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Introduction

Quand on pense aux personnes ayant un trouble du spectre de l’autisme (TSA), la première condition associée qui nous vient à l’esprit n’est pas l’usage de substances. Pourtant, plusieurs études relèvent que les jeunes ayant un TSA ont une vulnérabilité accrue à l’abus de substances (De Alwis et al., 2014 ; Hofvander et al., 2009 ; Lundström et al., 2011 ; Langström et al., 2009 ; Sizoo et al., 2010). À titre d’exemple, selon une vaste enquête menée auprès de 26 986 personnes ayant un TSA et leurs proches (96 557 parents, frères et soeurs) en 2017, le fait d’être autiste serait un facteur de risque de dépendance aux substances psychoactives (SPA) (Butwicka et al., 2017). Une autre étude rapporte que la prévalence d’une dépendance à l’alcool ou aux drogues chez les personnes ayant une déficience intellectuelle ou développementale (incluant le TSA ; Lin et al., 2013) est plus élevée que chez les personnes ayant un développement typique (6,4 % vs 3,5 %) (Lin et al., 2016). Ce phénomène met en lumière les limites des milieux de pratique en dépendance et en autisme qui connaissent très peu cette population et les interventions à appliquer auprès de celle-ci. Dans leur étude de cohorte, Lin et ses collègues (2016) recommandent la concertation entre les services et le développement des compétences du personnel clinique à intervenir auprès des personnes autistes ayant un problème de dépendance.

La légalisation du cannabis en octobre 2018, au Canada, préoccupe les intervenants travaillant à l’intégration des jeunes autistes. Cette inquiétude est justifiée par certains traits spécifiques des personnes ayant un TSA qui sont susceptibles de les rendre plus vulnérables à développer une dépendance, tel que l’isolement social (Buckner et al., 2012). Pour briser cet isolement et répondre à leurs besoins d’appartenance, d’inclusion et de reconnaissance, les jeunes qui présentent un TSA sont plus à risque d’adopter, de manière involontaire, des comportements qui peuvent entraîner des situations de victimisation (ex. : fréquentation de pairs déviants) et de judiciarisation (ex. : agirs délinquants). L’alcool et le cannabis pourraient être utilisés par les personnes autistes comme des facilitateurs en contexte de socialisation (Sizoo et al., 2010).

À ce jour, peu d’études ont porté sur la consommation de SPA chez les personnes ayant un TSA (De Alwis et al., 2014 ; Lin et al., 2016). En fait, non seulement les résultats obtenus sont rares, mais ils ne sont pas unanimes. Si certaines études ont démontré la présence d’un lien direct entre la consommation problématique de SPA et le TSA (De Alwis et al., 2014 ; Sizoo et al., 2010), d’autres indiquent plutôt un lien indirect qui est attribuable à une concomitance avec le trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité (TDAH) (Hallerbäck et al., 2012 ; Santosh et Mijovic, 2006). De plus, les divergences de résultats s’observent également dans les taux de prévalence rapportés qui varient entre 1,3 % et 36,0 % (pour une revue systématique, voir Ressel et al., 2020). L’hétérogénéité des échantillons étudiés (personnes avec des traits autistes sans diagnostic ; autisme et déficience intellectuelle associée ; population clinique) pourrait expliquer ces différentes conclusions (Réseau national d’expertise en trouble du spectre de l’autisme et al., 2016 ; Ressel et al., 2020).

Considérant le peu de connaissances existantes et le manque de convergence entre les taux de prévalence des dépendances chez les personnes ayant un diagnostic de TSA, le but de la présente étude est de décrire les habitudes de consommation de SPA (alcool, drogues, autres drogues) chez des adolescents et des jeunes adultes ayant un diagnostic du TSA. Cette tranche d’âge est choisie, car elle représente la population la plus à risque de consommation chez les jeunes sans autisme (15 à 24 ans ; Institut de la statistique du Québec, 2018) et les jeunes de 16 ans peuvent répondre à un sondage en ligne sans consentement parental. L’obtention du consentement parental est un obstacle important pour recueillir des données sensibles (dont la consommation de drogues) et pour utiliser les plateformes en ligne (s’assurer que c’est le parent qui a donné son consentement). Plus spécifiquement, les objectifs sont : (1) de décrire et de comparer la nature, la fréquence et la diversité des SPA consommées ainsi que les conséquences liées à la consommation chez des adolescents et des jeunes adultes ayant un diagnostic du TSA (2) de comparer si ce portrait de consommation est différent selon le sexe (3) d’établir la gravité de leur consommation (c.-à-d., non-consommateurs, consommateurs non problématiques, consommateurs à risque et consommateurs problématiques) et (4) de comparer si les sous-groupes de consommateurs classés selon leur niveau de gravité se différencient selon certains facteurs individuels étudiés (ex. : âge, niveau scolaire atteint, emploi, conditions associées [dépression, troubles anxieux, TDAH]).

Méthode

Procédure

Afin de décrire le portrait de la consommation de SPA des jeunes (16 à 30 ans) présentant un diagnostic du TSA, une enquête en ligne a été réalisée. Cette méthode a été privilégiée pour rejoindre le plus efficacement les jeunes ciblés. Au Québec, les jeunes adultes autistes sans déficience intellectuelle sont peu desservis par les services publics qui priorisent les jeunes enfants. De plus, l’enquête en ligne est reconnue efficace pour rejoindre une majorité de personnes qui sont difficilement joignables par le biais des services (Eysenbach et Wyatt, 2002 ; Fortin et Gagnon, 2016). Le lien du sondage en ligne a été diffusé sur les pages Facebook des organismes publics et communautaires oeuvrant en autisme et en dépendance. Des affiches et des dépliants ont aussi été distribués dans les milieux qui offrent des services aux personnes autistes de façon générale (CISSS, universités, collèges, cliniques privées, etc.).

La collecte de données a été réalisée entre le 11 avril et le 19 août 2019 avec l’approbation éthique et l’accord de convenance de deux établissements universitaires (Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue [UQAT] et Simon Fraser University [SFU] de la Colombie-Britannique) ainsi que de trois établissements publics du réseau de la santé et des services sociaux du Québec. Le questionnaire composé de 76 items et d’une durée approximative de 30 minutes a été rempli par les adolescents et les jeunes adultes sur la plateforme de sondage en ligne REDCap. Seuls les participants ayant donné leur consentement sur la page d’accueil du sondage qui présentait le formulaire de consentement intégral pouvaient y accéder et le compléter. Les répondants avaient l’opportunité de participer à un tirage de dix cartes-cadeaux d’une valeur de vingt-cinq dollars en inscrivant leur adresse courriel à la fin du questionnaire.

Participants

L’échantillon de cette étude est composé de 65 adolescents et jeunes adultes (32 hommes, 33 femmes), âgés de 16 à 30 ans (M = 23,3 ans ; ÉT = 4,3), présentant un diagnostic de TSA. Ce diagnostic a été confirmé à l’aide de trois questions, posées directement aux jeunes : « As-tu reçu un diagnostic officiel de TSA (incluant le syndrome d’Asperger et le trouble envahissant du développement) ? » ; « À quel âge as-tu reçu ce diagnostic ? » ; « Quel professionnel t’a donné ce diagnostic ? ». Les participants à l’étude ont reçu leur diagnostic entre 2 et 30 ans (M = 14,6 ans, ÉT = 7,8) et pour 38,2 %, ce diagnostic a été posé par un psychologue, suivi du psychiatre (33,8 %). Les femmes ont reçu leur diagnostic plus tardivement que les hommes (F = 17,6 ans, ÉT = 6,8 ; H = 10,0 ans, ÉT = 7,3 ; r = 4,41 ; p = 0,001).

Sur le plan scolaire, 21,5 % (N = 14) des jeunes ont complété une scolarité primaire uniquement, 26,2 % (N = 17), un diplôme d’études secondaires, 7,7 % (N = 5), un diplôme d’études professionnelles, 24,6 % (N = 16), un diplôme collégial et 16,4 % (N = 11) un diplôme universitaire (1,5 % [N = 1] un certificat ; 13,8 % [N = 9] un baccalauréat et 1,5 % [N = 1] une maîtrise). Sur le plan professionnel, près de la moitié des participants occupe un emploi (43,1 % ; N = 28) dans des domaines très variés, dont la restauration (19,2 %), le service à la clientèle (11,5 %), la relation d’aide (11,5 %) et la recherche (7,7 %).

Outre le diagnostic du TSA, 63,1 % (N = 41) des participants affirment avoir reçu un diagnostic par un professionnel de la santé dans la dernière année pour des conditions associées, telles que la dépression (24,6 % ; N = 16), les troubles anxieux (33,8 % ; N = 22) et le TDAH (33,8 % ; N = 22). Parmi les jeunes ayant un TSA et un autre diagnostic (dépression, anxiété, TDAH), 29,0 % (N = 9) ont reçu un seul diagnostic, 48,4 % (N = 15) en ont reçu deux et 22,6 % (N = 7) en ont reçu trois. Une seule personne rapporte un diagnostic de déficience intellectuelle légère.

Mesures

Données sociodémographiques

Les variables sociodémographiques (sexe, âge, niveau scolaire, emploi et conditions associées [dépression, trouble anxieux, TDAH]) ont été autorapportées à l’aide d’un questionnaire maison.

Consommation de substances psychoactives

La consommation de SPA a été évaluée à partir de la Grille de dépistage de consommation problématique d’alcool et de drogues chez les adolescents et les adolescentes (DEP-ADO ; Germain et al., 2016). La DEP-ADO est un questionnaire bref qui permet d’évaluer l’usage d’alcool et de drogues ainsi que la sévérité de la consommation. Composé de sept questions, cet outil de dépistage permet d’évaluer (a) la nature, la fréquence et la diversité des substances consommées au cours des 12 derniers mois (b) la présence de consommation au cours de 30 derniers jours et (c) les conséquences (physiques, psychologiques, interpersonnelles, scolaires) associées à la consommation. Dans le but d’utiliser un seul et même outil pour les adolescents et les jeunes adultes de l’échantillon, un ajout a été fait aux items portant sur les conséquences de la consommation afin de mieux correspondre aux habitudes de vie des jeunes adultes de l’échantillon (21 ans et +). Par exemple, l’item 6e) « tu as eu des difficultés à l’école à cause de ta consommation d’alcool ou de drogue 6 » a été remplacé par « tu as eu des difficultés à l’école ou au travail à cause de ta consommation d’alcool ou de drogue ? ».

La somme des réponses obtenues au DEP-ADO permet d’obtenir un score global de la gravité de la consommation classée selon trois niveaux : (1) entre 0 et 13 signifie que la consommation n’est pas problématique (feu vert), (2) entre 14 et 19 signifie un risque de l’émergence d’un problème de consommation (feu jaune) et (3) 20 et plus signifie la nécessité d’une intervention en dépendance (feu rouge).

La DEP-ADO présente de bonnes qualités psychométriques tant sur le plan de la validité de construit, de convergence et de critère (sensibilité de 0,84, spécificité 0,91) que de la fidélité test-retest (0,94), inter modes de passation (0,88), cohérence interne (entre 0,61 et 0,86) (Landry et al., 2004).

Analyse des données

Des analyses statistiques descriptives ont été réalisées afin de dresser un portrait de la consommation de SPA des adolescents et des jeunes adultes présentant un diagnostic du TSA. Bien que les données de l’échantillon ne présentent pas une distribution normale, il est possible de mener des analyses paramétriques avec des outils adaptés en respectant certaines normes comme un échantillon plus grand que 20 sujets (Buthmann, 2009). Pour plus de robustesse, les résultats au test de Fisher ont été retenus lors d’analyses de khi-carré. Parallèlement au portrait de la consommation, des analyses comparatives (khi-carré) ont permis d’étudier la présence ou l’absence de différence selon le sexe. Des analyses comparatives supplémentaires (khi-carré, test-t, ANOVA) ont permis d’étudier les différences selon la gravité de la consommation : 1) non-consommateurs 2) consommateurs non problématiques et 3) consommateurs à risque/problématiques selon le sexe, l’âge, le niveau de scolarité, la présence d’un emploi, la présence de conditions associées (dépressions, anxiété, TDAH) au TSA et le nombre de ces conditions.

Résultats

Prévalence, fréquence et diversité des SPA consommées chez les jeunes ayant un TSA

Les deux premiers objectifs de l’étude étaient de décrire et de comparer la nature, la fréquence et la diversité des SPA consommées et les conséquences liées à la consommation chez les jeunes autistes ainsi que de vérifier si ce portrait de consommation est différent selon le sexe.

Concernant la présence d’une consommation au cours des 30 derniers jours (non présenté en tableau), 40,0 % (N = 26) des jeunes rapportent avoir consommé l’une ou l’autre des substances étudiées. Cette proportion est comparable entre les garçons et les filles de l’échantillon (c2 = 0,20, ddl = 1, n. s.).

De plus, lorsqu’on réfère à la consommation des 12 derniers mois les résultats révèlent que, en excluant la cigarette, 38,5 % (N = 25) n’ont consommé aucune SPA, 35,4 % (N = 23) ont consommé une seule substance (l’alcool ou le cannabis), 15,4 (N = 10) ont consommé deux substances différentes et 10,8 % (N = 7) ont consommé trois substances et plus.

Les résultats indiquent qu’un peu plus d’un jeune sur dix rapporte avoir fumé la cigarette au cours de la dernière année (voir Tableau 1). Au cours de la même période, plus de la moitié des participants rapportent avoir bu de l’alcool, le tiers avoir fumé du cannabis et un jeune sur dix avoir consommé d’autres drogues (cocaïne, amphétamines, hallucinogènes). Ces proportions sont comparables chez les garçons et les filles de l’échantillon ayant un diagnostic de TSA.

Tableau 1

Nature des SPA consommées et fréquence de la consommation au cours de la dernière année (N = 65)

Nature des SPA consommées et fréquence de la consommation au cours de la dernière année (N = 65)

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En ce qui concerne, plus spécifiquement, la fréquence de la consommation d’alcool, la plupart des jeunes qui en consomme le font de manière occasionnelle (27,7 %) ou mensuelle (10,8 %). Toutefois, près d’un jeune sur cinq (18,4 %) en consomme de manière hebdomadaire, voire quotidienne. Pour ce qui est du cannabis, un jeune sur dix en consomme de manière occasionnelle, un jeune sur dix en consomme de manière hebdomadaire et un jeune sur dix en consomme de manière quotidienne. Bien que les résultats indiquent que les garçons sont deux fois plus nombreux que les filles à en consommer quotidiennement, aucune différence significative n’est observée entre ces deux groupes. Pour les autres drogues, bien que les jeunes de l’échantillon soient moins nombreux à en consommer comparé à l’alcool et au cannabis, 6,2 % des jeunes en consomment de manière hebdomadaire. En ce qui concerne la fréquence de consommation, qu’il s’agisse d’alcool, de cannabis ou même, des autres drogues, aucune différence n’est observée entre les garçons et les filles autistes.

Conséquences associées à la consommation de SPA chez les femmes et les hommes ayant un TSA

Parmi les jeunes autistes qui ont consommé au cours de la dernière année (N = 41), 61,0 % (N = 25) rapportent au moins une conséquence liée à leur consommation (voir Tableau 2) et 10,0 % (N = 4) en rapportent plus d’une (voir Tableau 2).

Tableau 2

Conséquences associées à la consommation de SPA au cours de la dernière année (N = 41)

Conséquences associées à la consommation de SPA au cours de la dernière année (N = 41)

* p < 0,05

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Les garçons et les filles ayant un TSA qui consomment des SPA rapportent des conséquences dans des proportions comparables, sauf pour ce qui est des conduites à risque (c2 = 5,42, ddl = 1, p = 0,05). De fait, seules les filles rapportent avoir des conduites à risque associées à leur consommation (23,8 %).

Gravité de la consommation de SPA chez jeunes ayant un TSA

Le troisième objectif de l’étude était d’établir la gravité de la consommation des adolescents et des jeunes adultes ayant un TSA. Des analyses comparatives supplémentaires (khi-carré, test-t, ANOVA) ont permis d’étudier les différences selon la gravité de la consommation : (1) non-consommateurs (2) consommateurs non problématiques et (3) consommateurs à risque/problématiques.

Parmi les jeunes de l’échantillon (N = 65), la grande majorité a une consommation de SPA non problématique, soit un feu vert selon la DEP-ADO (84,6 %), 7,7 % ont une consommation à risque de devenir problématique (feu jaune) et 7,7 % ont une consommation problématique (feu rouge) (voir Tableau 3). Au total, c’est donc 15,4 % des jeunes ayant un TSA qui rapportent une consommation à risque ou problématique. Ici encore, aucune différence n’est observée entre les garçons et les filles de l’échantillon quant à la gravité de leur consommation, et ce, que la gravité soit regardée de manière continue (score) ou catégorielle (feux).

Tableau 3

Gravité de la consommation de SPA (N = 65)

Gravité de la consommation de SPA (N = 65)

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Parmi les jeunes qui ont consommé au cours de la dernière année (N = 41), même si les prévalences, les fréquences et la gravité de la consommation sont comparables entre les garçons et les filles, seuls 14,3 % (N = 3) des filles ont consulté un intervenant pour parler de leur consommation. Aucun garçon n’a consulté un intervenant en lien avec sa consommation (non présenté en tableau).

Caractéristiques associées à la gravité de la consommation

Le quatrième objectif de l’étude était de comparer si les sous-groupes de consommateurs se différencient selon certains facteurs individuels étudiés (ex. : âge, niveau scolaire atteint, emploi, conditions associées [dépression, troubles anxieux, TDAH. Le Tableau 4 présente les caractéristiques (sociodémographiques et conditions associées) pouvant être liées à la gravité de la consommation chez les jeunes ayant un TSA (N = 65). Pour cette étape des analyses, trois catégories ont été formées, soit (1) les jeunes n’ayant pas consommé au cours des 12 derniers mois (N = 24) (2) les jeunes ayant consommé, mais n’ayant pas de problème de consommation (feux verts, N = 31) et (3) les jeunes ayant consommés et qui ont une consommation à risque ou problématique de SPA (feux jaunes + feux rouges, N = 10). Les consommateurs à risque et les consommateurs problématiques ont été regroupés considérant les proportions inégales des sous-groupes.

En ce qui concerne le sexe, aucune différence significative n’est observée. Les hommes et les femmes se divisent en proportions comparables d’un sous-groupe à l’autre. Pour l’âge, une différence significative est observée en ce sens que les jeunes ayant un TSA qui n’ont pas consommé au cours de la dernière année sont plus jeunes que les personnes qui ont consommé, et ce, peu importe la gravité de la consommation (aucune consommation vs feu vert, feu jaune et rouge).

En lien avec le niveau de scolarité, il n’y a pas de différence significative entre les non-consommateurs, les consommateurs non problématiques et les consommateurs à risque ou problématiques. Si les jeunes ayant consommé au cours de la dernière année sont plus nombreux à rapporter un diplôme d’études postsecondaires en comparaison avec les jeunes non-consommateurs, cette différence n’est pas statistiquement significative. Du point de vue de l’emploi, les jeunes qui ont un TSA et qui ont consommé au cours de la dernière année sont deux fois plus nombreux que ceux n’ayant pas consommé à occuper un emploi. Bien que ces proportions présentent une différence importante, aucune différence statistiquement significative n’est observée.

Comme mentionné dans la description de l’échantillon, outre le diagnostic du TSA, 63,1 % des jeunes (avec ou sans consommation) présentent une condition associée, c’est-à-dire un autre diagnostic (dépression, anxiété ou TDAH). Des différences significatives sont observées quant à la présence d’un diagnostic de dépression et le nombre de conditions associées entre les trois sous-groupes. Ainsi, les jeunes ayant un TSA et une consommation à risque ou problématique sont plus nombreux à rapporter un diagnostic de dépression en comparaison avec les jeunes des deux autres sous-groupes (aucune consommation et feu vert vs feu jaune et rouge). Ce sont les jeunes ayant consommé au cours de la dernière année, mais de manière non problématique qui sont les moins nombreux à avoir un diagnostic de dépression. Si les jeunes non-consommateurs et les jeunes consommateurs non problématiques ne se différencient pas significativement sur le diagnostic de dépression, il n’en reste pas moins que les jeunes ayant un TSA non-consommateurs sont deux fois plus nombreux que les consommateurs non problématiques à avoir un diagnostic de dépression. Aucune différence n’est observée en lien avec les diagnostics d’anxiété et du TDAH.

Tableau 4

Caractéristiques associées à la gravité de la consommation (N = 65)

Caractéristiques associées à la gravité de la consommation (N = 65)

* p < 0,015 ; ** p < 0,01 ; *** p < 0,000

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Toujours en regard des conditions associées, une différence significative est également observée quant au nombre de diagnostics entre les jeunes des trois sous-groupes. Enfin, les jeunes ayant un TSA et une consommation à risque ou problématique cumulent davantage de conditions associées que les jeunes n’ayant pas consommé au cours de la dernière année ou ayant consommé de manière non problématique (aucune consommation et feu vert vs feu jaune et rouge).

Discussion

Le but de la présente étude était de décrire les habitudes de consommation de SPA (alcool, cannabis, autres drogues) chez des adolescents et de jeunes adultes ayant un diagnostic du TSA. Il est important de rappeler que les résultats sont basés sur un très petit nombre de répondants qui peut ne pas représenter l’ensemble des comportements de consommation des jeunes ayant un TSA. La population autiste présente des profils de fonctionnement très hétérogènes ce qui rend la généralisation des résultats difficile. Cela dit, les résultats indiquent que parmi les 12,3 % des 65 jeunes de 16 à 30 ans ayant un TSA de l’échantillon qui ont consommé au cours de la dernière année la cigarette, 56,9 % consomment de l’alcool, 29,2 % du cannabis et 12,4 % d’autres drogues. Bien que leur consommation d’alcool est moindre (Alcool : 59,0 % chez les 15-19 ans et 83,0 % chez les 20-24 ans) et de cannabis est comparable à celle des jeunes neurotypiques (NT) ; (21,0 % chez les 15-19 ans et 30,0 % chez les 20-24 ans ; Statistique Canada, 2017), les jeunes qui ont un TSA sont deux fois moins nombreux à consommer la cigarette (23,0 % des jeunes et jeunes adultes NT ; Statistique Canada, 2017) et légèrement plus nombreux à consommer d’autres drogues (5,0 % chez les 15-19 ans et 9,0 % chez les 20-24 ans NT ; Statistique Canada, 2017).

En ce qui concerne plus spécifiquement la fréquence de consommation de SPA, les résultats de la présente étude indiquent que 18,4 % des jeunes ayant un TSA de l’échantillon consomment de l’alcool de manière hebdomadaire ou quotidienne, 20,0 % consomment du cannabis de manière hebdomadaire ou quotidienne (9,2 % quotidiennement) et 6,2 % consomment d’autres drogues de manière hebdomadaire. Lorsque l’on compare la fréquence de la consommation de cannabis des jeunes neurotypiques (NT) aux jeunes ayant un TSA, ces derniers seraient plus nombreux à en consommer de manière hebdomadaire et quotidienne (Jeunes NT 15-24 ans : 4,6 % consomment de manière hebdomadaire et 5,1 % de manière quotidienne ; Statistique Canada, 2017).

Enfin, en ce qui concerne la gravité de la consommation, 84,6 % présente une consommation non problématique (feu vert), 7,7 % ont une consommation à risque de devenir problématique (feu jaune) et 7,7 % une consommation problématique (feu rouge). La gravité de la consommation des jeunes ayant un TSA serait donc comparable à celle des jeunes NT (Jeunes NT 5e secondaire : 89,0 % feu vert, 6,3 % feu jaune et 4,8 % feu rouge ; Traoré et al., 2018). Rappelons qu’il s’agisse de la prévalence, de la fréquence ou de la gravité de la consommation, aucune différence n’est observée entre les garçons et les filles de l’échantillon. Cette similitude de consommation observée entre les garçons et les filles ayant un TSA semble différer des jeunes NT du même âge. En effet, chez ces derniers, si aucune différence n’est observée entre les garçons (79,0 %) et les filles (77,0 %) en ce qui concerne la consommation d’alcool, il est reconnu que les garçons sont plus nombreux que les filles à consommer la cigarette (17,0 % vs 13,0 %), le cannabis (19,0 % vs 11,0 %) et les autres drogues (5,0 % vs 2,0 %) (Statistique Canada, 2017).

Ces résultats corroborent, en partie, les résultats des études mentionnant la vulnérabilité des jeunes ayant un TSA quant à l’usage de SPA (De Alwis et al., 2014 ; Hofvander et al., 2009 ; Lundström et al., 2011 ; Langström et al., 2009 ; Sizoo et al., 2010). En effet, en matière de consommation, les jeunes ayant un TSA consommeraient de façon comparable aux jeunes neurotypiques, mais seraient un peu plus enclins à consommer du cannabis de façon hebdomadaire et quotidienne et à consommer d’autres drogues. Selon l’étude de Goodman, Stiksma et Kashdan (2018), la consommation d’alcool chez les jeunes de 18 à 26 ans agit comme modérateur entre l’anxiété sociale et le sentiment d’acceptation lors d’interactions sociales. Comme l’aspect social représente un défi de taille pour les jeunes autistes et que ces situations sont anxiogènes, on peut donc faire l’hypothèse que les jeunes autistes utilisent aussi l’alcool comme facilitateur social. Concernant la consommation de cannabis et d’autres drogues, Clarke, Tickle et Gillott (2016) ont interrogé des adultes ayant un TSA et un problème de consommation qui rapportent utiliser la consommation de drogues également comme facilitateur social, mais aussi comme automédication. Cette automédication serait associée à des symptômes dépressifs, anxieux et des difficultés de sommeil. Il est donc possible que les jeunes de l’échantillon utilisent le cannabis et les autres drogues de façon plus fréquente que les jeunes non-autistes pour réduire les symptômes de conditions associées.

Les résultats de cette étude montrent que, parmi les jeunes ayant un TSA qui ont consommé au cours de la dernière année, très peu rapportent des conséquences négatives. Parmi les conséquences les plus fréquemment rapportées, il y a la perte d’argent, les difficultés de santé et la prise de risques (relations sexuelles non protégées, conduites ou activités sportives sous intoxication). Ces résultats peuvent être interprétés de différentes façons. D’une part, peut-être que les jeunes qui ont un TSA et qui consomment vivent réellement très peu de conséquences négatives associées à celle-ci. La nature de leur consommation, leur façon de consommer ou leur faible perception des conséquences sociales pourraient être des facteurs expliquant cette situation. D’autre part, peut-être vivent-ils des conséquences liées à leur consommation, mais ne souhaitent pas les associer à celle-ci. Il s’agirait alors de jeunes à des stades de précontemplation et de contemplation selon Prochaska, DiClemente et Norcross (1992). Toujours en lien avec les conséquences, les filles ayant un TSA sont plus nombreuses que les garçons à rapporter prendre des risques en lien avec leur consommation de SPA. Chez les jeunes NT, cette différence n’est pas observée entre les garçons et les filles (Institut de la statistique du Québec, 2018). Celles-ci pourraient être plus influençables par leur entourage pour prendre des risques du fait qu’elles sont plus conscientes de leurs déficits et plus motivées socialement en plus d’utiliser plus de stratégies d’adaptation internalisées afin de préserver leur image (Muggleton et al., 2019). De plus, selon l’étude de Bargiela, Steward et Mandy (2016) auprès de femmes autistes âgées de 18 à 30 ans, le fait d’avoir reçu un diagnostic tardif ne leur a pas permis de recevoir des services appropriés à leur condition. Les attentes perçues quant au genre féminin les auraient rendues plus vulnérables à vivre des situations à risque comme les abus sexuels et la prise des risques. Ceci, entre autres, en favorisant leur socialisation avec des garçons pour réduire les difficultés de compréhension des subtilités du comportement féminin (Bargiela et al., 2016).

L’étude visait également à identifier si les caractéristiques que sont le sexe, l’âge, le niveau scolaire, la présence d’un emploi et la présence de conduites associées (dépression, anxiété, TDAH) étaient associées à la gravité de la consommation de SPA. Les analyses réalisées ont démontré que le fait d’être plus âgé, d’avoir un diagnostic de dépression et un nombre plus élevé de conditions associées au TSA sont toutes des caractéristiques liées à une consommation plus grave.

Aussi, le fait d’être plus âgé est significativement associé à une consommation plus sévère de SPA. Lorsqu’il est question de jeunes, ces résultats sont souvent observés. Ainsi, les jeunes plus âgés (fin de l’adolescence, jeunes adultes) sont reconnus pour consommer davantage que leurs pairs plus jeunes (Traoré et al., 2018). Il est, de plus, fréquemment démontré que les jeunes de 18 à 24 ans sont le sous-groupe où la consommation est la plus élevée (Statistique Canada, 2017). Ce résultat pourrait, aussi, s’expliquer par l’accès aux substances facilité par la légalisation de certaines SPA (alcool et cannabis) pour les jeunes de 18 ans (alcool) et plus (cannabis).

De plus, si les études précédentes rapportaient un lien indirect entre le TSA et la consommation de SPA expliqué par la présence d’un diagnostic du TDAH (Hallerback et al., 2012, Santosh et Mijovic, 2006), dans la présente étude c’est davantage la présence d’un diagnostic de dépression qui pourrait expliquer ce lien. Ainsi, les jeunes ayant un TSA qui auraient un trouble concomitant de dépression présenteraient une consommation de SPA plus grave. Deux hypothèses pourraient expliquer cette association. Si les symptômes de dépression étaient présents avant la consommation, les SPA pourraient être utilisées comme automédication (Clarke et al. 2016). Les jeunes ayant un TSA qui vivent des symptômes liés à la dépression pourraient trouver, dans les effets pharmacologiques des SPA, un soulagement. Les SPA serviraient alors à amoindrir les symptômes dépressifs ressentis. Par ailleurs, les données ne permettent pas de savoir si les symptômes dépressifs se sont manifestés après la consommation et seraient une conséquence de la consommation. En effet, il est reconnu que les SPA, principalement l’alcool et le cannabis peuvent agir comme dépresseurs sur le système nerveux central (Ben Amar, 2014). En ce sens, une utilisation régulière (hebdomadaire ou quotidienne) pourrait induire des symptômes dépressifs chez les jeunes qui les consomment. Il faut également considérer que la population autiste est vulnérable à la dépression avec une prévalence chez les adultes de 23,0 % (Hollocks et al., 2019). Le taux rapporté dans l’échantillon est alors comparable (24,6 %). Comme plus de femmes que d’hommes autistes rapportent avoir un diagnostic de dépression (10 femmes ; 6 hommes), il est possible de considérer que la motivation sociale, plus présente chez les femmes, soit une variable à observer. Smith et White (2020) proposent un modèle pour comprendre le développement d’un trouble dépressif chez les personnes autistes dont la motivation sociale serait un élément important.

Étant donné que la collecte de données était transversale, il est difficile d’aller plus loin dans ces hypothèses. Les analyses ne permettent pas de statuer sur un lien de cause à effet. Des recherches longitudinales futures sont donc nécessaires pour répondre à ces hypothèses. À notre connaissance, aucune étude québécoise n’a été réalisée auprès des jeunes autistes quant à leurs habitudes de consommation de SPA. En somme, ces résultats ont des retombées importantes pour l’intervention qu’il s’agisse de prévention ou de traitement en dépendance auprès des jeunes ayant un TSA. D’abord, il semble que les jeunes, garçons et filles, ayant un TSA pourraient bénéficier des mêmes interventions que les jeunes neurotypiques. Comme ils reconnaissent peu de conséquences négatives associées à leur consommation, une approche motivationnelle (Miller et Rollnick, 2013) semble tout à fait indiquée auprès de ces jeunes. L’approche cognitivo-comportementale, reconnue comme une pratique probante auprès des personnes ayant un TSA (Wong et al., 2015), combinée à un entretien motivationnel, pourrait donc être une intervention adaptée et avoir des effets positifs. Plus spécifiquement, pour les jeunes filles qui rapportent davantage de comportements à risque associés à leur consommation, une intervention différenciée selon le sexe pourrait être appropriée. En effet, cet aspect devrait être davantage et directement abordé avec les jeunes filles ayant un TSA. Puis, de manière préventive, les intervenants devraient porter une attention particulière à la présence de symptômes de dépression chez les jeunes ayant un TSA. Les symptômes de dépression devraient être systématiquement validés. Dans l’intervention, les liens possibles entre les SPA et les symptômes de dépression devraient être abordés avec les jeunes pour leur permettre de faire des choix éclairés.

Limites

Ces différents résultats doivent, tout de même, être interprétés à la lumière de certaines limites. D’abord, la taille réduite de l’échantillon ne permet pas une généralisation. La présence formelle d’un TSA et d’autres diagnostics n’a été confirmée que par les jeunes eux-mêmes. Une preuve du diagnostic n’a pas été exigée pour participer à l’enquête pour des raisons pratiques et éthiques. La collecte par sondage électronique, bien que permettant de rejoindre un plus grand nombre de participants sur des territoires géographiques variés, peut aussi avoir induit un biais de sélection. Notamment l’échantillon ne respecte pas le ratio hommes/femmes de la population autiste qui est de 4 hommes pour une femme (Fatoumata et al., 2018). Seules les personnes ayant accès à Internet et ayant les capacités pour le faire ont pu remplir le sondage. De plus, les personnes qui ne consomment pas pourraient ne pas souhaiter répondre à un tel questionnaire. Enfin, il convient aussi de souligner que les instruments de mesure utilisés n’ont pas été validés avec une population autiste.

Conclusion

Il semble que les jeunes ayant un TSA présentent peu de comportements problématiques liés à la consommation, mais que certains facteurs peuvent les rendre plus à risque comme la consommation de tabac ou une condition associée comme la dépression. Une approche motivationnelle combinée à des techniques cognitivo-comportementales semble appropriée pour les accompagner, car ils reconnaissent peu de conséquences négatives à leur consommation. En somme, il est important de bien comprendre le rôle de la consommation afin de proposer des méthodes alternatives pour pallier par exemple une automédication de l’anxiété ou la recherche de facilitateur social.