2002). Ainsi, il est clair que le TCC modéré aura des conséquences négatives dans plusieurs sphères de la vie. Ces conséquences, bien que majeures à n’importe quel moment de la vie, le seront différemment et peut-être davantage lorsque le TCC survient à l’adolescence. En effet, l’adolescence est une période charnière de la vie d’un individu au cours de laquelle ce dernier vit la transition vers le jeune adulte. Ainsi, celui-ci engendre de nombreux besoins liés à cette étape de la vie qui représente de nouveaux défis et d’autres inquiétudes tels que l’accès au travail, la scolarisation, les activités de loisirs ainsi que la vie affective et familiale (Alvin, 2005; Cimon, Tétrault et Beaupré, 2000).

En conséquence, parce qu’il s’agit d’une période de développement majeur, un TCC qui se produit à ce moment peut entraîner une difficulté de l’adolescent à construire sa propre identité et rendre laborieuse la participation à ses rôles sociaux (Alvin, 2005; Cimon et al., 2000; Colantonio et al., 1998; Laloua, 2006; Lovasik, Kerr et Alexander, 2001). D’ailleurs, les rôles sociaux font partie du processus de socialisation qui conduit à l’intégration d’un individu à un groupe donné (Albrecht, Chadwick et Jacobson, 1986; Heiss, 1993). La reprise des rôles sociaux caractérise de façon opérationnelle l’intégration sociale de ce dernier. Par exemple, il a été démontré que les séquelles cognitives et comportementales laissées par le TCC constituent, chez l’adolescent, les principales causes d’échec à la réinsertion sociale, familiale, scolaire et professionnelle (Laloua, 2006). De ce fait, les adolescents ayant subi un TCC modéré ont besoin d’être soutenus lors de la reprise de leurs différents rôles sociaux.

Or il appert que peu d’études se sont intéressées spécifiquement à l’inclusion sociale des adolescents dans le contexte d’un TCC modéré (Colantonio et al., 1998; Hawley, Ward, Magnay et Mychalkiw, 2004; Khan et al., 2003). Bien que certaines études aient, par ailleurs, traité des adolescents souffrant d’un autre problème de santé, par exemple le cancer, l’asthme ou la fibrose kystique, celles-ci ne faisaient pas état de leur inclusion sociale, mais plutôt de leurs difficultés ainsi que de leurs besoins en matière de services et de soins de santé (Esmond, 2000; Hollis et Morgan, 2001; Ishibashi, 2001; Kari, Donovan, Li et Taylor, 1999; Whelan, 2003). Pourtant, il a été clairement démontré que les TCC modérés et sévères ont une incidence élevée chez les jeunes âgés de 15 à 19 ans (Colantonio et al., 1998; Lovasik et al., 2001), d’autant plus que cette catégorie d’âge représente à elle seule plus de 50 % de la clientèle enfants-adolescents recevant des services de réadaptation au Québec (Bourque, 2000). L’inclusion sociale des adolescents ayant vécu un TCC modéré est donc une problématique importante, mais pour laquelle les connaissances sont peu développées.

But

Le but de cette étude consiste à explorer les perceptions d’adolescents, de leurs parents et de professionnelles quant à l’inclusion sociale d’adolescents ayant vécu un TCC modéré, notamment en ce qui concerne la reprise des rôles sociaux une fois le congé définitif du centre de réadaptation obtenu.

Cadre conceptuel

Le cadre de référence retenu est l’approche écologique (Bronfenbrenner, 1979, 1986) adaptée par Lefebvre et Levert (2005) pour la clientèle TCC et utilisée en recherche depuis, car elle met l’accent sur le rôle de l’environnement. Leur principale adaptation porte sur l’ajout de certains éléments pertinents à la clientèle TCC, permettant ainsi de mieux définir chacun des sous-systèmes pour cette clientèle, et ce, plus particulièrement au regard de l’ontosystème et des microsystèmes immédiats qui entourent la personne et qui font l’objet de cette étude. Qui plus est, elles le voient comme un système complexe où l’ensemble des facteurs qui peuvent influencer le développement d’une personne est à considérer, de même que les interactions entre ces différents facteurs. De ce fait, en lien avec ce projet de recherche, l’approche écologique permet de tenir compte des impacts du TCC sur les différentes sphères de la vie des adolescents ainsi que de l’interinfluence du point de vue entre l’adolescent, les parents et les professionnelles de la santé. Il permet d’apporter un éclairage sur les facteurs individuels et ceux liés à l’environnement qui représentent des variables significatives pouvant influencer la dynamique individuelle et familiale. Ce modèle, fondé sur la capacité d’agir des acteurs et centré sur les compétences et les habiletés de la personne ainsi que de ses proches, s’est développé ces dernières années, mais demeure peu implanté au Québec (Centre de réadaptation Le Bouclier, 2004; Côté et Hudon, 2005; Gadoury, 2001).

Figure 1

Approche écosystémique

Approche écosystémique
* Tiré et adapté de Bronfenbrenner (1979, 1986) par H. Lefebvre et M.-J. Levert (2005)

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Méthode

L’exploration des perceptions des adolescents, de leurs parents ainsi que des professionnelles quant à l’inclusion sociale d’adolescents ayant vécu un TCC modéré nécessite une approche de recherche qualitative. En effet, ce type d’approche permet de comprendre un phénomène en profondeur selon la perspective des participants, et ce, par la collecte de récits riches tout en utilisant un cadre de recherche flexible (Fortin, Côté et Filion, 2006; Loiselle, Profetto-McGrath, Polit et Beck, 2007). De plus, cette recherche est descriptive de type exploratoire, au sens où le principal objectif consiste à documenter les perceptions des différents participants par rapport à un concept qui est peu abordé dans la littérature, et ce, selon le point de vue de ces derniers (Fawcett et Downs, 1992; Fortin et al., 2006). En d’autres termes, elle vise à décrire les perceptions des personnes choisies en fonction de leur expérience personnelle particulière et permet ainsi de se familiariser avec celles-ci et leurs préoccupations (Poupart, Deslauriers, Groulx, Lapperrière, Mayer et Pirès, 1997).

Cette étude fait appel à une démarche de coconstruction de la réalité dans une approche interdisciplinaire (Tochon, 1996) et qui s’inspire du paradigme constructiviste (Crotty, 1998; Guba et Lincoln, 1985, 1989; Neuman, 2000; Schwandt, 2001). Ce paradigme met en lumière le fait que les individus cherchent à comprendre le monde dans lequel ils vivent. Ainsi, ces derniers développent une vision subjective de leur expérience. De plus, le but de la recherche étant de s’appuyer autant que possible sur la vision des participants, il appert essentiel que les questions du chercheur ou de la chercheure soient de nature générale pour que les participants puissent construire leur propre signification de la situation, une signification qui se forgera par des discussions et des interactions avec d’autres personnes (Burns et Grove, 2009). Ainsi, le chercheur constructiviste vise avant toute chose la compréhension et l’interprétation de l’expérience vécue par les participants concernés par l’étude. De ce fait, les connaissances issues de cette étude seront considérées comme des coconstructions générées de l’interaction entre chercheur et participants (Guba et al., 1985, 1989).

Population et échantillon

L’échantillon est composé de trois adolescents, deux filles et un garçon, âgés de 14 à 15 ans ayant vécu un TCC modéré. L’échantillon inclut aussi deux mères ainsi qu’un couple de parents, père et mère, ceux-ci accompagnant leur adolescent dans son processus de réadaptation, de même qu’un groupe de quatre professionnelles impliquées auprès de cette clientèle lors de la phase de réadaptation fonctionnelle ou celle de l’insertion sociale, soit une infirmière, un travailleur social, un ergothérapeute et un éducateur spécialisé. Tous ces participants sont recrutés dans un centre de réadaptation spécialisé pour la clientèle pédiatrique de la région de Montréal.

Une méthode d’échantillonnage par choix raisonné constitue la principale façon de procéder pour la sélection des participants à l’étude. Ce type d’échantillonnage consiste en fait à choisir certains participants en fonction d’un trait caractéristique (Lobiondo-Wood, Haber, Cameron et Singh, 2009). L’échantillon des adolescents, des parents et des professionnelles s’appuie également sur le principe de diversification (Glasser et Strauss, 1967; Poupart et al., 1997) qui consiste à obtenir un éventail d’expériences en s’assurant de la diversité des caractéristiques des participants. Chaque famille possède une expérience qui lui est propre et s’adapte de façon personnelle à la situation, ce qui permet d’obtenir une grande variété d’informations (Glaser et al., 1967; Poupart et al., 1997). Les professionnels jouant un rôle important tout au long du processus de réadaptation et leurs perceptions étant souvent différentes de celles des familles (Lefebvre, Pelchat et Héroux, 2003; Lefebvre, 2006), il est important de connaître leurs perceptions par rapport à ce que vivent les adolescents.

Voici un bref portrait des participants à l’étude. Notons que ceux-ci sont appelés par des pseudonymes.

La première famille est composée de la mère Hélène et de sa fille Sophie. Elles sont d’origine québécoise. En 2006, Sophie a eu un accident de ski provoquant un TCC modéré. Cette famille avoue avoir trouvé la période suivant l’accident difficile, mais admet avoir reçu les services et l’aide nécessaires, si bien que Sophie a pratiquement récupéré des séquelles de son TCC, et ce, de façon rapide. La deuxième famille est composée de la mère Johanne et sa fille Karine. Elles sont d’origine arménienne. En 2004, elles ont eu un violent accident de la route occasionnant chez Johanne d’importantes blessures physiques et un TCC modéré chez Karine. La particularité de cette famille est que Johanne a aussi été hospitalisée, ce qui l’a éloignée de sa fille les quelques mois suivant l’accident. Finalement, la troisième famille est composée de la mère Lorraine, du père Réal et de leur fils Luc. Ils sont d’origine québécoise. En 2006, Luc a eu un accident de vélo et subi un TCC modéré. Cette famille a vécu, et vit difficilement aujourd’hui encore, les séquelles multisystémiques laissées par le TCC.

Collecte des données et déroulement de l’étude

Les adolescents et leurs parents répondant aux critères d’inclusion ont d’abord été contactés par une personne ressource du centre de réadaptation afin de leur proposer de participer au projet de recherche. Ceux ayant accepté ont ensuite été contactés par l’investigateur qui leur a présenté le projet d’étude, sa procédure (but de l’étude et moyens de l’atteindre) et répondu à leurs questions. Un rendez-vous a ensuite été fixé pour une entrevue individuelle à leur domicile dans les semaines suivantes, ce qui a laissé le temps nécessaire à la personne de réfléchir aux implications de sa participation et aux précisions à apporter. Les thèmes qui ont été abordés lors de l’entrevue sont les suivants : l’expérience de l’adolescent en tant que personne (ontosystème), l’expérience du TCC au sein des microsystèmes « famille », « amis », « environnement », « école » et « loisirs ».

Par la suite, pour les professionnelles répondants aux critères d’inclusion, les mêmes modalités de recrutement ont été appliquées, à l’exception qu’il leur a été proposé de participer à un groupe de discussion. D’une durée d’environ 180 minutes, le groupe de discussion s’est tenu au centre de réadaptation choisi et portait sur les mêmes thèmes que ceux abordés auprès des adolescents et de leurs parents. Un groupe de discussion consiste en un échange de propos entre les participants sur un sujet donné (Chamberland, Lavoie et Marquis, 2003). Celui-ci permet de recueillir de façon simultanée la perception des professionnelles tout en favorisant des échanges constructifs entre eux. Cette méthode permet de donner une voix aux participants dans l’exploration des situations de la vie quotidienne qui rend compte du caractère évolutif et complexe de la vie (Krueger, 1994; Muchielli, 2004). Elle est l’occasion d’apprendre, de réfléchir et d’entrer en contact avec le point de vue des professionnelles sur l’expérience que vivent l’adolescent et sa famille dans le contexte du TCC modéré (Guba et al., 1989; Muchielli, 2004).

Lors de la rencontre au domicile de l’adolescent et de son parent, le formulaire de consentement a été signé et le questionnaire des données sociodémographiques a été rempli. Ce dernier a permis de recueillir des données, de façon non nominale, sur les participants telles que l’âge, le niveau d’éducation et le réseau familial. Ensuite, une entrevue individuelle simultanée, d’une durée moyenne de 45 minutes, a été réalisée. Les entrevues auprès des adolescents et de leur parent ont été effectuées séparément, mais de façon simultanée, soit par l’investigateur ainsi que par une personne ressource qu’il a rigoureusement encadrée. Cette manière de fonctionner a permis ainsi à chacun de se sentir à l’aise, de s’exprimer librement et a évité la contamination des données respectives par chacun en plus de respecter leur expérience personnelle. Ces entrevues visaient à explorer les perceptions des adolescents, de leurs parents ainsi que des professionnelles impliqués dans l’inclusion sociale d’adolescents ayant un TCC modéré, et ce, par rapport aux thèmes mentionnés précédemment. Tout au long de la rencontre, l’investigateur et sa personne ressource ont validé auprès du participant les mots, les évènements, les circonstances du phénomène qu’ils ne saisissaient pas de manière à bien s’introduire dans son récit (Burns et al., 2009; Fortin et al., 2006; Loiselle et al., 2007; Poupart et al., 1997). Enfin, les entretiens ont été enregistrés sur bande audio et transcrits. Tout au long de l’étude, un journal de bord a été tenu, consignant les réflexions personnelles de l’investigateur, le déroulement du processus de recherche et tous les éléments pouvant être pertinents à l’analyse des données.

Codification et analyse des données

Une codification ainsi qu’une analyse des données ont été effectuées afin de reproduire le plus fidèlement possible ce que les participants de l’étude ont exprimé à ce sujet. La collecte et l’analyse des données s’inspirent de Patton (2002).Ce dernier affirme que l’enregistrement et la recherche analytique des idées qui émergent au moment de la collecte de données constituent en fait la première étape de l’analyse qualitative. Ainsi, lors de l’étude, l’investigateur a pris en considération les deux points suivants au moment de commencer l’analyse des données recueillies : 1) les questions qui ont émergé durant les phases conceptuelles ainsi que méthodologiques; et 2) les idées ou les interprétations qui ont émergé lors de la collecte de données. Afin d’organiser les données, une approche de structure analytique, qui suppose que les données peuvent être regroupées et décrites en des concepts qui ont du sens, a été utilisée pour analyser le contenu obtenu auprès des participants de cette étude (voir tableau 1).

Tableau 1

Codification et analyse des données

Codification et analyse des données
* Tiré et adapté de Patton (2002) par J. Gauvin-Lepage (2009)

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Suivant cette analyse qui consiste, de façon générale, à décrire les perceptions des adolescents, de leurs parents ainsi que des professionnelles quant à l’inclusion sociale des adolescents qui ont vécu un TCC modéré, une synthèse visant à comparer les points de vue des uns et des autres a été effectuée. Elle visait principalement à faire ressortir les ressemblances ainsi que les différences. Il importe de noter que la validité interne des verbatims a été assurée par une chercheure externe, celle-ci ayant effectué le contre-codage. Enfin, les notes cursives prises lors des témoignages des participants et dans le journal de bord ont aussi été analysées afin de trianguler les données. Autrement dit, ces différentes sources d’informations ont été mises en relation afin de rechercher les concordances, constituant un autre moyen de s’assurer de la justesse des données (Denzin et Lincoln, 2008; Poupart et al., 1997).

Critères de scientificité

L’étude s’appuie sur les critères de scientificité suivants : 1) la crédibilité est assurée par la synthèse des notes cursives; 2) la transférabilité est assurée par la description détaillée du contexte de l’étude, rendant ainsi possible au lecteur de comprendre et de prévoir une situation similaire dans un contexte semblable; et 3) la constance est atteinte, car tous les changements effectués dans le processus de recherche sont consignés (Guba et al., 1985, 1989; Poupart et al., 1997). Par ailleurs, comme abordé précédemment, l’investigateur a tenté d’appliquer le principe de diversification, mais il lui a été difficile de l’atteindre étant donné le recrutement. Aussi, ce dernier n’arrivait pas à une saturation des données. En effet, il y avait un début de redondance sur certains thèmes, mais non sur l’ensemble des thèmes énoncés. Enfin, la validité des résultats a été assurée par la triangulation de diverses sources de données : verbatims, notes manuscrites et journal de bord. De plus, cherchant à confronter les subjectivités, l’investigateur a obtenu la validation des analyses par une chercheure externe.

Considérations éthiques

Le projet a été soumis, pour approbation, au comité d’éthique de la recherche dont est membre le centre de réadaptation choisi. L’investigateur s’est assuré, afin que les participants signent un consentement libre et éclairé, de réexpliquer formellement le but, la démarche et les finalités de la recherche. Il s’agissait d’un seul formulaire pour les deux participants étant donné que les adolescents étaient mineurs et que les parents devaient donner leur assentiment pour qu’ils participent à un projet de recherche. De plus, en tout temps, le participant pouvait cesser de collaborer au projet sans subir de préjudice et sans raison à fournir. Aussi, la confidentialité des données a été assurée. Enfin, les enregistrements et les documents écrits sont conservés sous clé puis seront détruits une fois que le délai de conservation légal exigé sera expiré.

Constats et discussion

Les adolescents rencontrés, soit deux filles et un garçon, sont âgés de 14 à 15 ans. Ils ont tous vécu un TCC modéré et le temps écoulé depuis l’accident, lors de l’étude qui s’est déroulée en 2007, varie d’un an à trois ans. Ces jeunes ont tous terminé leur primaire et sont présentement aux études secondaires à temps plein. Quant aux parents, deux mères, l’une séparée et l’autre mariée, et un couple de parents en union de fait, père et mère, ont été rencontrés. Ils sont âgés de 30 à 49 ans. Deux d’entre eux détiennent un diplôme de niveau universitaire, alors qu’un autre a un diplôme de niveau secondaire et un autre, de niveau collégial.

Quant aux professionnelles, quatre femmes ont été rencontrées et celles-ci étaient âgées de 40 à 59 ans. Trois d’entre elles détiennent un diplôme de niveau universitaire. Leurs spécialités sont les suivantes : travailleuse sociale, éducatrice spécialisée, infirmière et ergothérapeute. Une seule professionnelle rencontrée compte entre de 20 à 25 années de pratique clinique, alors que les trois autres ont plus de 25 années de pratique. Deux d’entre elles ont de 16 à 20 années d’expérience avec la clientèle enfant/adolescent TCC, alors qu’une autre a moins de cinq années et qu’une autre a plus de vingt années d’expérience. La moitié de ces professionnelles oeuvre à temps partiel et l’autre moitié, à temps plein. Elles travaillent toutes au centre de réadaptation choisi.

L’expérience de l’adolescent en tant que personne (ontosystème)

Les familles, soit les adolescents ainsi que leurs parents, et les professionnelles rencontrées affirment que le TCC a des conséquences d’ordres neurologique, cognitif, comportemental et social. En effet, ceux-ci ont parlé de fatigabilité, de difficulté de concentration, d’impulsivité, de désinhibition, de difficultés touchant la communication, telle l’aphasie, ainsi que des difficultés d’apprentissage, et ce, de façon fréquente. À titre d’exemple de propos recueillis, une adolescente affirme : « Au début, je cherchais souvent mes mots », tandis qu’un adolescent rapporte : « J’ai plus de difficultés à me concentrer depuis mon accident. Je me fatigue plus vite. », et ajoute : « À cause de l’accident, je pouvais dire n’importe quoi. Je pouvais dire quelque chose en pleine face à quelqu’un… je n’étais pas de même avant. »

Malgré tout, les familles l’ont également mentionné lors des rencontres, ces conséquences seront, pour la plupart, temporaires. « Ça a pris genre six mois avant que je sois moins pire », poursuit cet adolescent. La mère d’une adolescente, quant à elle, dit : « Tout est revenu égal. J’étais sûre que ça ne reviendrait pas. Sûre, sûre […] c’était impossible. Mais non, c’est revenu, après quelques semaines, peut-être un mois ou deux. » L’adolescent TCC modéré est, en effet, capable de récupération rapide. Il n’en demeure pas moins que certaines conséquences, parfois bien subtiles, peuvent persister. « Il fait des erreurs de jugement, il prend de mauvaises décisions. C’était pourtant un enfant réfléchi avant. Mais est-ce que c’est la nature ou c’est l’accident qui fait ça? », s’interroge un couple de parents. Sur ce point, les professionnelles sont du même avis que les familles, au sens où ces dernières peuvent avoir de la difficulté à reconnaître les conséquences laissées par le TCC. « Il va rester des miettes, des petites miettes dans l’engrenage. Ça peut être problématique des fois parce que justement, ce n’est pas visible », affirme une professionnelle.

La littérature recensée à ce sujet corrobore les perceptions manifestées par les adolescents, leurs parents et les professionnelles. En effet, bon nombre d’études ont mis en évidence la myriade d’impacts que peut avoir le TCC sur les différentes sphères de la vie de l’adolescent (Colantonio et al., 1998; Friedman et al., 1999; Hawley et al., 2004; Laloua, 2006; Light, McCleary, Asarnow, Satz, Zaucha et Lewis, 1998; Thompson et Irby, 2003). Que ce soit d’ordres neuropsychologique et psychique (Bourque, 2000; Hanks et al., 1999), cognitif (Khan et al., 2003; Shanmukhi et Panigrahi, 2003) ou comportemental (McLean, Dikmen et Temkin, 1993), les adolescents TCC modéré doivent désormais apprendre à vivre avec ces conséquences qui surviennent dès les premières semaines et qui se sont résorbées, pour la plupart, au cours des premiers mois suivant l’accident. Par ailleurs, il est clair que celles-ci sont directement liées au degré de sévérité du TCC et qu’ainsi, de façon générale, un TCC modéré aura des impacts d’une force et d’une durée différentes qu’un TCC léger ou sévère (NIH Consensus Development Panel on Rehabilitation of Persons with Traumatic Brain Injury, 1999).

Aussi, les professionnelles notent, ainsi que deux familles interrogées, l’impact du TCC sur l’estime de soi à cette étape majeure du développement qu’est l’adolescence. Il s’agit d’une période de fragilité et le tout est exacerbé par le TCC. Ainsi, les adolescents deviennent très sensibles aux commentaires et aux regards des autres, rendant alors parfois difficile de se forger une bonne estime d’eux-mêmes. « Le sentiment d’appartenance, être pareil comme les autres. L’adolescent doit s’identifier au groupe », affirme une professionnelle.

Différents auteurs le rapportent, lorsqu’un TCC survient à cet âge, celui-ci aura de nombreux impacts sur la maîtrise des fonctions exécutives et le développement de l’identité, de l’estime de soi ainsi que de la confiance (Alvin, 2005; Bourque, 2000; Cimon et al., 2000; Laloua, 2006). En conséquence, le TCC limitera l’accès à l’autonomie de même qu’à l’indépendance et ceci aura un impact sur les choix de carrière et l’acquisition des rôles sociaux.

Par ailleurs, les professionnelles confirment la difficulté que peuvent éprouver les familles à différencier certains traits caractéristiques de l’adolescence versus les conséquences que peut amener le TCC. Ceux-ci soutiennent en effet qu’il existe une différence entre les deux, mais qu’elle n’est pas toujours facile à cerner. « De fait, ce n’est pas évident. Mais je pense que la mesure peut être relativement la même : comment l’encadrer, comment l’aider à contrôler ses pulsions, peu importe la raison pour laquelle il est comme ça », affirme une professionnelle. À cela, une autre professionnelle ajoute : « Le jeune, pour lui aussi, c’est difficile de percevoir et d’avoir une reconnaissance de ces difficultés-là qui sont légères, qui sont subtiles. » Il est effectivement reconnu que l’adolescence amène une multitude de changements sur le plan psychologique et comportemental. Si un TCC survient au cours de cette période de développement majeur, ce dernier amenant son lot d’impacts comme illustré précédemment, les proches peuvent se sentir déroutés et ainsi solliciter davantage d’informations de la part des professionnels impliqués auprès d’eux.

Les professionnelles font par ailleurs état d’un aspect complémentaire intéressant. En effet, il s’agit des caractéristiques prémorbides, c’est-à-dire les antécédents de l’adolescent et sa famille avant que survienne l’accident qui a engendré un TCC modéré. À ce sujet, les professionnelles affirment que la récupération après les séquelles laissées par le TCC sera facilitée si l’adolescent et sa famille n’avaient pas de problèmes avant l’accident. Par exemple, les professionnelles rencontrées ont affirmé :

La seule chose que nous savons, et nous le savons surtout par expérience, lorsqu’on suit un jeune et sa famille, on sait que si le jeune a de bonnes ressources, rendu à l’adolescence, dépendamment de l’éducation qu’il a reçue, l’expérimentation qu’il en a fait, c’est sûr qu’il va passer plus vite au travers, dépendamment des séquelles. Ça, ajoutent-elles, on sait que c’est un élément important sur sa récupération.

Certains chercheurs se sont, au cours des dernières années, interrogés sur des études qui ont été réalisées sans que les chercheurs aient, au préalable, exclu les participants TCC qui avaient des caractéristiques prémorbides. De fait, pour eux, il est clair que la persistance, ou du moins la présence, de certaines conséquences engendrées par le TCC sont attribuables à des facteurs préexistants chez les enfants et adolescents tels qu’avoir déjà vécu un TCC dans le passé, avoir des antécédents de problème neurologique, d’apprentissage ou psychosocial (Anderson et al., 2005; Light et al., 1998; Ponsford et al., 1999).

L’expérience du TCC au sein du microsystème « famille »

Les propos des familles et des professionnelles supposent la persistance de sentiments, telles la peur et la crainte, chez les parents. « Ils restent inquiètes de moi, ils restent sur leur garde », affirme une adolescente. Ils auraient tendance, selon ceux-ci, à protéger davantage leur adolescent TCC selon les circonstances dans lesquelles s’est déroulé l’accident et les images qu’ils gardent en mémoire. Le parent partage bien souvent les mêmes émotions que son adolescent. En effet, « On est plus peureux avec nos enfants… j’ai toujours peur qu’ils se cognent la tête », dit une mère. Elle ajoute : « J’ai des images, c’est des images qui restent dans ma tête, des flashs qui reviennent. C’est pas l’fun. Alors que ma fille, elle, ne se rappelle plus de son accident. » Les professionnelles affirment également que l’accident aura tendance à créer, tel que l’ont verbalisé deux familles rencontrées, des liens familiaux plus serrés, la famille vivant une sorte de rapprochement qui n’aurait pas existé si l’accident n’était pas survenu. « C’est tendre, explique une professionnelle, les relations… tout ça, c’est serré. »

Toutefois, il ressort que les parents n’ont pas abordé le sentiment de culpabilité qui s’ajouterait à la gamme d’émotions ressenties. « Les mères, les femmes se sentent plus coupables facilement. Le père, lui, ça va être : “J’ai pas su protéger mon enfant” », mentionne une professionnelle. Il est possible d’imaginer qu’une fois de plus, les circonstances dans lesquelles l’accident se déroule ont un lien avec cette notion de culpabilité. Par ailleurs, un adolescent rencontré a abordé le fait que ses parents le culpabilisaient d’avoir eu l’accident lui ayant occasionné un TCC. En effet, l’adolescent a mentionné : « Dernièrement, il [son père] a encore dit : “C’est de ta faute si tu as eu ton accident.” Ça, j’aime pas ça, je lui dis que j’aime pas ça. »

Néanmoins, les auteurs s’entendent tous pour affirmer que le TCC, par son caractère inattendu, bouleverse la vie des adolescents ainsi que celle de leur famille. Il s’agit d’une situation déchirante pour les familles, celles-ci devant désormais apprendre à vivre avec les incapacités physiques, cognitives et affectives qui vont affecter leur fonctionnement et leur dynamique (Lefebvre et al., 2002; Lefebvre et al., 2004; Pelchat et al., 2004). Le TCC est, en fait, une rupture dans un parcours de vie. Celui-ci confrontera l’adolescent et sa famille à de nouvelles réalités auxquelles ils sont peu préparés (François, 2005). L’expérience de ces familles est d’autant plus difficile à vivre que le TCC est une situation de santé complexe pour laquelle le pronostic est longtemps incertain et la réadaptation souvent difficile (DePalma, 2001; Khan et al., 2003; Taylor et al., 2002).

Aussi, les professionnelles ont discuté du soutien parental qui peut être soit adéquat, soit déficient et du fait que la qualité de ce soutien engendrerait une meilleure récupération. Non seulement le soutien parental est important, mais les professionnelles misent également sur le soutien prodigué par la fratrie, car celui-ci aurait une influence positive sur la récupération de l’adolescent TCC. C’est ce qu’affirment les professionnelles : « On voit des grands frères, des grandes soeurs… plusieurs qui deviennent comme un parent pour leur jeune frère ou soeur, qui s’en occupent beaucoup. Ils sont des modèles, le jeune est en admiration devant son grand frère ou sa grande soeur, puis ça, ç’a un impact. »

À ce sujet, il est reconnu que le soutien familial a un impact positif sur la récupération, lorsque celui-ci est adéquat. Un certain nombre d’études ont été menées au cours des dernières années, quelques-unes seulement portaient sur des adolescents TCC et leurs familles (Braga, Da Paz Jr et Ylvisaker, 2005; Bragg, Klockars et Berninger, 1992; Leon-Carrion, Perino et Zitnay, 2006; Malec, 1993), mais plusieurs ont été réalisées auprès de la clientèle adulte souffrant de différents problèmes de santé (Fraser, 2006; Paquet, Bolduc, Xhignesse et Vanasse, 2005; Wong, Lai, Martinson et Wong, 2006). Celles-ci affirment toutes l’importance du soutien familial sur la récupération.

L’expérience du TCC au sein du microsystème « amis »

L’avis des professionnelles et des familles rencontrées quant aux amis est partagé. Plus particulièrement, les professionnelles ont mentionné que l’adolescent TCC perd assurément des amis, que le cercle d’amis change. « Je pense qu’à long terme, ou à très court terme, ils en perdent plusieurs. Les amis ont abandonné parce qu’ils ne retrouvaient pas la même jeune fille ou le même jeune homme qu’avant, il n’est pas aussi in, il ne sort pas de la même façon », affirme une professionnelle. De plus, pour deux des familles rencontrées, leur adolescent avait effectivement perdu des amis. Un adolescent a d’ailleurs mentionné : « Après l’accident, j’en ai perdu des amis… j’ai perdu beaucoup d’amis que ça faisait longtemps que je connaissais. » À l’opposé, une famille a admis que les amis de leur adolescente étaient restés les mêmes, les professionnelles soutenant également que certains adolescents peuvent aussi conserver les mêmes amis. « Mes amis sont restés près de moi », affirme une adolescente. Par ailleurs, les professionnelles affirment que le soutien que peuvent procurer des amis est non négligeable dans la récupération de l’adolescent TCC. « Les amis, dit l’une d’entre elles, peuvent avoir un impact positif de motiver le jeune à aller chez lui les fins de semaine, à acquérir, à travailler des choses. » Ceci rejoint deux familles rencontrées. « Ils m’ont soutenu pas mal, exprime une adolescente. Ils venaient me voir à l’hôpital. » « Je crois, dit une autre, que si j’avais pas eu d’amis que je ne serais pas retournée à l’école. »

Les auteurs l’affirment, le développement de l’adolescent se forge au contact des pairs. Les amis constituent un soutien important dans la transition complexe qu’il vit, les amis étant source d’affection, de sympathie et de compréhension (Bee et Boyd, 2008; Olds et Papalia, 2005). Ceux-ci auront alors un impact majeur lorsqu’un TCC survient chez un des leurs.

Par ailleurs, les professionnelles rapportent une fois de plus l’importance des antécédents des adolescents TCC, ceux-ci ayant aussi un impact par rapport aux amis. « Un jeune qui n’était pas actif socialement, qui n’avait pas de loisirs, qui n’avait pas d’amis, bien là, il n’en aura pas plus », affirme une professionnelle. Ainsi, il appert qu’à nouveau, la préexistence de problèmes chez l’enfant ou l’adolescent a un impact sur la présence et la persistance de certaines conséquences reliées au TCC (Anderson et al., 2005; Light et al., 1998; Ponsford et al., 1999).

L’expérience du TCC au sein du microsystème « environnement »

Les professionnelles sont du même avis qu’une famille interrogée et selon lequel le TCC chez un adolescent amène certainement une dose de curiosité de la part du voisinage, mais cela amène aussi un sentiment de compassion ainsi qu’une certaine forme d’appui. « On avait l’appui de tout le monde, exprime une mère, [on nous disait] : “Si vous avez besoin d’aide, gênez-vous pas”. » À ce sujet, les professionnelles soutiennent que si appui il y a, celui-ci demeure temporaire. « Mais, ça ne change pas tant que ç’a pas rapport à avant… c’est pas mal le reflet de comment c’était avant, s’il y avait de l’entraide, s’il n’y en avait pas », conclut une professionnelle. En bref, ceci rejoint en majeure partie les propos recueillis auprès des familles, c’est-à-dire que celles-ci n’y voyaient pas vraiment de différences notables, si ce n’est que de petits éléments bien mineurs et temporaires.

Les professionnelles ont de nouveau fait état d’un aspect complémentaire intéressant. Ils ont rapporté l’impact majeur que peut vivre un adolescent TCC modéré lorsqu’il retourne dans son même environnement, même milieu social et scolaire. L’une d’elles explique :

Ce n’est pas plus facile pour un TCC modéré de réintégrer son milieu; d’ailleurs, les deux cas de suicide que j’ai eus, c’était chez des adolescents TCC modérés. […] Ils sont remis dans le même groupe. C’est comme si je suis dans un groupe de course olympique et que j’ai une petite blessure, mais je retourne dans ce même groupe, la demande, l’attente est là.

En effet, il est clair, dans la littérature recensée, que le TCC modéré induit des troubles cognitifs et neurologiques, de même que des incapacités sur le plan comportemental, intellectuel et psychologique qui contraignent le retour aux activités quotidiennes, sociales, scolaires et de loisirs que l’adolescent réalisait auparavant (Ewing-Cobbs, Thompson et Miner, 1994). Selon certains auteurs, ces incapacités, qu’elles soient temporaires ou permanentes, affectent le fonctionnement de l’adolescent (Destaillats, Mazaux et Belio, 2005).

L’expérience du TCC au sein du microsystème « école »

Sur ce point, les professionnelles et les familles rencontrées ont un discours, en majeure partie, semblable. D’entrée de jeu, les professionnels de même qu’une famille interrogée admettent l’importance d’une reprise progressive des activités, cette reprise devant respecter le degré de fatigabilité et de concentration de l’adolescent. À ce sujet, une mère affirme : « Elle a fait ses journées, mais avec de petites pauses. Il ne fallait pas qu’elle ait de stress d’examen au début non plus. » Une professionnelle ajoute : « Il faut y aller graduellement parce que sinon, on risque de reculer. Il ne faut pas leur faire vivre un échec puis un trop grand stress. » Aussi, les adolescents possèdent leurs particularités, au sens où ils ne souhaitent pas se faire juger ni se faire identifier comme étant handicapés et ayant besoin de services et d’attention particuliers. « C’est pas comme quelqu’un qui arrive avec un bras cassé, puis une jambe, qui est dans une chaise roulante : “Pauvre petite, on va l’aider”, mais là, ça se passe tout à l’intérieur », soutient la mère d’une adolescente rencontrée. À ce sujet, les professionnelles rappellent l’importance d’éviter de marginaliser les adolescents TCC. L’une d’elles précise : « Les adolescents ne veulent pas être identifiés à : “j’ai besoin d’aide”. Par exemple, ils peuvent refuser d’aller au bureau du psychologue. »

Par ailleurs, le soutien en milieu scolaire peut être différent d’une école à l’autre. La compréhension de la direction et des professeurs à l’égard du TCC est souvent différente de celle des parents. Ainsi, un adolescent peut vivre un TCC modéré et recevoir un excellent soutien, tel que l’a exprimé une famille interrogée : « Elle a eu un bon retour, avec la direction, on a eu beaucoup de collaboration, avec la directrice. » Aussi, un autre adolescent TCC modéré peut avoir un soutien approprié parce que l’accident s’est produit lors d’une activité scolaire et que la direction se sent coupable ou a peur de représailles. C’est le cas d’une famille rencontrée. « C’est certain, dit la mère, que le fait que ça s’est passé lors d’une sortie d’école, tout le monde était là, tout le monde était au courant, les professeurs aussi. » Enfin, un troisième adolescent TCC modéré fréquentant une autre école peut ne recevoir aucun soutien ni compréhension de la part de la direction et de ses professeurs, rendant ainsi son retour à l’école difficile et ses apprentissages quasi impossibles. Telle est la situation d’une famille interrogée dans le cadre de cette étude. « J’étais pas toute là, dit l’adolescent [lors de son retour à l’école], j’étais un peu perdu parce que j’avais pas toute ma tête puis j’étais plus fatigué. » Quant aux parents : « Le transfert à l’école a été une horreur! On est mal tombé, sur du personnel qui manquait de bonne volonté, qui ne voulait pas aider. » Une professionnelle s’exprime dans le même sens : « J’ai déjà entendu de la part d’un professeur, malheureusement […] : “Ah! c’est de valeur, il a eu quelque chose à la tête, ça ne se guérit pas, il a perdu la boule” ou “Il est dangereux”, ou bien “Il n’est pas pire que les autres”. »

Dans la littérature recensée, il appert que plusieurs enfants et adolescents retournent à l’école suite à un TCC sans le soutien nécessaire. Il est également indiqué que la majorité des éducateurs présentent un manque de connaissances de cette clientèle, qu’ils ne connaissent pas les répercussions engendrées par le TCC ou, lorsqu’ils les connaissent, pensent qu’elles ne durent que quelques mois (Hawley et al., 2004). Par ailleurs, d’autres études abordent l’importance de communiquer aux professeurs les informations pertinentes au sujet de l’adolescent TCC, et ce, dans le but de faciliter son retour à l’école (Farmer, Clippard, Luehr-Wiemman, Wright et Owings, 1996; Lepage et al., 2000).

L’expérience du TCC au sein du microsystème « loisirs »

En lien avec les perceptions exprimées par les familles et les professionnelles rencontrées, celles-ci sont d’avis que l’adolescent TCC limite, voire cesse, certains loisirs auparavant pratiqués. La mère d’une adolescente interrogée affirme : « Elle s’empêche encore de faire des choses par peur de tomber. » « Au début, dit une adolescente, je ne m’énervais pas trop. Il fallait que je fasse attention de pas me cogner la tête. Mais j’ai repris il n’y a pas si longtemps mes cours de natation… et ça se passe bien. » Quant aux professionnelles : « C’est une certaine fatigue qui reste, disent-elles, ils n’ont plus d’énergie pour les loisirs. Ils peuvent donc en faire moins qu’avant. »

Ainsi, comme énoncé dans la problématique, peu de recherches se sont intéressées spécifiquement à l’inclusion sociale d’adolescents dans le contexte d’un TCC modéré. En conséquence, les perceptions recueillies lors de cette présente étude consistent en des éléments nouveaux qui sont parfois difficiles de relier à la littérature déjà existante.

Limites de l’étude

Les principales limites de cette étude font référence à l’échantillon et à la méthode. D’abord, l’échantillon est non représentatif, étant constitué majoritairement de filles. Or selon de récentes statistiques, les TCC surviennent davantage chez les garçons que chez les filles. Il est intéressant de se demander si cette situation vient du fait que le recrutement a été difficile. En effet, sur 23 familles répondant aux critères d’inclusion, 12 ont accepté d’être rappelées et sur ces 12 familles, seules trois d’entre elles ont accepté de participer au projet. À titre d’exemple de refus évoqués, quelques parents affirmaient vouloir y participer, mais leur adolescent n’était pas intéressé. D’autres familles, quant à elles, ne souhaitaient pas revenir en arrière, se remémorer de « mauvais » souvenirs, affirmant que l’accident ayant provoqué un TCC chez leur adolescent était du passé. Quant aux professionnelles, l’absence du médecin au groupe de discussion constitue une limite importante. En effet, il aurait été intéressant et pertinent de connaître les perceptions d’un médecin qui compte de nombreuses années d’expérience auprès de la clientèle enfant/adolescent TCC. Bref, il reste que la petite taille de l’échantillon est une limite significative.

Par ailleurs, pour les trois familles interrogées, les événements se sont produits d’un à trois ans auparavant. Il est alors possible que certains faits puissent avoir été oubliés, censurés ou modifiés pour des raisons propres aux participants et que d’autres éléments contextuels n’aient pas été racontés.

De plus, les entrevues avec les adolescents ont été particulièrement difficiles à mener, certaines informations n’ayant pu être obtenues malgré l’utilisation de diverses techniques de communication. Nous pouvons supposer que la durée d’une entrevue, soit de 45 à 50 minutes, ne permet pas d’établir une relation de confiance et de confidence. Les adolescents étant en quête de leur identité et cherchant l’indépendance, il est peut-être normal qu’à leur âge, ils n’aient pas le goût ni l’intérêt de discuter avec des adultes. Tout compte fait, ceci les a rendus, à plusieurs moments, peu loquaces.

Enfin, les adolescents demeurent très centrés sur eux-mêmes et ne se questionnent pas sur ce que peuvent ressentir ou percevoir leurs parents. Ainsi, il est parfois difficile de mettre en relation le vécu des parents et celui de leur adolescent. Toutefois, les résultats, malgré leurs limites, seront utiles au développement et au changement de certaines pratiques, comme le mentionnent les recommandations suivantes.

Recommandations

Les témoignages livrés par les adolescents ayant vécu un TCC modéré, leurs parents et les professionnelles sont riches en confidences, en informations et en conseils. C’est à partir de ces éléments que les recommandations sont proposées.

Les recommandations pour la pratique

Il convient d’abord de mentionner que les résultats de cette recherche se doivent d’être connus non seulement par le personnel soignant pratiquant en réadaptation, mais aussi par tous les professionnels de la santé agissant de près ou de loin auprès de cette clientèle, et ce, dès la phase des soins aigus jusqu’à celle de l’insertion sociale. Par exemple, il est essentiel que les professionnels connaissent les caractéristiques prémorbides de l’adolescent TCC et de sa famille afin d’avoir une approche centrée sur ceux-ci tout au long du continuum de soins. Il faut que les professionnels de la santé les connaissent au-delà des symptômes physiques, étant donné les impacts importants du TCC sur la récupération de l’adolescent, tant à court qu’à long terme. Il revient donc aux professionnels d’exercer leur leadership clinique et de soigner l’adolescent TCC modéré et sa famille en fonction de ce qu’ils vivent. Les services et les soins prodigués auprès de cette clientèle et de leur famille en seront que plus adéquats et adaptés à leurs besoins ainsi qu’à leurs réalités. Qui plus est, les professionnels de la santé seront davantage en mesure d’anticiper les obstacles et les difficultés, guidant ainsi d’une meilleure façon l’adolescent TCC modéré et sa famille.

Constatant les difficultés rencontrées par les adolescents lors de leur retour à l’école, le milieu scolaire aurait avantage à prendre en considération les résultats de cette étude. Ceci permettrait le développement de stratégies visant à soutenir l’adolescent TCC modéré dans son intégration scolaire. Le centre de réadaptation, quant à lui, doit poursuivre son implication auprès de l’adolescent TCC en ce qui a trait à la préparation et à l’accompagnement de ce dernier lors de son retour à l’école. Par exemple, une ressource professionnelle, telle une éducatrice spécialisée, peut agir à ce titre auprès de l’adolescent TCC et de sa famille. De plus, le centre de réadaptation doit continuer ses efforts et sensibiliser les institutions scolaires aux impacts d’un TCC sur l’adolescent atteint. Certes, en mettant en oeuvre ces recommandations touchant la pratique, il ne fait aucun doute que les familles se sentiront mieux comprises et les adolescents mieux soignés. Ceci devrait permettre de diminuer les impacts laissés par le TCC sur les différentes sphères de la vie de l’adolescent et de sa famille en plus de faciliter leur cheminement vers une vie qui sera, néanmoins, différente.

Les recommandations pour la gestion

La prise en compte des impacts du TCC sur l’adolescent et sa famille, de même que ses répercussions dans ses relations familiales et amicales, lors de ses loisirs et de ses déplacements, lors du retour à l’école et dans sa communauté, permettront aux gestionnaires oeuvrant en santé de mieux distribuer et de mieux gérer les soins et services offerts et dispensés à cette clientèle lors de leur hospitalisation, de leur hébergement ou de leur retour dans la communauté. Les gestionnaires pourront ainsi s’assurer que les soins qui sont donnés privilégient une approche centrée sur le patient et sa famille et que ceux-ci soient basés sur l’expérience vécue par les familles. Ils pourront enfin déterminer avec plus de précision les besoins en soutien de l’adolescent TCC et de sa famille, et ce, qu’il s’agisse de soins aigus, en réadaptation ou à domicile.

Les recommandations pour la recherche

Cette étude peut constituer le point de départ de recherches futures. D’abord, malgré la petite taille de l’échantillon, il est désormais possible d’en savoir davantage sur les perceptions des adolescents, de leurs parents et des professionnelles au regard de l’inclusion sociale d’adolescents TCC modéré, notamment en ce qui a trait à la reprise des différents rôles sociaux une fois le congé définitif du centre de réadaptation obtenu. Ainsi, à partir de ces premières explorations, il conviendrait de développer une intervention soutenant l’inclusion sociale d’adolescents ayant vécu un TCC modéré. Elle consisterait en développement de stratégies interdisciplinaires visant à diminuer les répercussions d’un TCC modéré sur les différentes sphères de la vie de l’adolescent et sa famille.

Conclusion

Cette étude, soutenue par l’adaptation du modèle écologique de Bronfenbrenner (1979, 1986) par Lefebvre et Levert (2005), a permis une meilleure compréhension de l’inclusion sociale des adolescents ayant vécu un TCC modéré et de ce que vivent les familles. Leurs perceptions ont également été mises en relation avec celles des professionnelles impliquées auprès de cette clientèle. Ainsi, cette étude fournira à ceux agissant à l’une ou l’autre des phases de soins, que ce soit à l’infirmière lors de la phase de soins aigus et de la réadaptation fonctionnelle ou à l’ergothérapeute et à l’éducatrice spécialisée lors de l’insertion sociale, par exemple, des balises permettant de mieux soutenir l’inclusion sociale des adolescents et de venir en aide aux familles dans cette situation difficile. Le TCC amène une mosaïque de troubles et d’incapacités auxquels l’adolescent atteint et sa famille doivent s’adapter. Les incapacités, permanentes ou temporaires, affecteront de nombreuses sphères de leur vie : personnelle, familiale, environnementale, scolaire ou des loisirs. Un soutien adapté et adéquat ne peut donc que favoriser l’inclusion sociale des adolescents TCC.

Il est à souhaiter que cette étude permette une meilleure articulation des interventions favorisant l’inclusion sociale et diminuant ainsi les impacts sur les différents aspects de la vie que les adolescents et leur famille ont à affronter lorsque survient un accident engendrant un TCC.