Abstracts
Résumé
La comparaison des pratiques financières de trois générations de couples suisses de classe moyenne permet de souligner le rôle central de l’indépendance économique dans la construction du lien conjugal contemporain. L’autonomie financière, de plus en plus privilégiée par les couples de la jeune génération, ne contribue pas seulement à favoriser la liberté de chacun, elle rend également possible une nouvelle forme de solidarité conjugale, moins statutaire et plus émotionnelle qu’autrefois. Historiquement, le processus d’individualisation des finances traduit surtout le processus d’émancipation économique des femmes. En ce sens, ce nouveau lien conjugal dépend en partie de la capacité des femmes à accéder à une ressource traditionnellement masculine, l’argent.
Mots clés:
- indépendance,
- solidarité,
- argent,
- couple,
- génération
Abstract
A comparison of the financial practices of three generations of middle-class Swiss couples allows the author to stress the central roles played by economic independence in the creation of contemporary conjugal relationships. Financial autonomy, a status that has become ever more attractive to couples of the new generation, not only contributes to promote individual independence, it also opens the door to a new form of conjugal solidarity, less statutory and more emotional than in the past. Historically, the process of individualizing the financial relationship is above all a reflection of the ongoing economic emancipation of women. This means that the new conjugal relationship is partly predicated on the ability of women to access a traditionally male resource: money.
Article body
1. Introduction
La comparaison des pratiques pécuniaires de trois générations de couples suisses apporte une meilleure compréhension du processus historique d’individualisation des finances du ménage et de ses conséquences sur les liens conjugaux. Ainsi, les conjoints de la jeune génération sont plus nombreux que leurs prédécesseurs à adopter des organisations qui permettent à chacun de gérer individuellement et de manière autonome une partie des ressources monétaires du ménage. Le processus d’individualisation s’observe également dans les organisations collectivisées. Chez les couples qui mettent en commun leurs revenus, il existe également des « poches d’autonomie financière » que l’on ne rencontrait pas (ou peu) chez les générations précédentes. Selon nous, l’indépendance économique privilégiée par les couples de la jeune génération ne sert pas uniquement la liberté individuelle. Elle contribue également à la construction du lien conjugal contemporain en rendant possible une nouvelle forme de solidarité moins statutaire et plus émotionnelle.
2. La transition des ménages vers des organisations financières individualisées
En deux siècles, la façon dont les couples gèrent l’argent a beaucoup changé[1]. Alors qu’à la fin du 19e siècle, le versement par le mari d’une allocation à son épouse était une pratique courante, ce fonctionnement s’est progressivement effacé au profit du compte joint (Zelizer, 2005). En effet, pour bon nombre de couples occidentaux de la deuxième moitié du 20e siècle, l’ouverture d’un compte bancaire aux noms des deux conjoints était perçue comme l’illustration des valeurs d’égalité et de compagnonnage de plus en plus valorisées socialement (Cheal, 1993; Zelizer, 2005). De nos jours, cette organisation financière demeure la plus fréquemment adoptée car elle est considérée comme l’expression concrète de l’unité conjugale et de la confiance dans la relation (Kenney, 2006; Singh, 1997; Vogler et Pahl, 1994; Zelizer, 2005). Bien que la mise en commun des revenus soit populaire parmi toutes les classes sociales, elle est particulièrement présente chez les couples mariés avec enfants (Brines et Joyner, 1999; Kenney, 2006; Pahl, 1989; Treas, 1993) et les ménages qui adoptent une division traditionnelle des responsabilités domestiques et professionnelles (Singh, 1997; Vogler et Pahl, 1993). Le compte commun permet, en effet, de concilier le rôle masculin de pourvoyeur principal des revenus avec l’idéologie d’égalité en facilitant l’accès des femmes aux ressources monétaires de leur conjoint[2].
A partir des années 1990, la mise en commun des revenus connaît cependant une baisse de popularité (Cheal, 1993; Heimdal et Houseknecht, 2003; Kenney, 2006; Pahl, 1995, Vogler et al., 2006). Un nombre de plus en plus important de couples privilégie une gestion indépendante ou une mise en commun partielle de l’argent. Ces deux arrangements monétaires sont considérés par les chercheurs comme un pas vers l’individualisation économique, car ils permettent aux conjoints de préserver un certain degré d’autonomie et d’indépendance, chacun conservant le contrôle et la possession d’une partie de l’argent entrant dans le ménage (Ashby et Burgoyne, 2007; Nyman et Dema, 2007; Pahl, 2007). L’individualisation des gestions financières serait ainsi liée au refus du contrôle et de la dépendance à autrui (Diaz et al., 2007; Hertz, 1986; Lewis, 2001; Nyman, 2003). Elle ne concerne toutefois pas l’ensemble des ménages. La gestion monétaire individualisée est surtout privilégiée par les jeunes, les cohabitants sans enfants et les couples dont la femme a un revenu élevé (Elizabeth, 2001; Pahl, 2005a; Vogler et al., 2007). Les conjoints remariés ont également tendance à la préférer, car elle leur permet de conserver leurs habitudes financières et de préserver l’héritage des enfants nés d’une première union (Burgoyne et Morison, 1997). Pour un certain nombre de ménages, la gestion indépendante reste toutefois une option à court terme, une catégorie de transition vers une perception et une organisation de plus en plus collectives des revenus (Ashby et Burgoyne, 2007; Henchoz, 2008a).
Ce processus historique d’individualisation des finances des ménages a été relevé dans plusieurs pays occidentaux[3]. Il s’inscrirait dans l’institution progressive d’une forme d’intimité plus individualiste et relationnelle où le respect de l’autonomie et de l’indépendance dans l’union conjugale prime (Beck-Gersheim, 1995; Giddens, 1992). Dans un contexte où les individus sont plus libres de créer eux-mêmes leur propre biographie qu’autrefois, l’autonomie financière est généralement considérée comme étant un prérequis à la liberté de choisir sa voie (de nombreuses thèses féministes l’ont d’ailleurs souligné). L’augmentation du taux d’activité professionnelle des femmes et la fragilisation des unions ont renforcé cette perception. En outre, le développement des moyens de paiement électroniques (comme les cartes de débit et de crédit, les achats par Internet) a facilité très concrètement la mise en place de formes individualisées de gestion monétaire (Pahl; 2007).
La mise en évidence, par la littérature, de pratiques financières de plus en plus individualisées nous a conduit à examiner de manière plus fine ce processus. Peut-on parler d’une réelle transition générationnelle vers plus d’indépendance économique, ou certains couples de la jeune génération échappent-ils à ce processus? Cela ne semble pas être le cas. Même dans les gestions financières collectivisées, il existe des « poches d’autonomie financière » qui n’existaient pas (ou très peu) chez les générations précédentes. Dès lors, on peut s’interroger sur les conséquences de cette individualisation des finances. Menace-t-elle la solidarité conjugale? Comment les conjoints construisent-ils leurs relations dans un contexte où « le chacun pour soi » semble de plus en plus dominer les échanges pécuniaires? L’examen du fonctionnement économique de trois générations de couples montre que l’indépendance financière a une double fonction sociale. D’une part, elle permet aux conjoints de répondre (même partiellement) à leurs attentes en matière d’égalité et d’épanouissement personnel. D’autre part, elle est mobilisée par les partenaires pour créer une nouvelle forme de solidarité conjugale qui privilégie l’engagement individuel constamment renouvelé. En d’autres termes, l’indépendance monétaire participe à la construction du lien conjugal contemporain.
Dans cet article, l’individualisation des finances désigne le processus historique qui conduit les conjoints à bénéficier de plus d’indépendance financière dans le cadre conjugal que la génération précédente. Le terme « indépendance financière » regroupe les comportements, attitudes et réflexions qui visent l’autonomie, l’autocontrôle et le libre choix. Il signifie que le couple ne peut être considéré comme une seule unité économique. Il peut y avoir des différences entre les individus d’un même ménage en termes de priorités dans les dépenses, de gestion des ressources monétaires ou de niveaux de vie. Dans cet article, la solidarité désigne une forme du lien social qui consiste à se sentir responsable de ce qui arrive aux autres, au point que le tout l'emporte sur les parties, car les membres du groupe social ont à coeur les intérêts des uns et des autres (Dandurand et Ouellette, 1992; Godbout et Charbonneau, 1994). Si on considère la solidarité d’un point de vue économique, on peut y inclure les actions et comportements de don, d’aide et d’entraide qui visent à réduire les différences économiques entre les membres du ménage, à égaliser leurs niveaux de vie ou à atteindre l’objectif commun que se sera fixé le couple. Plusieurs chercheurs (dont De Singly, 1998, 2000, 2003) ont déjà souligné que l’individualisation n’implique pas nécessairement l’absence de liens sociaux solidaires, mais souligne plutôt la transition vers des liens moins statutaires, plus électifs et personnalisés.
3. Méthodologie
Cet article rend compte des différentes formes que prend l’individualisation des finances chez des couples suisses de classe moyenne âgés de 30 à 45 ans (56 entretiens individuels et collectifs menés auprès des femmes et des hommes de 19 couples). Afin de mettre en évidence la spécificité des relations économiques de cette génération, nous introduirons les premiers résultats d’une recherche sur l’évolution des significations et usages sociaux de l’argent au sein de trois ensembles générationnels. Bien que cette recherche soit en cours, il nous a semblé intéressant de comparer les pratiques monétaires de la génération des « enfants » à celles des « parents » (19 entretiens auprès de 11 femmes et 8 hommes âgés de 45 à 65 ans) et des « grands-parents » (20 entretiens menés auprès de 11 femmes et 9 hommes âgés de plus de 65 ans). Pour faciliter la lecture, et parce que les personnes interrogées ne font pas forcément partie de la même lignée, la génération des « enfants » sera appelée la jeune génération, celle des « parents », la génération pivot et celle des « grands-parents », la génération des anciens, en référence au travail d’Attias-Donfut (1997). La comparaison des pratiques monétaires de ces différentes générations permet de mettre en lumière le processus d’individualisation des finances conjugales, les différentes formes que prend cette individualisation ainsi que le rôle qu’elle joue dans la construction du lien conjugal contemporain.
3.1. La population interrogée
Afin d’obtenir des données qui puissent être comparables, les critères de sélection de la population interrogée sont semblables pour les deux recherches présentées. Les personnes rencontrées habitent en Suisse romande. La majorité d’entre elles ont vécu ou vivent dans des couples dont c’est le premier mariage et ont des enfants. Dans les deux recherches[4], il s’agissait de prendre l’argent comme un indicateur des différentes étapes de l’histoire conjugale et familiale. Les personnes interrogées font partie de la classe moyenne, les revenus conjugaux étant proches de la moyenne nationale correspondant à leur tranche d’âge. Leurs comportements économiques sont également similaires à ceux que l’on peut recenser chez les populations de ces générations[5]. Chez les pivots et les anciens, la plupart des femmes ont arrêté d’exercer leur activité professionnelle après le mariage ou à la naissance du premier enfant. L’homme devient alors le seul pourvoyeur des revenus du ménage. Chez les couples de la jeune génération, tous les hommes travaillent à plein temps et la majorité des femmes à temps partiel. Les différences de revenus entre les partenaires sont toutefois considérables et nettement en faveur des hommes. En moyenne, ces derniers ont déclaré gagner presque trois fois plus que leur compagne.
Quelle que soit la génération, la majorité des couples interrogés affirme avoir opté pour un système de mise en commun des revenus suite à la naissance des enfants. Bien que les personnes des deux générations les plus âgées la définissent comme telle, l’organisation financière qu’elles décrivent se rapproche parfois plus de la remise de paie que l’on rencontre chez les couples ouvriers (Schwartz, 1990) ou du système d’allocation[6] décrit par Pahl (1989). La « mise en commun » signifie ici l’accès des femmes à une partie du revenu masculin. Quand la jeune génération utilise cette même terminologie, elle fait davantage référence à la gestion collective de l’argent. En ce sens, une même notion peut prendre des significations différentes selon le contexte dans lequel elle est expérimentée.
Bien que la mise en commun des ressources financières reste populaire auprès des familles de la jeune génération (12 couples sur les 19 couples interrogés), on recense davantage d’organisations financières individualisées que chez leurs aînés. Ainsi, lorsqu’ils ont été interrogés, deux couples mettaient leurs revenus partiellement en commun, trois ménages privilégiaient une gestion financière indépendante et deux autres avaient adopté une organisation financière proche du système d’allocation. Le système d’allocation prend également une signification différente d’une génération à l’autre. Chez la jeune génération, un des conjoints transmet une partie de son salaire à son partenaire qui l’administre en plus de sa propre paie. Dans la plupart des cas[7], l’homme verse une part de son revenu à sa conjointe qui se charge de gérer les dépenses alimentaires et d’entretien du ménage. Le système d’allocation des jeunes couples est proche d’une gestion individualisée des revenus, alors que chez les générations précédentes, il laisse peu de place à l’autonomie et à l’indépendance économique. En effet, chez les plus anciens, l’allocation versée par l’homme permet à l’épouse de financer les frais collectifs courants. Contrairement à la jeune génération, cette dernière bénéficie rarement d’un surplus qu’elle pourrait alors administrer à sa guise. En ce sens, si une partie du revenu masculin est communautarisé, le contrôle sur les ressources financières reste majoritairement dans les mains de l’homme.
3.2. Récolte et analyse des données
Afin de favoriser une démarche comparative, les deux recherches ont été menées selon le même mode opératoire. Les personnes interrogées ont été recrutées selon la méthode boule de neige qui consiste à demander aux conjoints rencontrés de nous mettre en contact avec des couples de leur connaissance. L’analyse des données s’est fondée sur la grounded theory (Glaser, 1992; Glaser et Strauss, 1967; Strauss et Corbin, 1997). La primauté accordée aux données récoltées a ainsi permis de pallier l’absence d’une conceptualisation théorique unifiée des dimensions solidaires et individuelles de l’usage de l’argent.
4. Résultats
4.1. Des formes différentes d’indépendance financière dans le cadre conjugal contemporain
Chez les couples de la jeune génération, l’autonomie et l’indépendance financières prennent différentes formes, inséparables de l’idéologie amoureuse du don, du désintérêt et de la solidarité qui guide et oriente les échanges économiques et leur perception (Henchoz, 2008a, 2008b).
La littérature a déjà mis en évidence deux des formes les plus visibles de l’individualisation des ressources monétaires : la gestion indépendante et la mise en commun partielle des revenus. Cependant, elle a omis de rendre compte du processus d’individualisation monétaire que l’on observe également chez les couples qui privilégient une mise en commun des revenus. Ces couples sont, en effet, nombreux à adopter différentes stratégies de façon à préserver des sphères d’autonomie financière. L’attribution d’une somme définie d’argent de poche, par exemple, est une spécificité des organisations financières collectivisées. D’autres aménagements monétaires individualisés peuvent toutefois être mis en évidence. Ils sont généralement liés au marquage de l’argent (Zelizer, 2005), c’est-à-dire à la manière dont les conjoints définissent et perçoivent certains types d’argent. Contrairement aux générations précédentes, l’argent hérité ou que chacun possédait avant la mise en commun des revenus est souvent géré de manière autonome. Plusieurs couples appliquent très concrètement le régime matrimonial auquel ils ont souscrit (dans la plupart des cas, la participation aux acquêts) à leur organisation financière. Les ressources pécuniaires amassées individuellement avant le mariage sont administrées personnellement. Par contre, les revenus acquis dès le mariage ou la naissance des enfants sont collectivisés.
Cette mise en commun n’est cependant pas valable pour toutes les ressources financières. Si le salaire régulier est versé sur un compte joint, l’argent gagné grâce à des activités complémentaires (par exemple, du soutien scolaire ou du dépannage informatique) est généralement considéré comme une propriété personnelle gérée individuellement. Définir un emploi comme secondaire ou annexe semble justifier le fait que les ressources qu’il procure n’entrent pas dans le budget familial. Comme le souligne Jules, un homme de la jeune génération, à propos des revenus de sa compagne : « C’est un petit salaire, et puis il me semble qu’elle s’offre des choses à elle. Elle m’offre des choses aussi. C’est plutôt le salaire cadeau, c’est mon sentiment. C’est plutôt un extra ». On retrouve cette tendance chez les générations les plus âgées où le salaire des femmes est souvent considéré comme un revenu accessoire. Considéré comme des « extras », ces revenus sont généralement gérés indépendamment de l’économie familiale courante (financée par le salaire masculin).
Comme leurs aînés, la majorité des couples de la jeune génération affirment mettre en commun leurs revenus. Pourtant, contrairement aux générations précédentes, il est rare que la communautarisation concerne l’ensemble des ressources monétaires. Indépendamment du système financier adopté, la jeune génération s’arrange pour préserver une part d’indépendance. Le marquage de l’argent et les différentes « poches d’autonomie financière » peuvent, dès lors, être considérés comme un moyen permettant de concilier les normes contemporaines d’autonomie individuelle avec celles de la mise en commun des revenus qui, pour certains couples, illustre la solidarité conjugale (Elizabeth, 2001; Nyman, 2003).
4.2. L’indépendance financière : une question contemporaine
La gestion individuelle des revenus et les « poches d’individualité » que l’on recense chez les couples de la jeune génération sont des pratiques relativement nouvelles. Les pivots et les anciens semblent, en effet, avoir une autre conception de l’indépendance financière. Les plus âgés, qui ont souvent bénéficié de revenus moins importants que les générations suivantes, se préoccupaient et se préoccupent surtout de l’indépendance économique du ménage (c’est-à-dire la capacité d’un ménage à subvenir à ses besoins de manière autonome, sans recourir à l’emprunt ou à l’aide des proches). Pour la génération pivot, la liberté financière se mesure surtout à la possibilité d’accéder à des biens de consommation personnels (et cela indépendamment de qui les finance). En ce sens, les couples des générations précédentes n’opèrent pas de distinction claire entre l’argent du ménage et l’argent individuel ou entre les dépenses du ménage et les dépenses personnelles. Cela peut s’expliquer en partie par le rapport qu’ils entretiennent avec l’argent.
L’argent gagné par les pivots et les anciens a, en effet, rarement été individualisé. Lorsqu’ils entraient sur le marché du travail, la plupart des jeunes gens remettaient leur paie à leurs parents. Ces derniers leur reversaient un certain montant (souvent peu important) pour leurs dépenses personnelles. Lorsque les conjoints « se fréquentaient[8] », ce montant était généralement investi dans le projet matrimonial. Les femmes constituaient un trousseau et les hommes épargnaient en vue de l’achat des meubles du futur ménage. Une fois mariés, les couples des générations précédentes vivaient souvent avec un seul revenu. Il était, en effet, fréquent que les femmes arrêtent d’exercer leur activité professionnelle une fois mariées ou à la naissance de leur premier enfant. Contrairement à la jeune génération, parler d’argent ou de dépenses personnels semble avoir moins de sens pour les pivots et les anciens, car dans leur histoire personnelle et conjugale, l’argent a toujours été considéré comme une ressource collectivisée au nom de la famille.
Lorsqu’ils étaient interrogés sur leurs dépenses personnelles et collectives, les couples de la jeune génération distinguaient spontanément les dépenses les unes des autres et les attribuaient à l’une ou l’autre de ces catégories. Lorsque la même question a été posée aux personnes des autres générations, un certain nombre d’entre elles nous ont demandé de préciser ce que recouvrait l’expression « dépenses personnelles »[9]. Il est intéressant de noter que les dépenses personnelles des femmes (livres, vêtements, cosmétiques, etc.) sont identifiées plus aisément que celles des hommes. Si les dépenses personnelles féminines sont distinguées (par la génération pivot, la génération des anciens discriminant rarement les dépenses), c’est sans doute parce qu’un certain nombre de femmes de la génération pivot sont retournées sur le marché du travail une fois leurs enfants devenus adultes. Pour cette génération, l’argent féminin est souvent perçu comme un argent de poche destiné en partie à couvrir les frais personnels des femmes.
Les frais masculins sont, par contre, rarement définis comme des dépenses personnelles. Ces frais sont généralement considérés comme des contreparties à l’engagement professionnel, un espace personnel qui permet au conjoint de « décompresser » pour mieux se réinvestir sur le marché du travail. D’autres personnes définissent les loisirs masculins comme la prolongation de la profession ou de l’investissement professionnel. Ainsi, une femme de quatre-vingts ans nous expliquait que la carrière de son mari rendait nécessaire sa participation à de nombreuses associations. Chez les générations précédentes, la plupart des dépenses personnelles masculines sont généralement considérées en relation avec l’investissement professionnel de l’époux. Hommes et femmes ne voient pas la nécessité de les différencier des dépenses collectives, puisqu’elles sont rattachées au rôle de pourvoyeur principal des revenus masculins et indirectement, au bien-être familial. Seules les dépenses initiées individuellement par les hommes, et qui sont considérées comme n’étant d’aucun bénéfice pour la famille (les frais de bistrot par exemple), sont généralement définies comme personnelles. Leur remise en question, notamment par les femmes, parait dès lors plus légitime.
4.3. L’indépendance financière : une préoccupation de femmes
Contrairement aux personnes plus âgées qui la mentionnent peu, l’indépendance économique est une thématique qui apparaît régulièrement dans les propos de la jeune génération. Cependant, lorsqu’elle est évoquée, elle concerne uniquement les femmes. Seules les conjointes mentionnent l'autonomie financière comme un objectif à atteindre ou une question qui se pose (pour une constatation identique, Nyman et Reinikainen, 2007). De même, lorsque les hommes parlent d’indépendance économique, celle-ci se rapporte uniquement à leur compagne (par exemple, le fait de bénéficier d’une somme fixe d’argent de poche).
La signification que les conjoints donnent à l’indépendance économique se construit en référence à un passé et un présent où femmes et hommes ont des positions sociales, statutaires et économiques différentes et hiérarchisées. Historiquement, la dépendance économique des femmes est beaucoup plus personnalisée que celle des hommes (Halleröd et al., 2007). Ces derniers accèdent généralement aux ressources financières non par le biais d’une personne particulière, mais grâce à leur insertion sur le marché du travail. Pour les hommes, l’indépendance économique est rattachée au fait d’avoir suffisamment de revenus pour bénéficier d’une certaine liberté d’action. La dépendance économique des femmes, au contraire, est relative à la relation conjugale[10]. Rappelons qu’en Suisse, il y a quelques décennies, les femmes devaient avoir l’autorisation de leur mari pour exercer une activité professionnelle ou ouvrir un compte en banque. Elles dépendaient également de la bonne volonté de celui-ci pour accéder à une part de son revenu. En ce sens, une femme économiquement indépendante est une femme qui a un emploi et qui peut assumer ses besoins indépendamment du soutien monétaire masculin (Nyman et Reinikainen, 2007 : 41). Cela explique, en partie, pourquoi certaines conjointes considèrent l’argent de leur compagnon comme l’argent de la dépendance et leur argent comme celui de l’indépendance économique. Le processus d’individualisation décrit par Beck, Beck-Gersheim (2002) et Giddens (1992) semble ici surtout lié au désir des femmes d’acquérir la même position économique que celle que les hommes occupent traditionnellement (Halleröd et al., 2007 : 147).
Dans un contexte où les liens conjugaux sont considérés comme choisis et soumis aux fluctuations des sentiments amoureux, l’indépendance économique est considérée comme le socle de la liberté individuelle. Pourtant, elle n’est pas uniquement rattachée à l’autonomie et à la possibilité de choisir son destin (Giddens, 1992). Pour les femmes, dont l’indépendance économique n’est pas considérée comme allant de soi, elle participe directement à la construction identitaire. L’indépendance financière leur permet de se construire une identité de conjointes modernes et statutairement égales, « quelqu’un sur qui on peut compter », précise Françoise. Contrairement aux hommes dont la construction identitaire est encore largement rattachée au rôle traditionnel de pourvoyeur des revenus (Potuchek, 1997; Williams, 2000), un certain nombre de femmes de la jeune génération mobilisent davantage que leur rôle traditionnel de pourvoyeuse de soins dans le processus de construction de soi.
Ainsi, pour Agnès et Valéria, leur dépendance économique implique une différence de statut que l’une et l’autre associent à l’enfance. « Je me sens contrôlée, comme si tu étais mon père », dit Agnès à son mari lors de l’entretien collectif. Valéria se souvient de la période où elle n’avait aucun revenu : « Là, je retourne dans ma famille, dans mon enfance et c'est la chose qui m'a le plus dérangée ». Contrairement à leurs grand-mères et parfois à leur mère, ces femmes ne passent pas du contrôle des parents à celui du mari. Durant leur parcours biographique, elles ont connu pour la plupart l’indépendance financière. Elles ont géré leur revenu et décidé de son usage de manière autonome. La dépendance économique que certaines expérimentent suite à la répartition traditionnelle des responsabilités liée à la parentalité est parfois considérée comme étant en désaccord avec les attentes contemporaines en matière de rapports hommes-femmes. Dans un contexte où les relations conjugales se vivent sur le mode du partenariat et de la symétrie, la dépendance financière peut conduire à se sentir dévalorisée. Bénéficier d’argent personnel (que ce soit au travers d’un revenu, d’épargne ou d’un « argent de poche ») peut alors être considéré par certaines femmes comme le symbole de leur statut de pair. En accordant un montant à chaque conjoint, le couple reconnaît la légitimité pour chacun d’avoir un projet de vie personnel et d’y consacrer une part de son temps, de ses énergies et des ressources monétaires du ménage. En agissant de la sorte, les conjoints confèrent « à la relation amoureuse une fonction plus ou moins explicite de support mutuel, inscrite dans une dynamique d’attention et de soutien réciproque » (Bernier, 1996 : 50).
4.4. L’indépendance financière : un moyen de créer du conjugal
L’indépendance monétaire permet de préserver des comportements hautement valorisés dans les couples de la jeune génération, comme l’autonomie et le contrôle individuel sur les dépenses et les revenus. Pour certains, elle est rattachée aux croyances en l'égalité et au rejet du modèle traditionnel. Nous avons vu que pour certaines femmes, elle leur permet d’éviter de se considérer comme une charge pour l'autre et d’affirmer leur statut de partenaire égalitaire.
Lorsque l’argent est considéré comme personnel, chacun est libre de le dépenser comme il le souhaite. Cependant, cet argent ne sert pas uniquement à financer les dépenses personnelles. Cela parait évident lorsque chaque partenaire prend individuellement en charge une partie des frais du ménage. Cela semble plus étonnant chez les couples qui mettent leurs ressources monétaires en commun, l’argent individualisé étant souvent défini en termes d’argent personnel ou d’argent de poche. Pourtant, dans ces organisations également, cet argent sert à financer des projets familiaux. Les hommes et les femmes utilisent une partie des ressources monétaires définies comme personnelles pour acheter des cadeaux, des vêtements pour les enfants ou pour financer des vacances ou des activités familiales. Comment expliquer cela?
Prenons l’exemple de Martha et Cyril, un couple de la jeune génération. Ils ont chacun un compte personnel sur lequel ils se versent mensuellement la même somme d’argent de poche. Cet argent, géré individuellement, sert à payer les grosses dépenses personnelles (comme un vélo). Curieusement, l’argent déposé sur le compte bancaire personnel est également utilisé pour payer certaines activités familiales. Bien qu’ils possèdent un compte d’épargne collectif suffisamment fourni, Martha et Cyril préfèrent « piocher » dans leur compte personnel pour financer une partie des vacances qu’ils passeront en famille.
Dans cet exemple, les différents transferts bancaires sont utilisés de manière à donner du sens à la circulation de l’argent dans la sphère intime. Le sens attribué à l’argent est à son tour significatif pour la relation et le statut conjugal de chacun. Les salaires gagnés individuellement sont collectivisés lorsqu’ils sont versés sur le compte commun. Lors de cette première étape, la solidarité et l’unité conjugales sont proclamées. Une partie de l’argent en provenance du compte commun s’individualise ensuite en passant sur les comptes personnels. Lors de cette opération, Martha et Cyril reconnaissent l’autonomie et l’indépendance économiques (même partielles) de chacun. En s’octroyant la même somme d’argent de poche, ils affirment également leur statut de pairs. Ils pourraient en rester là et conserver cette claire séparation entre argent individuel et argent collectif. Pourtant, Martha et Cyril choisissent de verser une partie de leur argent pour financer les vacances familiales. En privilégiant les dépenses familiales au détriment des leurs, Martha et Cyril montrent de façon tangible leur engagement dans la relation.
Nous postulons ici que le processus d’individualisation monétaire que l’on observe ne sert pas uniquement l’individu, il a une fonction sociale. Dans un contexte de désinstitutionalisation de l’union conjugale, dans un contexte où les séparations sont nombreuses, le couple est beaucoup plus qu’auparavant perçu comme le résultat d’un choix mutuel et d’un engagement concret et renouvelé quotidiennement par les deux partenaires (Bernier, 1996). Cet engagement prend différentes formes. La jeune génération est particulièrement attentive à l’expression des sentiments amoureux et à l’intérêt porté à l’autre et à la relation. Cet intérêt peut se manifester par le partage des tâches domestiques et familiales, mais également par des actions monétaires. Dans l’exemple qui précède, les apports financiers de chacun au projet familial peuvent se définir comme des dons, c’est-à-dire comme des contributions individuelles volontairement engagées dans le bien-être collectif. Cet argent (qualifié de personnel) n’étant lié à aucune contrainte, le fait de choisir de le donner librement au conjugal revient à affirmer son engagement dans la relation par le « sacrifice » de ses projets de dépenses personnelles au profit du bien-être collectif. Ce « sacrifice », qui bénéficiera au partenaire ou à la famille, a une fonction conjugale importante (Henchoz, 2008a; Stanley et al., 2006). Il sert à augmenter la confiance de l’autre, qui à son tour est encouragé à agir de manière altruiste. En ce sens, le recours à l’argent individualisé permet aux conjoints de créer une solidarité conjugale qui repose en partie sur des bases interpersonnelles et choisies. En mobilisant les ressources monétaires individuelles dans des projets collectifs, les conjoints construisent et confirment de manière très concrète le lien conjugal.
Cette interprétation de la fonction sociale de l’argent individualisé permet d’expliquer pourquoi les ressources monétaires ont, dans la sphère privée, une appartenance et un statut fluctuants. Viviana Zelizer (2005) a déjà montré que, selon leur appartenance générationnelle, sociale et sexuelle, les individus attribuent des usages et des significations différentes aux ressources pécuniaires. Ce processus de réorganisation des monnaies selon « des genres différents de relations et de valeurs sociales » (Zelizer, 2005 : 312) s’observe également dans le parcours conjugal. En effet, lorsqu’on reconstitue l’historique des échanges financiers d’un ménage, il est rare que l’on puisse déterminer clairement et définitivement la propriété de l’argent. Les ressources monétaires sont manipulées différemment selon les étapes de la vie familiale et le statut que l’on veut attribuer à chacun dans le couple et la famille.
5. Conclusion
L’examen des usages et perceptions de l’argent au sein de trois générations de couples suisses permet de mettre en évidence le processus d’individualisation des finances du ménage. Les couples de la jeune génération sont plus nombreux que leurs prédécesseurs à adopter des organisations monétaires indépendantes ou à favoriser des « poches d’autonomie financière » quand l’argent est collectivisé. L’utilisation du terme « processus d’individualisation » cache toutefois le fait que ce processus touche essentiellement l’accès des femmes aux ressources pécuniaires et leur contrôle sur une part de l’argent domestique. Chez les trois générations que nous avons examinées, l’indépendance économique des hommes va de soi. En effet, même lorsqu’il est défini comme commun, l’argent masculin est généralement considéré comme une ressource individuelle (partiellement ou totalement) collectivisée, ce qui justifie le contrôle masculin sur son utilisation (Henchoz, 2008a). En d’autres termes, le processus d’individualisation traduit surtout le processus d’émancipation économique des femmes et leur accès à une ressource historiquement masculine, l’argent[11]. Cependant, il a des répercussions sur l’autonomie financière masculine. Les hommes n’étant plus les seuls responsables du bien-être économique du ménage, ils bénéficient par conséquent de plus de latitude financière aujourd’hui qu’auparavant.
Dans le cadre des trois générations étudiées ici, nous pouvons mettre en évidence trois étapes du processus d’individualisation économique des femmes. Selon nous, cette évolution n’est pas le signe d’une remise en question des liens conjugaux ou une menace pour la solidarité conjugale. Elle souligne par contre « le processus d’adaptation des rapports conjugaux » (Dandurand 1990 : 34) aux nouvelles donnes en matière d’égalité, d’indépendance et d’autonomie. Pour différentes raisons structurelles et sociales, la complémentarité des rôles conjugaux adoptée par les générations plus âgées n’est, aujourd’hui, pas totalement remise en question en Suisse. Cependant, au fil des générations les conjoints ont adapté le fonctionnement conjugal de leurs parents aux transformations juridiques, culturelles, économiques sociales et politiques. Ces adaptations effectuées sur le plan conjugal, mais régulées par l’État (Schultheis, 1991) ont, à leur tour, contribué aux changements sociaux.
Le premier processus d’adaptation des rapports pécuniaires conjugaux se retrouve chez les générations des anciens et des pivots. Il s’observe dans la mise en commun des revenus masculins (généralement concrétisée par l’ouverture d’un compte bancaire auquel les deux conjoints ont accès). En privilégiant cette organisation financière qui facilite l’accès des femmes aux ressources monétaires gagnées par les hommes, les conjoints cherchent à concilier le rôle traditionnel de pourvoyeur principal des revenus avec l’idéologie de l’égalité. Si cette tentative d’adaptation ne signifie pas nécessairement que l’égalité est atteinte, elle marque les prémices de l’indépendance économique des femmes. Désormais, leur accès aux ressources financières masculines est facilité. Il est moins limité (même s’il le reste partiellement) qu’auparavant[12]. Les conjointes sont, dès lors, plus libres de décider de manière autonome de l’usage d’une partie de l’argent entrant dans le ménage. L’indépendance financière féminine émergente est soutenue par des changements économiques, comme l’élévation du niveau global des salaires. La génération pivot bénéficie, en effet, d’un meilleur niveau de vie que la génération des anciens. La présence d’argent superflu – un argent non nécessaire à la survie du ménage – rend dès lors possible l’accès de chacun à la consommation individuelle.
Le deuxième processus d’adaptation apparaît plus tard. Les femmes de la jeune génération sont, en effet, plus nombreuses que leurs ainées à connaître une insertion continue sur le marché du travail. Dans le contexte helvétique où il existe de fortes barrières structurelles aux couples à double carrière[13], l’importance de l’emploi féminin à temps partiel rend compte du processus d’adaptation du rôle traditionnel féminin de pourvoyeuse de soins aux nouveaux désirs d’indépendance économique. Les femmes n’accèdent plus (ou accèdent moins) aux ressources pécuniaires par l’entremise du mari, désormais elles gagnent régulièrement leur propre revenu, ce qui conduit à accroître leur liberté et leur autonomie dans la manière d’en faire usage. Cela ne signifie pas pour autant que l’argent ainsi gagné est dépensé pour soi. Au contraire, il est activement investi dans le bien-être collectif. La participation continue des femmes sur le marché du travail leur permet de se poser comme des partenaires économiques de la relation, ce qui nous amène au troisième processus.
Le dernier processus d’adaptation présenté ici rend compte du travail conjugal effectué par la jeune génération pour concilier des normes et des valeurs qui peuvent paraître contradictoires : les normes contemporaines d’autonomie et d’égalité et les normes amoureuses du désintérêt (Henchoz, 2008a) et de la solidarité. Chez les couples de la jeune génération, l’argent individualisé offre aux conjoints la possibilité de bénéficier de sphères de liberté en accord avec les nouvelles attentes en matière de conjugalité et de rapports de genre. C’est parce qu’il est perçu comme personnel et libre d’être utilisé selon ses désirs que l’argent individuel investi dans le bien-être commun symbolise l’engagement de chacun dans le collectif. En ce sens, la définition des contributions monétaires individualisées en termes de dons (c’est-à-dire d’une contribution individuelle, volontaire et librement fournie) que nous proposons rend compte d’une nouvelle forme de solidarité conjugale. Basée sur le volontariat, cette dernière dépend, davantage que pour les générations précédentes, de la qualité des liens émotionnels noués et de l’évolution des sentiments éprouvés envers son partenaire (voir De Singly, 1998, 2000). En outre, cette solidarité découle également de « la capacité personnelle des partenaires à réactiver constamment la force du lien qui les unit » (Bernier, 1996 : 48).
Dès lors, ce nouveau type de lien conjugal n’est pas accessible, de manière égale, à toutes les classes sociales, les générations ou les sexes. Tout le monde n’a pas les mêmes opportunités de parvenir à l’indépendance et à l’autonomie (Commaille, 2007; Martin, 2007; De Singly, 2003). Nous avons vu, chez la jeune génération, que l’indépendance financière des hommes va de soi, mais que celle des femmes doit se conquérir (sur le marché du travail ou dans la sphère conjugale, par l’instauration de « poches d’autonomie financière », par exemple). Les possibilités de concrétisation de l’individualisation ne sont pas toujours réunies (Martin, 2007). Au sein d’un même couple ou d’une même société, les hommes et les femmes n’ont pas tous les mêmes possibilités de nouer une relation élective et émotionnelle, basée sur les aspirations personnelles et le souci de l’autre. Aujourd’hui, la construction conjugale n’est pas encore un processus démocratique.
Appendices
Notes
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[1]
Pour une recension des écrits, Henchoz, 2007.
-
[2]
Le discours idéalisé de l’égalité financière, symbolisée par la communautarisation des revenus, a été remis en question par la mise en évidence de la persistance des inégalités en matière d’accès à l’argent. Le statut de pourvoyeur principal des revenus, encore fortement rattaché à l’identité masculine, contribue à légitimer le pouvoir masculin concernant l’utilisation de l’argent, même quand celui-ci est considéré comme commun (Burgoyne, 1990; Burgoyne et Lewis, 1994; Elizabeth, 2001, Potuchek, 1997).
-
[3]
Pour la Suède, Nyman, 1999, 2002; pour l’Espagne, Diaz et al., 2007; pour l’Angleterre, Pahl, 2005, 2007; pour le Québec, Belleau, 2008.
-
[4]
Pour une présentation des résultats de la recherche sur la construction conjugale des significations et usages sociaux de l’argent au sein de la jeune génération, Henchoz, 2008a.
-
[5]
« En 1970, les trois quarts environ des couples avec des enfants de moins de 7 ans vivaient selon le modèle du père travaillant à plein temps et de la mère au foyer; en 1990, leur proportion était encore de plus de 60 %, alors qu’elle n’atteignait plus que 37 % des ménages comparables en 2000 » (Office fédéral de la statistique, 2005b : 50). En trois décennies, le taux d’activité moyen des femmes est, en Suisse, passé de 40 % à 78 % (Office fédéral de la statistique, 2005a).
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[6]
L’un des conjoints (l’homme en général) alloue à son partenaire une certaine somme pour les dépenses du ménage. Il gère le solde de manière autonome.
-
[7]
Lorsque nous les avons interrogés, deux couples privilégiaient le système d’allocation. Néanmoins, plusieurs autres couples l’ont adopté à un moment de leur histoire, puis abandonné.
-
[8]
« On fréquentait » est une expression qui revient fréquemment dans la bouche des deux générations les plus âgées pour nommer les premiers temps de la relation conjugale. Cette expression désigne une relation qui débouche sur un engagement matrimonial. Chez les générations plus âgées, on ne « fréquente » qu’une fois. Généralement, la personne avec qui on s’affiche publiquement est celle avec qui l’on compte se marier. « On se fréquente » met aussi en évidence le fait que les débuts de la conjugalité sont publics. On se rencontre et on fait un certain nombre d’activités en commun, mais on ne vit pas ensemble avant d’être marié.
-
[9]
Il s’agit de dépenses qui profitent en premier lieu au conjoint qui les initie.
-
[10]
En 2000, les femmes assuraient en moyenne, en Suisse, un tiers du revenu du ménage lorsqu’elles vivaient seules avec leur compagnon et entre 12 % et 19 % lorsque le couple avait des enfants (Office fédéral de la statistique, 2003 : 54)
-
[11]
Sur ce sujet, voir également Bachmann, 2007; Martial, 2008.
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[12]
Durant la première moitié du 20e siècle (voir point 2 de l’article), beaucoup d’épouses recevaient une allocation pour les dépenses du ménage. Dans un tel contexte, leur accès à l’argent dépendait essentiellement de la bonne volonté de leur mari.
-
[13]
Peu de structures d’accueil parascolaires, fiscalité défavorable aux couples à double revenu, etc.
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