Abstracts
Résumé
Les légalisations de l’usage du cannabis récréatif intervenues en Uruguay et au Colorado constituent une rupture sans précédent dans l’histoire des politiques publiques visant à réguler l’usage de cette substance. Une approche comparative des deux processus dans chacun des deux pays fait apparaître toutefois que la notion de « légalisation » est insuffisante pour rendre compte de la nature et de l’effectivité des politiques menées. En effet, des oppositions fondamentales, déterminées par des philosophies et des traditions politiques et nationales bien spécifiques, séparent les deux approches. Ces divergences tiennent notamment à la place et au rôle de l’État, ainsi qu’à l’importance accordée aux mécanismes du marché dans le processus de régulation. Les deux expériences en cours démontrent que les processus de légalisation sont aussi l’expression de visions de la société et du monde différentes, de même que de traditions nationales bien spécifiques.
Mots-clés :
- cannabis,
- légalisation,
- politiques publiques,
- marché,
- État,
- libéralisme
Abstract
The legalization of recreational use of cannabis introduced in Uruguay and Colorado is a major shift in the history of public policies aiming to control the use of this substance. A comparative approach of both processes shows however that the concept of “legalization” is not enough to encompass what is really going on. Distinct and diverging philosophies and national and political traditions have greatly influenced the way those processes have emerged and developed. The place and role of the state as well as the importance of market mechanisms in the regulation process illustrate some of these differences. As these two ongoing experiments highlight, the choice of legalization may also translate antagonist visions of the society or the world grounded in very specific national traditions.
Keywords:
- marijuana,
- legalization,
- public policies,
- market,
- State,
- free market
Resumen
La legalización del uso de cannabis recreativo que se aprobó en Uruguay y en Colorado constituye una ruptura sin precedentes en la historia de las políticas públicas destinadas a reglamentar el consumo de esta sustancia. Un enfoque comparativo del proceso en cada uno de los dos países revela sin embargo que la noción de “legalización” no es suficiente para explicare la naturaleza y la eficacia de las políticas que ambos llevan a cabo. En efecto, los dos procesos están separados por una oposición fundamental determinada por filosofías y tradiciones políticas y nacionales bien específicas. Estas divergencias derivan principalmente del papel del Estado y de la importancia que se otorga a los mecanismos de mercado en los procesos de regulación. Las dos experiencias actualmente en desarrollo demuestran que los procesos de legalización son también la expresión de visiones diferentes de la sociedad y del mundo, así como de tradiciones nacionales bien particulares.
Palabras clave:
- cannabis,
- legalización,
- políticas públicas,
- mercado,
- Estado,
- liberalismo
Article body
Avec la légalisation de l’usage récréatif du cannabis et de sa vente pour les majeurs intervenue au Colorado et en Uruguay, respectivement en 2012 et en 2013, le spectre des politiques publiques en matière de contrôle de cette substance s’est élargi à de nouveaux modes de régulation, en rupture ouverte avec le paradigme prohibitionniste [1] (Aureano, 2016). Cependant, l’expérience [2] menée dans ces deux États − au statut politique différent puisque l’Uruguay est un État souverain, tandis que le Colorado est une entité fédérée − montre clairement que la notion de « légalisation » est insuffisante pour rendre compte de la nature et de l’effectivité des politiques menées, tant les approches divergent. Ainsi, dans le cas de l’Uruguay, la légalisation a été largement impulsée et pilotée par l’État (approche top down), laissant une place secondaire à la logique de marché ; tandis que dans celui du Colorado, le processus a été engagé du fait de la mobilisation d’une partie de la société civile (approche bottom up) (Hoffmann, 2016), sous la forme d’un référendum d’initiative populaire, suivi d’une mise en place accordant une large place au secteur privé et aux mécanismes marchands. Si, faute de recul temporel suffisant, la mesure de l’impact de ces initiatives de régulation légale du cannabis (Carlisle Maxwell et Mendelson, 2016), en termes de prévalence de l’usage, de conséquences en matière de santé publique (Hall et Weber, 2015) ou de criminalité est difficile, l’analyse comparée (voir tableau synthétique infra) des modalités de mise en place et de déploiement de ces politiques présente un intérêt indéniable, dans la mesure où les expériences en cours au Colorado et en Uruguay annoncent l’émergence de stratégies différenciées de légalisation du cannabis.
Cet article présentera d’abord les éléments de mise en perspective historique, resituant le marché du cannabis et les politiques publiques conduites à l’égard des usagers de drogues dans les deux États étudiés. La deuxième partie retracera les processus sociaux et politiques bien distincts qui ont mené à la légalisation du cannabis, tandis que la troisième esquissera, à partir de la description des approches uruguayenne et étasunienne les différences principales [3] entre les deux modes de régulation mis en place.
Rappel historique et analyse comparée des processus de légalisation
L’histoire des politiques étatiques en matière de drogues illicites est étroitement déterminée par la mise en place, au début du XXe siècle, d’une politique internationale de contrôle strict des stupéfiants sous l’égide des puissances impériales du moment, dont les États-Unis. L’attention de la communauté internationale est alors focalisée sur l’opium et la cocaïne, substances qui font l’objet d’une politique de surveillance et de réglementation dans le cadre des deux conventions internationales signées à La Haye en 1912 et à Genève en 1925 (Dudouet, 2003). L’Uruguay est, dès cette époque, pleinement intégré au système de contrôle mis en place puisque, contrairement à d’autres pays latino-américains, comme la Bolivie ou le Pérou, il est signataire de ces conventions et adhère en 1933 au Comité central permanent de l’opium (CCPO). En Uruguay, comme aux États-Unis, à l’époque, le discours des pouvoirs publics en matière d’usage de drogues est fondé sur un parti pris hygiéniste, à connotation puritaine, assimilant l’usage de stupéfiants à une dégradation à la fois physique et morale, source de danger social, voire racial. Pendant cette période, marquée en Uruguay par un régime politique autoritaire (Labrousse, 1971), plusieurs commissions publiques coordonnant la répression du trafic et le contrôle des usages sont créées, à l’instar de la Comisión de defensa contra las Toxicomanias y de Contralor del Tráfico de Estupefacientés. Mais comme pour l’opium et la cocaïne, ce sont les États-Unis qui prennent l’initiative et mettent en place une politique nationale de prohibition du cannabis. Si, au début des années 1930, 29 États américains avaient déjà interdit l’usage, dont le Colorado où la consommation de marijuana était assimilée à un délit (misdemeanor) depuis 1917 [4], l’État fédéral accroît la pression dans le sens d’une pénalisation des consommateurs, en incitant les États qui n’ont pas interdit l’usage de cannabis à le faire avec le Uniform State Narcotic Act en 1931 et le Marijuana Act tax en 1937, lequel rendait la possession et l’usage passibles de 2 000 dollars d’amende et de cinq ans d’emprisonnement (Caulkins,Hawken, Kilmer et Kleiman, 2012).
C’est dans les années 1960 et 1970 que la question de l’usage du cannabis revient en force aux États-Unis et, dans une moindre mesure, en Uruguay du fait de la hausse des niveaux de consommation et de la montée des mouvements contre-culturels et de contestation politique mobilisant en premier lieu la jeunesse. Ces évolutions donnent lieu à des réactions différenciées selon les pays. Alors que les États-Unis, affectés notamment par le développement de l’usage d’héroïne (Fernandez et Libby, 2011), durcissent leur politique [5] en déclarant la guerre aux drogues en 1971 par la voix du Président Richard Nixon, l’Uruguay infléchie sa législation concernant la consommation personnelle de stupéfiants et s’engage dans une voie alternative en dépénalisant l’usage de drogues, y compris parmi les plus consommées comme le cannabis. Ainsi, en 1974, en pleine dictature militaire [6], est promulgué le décret-loi 14.294 [7] qui décriminalise l’usage de cannabis afin de donner la priorité à la lutte contre le trafic (Garat, 2013). Cette évolution législative régira l’ensemble de la politique uruguayenne en matière de drogue jusqu’à la décision, validée par le Parlement en décembre 2013 de légaliser l’usage et la détention. Tout en sanctionnant strictement, conformément aux conventions internationales, la production et la vente de substances stupéfiantes par des peines allant de 3 à 15 ans d’emprisonnement, cette loi autorisait la possession de stupéfiants « en quantités minimes, destinées exclusivement à la consommation personnelle » (art. 31). Cette relative « tolérance » de l’État, couplée au climat de détente politique consécutif à la chute de la dictature militaire en 1985, a conduit les usagers de drogues à s’organiser. En 1986, une association « antirazzia » est ainsi créée, afin de lutter contre les abus de la police envers les consommateurs de drogues, dont le combat est appuyé par certains acteurs de la société civile, principalement des avocats et des médecins. En 1998, le développement de l’usage de cannabis dans la société uruguayenne (Garat, 2012), de même que l’écho croissant que trouve le militantisme en faveur des usagers, incitent les autorités publiques à assouplir encore la loi. Ainsi, la loi 17.016 [8] réduit à 20 mois la peine pour la production et la vente et prévoit des alternatives à l’incarcération pour les petits délinquants. Elle remplace aussi le terme « quantités minimes » par « quantités raisonnables » selon l’interprétation d’un juge, marquant ainsi un tournant en termes de dépénalisation de la consommation personnelle et ouvre la voie à un positionnement du pays de plus en plus singulier en matière de drogue, lequel débouche en 2000 sur une première tentative d’ouverture du débat sur la légalisation des drogues, après l’élection du président conservateur Jorge Battle (Rivera-Velez, 2015).
Parallèlement, malgré la rhétorique guerrière souvent utilisée lorsqu’il s’agit des drogues, la situation évolue également aux États-Unis, notamment en matière de tolérance à l’égard de la marijuana [9]. À partir de la seconde moitié des années 1960, un certain nombre d’États, comme l’Oregon, décriminalisent l’usage de cannabis, tandis que l’Alaska, via la Cour suprême, dépénalise en 1975 la possession et l’usage du cannabis à raison d’une once par personne (soit 28,3 g environ). Au Colorado, l’usage de cannabis, pénalisé dès 1917, considéré comme une infraction criminelle (felony) à partir de 1929, est requalifié en délit en 1970. Les années 1970 marquent donc une inflexion notable, à la fois dans la tonalité du débat public entourant le statut légal de l’usage de cannabis, les politiques effectivement menées, mais également les représentations collectives et les mentalités, en particulier au sein des jeunes générations [10]. Deux ans, plus tard, dans le comté de Pitkin, l’écrivain Hunter S. Thompson, proche des milieux relevant de la culture beatnik, pose sa candidature au poste de sheriff et manque de très peu d’être élu sur la base d’un programme de décriminalisation totale du cannabis. De la même façon, en 1973, le républicain Michael Strang, élu à la Chambre des Représentants du Colorado, soumet la première proposition de loi suggérant de légaliser le cannabis, qui ne sera pas adoptée : celle-ci proposait de rendre la production, la possession et l’usage de cannabis légaux pour toute personne âgée de plus de 21 ans. En 1975, les sanctions pénales pour usage et possession sont encore diminuées et deviennent de simples infractions administratives : la possession d’une once de cannabis étant passible d’une amende maximale de 100 dollars (Breathes, 2012).
C’est, toutefois, l’introduction du cannabis médical qui va constituer l’étape décisive vers la légalisation intervenue au Colorado. En 2000, soit quatre ans après la Californie qui a été le premier État américain à légaliser l’usage médical du cannabis, le Colorado autorise la possession jusqu’à deux onces (soit 56 grammes environ) et six plants de cannabis pour les patients souffrant de certaines pathologies. Une année avant le référendum de 2000, le gouverneur de l’État, Richard Lamm, est à l’origine d’une loi autorisant les médecins à prescrire de la marijuana pour les patients atteints d’un cancer, ceux-ci pouvant se procurer le produit au sein de l’University of Colorado Health Sciences Center de Denver, la capitale de l’État. Ce premier programme, qui restera à l’état de prototype du fait de l’opposition de l’État fédéral, jouera néanmoins un rôle symbolique important en relayant et en faisant écho à la sympathie rencontrée par la première initiative de légalisation votée aux États-Unis par la Californie en 1996. Il faut souligner à ce titre que l’Uruguay, a contrario, n’a réglementé l’usage médical et scientifique du cannabis que très récemment, seulement après avoir légiféré sur l’usage récréatif. Le cannabis médical peut désormais être délivré sur ordonnance à des patients de plus de 18 ans. Par ailleurs, la plantation, la culture, la récolte, le stockage et la commercialisation de cannabis psychoactif et non psychoactif à destination exclusive de la recherche scientifique ou de l’élaboration de produits pharmaceutiques à usage médical y sont désormais autorisés.
Ainsi, l’Uruguay et le Colorado ont connu des évolutions concomitantes dans la dynamique des politiques publiques en matière de cannabis depuis les années 1970. Paradoxalement, c’est aux États-Unis que certains États se sont engagés les premiers dans la voie de la décriminalisation de l’usage à travers la légalisation de la marijuana médicale, dans un contexte pourtant contrarié par la position fermement prohibitionniste de l’État fédéral (Reuter, 2013) [11]. Par comparaison, l’Uruguay est resté davantage en retrait, du fait de l’ambiguïté légale laissant au juge le soin de définir la sanction applicable en cas de détention de « quantités raisonnables ». Ce hiatus originel n’est évidemment pas sans lien avec les modalités ultérieures de mise en oeuvre de la légalisation, fortement différenciées entre l’Uruguay, qui a opté pour une approche de légalisation « par le haut », et le Colorado, davantage caractérisé par un processus de légalisation « par le bas ».
Légalisation « par le haut » vs légalisation « par le bas »
L’existence de stratégies politiques de légalisation distinctes tient d’abord, bien évidemment, aux structures politiques et juridiques spécifiques et à la place laissée à l’expression directe des citoyens. Si, dans les deux États, la Constitution prévoit la possibilité de recourir au référendum d’initiative populaire, sur la question du cannabis, seul le Colorado s’est engagé dans cette voie. A contrario, l’Uruguay a été le premier pays qui a adopté, par la voie parlementaire, une loi instaurant un marché légal du cannabis, étroitement contrôlé et administré par l’État.
L’explication de cette différence de processus tient à des facteurs d’histoire sociale et politique. Du fait du poids des mouvements de jeunes issus de la contre-culture au Colorado dans les années 1970, le débat sur le statut légal du cannabis était engagé de longue date et traduisait l’adhésion de la majorité de l’opinion publique au principe d’une réforme. Ainsi la collecte des quatre-vingt-dix-huit mille signatures nécessaires pour l’organisation du référendum a pu s’appuyer sur un réseau associatif et militant relativement bien structuré [12]. En Uruguay, malgré une tolérance relative depuis 1974, une part majoritaire de la population était hostile à un changement officiel du statut légal du cannabis, ce qui souligne le volontarisme politique de la majorité au pouvoir qui en a décidé autrement [13]. On peut ainsi considérer qu’en Uruguay, la légalisation du cannabis a été pilotée et imposée « par le haut » et a été le fruit d’une volonté politique, contraire à une partie significative de l’opinion publique. Cette détermination a été assumée par le président uruguayen José « pépé » Mujica (2010-2015) qui, en 2012, justifiait sa position dans les termes suivants : « Quelqu’un doit être le premier ; quelqu’un doit commencer en Amérique du Sud, parce que nous perdons la bataille contre les drogues et le crime sur le continent » [14]. Cette initiative venue d’en haut ne signifie pas que la société civile uruguayenne est restée inerte ou spectatrice de l’action de l’État. En témoigne, à partir de 2005, année marquant l’arrivée de la gauche au pouvoir, la floraison d’un certain nombre d’associations (Proderechos, Plantatuplanta, La Plazita), proches d’une partie de la gauche, notamment de ses mouvements de jeunesse, et rassemblant plusieurs générations de consommateurs et d’autocultivateurs, lesquelles se fédéreront dans un Mouvement pour la libéralisation du cannabis (Movimiento por la liberacion del cannabis, MLC) (Rivera-Vélez, 2016). Cependant, ces mouvements demeurent très minoritaires dans la population, ce qui confirme, malgré des succès significatifs dans la mobilisation de l’opinion [15], la dimension centrale du volontarisme dans la politique de légalisation du cannabis. Celle-ci sait d’ailleurs s’appuyer sur l’avant-gardisme militant propre à une partie de la gauche uruguayenne, attachée à la modernisation d’une société civile jugée trop conservatrice (Aguiar et Arocena, 2014).
La loi 19.172 sur le cannabis est en effet indissociable d’autres réformes sociales mises en oeuvre sous la mandature de « Pepe » Mujica, qui lui ont conféré une stature internationale inhabituelle parmi les dirigeants de pays de taille comparable (moins de 3,5 millions d’habitants) [16]. Doté d’une forte légitimité démocratique [17], le gouvernement uruguayen a ainsi dépénalisé l'avortement en 2012, ralliant la faible minorité de pays qui, dans la région la plus catholique du monde, ont légalisé l'interruption volontaire de grossesse (IVG) sans condition (Guyana et Cuba). La majorité dirigée par Mujica a également entrepris de légaliser le mariage pour les couples homosexuels en 2013, quelques années après l’ouverture du droit à l'adoption aux couples de même sexe, accordé en 2009 (Rivera-Vélez, 2015).
Ainsi, en Uruguay, la légalisation apparaît comme l’aboutissement d’une longue réflexion, menée notamment dans certains secteurs de la gauche sociale et politique, laquelle a pu trouver son application pratique au moment de la victoire électorale du Front élargi de gauche (Frente amplio) [18] aux élections présidentielles de 2004 puis de 2009 (Labrousse, 2009). À l’inverse, au Colorado, la volonté populaire s’est imposée aux gouvernants qui, pour beaucoup [19], ne s’attendaient pas à une approbation de l’Amendement 64 porteur de la réforme. De ce fait, la mise en oeuvre de la légalisation a été conduite d’une manière plus « improvisée » : le changement n’est pas venu d’en haut ; il a pris la forme, non pas d’une loi mais d’un amendement populaire à la Constitution de l’État.
Ces processus de réforme bien distincts contribuent à expliquer la différenciation entre les deux approches. En Uruguay, les objectifs liés à la préservation de la santé publique sont au coeur de la loi (« attaquer les conséquences sanitaires, sociales et économiques de l’usage problématique de substances psychoactives »), laquelle vise prioritairement à contenir, voire à faire baisser la demande et les niveaux d’usage de cannabis dans la population générale (Levayer, 2015). La question de l’ordre public [20], sensible du fait de l’augmentation, à partir du début des années 2000, de la criminalité liée notamment aux trafics de cocaïne et de « pâte-base » [21] (Fioretto, 2014 ;Transnational Institute, 2016), y est également très présente, que ce soit sous l’angle de la réduction des risques (« protéger les habitants du pays des risques concernant le lien avec le commerce illicite ») ou de « l’incidence du trafic de drogues et du crime organisé » (Gandilhon, 2015). Cette logique place les pouvoirs publics au coeur de la mise en oeuvre et du pilotage de la régulation, comme le montre le projet de loi originel, largement amendé lors des débats parlementaires [22]. Ce projet de loi investissait l’État d’une capacité monopolistique de « contrôle et régulation de l’importation, production, acquisition, commercialisation et distribution du cannabis [23] ». Compte tenu de la place centrale qu’il occupe dans le dispositif de légalisation, l’État a créé ex nihilo des structures publiques ad hoc pour piloter le processus, comme l’Institut national de régulation et de contrôle du cannabis (IRCCA), l’organisme chargé de délivrer les licences aux cultivateurs et aux membres des coopératives et, surtout, un Comité national consultatif, placé sous la tutelle du ministère de la Santé, constitué d’un certain nombre d’experts et de scientifiques uruguayens ou non reconnus, responsable de l’évaluation de la loi [24]. L’ensemble de ces opérations de contrôle se déroule sous l’égide de la Junta Nacional de Drogas (Secrétariat national aux drogues), un organisme interministériel visant à contribuer au contrôle de l’offre et à favoriser la prévention de l’usage et la réduction des risques.
Cette prééminence des logiques sanitaire et sécuritaire ne se retrouve pas autant dans l’approche mise en place au Colorado. Alors qu’en Uruguay, les pouvoirs publics ont créé des structures de contrôle ad hoc, l’État du Colorado s’appuie, à l’instar de ce qui se passe pour l’alcool, sur le Department of Revenue (l’administration fiscale), lequel a développé une structure interne, la Marijuana Enforcement Division, pour accorder les licences et collecter les taxes. En outre, aucune instance d’évaluation de la loi n’a été constituée, la logique d’accountability étant peu présente et jamais revendiquée, l’enjeu en termes de légitimité et de crédibilité internationales étant moins prégnant pour le Colorado que pour l’Uruguay, car ce dernier a été très critiqué au sein des instances de régulation internationales (INCB). Si, en Uruguay, le régime d’accès légal au cannabis a été subordonné à une logique normative et des intérêts politiques bien spécifiques, le système mis en place au Colorado répond avant tout à un objectif de régulation for profit, bâti en référence au modèle de l'alcool, même si, à ce stade, des règles plus strictes qu’à l’origine s'appliquent en matière de régulation du cannabis du fait de son interdiction au niveau fédéral et international (Zobel et Marthaler, 2016). Par ailleurs, sans doute en raison d’une tradition juridique fondée sur la common law, les pouvoirs publics sont étroitement surveillés par le pouvoir judiciaire. La récente décision de libéraliser une offre de marijuana médicale que les autorités sanitaires, représentées par le Colorado Board of Health, souhaitaient pourtant contenir, témoigne de la puissance du pouvoir imparti aux juges. C’est en effet l’intervention d’un juge de Denver qui ouvre la porte à la libéralisation de l’offre de cannabis médical à la fin de l’année 2007. Celui-ci estime en effet que la loi en vigueur, limitant drastiquement le nombre de fournisseurs (caregivers) à raison d’un caregiver pour cinq patients (careholders), contrevient à la législation de l’État du Colorado relative à la liberté de l’offre (open meeting requirement) (Davis et al, 2016). À la suite de cette décision judiciaire, le nombre de dispensaires agréés (licensed dispensaries) passe en quelques années de 250 à 532 et le nombre d’usagers de marijuana médicale de 4 000 à plus de 115 000 (Ghosh, 2015) [25]. Il serait cependant caricatural de réduire le modèle du Colorado à sa seule dimension économique libérale (Ghosh et al, 2016). Un certain nombre de régulations publiques ont été mises en place, puis renforcées après quelques mois d’application de la réforme. Ainsi, le législateur autorise par exemple les municipalités et les comtés hostiles à l’implantation d’unités de production et de magasins de détail à les interdire sur leur territoire. Une majorité de comtés (41 sur 64), notamment dans les régions rurales [26], ont refusé l’installation de retail stores, si bien qu’une partie significative du commerce se trouve concentrée à Denver et ses environs. En outre, dans les villes qui autorisent l’ouverture de boutiques, celle-ci ne peut se faire à moins de trois cents mètres d’une école. L’accès au cannabis est interdit aux jeunes de moins de 21 ans et passe par la présentation d’une carte d’identité. Le Department of Revenue, la structure étatique qui délivre des licences, réalise régulièrement des contrôles sévères qui peuvent déboucher sur le retrait des autorisations. Enfin, toute publicité est interdite à destination des moins de 21 ans.
Légalisation « contrôlée » vs légalisation « libérale »
Au-delà du processus politicojuridique différencié qui a conduit à la légalisation du cannabis en Uruguay et au Colorado, ce qui distingue résolument les deux modèles tient à la place laissée au secteur privé. Alors qu’en Uruguay, elle est limitée, au Colorado, celle-ci joue un rôle central au point que la profitabilité économique est érigée comme un des critères de réussite du processus en cours. Là aussi, deux conceptions politiques sont à l’oeuvre. L’une, conforme à l’idéologie réformiste de la gauche uruguayenne visant « la consolidation de la structure institutionnelle de l’État » (Labrousse et Merklen, 2009) et pour laquelle les pouvoirs publics jouent un rôle central d’éducation de la société et où les mécanismes du marché doivent être fortement encadrés. L’autre, plus conforme à l’histoire américaine, où l’État n’intervient que pour fixer les règles d’un jeu dominé par les acteurs privés.
En Uruguay, la loi adoptée en décembre 2013 et précisée par des décrets d’application publiés à partir de mai 2014 [27], prévoit trois types d’accès au cannabis récréatif (achat en pharmacie, autoculture ou clubs de cultivateurs) et impose de s’inscrire à un registre national [28]. Le dispositif de régulation est donc étroitement contrôlé, la part réservée au commerce étant secondaire. Seules les pharmacies, préalablement dotées de licences par l’IRCCA, moyennant un prix fixé par l’État (1,30 dollar le gramme), peuvent vendre de l’herbe de cannabis préalablement produite dans des conditions étroitement contrôlées. Pour ce faire, l’État a lancé un appel d’offres et sélectionné deux entreprises privées, International cannabis Corp et SIMByosis. Celles-ci ont le droit de cultiver certaines variétés ne devant pas dépasser des taux de THC fixés préalablement [29]. S’agissant des autoproducteurs et des membres des coopératives, il leur est strictement interdit de revendre leur production, sous peine de sanctions pouvant aller jusqu’à 10 ans de prison. Ces conditions drastiques posent d’ailleurs un certain nombre de problèmes en termes d’efficacité, puisque trois ans après le vote de la loi, la vente en pharmacie, régulièrement annoncée, n’a toujours pas démarrée à l’orée de l’année 2017, même si ce retard ne tient pas seulement à la volonté d’encadrement trop strict de l’État, mais à des résistances sociales et politiques croissantes depuis l’élection de Tabare Vasquez en 2015 [30].
Cette situation contraste fortement avec celle du Colorado où la légalisation du cannabis a été conçue selon un modèle de régulation économique semblable à celui de l’alcool. Le cannabis en vente libre est accessible uniquement aux personnes âgées d’au moins 21 ans, qui peuvent posséder et acheter des quantités limitées, allant jusqu’à une once de cannabis à fumer, soit l’équivalent de 28,4 grammes, dans des magasins spécialisés. Le marché du cannabis est structuré en trois secteurs (production, conditionnement et vente), dans lesquels les entreprises candidates peuvent s'engager (y compris sur l’ensemble des secteurs) moyennant l'obtention d'une licence, qui nécessite de remplir un certain nombre de critères et d'offrir différentes garanties. Il n’existe aucun plafonnement du nombre de points de vente ou de contrôle par les autorités publiques de leur distribution géographique pour l'attribution des licences. Dans ce système légal, le cannabis, accessible sous de nombreuses formes directes (aliments, médicaments, cigarettes), se décline également à travers des produits dérivés (T-shirts, briquets, revues spécialisées, produits cosmétiques, etc.) et a, d’ores et déjà, donné naissance à une véritable industrie, baptisée « canna business », dont le chiffre d’affaires est en forte progression et qui est largement relayée dans les médias. Les données − encore partielles − du Department of Revenue portant sur l’année 2015 montrent que le secteur a engendré 900 millions de dollars de chiffres d’affaires (à raison de 525 millions de dollars pour le secteur dit « récréatif » et 385 millions de dollars pour le médical), contre 700 millions de dollars en 2014, soit une progression annuelle de 30 % selon cette première estimation. Les prévisions pour 2016 annoncent que le chiffre d’affaires annuel franchira le cap du milliard de dollars. Selon l’administration fiscale, le Colorado aurait accumulé près de 63,5 millions de dollars de taxes en 2014 (52,5 millions pour le secteur « récréationnel » et 11 millions pour le secteur médical) (Brohl, Kammerzell et Koski, 2015). En comparaison, l’alcool rapportait, en 2013, 40 millions de dollars de taxes, soit près de 40 % de moins. Les données, encore provisoires, portant sur l’année 2015 montrent que le montant des taxes collectées sera encore largement supérieur à ces prévisions, avec une centaine de millions de dollars collectés. Sur ce total, près de 21 millions de dollars compensent les coûts de la légalisation (campagne de prévention, administration de contrôle, etc.). Comme d’autres secteurs industriels, et conformément à une tradition nationale bien ancrée (Astre et Lépinasse, 1985), le secteur légal du cannabis a su s’organiser sous la forme d’un puissant lobby, à l’image du Marijuana Industry group, dirigé par un juriste et soutenu par des cabinets d’avocats et des ONG militantes impliquées dans la conception et l’optimisation de la communication, telles que la Drug Policy Alliance [31] (DPA, 2015). Tous ces acteurs mènent un travail d’influence afin de mettre en avant le caractère positif de la légalisation pour les finances publiques et l’économie du Colorado [32]. La légalisation est une source de revenus également du fait du tourisme engendré par l’accès au cannabis en vente libre (même si le Colorado a introduit des restrictions d’accès au cannabis pour les non-résidents qui ne peuvent obtenir qu'un quart d'once, soit l’équivalent de 7,1 grammes). Ainsi, en 2015, pendant la haute saison touristique estivale, le Colorado a enregistré les records mensuels de taxes collectées avec environ 11,2 millions de dollars pour le secteur « récréationnel » et 2 millions de dollars pour le secteur « médical ». Pour pallier le problème de l’usage de cannabis, qui demeure interdit dans les hôtels et les lieux publics sous peine d’amende, l’État et la municipalité de Denver, étudient actuellement la possibilité de créer des coffee shops sur le modèle hollandais afin de permettre aux touristes de consommer plus librement sur place. Ici encore, la situation contraste fortement avec l’Uruguay, où la loi interdit formellement la consommation de cannabis aux étrangers non-résidents. Seules les personnes dument enregistrées dans un fichier ad hoc de l’IRCCA peuvent avoir accès au cannabis vendu en pharmacie.
Conclusion
La légalisation du cannabis à des fins d’usages récréatifs adoptée en 2012 au Colorado, puis fin 2013 en Uruguay [33], renouvelle le paysage des politiques publiques menées en matière de lutte contre l’usage de drogues. Cependant, l’intérêt des expériences en cours dans les deux États va bien au-delà, puisqu’émergent à la faveur des deux processus en cours deux modèles très différents de légalisation.
Au Colorado, un modèle, que l’on qualifiera de « libéral », accordant une place très importante au marché ; en Uruguay un modèle stato-centré avec, au sommet, un État pilotant et contrôlant la totalité du processus dans ses dimensions politiques et économiques. Ces deux schémas de régulation sont étroitement déterminés par les modalités de leur mise en oeuvre. En Uruguay, un projet de loi, longuement préparé par les pouvoirs publics et imposé, au nom d’une vision et d’une conception déterminées de la santé et de la sécurité publiques, à une opinion plutôt réticente ; au Colorado, un amendement voté lors d’un référendum d’initiative populaire aboutissant à une sorte de mise en demeure de la société civile aux pouvoirs publics locaux de mettre en oeuvre la volonté du peuple. Ces modalités ne sont pas anecdotiques, car elles détermineront probablement à plus ou moins long terme l’impact de la légalisation sur les sociétés de chacun des deux États. Ainsi au Colorado, la place laissée au marché et aux entrepreneurs, c’est-à-dire à une logique de profit voué par définition à croître d’année en année, ne rentrera-t-elle pas en contradiction avec les préoccupations des pouvoirs publics [34] liées à la protection sanitaire des citoyens ? A contrario, en Uruguay, la volonté légitime de l’État de contrôler la légalisation ne risque-t-elle pas de favoriser l’essor d’une économie parallèle destinée à contourner une législation restrictive ? Seul le temps permettra de répondre à ses questions quand l’impact de ces politiques, que ce soit en termes sanitaires, économiques ou sécuritaires, commencera à être perceptible. En attendant, les deux expériences en cours montrent que dans le cadre d’une politique de légalisation, les pouvoirs publics, malgré les contraintes historiques, politiques et sociales propres à leur environnement respectif, disposent d’une certaine liberté d’action permettant la construction de modèles originaux et divers conformes à leurs réalités locales et nationales.
Appendices
Remerciements
Remerciements à Julie-Émilie Adès et Anne de l’Éprevier de l’OFDT pour leur relecture et leurs suggestions.
Notes
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[1]
Malgré la mobilisation de certains acteurs, notamment des organisations non-gouvernementales, en faveur d’une réévaluation du classement du cannabis dans les conventions internationales lors des débats préparatifs de l’United Nations General Assembly Special Session (UNGASS), la réunion extraordinaire organisée du 19 au 21 avril 2016 n’a pas modifié le classement de la substance, qui reste considérée comme un stupéfiant de classe 1 au titre des conventions internationales. Depuis 2012, sept autres États américains ont légalisé l’usage récréatif et la détention de quantités limitées de cannabis pour les adultes : l’État de Washington, l’Oregon, l’Alaska, la Californie, le Massachussetts, le Maine et le Nevada. En 2017, environ 20 % des Américains vivent sous un régime de légalisation du cannabis récréatif (Sanburn, 2016).
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[2]
Ce terme se justifie dans la mesure où les processus en cours sont encore relativement précaires. En Uruguay, les pouvoirs publics, compte tenu des objectifs en termes de santé et de sécurité publiques, se sont autorisés à revenir sur la politique de « légalisation contrôlée » si les résultats ne sont pas ceux attendus, tandis qu’aux États-Unis, la légalisation n’est possible que par la « tolérance » de l’État fédéral, lequel interdit l’usage de cannabis, que ce soit à des fins récréatives ou médicales.
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[3]
Les données présentées dans cet article reposent largement sur un travail de terrain réalisé au cours de deux missions au Colorado (mai 2015 et avril 2016) et de deux déplacements en Uruguay (septembre 2015 et décembre 2016) à travers notamment des entretiens réalisés par les auteurs avec les différents acteurs de la régulation du cannabis, qu’ils appartiennent à la société civile (activistes prolégalisation, acteurs entrepreneuriaux, professionnels investis dans le champ des drogues (réduction des dommages, médecins), au champ politique local ou national. Ces entretiens ont été réalisés dans le cadre du projet de recherche Cannalex. Ce projet, réalisé avec un financement du Conseil supérieur de la formation et de la recherche stratégique (CSFRS), qui rassemble une équipe de chercheurs appartenant respectivement à l'Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice (l’INHESJ) et l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT), vise à réaliser une analyse comparée des modèles de politiques publiques en matière de cannabis, notamment dans les trois premiers États ayant légalisé le cannabis (Washington, Colorado et Uruguay). Ce travail de terrain est accompagné d’une mise en perspective documentaire fondée à la fois sur la collecte et l’analyse de publications officielles et grises officieuses ainsi que sur de premières synthèses issues de la littérature scientifique. Les résultats seront publiés à l’automne 2017.
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[4]
La loi, adoptée en mars 1917, interdit l’usage et la culture de cannabis sous peine d’amende (de 10 à 100 dollars) ou de prison (jusqu’à un mois).
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[5]
Le cannabis a été classé dans le tableau 1 des stupéfiants (substances sans valeur thérapeutique) en octobre 1970 avec l’héroïne, le LSD ou encore la MDMA. Cette classification, malgré les nombreuses tentatives pour la faire évoluer, est restée inchangée depuis.
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[6]
Apparent paradoxe qui n’en est plus un, si l’on considère que l’objectif de la junte, engagée dans un projet de « reconstruction morale » fondée sur les valeurs de la famille et de la nation, est à l’époque de se focaliser sur les trafiquants conçus comme une menace pour la sécurité du pays (Rivera-Velez, 2015).
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[7]
Decreto Ley 14.294 disponible sur http://www.infodrogas.gub.uy/html/marco_legal/documentos/02-DecretoLey14294.pdf.
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[8]
Ley 17.016 disponible sur http://www.parlamento.gub.uy/leyes/AccesoTextoLey.asp ?Ley=17016&Anchor=
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[9]
Il est vrai qu’aux Etats-Unis dans les années 1960, la politique dite de guerre à la drogue lancée par Richard Nixon, est focalisée principalement sur l’héroïne dont l’usage provoque la mort de dizaines de milliers de personnes chaque année dans la société américaine. En 1970, L’administration américaine fait bloquer par l’armée pendant quinze jours la frontière mexicaine lors d’une opération baptisée « Intercept », tandis que l’armée mexicaine intervient au Sinaloa pour éradiquer les champs de pavot (Olvera, Gandilhon, 2012). Cette focalisation sur l’héroïne a probablement laissé plus de libertés aux États souhaitant assouplir leur législation sur la marijuana. Aujourd’hui, la situation actuelle aux États-Unis présente des similarités du fait de l’épidémie d’usages détournés de médicaments opiacés (antidouleurs) et du développement foudroyant des usages d’héroïne depuis quelques années. Entre 2010 et 2014, le nombre de surdoses a été multiplié par plus de trois, passant de 3 000 à près de 10 600 (DEA, 2016). Un contexte qui contribue notamment à dédramatiser fortement les consommations de cannabis et à favoriser son acceptabilité dans la population américaine.
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[10]
En 1968, le journal News fait état d’un sondage réalisé auprès des étudiants de l’État montrant que 68 % d’entre eux sont favorables à la légalisation.
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[11]
En 2017, aux États-Unis, le cannabis reste prohibé à l’échelon fédéral, le pays ayant réaffirmé, lors de la dernière session de l’United Nations General Agreement Special Session (UNGASS), en 2016, son adhésion à la convention de 1961 prohibant la production et l’usage de marijuana à des fins récréatives. Ainsi, cette interdiction perdure dans les zones du territoire placées sous la responsabilité de l’État fédéral, par exemple les parcs naturels et les zones protégées. La vague de légalisation actuelle n’est donc possible que par une politique de tolérance, susceptible d’être remise en cause à tout moment. Il semble toutefois que l’élection de Donald Trump ne bouleversera par la politique de tolérance « répressive » de l’État fédéral, le président élu ayant déclaré ne pas vouloir s’immiscer, malgré son hostilité de principe à la légalisation, dans les processus en cours.
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[12]
Ces réseaux prolégalisation ont fait l’objet en outre d’un soutien financier important en provenance de l’association philanthropique Open Society du milliardaire américain d’origine hongroise Georges Soros (source Cannalex, 2015). L’Open Society est également très présente en Uruguay où elle aide également des associations militantes comme Proderechos.
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[13]
En 2015, un sondage de l’Americas Barometer (LAPOP) montrait que seul 34 % de la population soutenait la légalisation du cannabis en Uruguay, contre 51,5 % aux États-Unis.
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[14]
Cité dans le dossier de presse réalisé par Aurore, la Fédération Addiction, et le Groupement romand d’Etudes des addictions (GREA), avec le soutien de l’Ambassade de l’Uruguay en France.
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[15]
En 2007, en réponse à l’appel de la « Marche mondiale pour le cannabis » lancée de New York, 6 000 à 7 000 personnes se réunissent à Montevideo.
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[16]
Ancien dirigeant des Tupamaros, emprisonné pendant 13 ans sous la dictature militaire, Mujica s’est d’abord distingué par son profil et ses choix atypiques pour un chef d’État nouvellement élu : ancien guérillero, il a refusé de s'installer dans la résidence présidentielle pour continuer d’occuper sa ferme des abords de Montevideo. Il a alors été baptisé « le Président le plus pauvre du monde », ce qui lui a valu une grande popularité à l’étranger. Après avoir conduit un certain nombre de réformes sociales dans son pays, il a été classé en 2013 par la revue Foreign Policy parmi les 100 intellectuels les plus influents du monde et considéré comme une des figures de proue de la gauche latino-américaine représentative de la « troisième voie » (entre antiaméricanisme radical et social-conservatisme étatique en vigueur dans certains pays de la région).
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[17]
Le vote est obligatoire en Uruguay et les abstentions non justifiées sont passibles d’amendes.
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[18]
Le Frente Amplio est une coalition électorale d’une vingtaine de partis de gauche allant du centre-gauche à l’extrême-gauche, dont les plus importants sont le Mouvement de Participation Populaire (MPP), parti du Président Mujica, l’Assemblée Uruguay (AU, parti du Vice-Président Astori) et le Parti Socialiste (PS). Créée en 1971, cette alliance partisane restera longtemps minoritaire avant d’entamer une ascension électorale importante couronnée par la victoire à l’élection présidentielle de Tabaré Vazquez en 2004, puis « Pepe » Mujica en 2009.
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[19]
Selon le témoignage d’un membre dirigeant de l’Office of Marijuanan Policy de la ville de Denver (source : Cannalex).
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[20]
Cela peut sembler surprenant compte tenu de la faiblesse de la criminalité en Uruguay, surtout si on la compare à celle d’autres pays d’Amérique latine. Cependant, à partir des années 2000, et du fait notamment d’une crise économique importante ayant largement appauvri une partie de la population, l’Uruguay a connu une dégradation de sa situation en matière sécuritaire : « Entre le 1er décembre 2001 et le 5 août 2005, le PIB baissa de 11 % ; la dévaluation du peso fut de 100 % ; l’inflation atteignit 26 % et le chômage 20 % […] Une des conséquences de cette dégradation de la situation sociale a été la multiplication des zones d’habitation précaire ou de bidonvilles (asentamientos) […] C’est en particulier dans ces quartiers que la consommation de pâte à base de cocaïne (paco) fait des ravages, entraînant des problèmes de délinquance et de sécurité qui sont au coeur de la campagne de l’année 2009., » (Labrousse, 2009).
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[21]
Une partie des motivations avancées pour légitimer la décision uruguayenne repose sur l’argument, dans une région en proie à l’inflation de la violence liée au trafic de drogue, de séparer le cannabis du marché de la « paco », pâte issue de déchets de cocaïne, toxique et très addictive, dont l’usage s’est répandu dans le pays.
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[22]
L’autoproduction a été finalement autorisée par le législateur à raison de six plants par foyer pour une production n’excédant pas 480 grammes, de même que la création de coopératives (Cannabis Social Clubs) pouvant comprendre jusqu’à 45 membres, le nombre de plants par coopérative ne pouvant excéder 99.
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[23]
Projet de loi Marihuana y sus derivados, dans le dossier n°1785 de la Comisión Especial de drogas y adicciones con fines legislatives.
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[24]
Ce comité devra notamment se prononcer, à partir d’un certain nombre d’indicateurs, sur le fait que la politique de légalisation contrôlée a permis d’améliorer la situation en termes de sécurité et de santé publique.
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[25]
Outre cette décision judiciaire, les déclarations, en février 2009, du procureur général des États-Unis mettront en confiance les entrepreneurs potentiels du cannabis médical. Celles-ci affirmaient qu’en Californie les actions judiciaires, intentées au nom de la loi fédérale, contre les dispensaires fournissant du cannabis s’arrêteraient conformément aux promesses électorales d’Obama relatives à l’autorisation du cannabis médical. En juillet 2009, la tentative de l’organisme public responsable de la mise en oeuvre de la loi de ré-instituer la règle de 5/1 (cinq patients pour un caregiver) ayant échoué, plus aucun obstacle légal ne se dressait pour entraver l’offre de cannabis médical.
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[26]
La carte du « oui » au référendum de 2012 recoupe largement les grandes villes, celle du « non » les comtés ruraux situés à l’est du Colorado.
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[27]
Reforma del Marco Regulatorio para los Establecimientos Especializados en la Atención y el Tratamiento de Usuarios Problemáticos de Drogas : http://www.infodrogas.gub.uy/images/stories/pdf/reglam_centros.pdf. Decreto del Poder Ejecutivo N°274/013 del 3 de septiembre de 2013) surtout Decreto 120/014 de 6 de mayo de 2014 : https://www.impo.com.uy/bases/decretos/120-2014 : règlements de la loi 19.172 du 20/12/2013 et du Decret loi 14.294 du 31/10/74 art. 3, 30 et 31. Decreto 372/014 de 16 de diciembre de 2014 https://www.impo.com.uy/bases/decretos/372-2014 : règlements de la loi 19.172 concernant le cannabis non psychoactif à usage industriel Decreto 46/2015 de 4 de febrero de 2015 : https://www.impo.com.uy/bases/decretos/46-2015 concernant l’usage de cannabis psychoactif et non psychoactif à des fins exclusivement scientifiques et l’élaboration de spécimens végétaux ou pharmaceutiques à usage médical.
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[28]
De nombreux acteurs notamment membres de la société civile se sont initialement inquiétés des usages qui seraient fait de ce registre. Les risques de stigmatisation ou de fichage ont été souvent évoqués, ralentissant dès le départ l’inscription et avec elle la mise en place de la réforme. À ce jour, l’inscription peine à s’automatiser.
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[29]
Le taux de THC des variétés de cannabis produites ne doit pas dépasser 15 %. C’est une autre différence avec le Colorado, la législation de cet État n’ayant pas prévu de limitation des niveaux de THC dans les cigarettes ou les huiles proposées à la vente.
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[30]
Dont celle de l’actuel président de la République et successeur de Mujica, Tabaré Vasquez, lequel semble plus conservateur sur le plan de la libéralisation des moeurs. S’agissant de la société, la vente en pharmacie se heurte à la résistance d’une partie du corps médical et du ministère de la Santé. Plusieurs objections sont mises de l’avant dont le paradoxe qu’il y aurait pour les pharmacies à vendre un produit dont les effets sanitaires présentent des risques pour les consommateurs. Ainsi la comparaison avec le tabac est souvent utilisée par les acteurs. Il y aurait également des raisons plus sécuritaires : une partie des pharmaciens craignent d’attirer une clientèle à « problèmes » dans un contexte sécuritaire dégradé.
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[31]
La Drug Policy Alliance (DPA) est la principale organisation nationale qui travaille pour mettre fin à la guerre contre la drogue et à promouvoir la mise en place d’une politique des drogues alternative à la prohibition, basée sur les connaissances scientifiques, la compassion, la santé, les droits de l’homme. La DPA a son siège social à New York, avec des bureaux en Californie, à Washington DC, au Nouveau-Mexique et dans le New Jersey. Elle est dirigée par un universitaire, Ethan Nadelmann (diplômé de Harvard, McGill University et la London School of Economics), dont un des objectifs est de « recruter » des personnalités visibles relayant le message antiprohibitionniste dans toutes les sphères sociales, à l’image du chanteur Sting ou d’autres membres du conseil honoraire de l’ONG (comme l’ancien secrétaire d’État George Shultz P., Arianna Huffington, ou encore l’ancien président de la République tchèque Vaclav Havel).
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[32]
Le chiffre d’affaires du cannabis ne représente aujourd’hui que 1 % du PIB du Colorado (3 milliards de dollars) et le montant total des taxes et des impôts récoltés 0,7 % des recettes budgétaires de l’État. Il faudra du temps pour évaluer réellement l’impact économique de la légalisation du cannabis, notamment en termes de création d’emplois. En effet, seul un bilan mettant en perspective les coûts et les bénéfices permettra une évaluation économique véritable des modifications légales du statut du cannabis.
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[33]
Il est intéressant de noter que ces expérimentations sont développées dans des États relativement récents (qui ont moins de deux siècles d’existence) : l’Uruguay a en effet accédé à l’indépendance en 1825 et établi sa première Constitution en 1830, tandis que le Colorado fait partie des derniers États ayant adhéré à l’Union des cinquante qui composent aujourd’hui les États-Unis (le 1er août 1876).
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[34]
Cette inquiétude portant sur une possible contradiction entre les intérêts du monde des industriels et celui de la santé publique a été ouvertement exprimée lors d’un entretien réalisée lors d’une mission Cannalex au Colorado par un responsable de haut niveau de la santé publique. Celui-ci regrettant l’autorisation donnée par l’État à la production de cannabis « comestible » (edibles) (source : Cannalex). Il s’avère aujourd’hui que la consommation de cannabis comestible constitue une part majeure dans la croissance importante des admissions aux urgences hospitalières de l’État consécutives à l’usage de cannabis (Ghosh, 2016 ; Kim, 2016).
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