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Nous publions aujourd’hui le troisième numéro non thématique de la revue Drogues, santé et société, constitué d’articles soumis sans sollicitation au comité de rédaction de la revue. Ce numéro est constitué exclusivement d’articles de résultats de recherche. Fait à souligner, tous ces articles ont eu recours à l’approche qualitative, reflétant ainsi une tendance qui s’est affirmée au cours des dernières années dans le champ de la recherche en toxicomanie. De plus en plus, la méthodologie qualitative s’impose dans le domaine de la toxicomanie, notamment dans les approches visant à recueillir le point de vue des personnes concernées. De telles approches permettent de comprendre en profondeur et d’éclairer une réalité qui ne peut être appréhendée dans toute sa complexité par les seules méthodes quantitatives, souvent basées sur des outils nécessitant de définir les questions de recherche a priori, évacuant ainsi les préoccupations des personnes interrogées. Dans le présent numéro, on trouvera des articles faisant valoir le discours des personnes toxicomanes elles-mêmes et celui des intervenants cliniques et politiques.
En premier lieu, Karine Bertrand et Louise Nadeau présentent les « perspectives subjectives de femmes en traitement quant à l’initiation et la progression de leur consommation ». Il s’agit de femmes présentant des problèmes graves d’inadaptation sociale concomitants à leurs troubles liés aux substances et qui ont été interviewées entre cinq et huit ans après leur traitement dans un centre de réadaptation en toxicomanie. L’analyse de ces récits nous révèle des femmes dont la toute première expérience de consommation d’alcool ou de drogues illicites est caractérisée par une expérience de soulagement de la tension à un âge précoce, et ce, dans un contexte familial marqué par une multiplicité de facteurs de risque comme différentes formes de maltraitance. Ce contexte d’initiation aux substances semble avoir marqué par la suite la progression de la consommation de ces femmes dans les diverses situations de leur vie : la maternité, les relations amoureuses et la détresse psychologique. Ces femmes se retrouvent avec des difficultés persistantes qui requièrent une intervention adaptée à leur situation et les auteures proposent quelques pistes à cet égard.
Préoccupés par le phénomène de l’injection de drogues chez les jeunes de la rue, Élise Roy et ses collaborateurs ont rencontré 37 de ces jeunes en vue de mieux comprendre leur point de vue à ce sujet. Dans Pourquoi commencer ? L’initiation à l’injection de drogues selon les jeunes de la rue, les auteurs ont identifié les dimensions reflétant le point de vue des jeunes à propos de l’injection de drogues et des éléments qui favorisent le passage à l’injection dans leur milieu. Les résultats montrent que, même si l’injection est généralement désapprouvée par les jeunes de la rue, le contact avec le milieu des jeunes utilisateurs de drogues par injection (UDI) amène une sorte de désensibilisation qui entraîne les plus vulnérables, soit les plus jeunes, à commencer à s’injecter. Les auteurs identifient plusieurs éléments qui amènent certains jeunes à passer à l’injection de drogues et soulignent que, parmi ceux-ci, de nombreux éléments peuvent être modifiables par des interventions préventives.
Michel Perreault et ses collaborateurs présentent pour leur part l’Intérêt de la clientèle d’un programme de méthadone quant aux services offerts par un groupe de pairs aidants. Les auteurs ont non seulement sondé l’intérêt de la clientèle d’un programme de méthadone à exigences peu élevées pour des activités de soutien offertes par des pairs aidants, mais ils ont aussi par la suite documenté la participation des répondants à l’activité d’initiation qui leur était proposée afin de mieux connaître les services offerts par ces pairs. Cette recherche met en lumière l’importance d’évaluer soigneusement les préférences des usagers potentiels dans la planification de services que l’on voudrait créer à leur intention.
Partant du constat que les mineurs hébergés en centre de réadaptation qui reçoivent une médication psychotrope montrent un faible taux d’observance du traitement, Rachel Bouchard et Denis Lafortune ont sondé les perceptions des éducateurs qui travaillent avec ces adolescents quant à la prise de médicaments.
Ils se sont intéressés plus particulièrement au rôle et aux attentes des intervenants psychosociaux lorsqu’il y a prescription ainsi qu’à la valeur symbolique du médicament, à cause de son influence potentielle sur le déroulement et l’issue du traitement. La recherche vise à recueillir les perceptions des éducateurs à qui on a confié la prise en charge de jeunes placés ayant une prescription. Les résultats indiquent que les éducateurs inscrivent de façon courante la prise de médicaments psychotropes dans la démarche générale de rééducation et de relation d’aide et que cette orientation s’accompagne d’un souci en vue de responsabiliser les jeunes et leurs parents à cet égard.
Enfin, Isabelle Van Pevenage s’intéresse au discours des témoins qui ont comparu devant le Comité spécial du Sénat sur les drogues illicites (Comité Nolin) qui avait pour mandat d’examiner la politique canadienne en matière de cannabis. Dans À la recherche du plaisir : le cas du cannabis vu à travers les témoignages du Comité Nolin, elle a examiné la place que prenait le plaisir dans les témoignages soumis à ce comité et dans quelle mesure la recherche de plaisirs s’intégrait dans leur logique argumentaire. Il apparaît que la recherche de plaisirs y occupe peu de place et que, lorsqu’ils sont évoqués, les plaisirs sont systématiquement pensés en lien avec la consommation de cannabis et non abordés dans une perspective plus large de rapport aux plaisirs. L’auteure propose en conclusion une interprétation à cette difficulté de parler des plaisirs.
Nous espérons que ce numéro, en donnant la parole à des gens concernés de toutes sortes de façons par la consommation de substances psychoactives et en proposant des analyses rigoureuses de leur discours, apportera un surcroît de sens à tous ceux qui s’intéressent à ce phénomène. Nous terminons en renouvelant notre invitation aux auteurs qui oeuvrent dans ce champ à nous soumettre leurs textes, que ce soit des articles de fond ou des résultats de recherche.