Abstracts
Résumé
Cet article vise à mieux documenter les ressources individuelles en matière de mobilité, les caractéristiques de la mobilité quotidienne et les territoires extrascolaires pratiqués par les adolescents résidant dans la région métropolitaine de Québec. Nous nous posons deux questions : est-ce que l’automobile en tant que conducteur permet vraiment aux adolescent(e)s d’utiliser un territoire plus vaste que le transport public (soit l’autobus à Québec)? Est-ce que les territoires d’activité pratiqués par les jeunes hommes sont plus vastes que ceux pratiqués par les jeunes filles? Les principaux résultats indiquent que les territoires pratiqués par les adolescent(e)s sont plus vastes lorsqu’ils se déplacent en mode auto conducteur comparativement au transport public sauf lorsqu’ils résident dans les quartiers centraux et que seuls les territoires « marchés » par les garçons sont plus vastes que pour les filles.
Mots clés:
- mobilité quotidienne indépendante,
- adolescents,
- différences de genre,
- localisation résidentielle,
- analyses centrographiques
Abstract
This article is aimed at better documenting individual resources with respect to mobility, the characteristics of daily mobility and the extramural territories covered by adolescents residing in the Quebec City metropolitan area. We will be asking two questions: does the motorcar, as a means of transportation, really permit adolescents to cover a wider territory than would be possible using public transport (in this case Quebec City buses)? Is the area of territory covered by young men larger than that covered by young women? Our main results indicate that the territories covered by adolescents are wider when they are driving a car than when using public transport, except when they reside in downtown neighbourhoods; and that it is only when they are "pedestrians" that young men cover more territory than do the young women.
Article body
Introduction
À l’instar de nombreuses villes de taille moyenne en Amérique du Nord, la région métropolitaine de Québec (RMQ)[1] a connu au cours des dernières décennies, une restructuration sans précédent de l’ensemble de ses activités. Illustré à la figure 1, le développement du réseau autoroutier dans les années 1960 et 1970 a certainement contribué à cette restructuration en consolidant non seulement l’étalement résidentiel, mais également la dispersion des lieux d’emplois, des lieux d’activité commerciale et de loisirs (Biba et al., 2008; Fortin et al., 2002; Ritchot et al., 1994). L’automobile est ainsi devenue le mode de transport privilégié d’une partie de plus en plus grande de la population et plus particulièrement des résidents des banlieues. Le choix de localisation résidentielle de ces derniers n’est pas sans lien avec une des étapes du cycle de vie : l’arrivée et l’éducation des enfants (Smith, 2006). Les enfants d’hier, adolescents d’aujourd’hui, vivent un paradoxe intéressant : ils résident dans des secteurs de la ville choisis par leurs parents parce qu’ils disposaient de façon générale d’une liberté de choix et de mouvement offerte par l’automobile mais ce niveau élevé de mobilité leur échappe, à moins d’avoir l’âge de posséder un permis de conduire. Le transport public[2] et les modes de transport alternatifs peuvent en partie offrir une certaine autonomie, mais cela dépend du type de milieu. Les espaces peu densifiés des banlieues nord-américaines ainsi que la ségrégation de l’utilisation du sol tendraient plutôt à maintenir les adolescents et leurs parents captifs de l’automobile. Au fur et à mesure que les adolescents vieillissent, ils atteignent une certaine indépendance dans leurs déplacements mais cette indépendance est liée à une dépendance croissante à l’automobile (Clifton, 2003). Par ailleurs, l’indépendance dans les déplacements semble aussi liée au genre en plus d’être liée à l’âge (O’Brien et al., 2000; Tranter et Pawson 2001). Toutefois, à Québec, selon les résultats d’une enquête qualitative portant sur une trentaine d’adolescents, le genre et l’âge ne semblent pas constituer des facteurs discriminants quant au type de mobilité adopté. Ces résultats démontraient par contre clairement que les très jeunes adolescents avaient une mobilité exclusivement indépendante (Bachiri et al. 2007, Bachiri et Després, 2008).
L’objectif de cet article consiste donc à mieux documenter la mobilité des adolescents résidant dans l’agglomération urbaine de Québec en fonction du genre. Plus spécifiquement, il s’agira d’explorer et de comparer les territoires pratiqués par les adolescents et par les adolescentes en fonction du mode de transport et de leur zone de résidence (vieux centre, ancienne banlieue, nouvelle banlieue et périphérie). Seuls les territoires extrascolaires atteints en mobilité indépendante seront analysés ici. Le choix des territoires extrascolaires est motivé par le fait que c’est dans ses temps libres que l’adolescent s’affranchit, tente d’accéder à ce qui existe, choisit de se déplacer (Massot et Zaffran, 2007). La mobilité de type indépendante (modes auto conducteur, transport public, marche et vélo) permet d’observer et de comparer les modes utilisés pour s’affranchir. Il s’agit donc ici d’extraire l’adolescent(e) de la contrainte des déplacements scolaires et des déplacements accompagnés. Dans ce contexte, nous nous posons deux questions : est-ce que l’automobile, en tant que conducteur, permet aux adolescent(e)s d’utiliser un territoire plus vaste que le transport public (soit l’autobus à Québec). En d’autres termes, les territoires pratiqués en mode automobile conducteur sont-ils réellement plus vastes qu’en mode autobus? L’on peut penser que oui, mais l’automobile pourrait être préférée pour des raisons symboliques seulement, et non pour « aller plus loin ». Deuxièmement, est-ce que les territoires d’activité pratiqués par les jeunes hommes sont plus vastes que ceux pratiqués par les jeunes filles? Nous supposons que oui, l’adolescence serait le moment où les différences de mobilité apparaissent mais elles seraient sans doute liées à l’utilisation (en mode conducteur) d’une automobile.
Le reste de l’article est organisé comme suit : la section suivante présente une brève revue de la littérature sur la mobilité des adolescents. Les données et les méthodes utilisées pour décrire la mobilité des adolescents et explorer leur territoire d’action sont par la suite précisées. Ces données proviennent de l’enquête origine-destination réalisée dans l’agglomération de Québec en 2001. Les résultats sont ensuite présentés et discutés en fonction des deux questions posées.
Mobilité des adolescents : que disent les recherches?
Une question se pose avant toute chose : pourquoi étudier la mobilité des adolescents? En premier lieu, l’étape de l’adolescence est un moment unique dans la vie d’une personne : d’une part, la mobilité et la participation aux activités des adolescents sont contraintes par les parents et l’âge d’obtention d’un permis de conduire, et d’autre part, leur maturité croissante leur accorde plus de permission pour prendre des décisions et passer plus de temps sans la supervision des adultes (Clifton 2003). Zaffran (2005) affirme d’ailleurs que l’adolescence correspond à une « recherche singulière du sens de l’action par un individu qui aspire à une certaine souveraineté au travers de pratiques qu’il voudrait autonomes. [L]’adolescent devra inévitablement gérer la contradiction entre le désir de découvrir des horizons nouveaux […] et les multiples contraintes institutionnelles et organisationnelles qui entravent leur accès » (p. 58).
En deuxième lieu, l’automobile joue un grand rôle dans la vie des adolescents et de leurs parents. En 1995, l’automobile était le mode de transport prédominant des jeunes âgés de 10 à 15 ans aux États-Unis (Clifton, 2003). À Québec, en 2001, l’automobile était utilisée dans 27 % des déplacements effectués par les jeunes de 12 à 18 ans, majoritairement en tant que passagers (Bachiri et al., 2007). Ce chiffre donne une idée des déplacements pris en charge par les parents afin de faciliter la participation de leurs enfants à diverses activités, incluant les activités scolaires : en 2001, les motifs « conduire ou aller chercher quelqu’un » ont justifié 9,5 % des déplacements des personnes âgées de 25 à 54 ans[3] (RTC/MTQ, 2001). En Île-de-France, 40 % de la mobilité quotidienne des jeunes de 11 ans est de type accompagnée (Massot et Zaffran, 2007). L’obtention du permis de conduire dans ce contexte peut être vu autant comme un symbole d’autonomie et d’indépendance pour l’adolescent (Kaplan, 2004) que comme une diminution des responsabilités (et du rôle de chauffeur) pour les parents.
Les facteurs influençant le niveau de mobilité (in)dépendante des enfants et des adolescents[4] ont été identifiés dans les recherches menées de la fin des années 1980 au début des années 2000. Une excellente revue de la littérature a été réalisée à ce sujet par Clifton (2003) (voir aussi Prezza et al., 2001). Ces facteurs incluent les caractéristiques socio-démographiques (âge, sexe, revenu des parents), des facteurs géographiques (centre-ville vs banlieue), le degré de permissivité parentale et le niveau de participation dans diverses activités (familiales et/ou domestiques mais aussi parascolaires). La conclusion de cette revue de littérature est claire : le niveau de mobilité indépendante des enfants et des adolescents est en diminution, bien que les plus vieux bénéficient d’une plus grande autonomie dans leurs déplacements. Les travaux de O’Brien et al., (2000) dans la région de Londres illustrent très bien cette réalité. Plus récemment, en Suède, Johanson (2006) a analysé les réponses de 357 parents d’enfants (8-11 ans) dans le but de distinguer les facteurs environnementaux et parentaux influençant le choix modal des enfants dans l’organisation des activités de loisir. L’attitude des parents face à la mobilité dépendante (déplacements « taxis ») semble liée à des facteurs environnementaux (circulation, qualité des trottoirs et des pistes cyclables, nombre d’automobiles dans le ménage). L’attitude face aux déplacements indépendants est quant à elle plutôt liée aux caractéristiques de l’enfant (âge et maturité) et aux facteurs parentaux (confiance et besoin de protéger l’enfant, présence d’enfants plus âgés dans le ménage). Par ailleurs, une étude récente réalisée à Auckland, Nouvelle-Zélande, indique que près de la moitié des enfants interrogés (131) n’aimaient pas leur mode de déplacement entre la résidence et l’école et que la plupart préférerait se déplacer de façon indépendante dans l’espace public (Mitchell et al. 2006).
En ce qui concerne la mobilité du groupe spécifique des adolescents, Clifton (2003) a analysé, aux États-Unis, les déplacements effectués après l’école de plus de 8500 adolescents âgés de 13 à 18 ans. Ses résultats indiquent clairement le gain d’indépendance obtenu par les adolescents les plus âgés mais que ce gain reposait sur l’utilisation de plus en plus grande de l’automobile et un taux élevé de possession du permis de conduire (77,7 % chez les 16-18 ans). La participation à des activités extérieures au foyer augmente avec l’âge et parmi les adolescents les plus âgés, peu d’entre eux retournent directement à la maison après l’école. Quant aux plus jeunes adolescents, ils utilisent les modes de transport alternatifs à un taux nettement plus élevé que les plus vieux, toutefois le fait que la plupart retournent à la maison après l’école ne permet pas de déterminer s’ils ont véritablement un choix dans les destinations rejoignables par les modes alternatifs.
Des analyses plus fines réalisées en Suède, dans la région de Londres, en Île-de-France, ainsi qu’au Québec font ressortir d’importantes variations spatiales dans les pratiques de mobilité des adolescents. D’une part, des travaux réalisés en Suède démontrent qu’en dépit du fait que le milieu rural offre généralement plus de possibilités en termes de mobilité indépendante, les enfants (7-17 ans) vivant en milieu rural expérimentent un moins bon niveau de mobilité indépendante que les enfants vivant en milieu urbain (Tillberg Mattsson, 2001). O’Brien et al. (2000) ont examiné la mobilité d’enfants (10-11 ans) et d’adolescents (13-14 ans) dans trois environnements urbains contrastés : un quartier central et une banlieue de Londres ainsi qu’une ville nouvelle. Ce sont les jeunes demeurant dans la ville nouvelle qui bénéficient de la plus grande indépendance dans leurs déplacements. L’abondance d’espaces verts entre les maisons et les rues, le sentiment de confiance et d’appartenance, de support mutuel ainsi que la plus faible densité de population constituent des caractéristiques typiques de ce type de milieu. En Île-de-France, Massot et Zaffran (2007) ont analysé les territoires fréquentés par les adolescents : leur étendue est moins sensible à l’âge qu’aux densités d’activité et humaine : la portée spatiale des activités est réduite pour les adolescents résidant dans Paris intra muros et dans sa banlieue, tandis que l’étendue des territoires fréquentés par les adolescents résidant en grande couronne est plus vaste. À Québec, les pratiques de mobilité révélées par des entretiens en profondeur réalisés avec des adolescents (12-18 ans) résidant en milieu périurbain (troisième couronne et milieu rural) sont fortement dépendantes de l’automobile et du transport scolaire. Ces pratiques ont été confirmées par l’analyse des données d’une enquête plus vaste, mais elles ont été nuancées selon un découpage plus fin du milieu : dans les nouvelles banlieues (deuxième couronne), les déplacements sont plus également partagés entre mobilité dépendante (auto-passager, transport scolaire) (46 % des déplacements) et mobilité indépendante (auto conducteur, transport public, marche et vélo) (53 % des déplacements), comparativement à la périphérie où les proportions sont respectivement de 71 % et de 28 % (Bachiri et al., 2007).
La dimension temporelle de la mobilité des adolescents est peu ou pas évoquée dans les différentes études de mobilité publiées à leur sujet, ce qui s’explique en partie par le fait que cette information est rarement demandée lors des enquêtes auprès des ménages, en raison de sa grande subjectivité d’une part et d’autre part, de la difficulté de l’estimer après l’enquête (voir la discussion à ce sujet dans Vandersmissen et al. 2008). Il est par ailleurs possible que les adolescents perçoivent le temps autrement que les adultes, peut être en raison d’une plus grande disponibilité. Comme pour les adultes, l’automobile permet de couvrir les mêmes distances mais en moins de temps que l’autobus. Le temps pourrait alors jouer un rôle dans les choix modaux des adolescents. Par exemple, les entretiens en profondeur réalisés auprès d’une trentaine d’adolescents résidant dans les banlieues de Québec ont permis d’observer une perception reliée au temps différente des parcours vers l’école en fonction du mode de transport : le temps devient substance lorsque le trajet est effectué en automobile et distance lorsqu’il est effectué en transport scolaire (voir Bachiri et Després dans ce même numéro).
À notre connaissance, la question du genre a été peu abordée dans les analyses de la mobilité des adolescents, contrairement à celle des adultes. En effet, les recherches entreprises dans les années 1970 sur les déplacements vers le travail ont rapporté des différences importantes et significatives entre les genres, différences liées aux distances, durées et modes de déplacement. Bien que les écarts entre les genres aient récemment diminué, des différences subsistent (voir Vandersmissen et al., (2008) pour une revue synthétique des travaux réalisés dans ce domaine, ainsi que Crane, 2007).
En ce qui concerne les jeunes et les adolescents, il semble que la mobilité des filles et jeunes filles soit plus restreinte et plus limitée aux environs de la maison. Elles passeraient également moins de temps dans les espaces publics urbains que les garçons et quand elles sortent de la maison, elles sont plus susceptibles d’être supervisées par un adulte que ne le sont les garçons (Valentine, 1997). Les observations de O’Brien (2000) dans la région urbaine de Londres et de Tranter et Pawson (2001) à Christchurch en Nouvelle-Zélande vont dans le même sens : les jeunes filles sont plus restreintes dans leur utilisation de l’espace public. À Londres, elles tendent à se déplacer de façon plus autonome dans le quartier de banlieue et dans la nouvelle ville comparativement au quartier central de Londres, où leur niveau de participation à la vie urbaine rejoint celle des garçons. À Christchurch, les différences les plus importantes concernent la permission de fréquenter seul d’autres endroits que l’école, de prendre l’autobus seul et de revenir seul de l’école . En somme, bien que tous les jeunes éprouvent une certaine anxiété à être dans des espaces urbains, non sécuritaires ou en présence d’inconnus, ces craintes sont plus fréquemment rapportées par les jeunes filles peu importe le milieu, en conformité avec les travaux de Valentine (1989). Par contre, les entretiens menés en milieu périurbain de Québec à l’été 2005 (21 jeunes filles et 9 jeunes garçons) n’ont pas fait ressortir le genre comme facteur discriminant dans la mobilité des adolescents (Bachiri et Després, ce même numéro) ni le point de vue des garçons et des filles sur leur rôle respectif par rapport à l’usage de l’automobile (qui conduit lorsqu’ils sortent en couple, etc.), trois d’entre eux seulement disposant d’un permis de conduire.
La description de la mobilité et l’analyse des territoires extrascolaires utilisés par les adolescents et adolescentes de Québec, que nous présentons dans cette recherche, devrait contribuer à l’amélioration des connaissances sur la mobilité des adolescents et sur les différences de genre en testant les constats tirés des entretiens en profondeur précédemment réalisés à Québec, à l’aide d’une vaste base de données dont les caractéristiques sont présentées dans la section suivante.
Données et méthodologie
Les données sont issues de l’enquête origine-destination (OD) réalisée à l’automne 2001 dans la région métropolitaine de Québec (RMQ) par le Réseau de transport de la Capitale (RTC) et le ministère des Transports du Québec (MTQ). Il s’agit d’une enquête téléphonique réalisée auprès d’un échantillon représentatif de 27 839 ménages résidant dans l’agglomération (± 11 % de l’ensemble des ménages) et rapportant les déplacements effectués une journée ordinaire de la semaine (excluant les samedi et dimanche) par tous les membres du ménage âgés de 6 ans et plus. Cette enquête décrit les caractéristiques des déplacements (origine, destination, motif, moyen de transport utilisé, heure de départ, etc.), des personnes ayant effectué ces déplacements (âge, sexe, occupation, etc.) et des ménages (nombre de personnes, de véhicules, etc.). En 2001, 16 776 déplacements effectués par 5784 adolescents âgés de 12 à 18 ans ont été recensés, mais 10 299 déplacements sont de nature extrascolaire. La très grande majorité de ces adolescents sont des étudiants (97 %), et deux adolescents sur trois vivent dans les nouvelles banlieues ou en périphérie (tableau 1). Les trois quarts des déplacements effectués par les adolescents proviennent donc de ces secteurs.
Les enquêtes OD présentent de nombreux avantages dont leur ampleur (recensement de plus de 180 000 déplacements en 2001) et leur fréquence (aux cinq ans). Elles présentent aussi certains inconvénients dont deux limitent jusqu’à un certain point la portée de nos analyses : le fait qu’elles soient réalisées un jour de la semaine restreint forcément la variété d’activités extrascolaires menées par les adolescents, la part de temps libre en semaine étant faible par rapport à la part de temps scolaire; les territoires utilisés en seront donc affectés.
Le deuxième inconvénient concerne le fait que les déplacements des membres d’un ménage contacté par téléphone sont rapportés par une seule personne (un des parents généralement), de sorte qu’un certain nombre de déplacements effectués par les adolescents peuvent ne pas avoir été rapportés ou rapportés correctement. Le troisième inconvénient est lié à la procédure d’échantillonnage qui, même en étant stratifiée par grandes zones, ne garantit pas une couverture spatiale uniforme (sous-estimation des quartiers centraux). Les facteurs d’expansion, établis à partir des données de population du recensement de Statistique Canada (2001) permettent néanmoins de corriger ces échantillons et ont été utilisés pour toutes les analyses présentées dans cet article[5]. Enfin, ce genre d’enquête ne recense que la mobilité effective (réalisée ou révélée) des personnes et ne décrit pas la mobilité latente (mobilité non réalisée).
Les lieux de résidence des ménages interrogés ont été regroupés en cinq grandes zones de résidence découpant le territoire couvert par l’enquête OD (RMQ) : le vieux centre, les anciennes banlieues, les nouvelles banlieues, la périphérie et la partie rurale (figure 1). Dans un premier temps, la description de la mobilité (157 367 déplacements pondérés) repose sur l’utilisation de tableaux à double entrée. La relation d’indépendance entre chacune des caractéristiques et la localisation résidentielle est testée à l’aide du test du chi carré et l’intensité de la relation est mesurée par le coefficient de contingence (C) qui varie de 0 à 1, une valeur près de 1 signifiant une relation de forte intensité (Clark et Hosking, 1986). Cette mesure de l’intensité de la relation est indépendante de la taille de l’échantillon, et est donc la même que l’on travaille avec l’échantillon pondéré ou non.
Dans un second temps, des espaces d’activité différenciés selon le genre, le mode de transport et la localisation résidentielle sont construits à partir de l’observation des lieux de destination des adolescents. Ces territoires d’activité sont construits par l’analyse centrographique[6] des lieux de destination (pondérés selon les facteurs d’expansion[7]) de tous les déplacements extrascolaires, à l’exception des retours au domicile, ceci afin d’éviter que les indices centrographiques ne reflètent trop la dispersion des lieux de résidence. L’application de ces filtres nous laisse 2384 déplacements ou 22 587 déplacements pondérés. L’analyse centrographique est une technique d’analyse spatiale qui consiste en un ensemble d’indices permettant de décrire et de mesurer les caractéristiques globales de la distribution géographique d’un ensembles de points (Kellerman, 1981), les lieux de destination des déplacements des adolescents dans le cadre de cet article. La centrographie est en quelque sorte l’équivalent des mesures de tendance centrale et de dispersion adaptées pour un espace géographique à deux dimensions. Ses applications relèvent tant du domaine de la géographie économique (Greene, 1991), que de l’économie urbaine (Thériault et Des Rosiers, 1995) ou de l’analyse des accidents routiers (Levine et al., 1995). L’analyse centrographique a également été utilisée pour décrire les espaces d’activité (emplois) différenciés selon le genre (Vandersmissen, 2007) et la mobilité dépendante et indépendante des adolescents (sans tenir compte du genre) (Bachiri et al., 2007)
Plus précisément, les mesures de statistiques spatiales utilisées sont le centre de gravité (centre moyen pondéré de la distribution géographique, représentant sa localisation moyenne), la distance-type (carrés des écarts à la moyenne des points autour du centre de gravité représentant le degré de dispersion des lieux de destination autour du centre moyen). La distance type pourrait être utilisée comme le rayon d’un cercle autour du centre de gravité ce qui permettrait d’illustrer la dispersion spatiale d’une distribution de points autour du centre de gravité. Cependant, la plupart des phénomènes géographiques sont caractérisés par un biais directionnel, c’est-à-dire qu’ils présentent une variation selon la direction; ce sont des distributions anisotropiques (par exemple, la distribution spatiale des accidents routiers suit la direction des axes routiers).
Le cercle de la distance type ne permettrait pas de cerner ce biais directionnel. Des ellipses de dispersion sont donc créées à partir de deux axes perpendiculaires de dispersion (axe de dispersion maximum et axe de dispersion minimum) pour illustrer la direction inégale de la distribution des points autour du centre de gravité. Ces ellipses permettent d’estimer en quelque sorte les territoires d’activité des adolescents. Trois ellipses sont générées par l’analyse centrographique, la première ellipse contenant approximativement entre un tiers et 50 % des lieux, selon le nombre d’observations et leur distribution, la seconde entre 75 % et 95 % des lieux et la troisième ellipse contenant environ 99 % des lieux. Le calcul des ellipses de dispersion produit plusieurs indices mais nous n’utiliserons ici que la superficie de la troisième ellipse afin de comparer l’étalement géographique des espaces d’activité des adolescent(e)s demeurant dans la RMQ.
Résultats
Dans un premier temps, nous décrivons la mobilité des adolescent(e)s en présentant les ressources individuelles dont ils disposent pour se déplacer, ainsi que les motifs (incluant les études) et les modes de transport utilisés pour se déplacer. Par la suite, les territoires pratiqués par les adolescent(e)s sont analysés.
Mobilité des adolescent(e)s
Une des principales ressources dont disposent les adolescents pour se déplacer est le transport public (autobus seulement) dans les zones desservies. Dans l’ensemble de l’agglomération, le taux de possession d’un laissez-passer mensuel est peu élevé, mais un peu plus élevé chez les filles (25,6 %) que chez les garçons (20,9 %) (tableau 2). Précisons qu’il s’agit ici d’un indicateur partiel de l’utilisation du transport public puisque les jeunes peuvent privilégier le paiement à l’entrée ou l’achat de billets. C’est chez les adolescent(es) résidant dans le vieux centre que ce taux est le plus élevé, bien que même dans ce secteur, plus de la moitié des adolescents ne possèdent pas de laissez-passer. Le taux décroît au fur et à mesure que l’on s’éloigne du centre vers les zones moins bien desservies. La relation de dépendance entre la possession d’un laissez-passer et la localisation résidentielle est significative, mais faible en intensité.
Le taux de possession d’un permis de conduire, possible au Québec à partir de l’âge de 16 ans, présente des proportions plus partagées : 45,4 % des adolescents âgés de 16 à 18 ans sont titulaires d’un permis de conduire comparativement à 38,6 % des adolescentes (tableau 3)[8]. À l’opposé du laissez-passer, c’est dans le vieux centre et dans les anciennes banlieues que ce taux est le plus faible mais même là, au moins un adolescent sur trois détient un permis de conduire. La possession d’un permis de conduire est la plus fréquente en milieu rural. Elle est significativement liée à la localisation résidentielle mais l’intensité de la relation est très faible. Par ailleurs, le permis de conduire est plus prisé par les jeunes hommes que par les jeunes filles peu importe le lieu de résidence, mais les écarts les plus importants se situent dans le vieux centre et en milieu rural tandis que les écarts les plus faibles sont localisés dans les anciennes et nouvelles banlieues. Ces constats renforcent l’hypothèse de l’apparition d’une mobilité différente selon le genre à l’adolescence, possiblement en raison des différences dans le taux de titularisation.
Sans contredit, les études constituent le principal motif de déplacement des adolescents, si on exclut les retours au domicile (tableau 4). Les proportions varient peu ou pas en fonction de la zone de résidence (relation significative mais intensité pratiquement nulle) et du genre. Les loisirs (incluant les sorties au restaurant et les visites d’ami et de la parenté) sont le deuxième motif invoqué pour se déplacer et ce sont les jeunes résidant dans le vieux centre qui se déplacent en plus grande proportion pour ce motif. Les différences entre les genres sont plus marquées que pour le motif études : les garçons font plus souvent ce type de déplacement que les filles, particulièrement lorsqu’ils demeurent en milieu rural et, dans une moindre mesure, dans le vieux centre. Le travail est un faible générateur de déplacements pour ce groupe d’âge tout comme le magasinage (incluant les grandes surfaces, les autres commerces et les épiceries) même si ce dernier motif génère tout de même 4 % des déplacements des jeunes filles demeurant dans le vieux centre.
Une relation plus intense lie les modes de transport utilisés pour se déplacer à la localisation résidentielle (tableau 5). Quatre modes de transport ressortent : le transport scolaire, le transport public, la marche et être passager dans une automobile. À peine 2 % de l’ensemble des déplacements des adolescents ont été effectués en vélo, ce qui peut s’expliquer en partie par le fait que l’enquête s’est déroulée entre les mois de septembre et décembre. Les déplacements en mode auto conducteur sont nettement plus fréquents à partir de la zone rurale, et plus fréquents aussi chez les jeunes hommes, peu importe la zone de résidence. Les déplacements comme passager d’une automobile sont également plus fréquents à partir de la zone rurale et surtout plus fréquents chez les jeunes filles. Comme l’automobile, l’utilisation du transport scolaire est fortement liée à la zone de résidence et est pratiquement absente du vieux centre et des anciennes banlieues en raison de l’intégration du transport scolaire au service de transport public[9], alors qu’il est dominant dans les nouvelles banlieues, en périphérie et dans la partie rurale de l’agglomération. La situation est différente pour le transport public qui est utilisé pour un déplacement sur trois à partir du vieux centre et des anciennes banlieues, et pour un déplacement sur cinq à partir des nouvelles banlieues. L’autobus est utilisé à part presque égale par les garçons et les filles demeurant dans le vieux centre ainsi qu’en périphérie, alors que dans les anciennes et nouvelles banlieues, les déplacements en autobus sont nettement plus fréquents chez les filles. Quant aux déplacements effectués à pied, ils sont clairement dominants dans le vieux centre ainsi que dans les anciennes banlieues et plus fréquents en zone rurale qu’en périphérie. La marche est légèrement plus prisée par les garçons que par les filles sauf en périphérie et en zone rurale : dans ce dernier secteur, un déplacement féminin sur cinq est effectué à pied (alors qu’il est de un sur dix du côté masculin).
Territoires pratiqués
Rappelons ici que les territoires pratiqués analysés sont extrascolaires et ont été rejoints en mobilité indépendante soit en mode automobile conducteur, par transport public (autobus) ou à pied. Nous n’avons pas retenu les lieux rejoints en vélo, puisque selon le tableau 5, il s’agit d’un mode plutôt marginal chez les adolescents. Les territoires pratiqués sont observés selon trois grandes zones de résidence : le vieux centre et les anciennes banlieues regroupées en raison de leurs caractéristiques souvent similaires, les nouvelles banlieues et la périphérie. L’analyse centrographique étant très sensible à la forme du territoire, les comparaisons se font pour une même zone de résidence. En plus de la forme et de la superficie, le nombre de lieux d’activités qui attirent les adolescents varie également selon les zones de résidence. Les jeunes résidant dans les nouvelles banlieues ont accès à deux fois plus de lieux d’activités extrascolaires que les jeunes résidant dans le vieux centre et les anciennes banlieues ainsi qu’en périphérie (tableau 6). Le rapport entre la fréquence des déplacements à destination de ces lieux et le nombre de ces lieux permet de nuancer les différences entre les zones mais résider dans les nouvelles banlieues augmente clairement l’offre de lieux d’activités extrascolaires et les possibilités de déplacement (tableau 6). Même si l’indice de fréquentation (rapport déplacements/lieux) est le plus élevé pour les lieux de magasinage de type grande surface, ce sont surtout les lieux de loisir et de visites d’amis ou de parenté qui génèrent le plus grand nombre de déplacements extrascolaires, et toujours deux fois plus pour les résidents des nouvelles banlieues. En raison du faible nombre d’adolescents, de déplacements et de lieux d’activités, la zone rurale a été laissée de côté dans l’analyse des territoires pratiqués.
Les territoires pratiqués par les adolescents et les adolescentes sont d’abord comparés en fonction des modes de transport utilisés : soit l’automobile en tant que conducteur et le transport public, pour une même zone de résidence. Le cas des jeunes hommes et celui des jeunes filles seront alors analysés séparément. Par la suite, les territoires seront comparés en fonction du genre pour un même mode et une même zone de résidence.
La figure 2 illustre les ellipses de dispersion issues des analyses centrographiques, construites à partir des lieux fréquentés, pour chacun des modes de transport. Ces ellipses traduisent les espaces d’action ou territoires utilisés. Le tableau 6 précise les valeurs des paramètres centrographiques retenus : la distance type (degré de dispersion des lieux) et la superficie (étalement de l’espace d’activité). Pour chacun de ces paramètres, les valeurs associées au mode transport public ont été rapportées au mode auto conducteur afin de faciliter l’analyse : plus le rapport est près de 1, plus le degré de dispersion et la superficie associés au transport public et au mode auto conducteur se ressemblent. Les valeurs supérieures à 1 indiquent un avantage pour le mode auto conducteur.
De façon générale, plus les lieux de résidence sont éloignés du vieux centre et des anciennes banlieues, plus les lieux d’activité sont dispersés et plus la superficie des territoires pratiqués est vaste (tableau 6). De plus, les lieux d’activité fréquentés sont toujours plus dispersés lorsque les adolescents les rejoignent en mode auto conducteur et la superficie de l’espace utilisé est aussi toujours plus vaste, tant pour les jeunes garçons que pour les jeunes filles (figure 2 et tableau 6). Des nuances existent cependant selon le lieu de résidence. Ainsi, la dispersion des lieux d’activité et la superficie des territoires utilisés rejoints en transport public et en auto conducteur est pratiquement similaire lorsque les adolescents demeurent dans le vieux centre ou les anciennes banlieues, et particulièrement pour les jeunes garçons (rapports de 1,03 et 1,06). À partir des lieux de résidence situés dans les nouvelles banlieues, la dispersion des lieux d’activité et la superficie des territoires utilisés est plus importante lorsque les déplacements sont effectués en mode auto conducteur. Bien que les valeurs absolues des distances types soient plus élevées lorsque les adolescents résident en périphérie, les rapports sont du même ordre que pour les nouvelles banlieues. C’est moins le cas du côté de la superficie des territoires pratiqués : le rapport augmente nettement lorsque les adolescents résident en périphérie plutôt que dans les nouvelles banlieues. À partir de la périphérie, le territoire pratiqué par les adolescents en auto conducteur est deux fois plus vaste qu’en transport public.
En ce qui concerne les jeunes filles, la ressemblance de la dispersion des lieux d’activité et de la superficie des territoires pratiqués associée à la zone centrale trouvée chez les jeunes garçons n’existe plus, mais c’est néanmoins à partir de cette zone que les rapports auto/transport public sont les plus faibles (1,22 et 1,38). Chose curieuse, le rapport entre la dispersion des lieux d’activité et la superficie des territoires rejoints en auto conducteur plutôt qu’en transport public est plus élevé à partir des nouvelles banlieues que de la périphérie. En d’autres termes, la ressemblance est plus grande entre la dispersion des lieux et le territoire pratiqué en auto conducteur et en autobus à partir de la périphérie de l’agglomération que des nouvelles banlieues. À partir des nouvelles banlieues, le territoire pratiqué par les adolescentes en auto conducteur est deux fois plus vaste qu’en transport public.
Par ailleurs, les ellipses de dispersion illustrées à la figure 2 démontrent l’anisotropie des territoires habités de façon générale mais aussi pratiqués en fonction des modes de transport. Ainsi, lorsque les adolescents résident dans le vieux centre ou les anciennes banlieues, les ellipses suivent l’axe NE-SO, axe du fleuve et du développement du territoire et plus particulièrement des zones d’activité les plus denses de ce secteur. Lorsque le transport public est utilisé pour rejoindre les lieux d’activité, les ellipses ont tendance à garder l’orientation NE-SO (ce qui est normal puisque le transport public dessert ces axes les plus denses) sauf pour les jeunes filles demeurant en périphérie, possiblement parce qu’elles traduisent un plus grand usage du transport public entre les deux rives du fleuve Saint-Laurent. Ce qui est clair cependant, c’est que la forme des territoires pratiqués en auto conducteur à partir des nouvelles banlieues et de la périphérie s’arrondit et prend même une orientation N-S reflétant plutôt les territoires accessibles par le réseau autoroutier.
De façon générale, le degré de dispersion et l’étalement des territoires discriminent les genres mais pas forcément pour les modes ou dans les territoires prévus (figure 3 et tableau 7). Les différences les plus grandes entre les genres sont liées aux zones de résidence centrales et périphériques. Observons tout d’abord les territoires rejoints en mode auto conducteur. De façon assez surprenante, les lieux rejoints par les jeunes filles à partir des zones centrales sont nettement plus dispersés et les territoires pratiqués plus étalés (de 17 %) que pour les jeunes garçons. A partir des nouvelles banlieues et de la périphérie, des rapports voisins de 1 indiquent une dispersion des lieux d’activité et des territoires utilisés similaires, bien que la forme des ellipses des jeunes garçons résidant en périphérie soit nettement plus ronde et orientée N-S.
En ce qui concerne le transport en commun, les lieux fréquentés sont à peine plus dispersés et les espaces d’activité légèrement plus vastes pour les jeunes garçons, sauf à partir de la périphérie où les rapports sont inversés : les jeunes filles utilisent un territoire près de 25 % plus vaste que les jeunes garçons et comme l’illustre la figure 3, ce territoire est clairement orienté N-S et chevauche ainsi les deux rives du fleuve Saint-Laurent. Quant aux déplacements effectués à pied, les valeurs absolues des distances-types et des superficies sont très élevées et dépassent même les valeurs mesurées pour les déplacements effectués en auto conducteur. Cette incongruité s’explique par le fait que la marche est utilisée pour rejoindre des lieux très proches (du lieu de résidence en général et éventuellement des écoles) et que par conséquent, ici, le degré de dispersion des lieux d’activité et la superficie des territoires pratiqués traduisent en fait la dispersion et l’étalement des lieux de résidence. Ceci étant dit, les lieux d’activité et les territoires rejoints à pied par les jeunes garçons sont plus dispersés et plus vastes que pour les jeunes filles à partir des zones centrales et surtout de la périphérie.
Discussion et conclusion
En termes de ressources individuelles dont disposent les adolescents pour se déplacer de façon autonome, on peut retenir que les jeunes filles sont proportionnellement plus nombreuses à acheter un laissez-passer en transport public que les jeunes garçons dès que les lieux de résidence sont à l’extérieur du vieux centre. Les taux de possession relativement faibles mesurés ici rejoignent les constats relevés par Bachiri et Després (ce même numéro) pour l’utilisation du transport public en milieu périurbain. Par contre, les jeunes hommes sont nettement plus nombreux à être titulaires d’un permis de conduire et cela peu importe la zone de résidence alors que le rapport est du simple au double pour un lieu de résidence central. La disposition de ces ressources influence les modes de transport utilisés pour l’ensemble des motifs. Peu importe la zone de résidence, les déplacements en auto conducteur des jeunes garçons sont toujours proportionnellement plus nombreux que pour les jeunes filles. L’inverse est aussi vrai pour les déplacements en auto passager et en transport public, à l’exception du vieux centre. Ces choix modaux ressemblent étrangement à ceux des adultes (Vandersmissen, 2007) même si les adolescents, a priori, ne vivent pas les contraintes liées aux lieux d’emploi et aux responsabilités familiales des adultes qui rendent l’automobile si utile. Par ailleurs, si les parents voient d’un bon oeil le fait que leurs adolescents soient en mesure de se déplacer sans être accompagnés dès qu’ils ont leur permis de conduire, pourquoi ce soulagement discriminerait-il les filles des garçons? S’agirait-il d’une question de supervision accrue des jeunes filles par leur parent comme le suggère la littérature (O’Brien et al., 2000; Tranter et Pawson, 2001)?
À la question : est-ce que conduire une automobile permet aux adolescent(e)s d’utiliser un territoire plus vaste que le transport public?, la réponse est non pour les jeunes hommes résidant dans le vieux centre ou les anciennes banlieues. Que ce soit en auto conducteur ou en autobus, le territoire pratiqué pour les activités extrascolaires est similaire mais il l’est moins toutefois pour les jeunes filles, qui semblent avoir un territoire d’action plus vaste que celui des garçons lorsqu’elles conduisent une automobile. Il faut néanmoins se souvenir qu’à peine plus de 2 % de leurs déplacements sont effectués en mode auto conducteur et qu’elles n’ont rejoint que 15 lieux extrascolaires (échantillon non pondéré) de cette façon. Ce petit nombre (et la plus grande variance associée) peut en partie expliquer ces résultats (comme pour les lieux rejoints en transport public à partir de la périphérie). Les résultats obtenus pour les jeunes hommes sont dignes d’intérêt parce qu’ils caractérisent une zone de résidence bien desservie en transport public. L’automobile ne semble donc pas utilisée pour aller réellement plus loin qu’en autobus. Lorsque les zones de résidence sont moins bien desservies en transport en commun, comme c’est le cas dans les nouvelles banlieues et en périphérie, conduire une automobile permet d’exploiter un territoire nettement plus vaste, peu importe le genre. Ces résultats font cependant abstraction de l’aspect temporel de la mobilité, c’est-à-dire la durée des trajets. L’automobile pourrait être utilisée non pas pour aller plus loin qu’en autobus, mais pour y aller plus rapidement. Les données utilisées ne nous permettaient pas de tester cette hypothèse. Cependant, des développements méthodologiques en cours au Centre de recherche en aménagement et développement permettront de modéliser fidèlement les déplacements inventoriés dans les enquêtes OD et de fournir ainsi une estimation précise de leur durée, peu importe le mode de transport.
En ce qui concerne la deuxième question : est-ce que les territoires d’activité pratiqués par les jeunes hommes sont plus vastes que les territoires pratiqués par les jeunes filles ?, la réponse doit être nuancée en fonction des modes de transport. En mode auto conducteur ou en transport public (et en excluant le cas des petits nombres), les rapports étant très proches de l’unité, on ne peut raisonnablement conclure à une différence entre les genres. Par contre, lorsque les adolescents se déplacent à pied pour rejoindre leurs lieux d’activité, et considérant le fait que rien, a priori, ne nous permet d’affirmer que les lieux de résidence des garçons sont plus éloignés que ceux des filles, il est clair que les espaces d’action des premiers sont plus vastes. Ce constat vaut particulièrement pour les jeunes résidant dans les zones centrales et de la périphérie. Ces milieux semblent être associés, sans doute pour des raisons différentes, à une mobilité plus restreinte du côté des jeunes filles. Bien que Québec soit plutôt reconnue comme une des régions métropolitaines les plus sécuritaires au Canada (Gannon, 2005), il n’en demeure pas moins que certains secteurs du vieux centre (à l’extérieur de la zone fréquentée par les touristes) puissent inspirer une certaine crainte et que cette crainte soit plus vécue par les jeunes filles (Valentine,1989). La zone périphérique peut également générer un sentiment d’insécurité et restreindre la mobilité en raison du type d’habitat généralement plus dispersé qu’on y trouve. Quant aux nouvelles banlieues, l’habitat y est relativement groupé, la densité faible à moyenne et le niveau socio-économique plus homogène; ce milieu peut facilement générer de petites communautés de voisinage, dans laquelle les jeunes peuvent se déplacer en toute confiance. Les données exploitées ici ne nous permettent pas de confirmer ces hypothèses et les entretiens en profondeur réalisés en milieu périurbain à Québec par Bachiri et Després (ce même numéro) ne font pas ressortir ce sentiment d’insécurité. Nos résultats vont également dans le sens des résultats obtenus dans trois milieux différenciés de Londres (O’Brien et al., 2000) et des résultats obtenus par Massot et Zaffran (2007) en Île de France.
Cet article visait à mieux documenter la mobilité et les territoires extra scolaires pratiqués par les adolescents résidant dans l’agglomération urbaine de Québec en fonction du genre, des zones de résidence et en mobilité indépendante. Nous avons exploité les données de l’enquête OD réalisée en 2001 dans la région métropolitaine de Québec à l’aide de tableaux à double entrée et d’une technique d’analyse spatiale descriptive : l’analyse centrographique. Dans ce contexte, nous avons observé que lorsque la zone de résidence est bien desservie par le transport public, conduire une automobile ne génère pas un territoire réellement plus vaste qu’en transport public. L’inverse est vrai dès que l’on s’éloigne de la zone centrale. L’automobile semble être préférée pour des raisons symboliques seulement et non pour « aller plus loin », mais ce constat resterait à vérifier par des entretiens en profondeur ainsi que par l’analyse du rôle que le temps joue dans les choix modaux des adolescents. Ces résultats présentent peu de surprises par rapport aux résultats obtenus pour la population en général (Vandersmissen, 2007). Toutefois, il ne semble pas y avoir de différence de genre dans les territoires pratiqués par les adolescents et par les adolescentes à l’exception des territoires « marchés ». Des analyses multivariées (régression linéaire) permettraient sans doute de s’assurer que les différences minimes ne sont pas significatives; encore faudrait-il s’assurer de disposer de sous-groupes de taille suffisante. Ces résultats semblent situer la genèse des différences de genre dans la vie adulte plutôt que dans l’adolescence et en tout cas, ne contredisent pas tout un pan de la littérature qui associe les comportements de mobilité différentiels selon le genre (entre autres) aux responsabilités familiales et domestiques encore souvent prises en charge par les femmes.
Deux éléments limitent la portée des résultats présentés ici. Le premier concerne le fait que les territoires extrascolaires pratiqués par les adolescents sont générés à partir des déplacements effectués un jour de semaine. Il est difficile de préciser à quel point nos résultats auraient été différents si on avait pu disposer des déplacements effectués le samedi ou le dimanche. Les distances-types et les superficies des territoires pratiqués la fin de semaine sont sans doute plus importantes; dès lors, les rapports calculés entre les modes et les genres auraient-ils changé? Le deuxième facteur limitant est la taille de certains sous-groupes de déplacements/lieux de destination d’adolescents, l’objectif des enquêtes OD n’étant pas d’analyser la demande de mobilité des adolescents mais plutôt de l’ensemble des membres des ménages. Néanmoins, cette recherche repose sur un nombre relativement important de déplacements effectués par les adolescents dans leur ensemble et contribue ainsi aux connaissances sur leur mobilité quotidienne et sur les territoires qu’ils utilisent. De plus, ces enquêtes étant réalisées tous les cinq ans et devenant de plus en plus comparables, il nous sera possible à court terme d’exploiter les données de 2006 et d’identifier de nouvelles tendances quant à la mobilité des adolescents et aux territoires qu’ils fréquentent.
Que peut-on retirer de ces résultats en termes d’aménagement du territoire? Il nous apparaît clair que l’amélioration de la desserte des nouvelles banlieues en transport public permettrait sans doute aux adolescents et adolescentes de pratiquer un territoire similaire au territoire utilisé en mode auto conducteur. Les propositions contenues dans le plan stratégique de développement des services du Réseau de transport de la Capitale vont dans ce sens (RTC, 2005). Toutefois, la charge symbolique associée à l’automobile chez les adolescents ne semble pas près de disparaître. En cela, sont-ils les seuls à blâmer?
Appendices
Remerciements
L’auteure remercie le ministère des transports du Québec et le Réseau de transport de la Capitale pour l’utilisation de l’enquête origine-destination 2001. Des remerciements sincères sont également adressés aux deux évaluateurs anonymes pour leurs commentaires et suggestions des plus pertinents et constructifs.
Notes
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[1]
La RMQ compte environ 696 000 habitants, selon le recensement de Statistique Canada de 2001.
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[2]
Un seul mode de transport public est offert à Québec : l’autobus. Cependant, une importante restructuration effectuée en 1992 a mis en place un parcours Métrobus (fréquence de passage élevée et voies réservées aux heures de pointe) afin de desservir les axes d’activités les plus denses, ainsi que des parcours Express afin de mieux desservir les banlieues (Vincens et al., 2008)
-
[3]
Les données ne nous permettent pas de connaître l’âge de la personne qui a été transportée ni son lien avec le conducteur. Cependant, on peut faire l’hypothèse que chez les 25-54 ans, une bonne partie de ces « déplacements-taxis » s’explique par la présence d’enfants et d’adolescents.
-
[4]
Plusieurs travaux se sont penchés à la fois sur la mobilité des enfants et celle des adolescents (O’Brien et al, 2000) ou exclusivement sur la mobilité des enfants. Les auteurs traitant spécifiquement de la mobilité des adolescents sont plutôt rares, à l’exception Clifton, 2003; Massot et Zaffran, 2007, Bachiri et al., 2007).
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[5]
Ainsi, lorsque les facteurs d’expansion sont appliqués, la base de données comporte 55 495 adolescents et 157 367 déplacements.
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[6]
Les analyses centrographiques ont été réalisées dans le module MapStat programmé par Thériault (2006) dans le logiciel de système d’information géographique MapInfo.
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[7]
Même si l’analyse centrographique est effectuée sur les lieux de destination pondérés, la représentation cartographique conjointe (comparaison des modes ou du genre) des lieux ne permet pas l’affichage de symboles proportionnels, ce qui aurait permis de représenter les lieux préférés. Le tableau 6 tente toutefois de remédier au problème.
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[8]
Ce taux peut sembler faible si on le compare au taux mesuré par Clifton (2003) aux États-Unis (milieu rural et urbain) mais cela représente néanmoins presque un adolescent sur deux.
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[9]
Au Québec, la Loi sur l’instruction publique oblige les commissions scolaires à offrir au réseau de transport public local (lorsque ce mode est présent) la possibilité de transporter les étudiants du cycle secondaire admissibles au transport scolaire.
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