Abstracts
Résumé
La présence de la littérature grise s’est considérablement accrue sous forme numérique dans les collections de la Bibliothèque de l’Assemblée nationale du Québec au cours de la dernière décennie. Ce genre de documentation de recherche possède quelques caractéristiques qui lui permettent de participer aux besoins informationnels particuliers de la communauté parlementaire. Le développement de cette collection présente des enjeux de repérage, de développement de collection, et de pérennisation sur lesquels la Bibliothèque s’est penchée au fil du temps. Cet article présente cette expérience.
Abstract
The presence of grey literature in digital form in the collections of the Bibliothèque de l’Assemblée nationale du Québec has increased considerably over the past decade. This type of research documentation has several characteristics that enable it to meet the specific information needs of the parliamentary community. The development of this collection raises issues of retrieval, collection development, and sustainability, which the library has addressed over the years. This article presents this experience.
Article body
Introduction
La Bibliothèque de l’Assemblée nationale du Québec a depuis longtemps comme première mission de fournir une offre documentaire approfondie, utile et à jour aux élus et intervenants des activités politiques et législatives de la législature québécoise (Bernier, Sauvageau, 2008). Aux riches rayonnages de la Bibliothèque, constitués d’ouvrages imprimés acquis au fil des années, s’ajoutent les documents numériques auxquels appartient un ensemble de documents qui échappent en bonne partie au milieu traditionnel de l’édition, autant commerciale que gouvernementale. Ces documents, qu’on peut qualifier de littérature grise, sont issus de travaux de recherche, et constituent un bassin documentaire utile à la réponse aux besoins d’information des clientèles de la Bibliothèque. Cette documentation est aujourd’hui principalement transmise en format numérique par ses producteurs et premiers diffuseurs. Elle est, comme l’ensemble des collections de la Bibliothèque, à la disposition des chercheurs, citoyens et regroupements qui souhaitent s’informer sur les enjeux et connaître les écosystèmes informationnels entourant l’action gouvernementale et législative.
Dans cet article, l’auteur partage l’expérience de la Bibliothèque de l’Assemblée nationale du Québec concernant le développement d’une collection de littérature grise numérique. Il vise à signaler la présence de ce corpus à l’ensemble des milieux documentaires concernés par la recherche d’information de qualité permettant d’alimenter les réflexions dans le débat public, en offrant une illustration de pratiques entourant le développement d’une telle collection. Après une introduction au développement des collections à la Bibliothèque et une présentation de quelques particularités des besoins des clientèles parlementaires, l’article présente une typologie observée de la littérature grise numérique diffusée par la Bibliothèque ainsi que de ses producteurs. L’article aborde ensuite les modalités du repérage, de l’acquisition et de la diffusion de cette collection.
Le contexte du développement d’une collection numérique particulière
Une bibliothèque particulière
Depuis 1802, la Bibliothèque de l’Assemblée nationale du Québec a comme premier mandat de soutenir les activités professionnelles des parlementaires, mission à laquelle s’est ajoutée, progressivement, une vocation patrimoniale. (Bernier, Sauvageau, 2008) Ce dernier volet a permis la constitution de trésors documentaires. À titre d’exemple, la Bibliothèque a acquis la collection personnelle de Pierre-Joseph-Olivier Chauveau, premier titulaire du poste de premier ministre du Québec, quelques années après un incendie qui, en 1883, a transformé en cendres une majeure partie des collections de la Bibliothèque (Bibliothèque de l’Assemblée nationale du Québec, s. d.). La Bibliothèque a notamment par la suite pu constituer, grâce aux abonnements longtemps tenus aux journaux publiés dans toutes les circonscriptions électorales du Québec, un ensemble documentaire unique regorgeant d’information de première main témoignant de l’histoire de tout le Québec.
C’est avec le souci de poursuivre le développement d’une offre documentaire adéquate pour appuyer le travail de ses clientèles que, dès 1997, la Bibliothèque entreprend le signalement de documents numériques dans son catalogue grâce à l’insertion d’hyperliens à des notices. Cette pratique s’insérera dans sa Politique de gestion des collections, sur laquelle l’équipe de la Bibliothèque s’appuie pour développer ses collections sur le parlementarisme, le droit, la science politique, l’histoire et la culture du Québec ainsi que, plus généralement sur les sujets susceptibles d’être l’objet d’un projet de loi ou de toucher au champ d’action des politiques publiques. À partir de 2007, l’institution acquiert un serveur qui lui offre le socle nécessaire à la stabilisation de la diffusion et au développement pérenne de ses collections numériques. Ce serveur accueille alors les documents textuels sous le format PDF. Un travail rétrospectif d’intégration des documents sous ce format se tiendra éventuellement pour remplacer les liens auparavant insérés.
Les services impliqués dans le développement de collection
Le développement des collections de la Bibliothèque est réalisé par deux équipes. Le service de l’information, auparavant nommé service de la référence, intervient en amont lorsqu’il y a lieu de repérer et de sélectionner les documents, en procédant à une évaluation de pertinence. C’est le cas pour les ouvrages issus du marché de l’édition, les documents de littérature grise qui échappent au marché de l’édition, les publications gouvernementales du Canada, ainsi que pour les mémoires déposés dans le cadre de consultations ministérielles. De son côté l’équipe du service du développement des collections et du traitement documentaire procède à l’acquisition et au traitement de tous les documents, imprimés comme numériques. Les documents numériques sont repérés par l’équipe de ce service lorsque les titres sont désignés pour être traités systématiquement par la Bibliothèque, ce qui est le cas pour les publications gouvernementales québécoises, les acquisitions récurrentes, et les publications issues des travaux parlementaires, comme les mémoires déposés en commissions parlementaires.
L’activité de repérage associée à la sélection des documents a été attribuée à l’équipe du service de l’information compte tenu de l’expertise développée par les bibliothécaires de référence, qui, en première ligne, avec une équipe de techniciennes, offrent aux principales clientèles de l’institution un niveau élevé de services d’information, qui va bien au-delà de la présentation des collections et de la formation à l’utilisation des outils de recherche.
Lorsqu’il ne s’agit pas d’une demande d’information factuelle ou concernant l’accès à un document, le dossier d’information réalisé par l’équipe peut prendre plusieurs formes, dont la réalisation d’une recension bibliographique annotée, d’un dossier permettant de dresser un cadre légal et réglementaire sur une question, d’une recension des initiatives ou des politiques prises par d’autres juridictions à l’endroit d’un enjeu public, d’une veille de l’actualité et des publications de recherche sur un sujet, mais aussi d’une revue de presse pour connaître le fil des événements sur un sujet ou les annonces gouvernementales récentes, ou encore d’une recension des programmes de financement gouvernementaux. Les requêtes et leurs réponses sont consignées dans base de connaissances développée à l’aide du logiciel Ultima, qui est lié aux activités institutionnelles de gestion électronique des documents (GED) (Ménard, 2020). L’équipe du service de l’information se considère donc bien au fait des besoins documentaires de ses clientèles, pour lesquelles elle répond à des requêtes et tient des communications de manière quotidienne. Les membres de l’équipe agissent également assidûment à la fois en tant que générateurs et utilisateurs des outils de recherche de la Bibliothèque, soit du catalogue CUBIQ, partagé avec le réseau des bibliothèques gouvernementales québécoises, ainsi que de bases de données maison[1], développées pour appuyer l’efficacité de la réponse aux requérants, ainsi que pour une diffusion plus large visant la population. L’alimentation de ces outils de recherche nécessite une surveillance soutenue du Web.
Comme il est question dans cet article de littérature grise, il est opportun de souligner que la Bibliothèque comprend aussi un service de recherche qui offre l’expertise d’analystes pour l’accompagnement des députés dans le cadre de certains travaux des commissions parlementaires, notamment par la rédaction de rapports de mandats. Ces analystes réalisent aussi des notes de recherches à l’intention de cette clientèle, ainsi qu’à des fins d’information citoyenne[2].
Clientèles de la Bibliothèque et littérature grise
Support au travail parlementaire
La Bibliothèque de l’Assemblée nationale du Québec offre en premier lieu ses services à ses clientèles dites prioritaires. Celles-ci sont composées des députés, de leur personnel politique, des services de recherche des partis politiques, et du personnel des bureaux de circonscriptions. S’ajoutent les personnes qui travaillent dans le secteur administratif de l’Assemblée, les journalistes de la Tribune de la presse, les personnes désignées par l’Assemblée nationale, ainsi que le Lieutenant-gouverneur (Bibliothèque de l’Assemblée nationale du Québec, s. d.). La Bibliothèque est aussi ouverte au grand public, qui peut bénéficier d’un service d’aide à la recherche.
Les bibliothécaires de référence, dans le cadre de leurs activités de référence et de développement des collections, doivent tenir compte de particularités importantes du travail des personnes desservies. Les élus ont un emploi du temps très occupé, alors qu’ils doivent jongler à l’intérieur d’un spectre de responsabilités et de connaissances très étendu, nécessitant des connaissances aiguisées (IFLA Section on Library and Research Services for Parliaments Section, 2022, p. 13). Le parlementaire a trois grands rôles principaux : de législateur, de contrôleur, et d’intermédiaire. Ces rôles l’amènent à participer à plusieurs activités parlementaires, comme la proposition et l’étude de projets de lois, l’analyse et le contrôle des politiques et des administrations gouvernementales, qui peuvent toucher à toutes les sphères des activités humaines, en plus du travail en circonscription, pour lequel il y a un grand nombre d’enjeux locaux à saisir (Deschênes, 1995). La tenue de ces rôles requiert des ressources informationnelles qui présentent l’information de manière à la fois factuelle, analytique et synthétique. Dans ce contexte, le service de l’information est sollicité pour répondre rapidement, avec précision et qualité, aux demandes de cette clientèle. Sans négliger l’acquisition de documents de nature à répondre aux besoins de réflexion théorique ou étendue, besoins davantage comblés par les ouvrages imprimés[3], les collections numériques sont développées avec comme objectif de répondre à des besoins d’information plus ciblés. Gaston Bernier soulignait en 2005, en s’inspirant de Jean-François Le Men (Le Men, 1984) : « l’information acheminée aux élus devrait-elle, en ce qui a trait au fond, provenir de sources diverses, être complète et approfondie, exhaustive et nuancée, sûre ou fiable, rigoureuse, précise et objective. De plus, devrait-elle encore, cette fois en regard de la forme, être claire, condensée, synthétique, concise et rapide » (Bernier, 2005, p. 208). Les publications de littérature grise permettent bien souvent de répondre à ces exigences. Les activités de développement de collection et de référence à la Bibliothèque permettent d’observer que les publications de littérature grise émanent de nombreux domaines de recherche, généralement pour viser un sujet d’intérêt public précis, alors qu’un souci de médiation leur donne généralement une forme condensée et directe.
Typologie de la littérature grise à la Bibliothèque
Joachim Schöpfel a défini la littérature grise comme correspondant « à tout type de document produit par le gouvernement, l’administration, l’enseignement et la recherche, le commerce et l’industrie, en format papier ou numérique, protégé par les droits de propriété intellectuelle, de qualité suffisante pour être collecté et conservé par une bibliothèque ou une archive institutionnelle, et qui n’est pas contrôlé par l’édition commerciale » (Schöpfel 2012, p. 14). Le développement de collection pour ce type de document, qui n’est pas disponible sur le marché du livre ou des fournisseurs de ressources numériques, nécessite des efforts particuliers de repérage, de sélection et d’acquisition qui participent à la spécificité de l’expertise des milieux documentaires spécialisés.
En plus des nombreux types de publications gouvernementales et parlementaires, la Bibliothèque de l’Assemblée nationale du Québec intègre à ses collections une grande variété d’autres documents assimilables à la littérature grise, publiés aujourd’hui quasi-exclusivement en format numérique. Une observation des titres acquis dans ce format par la Bibliothèque au cours des dix dernières années, couplée à une consultation de la typologie établie par GreyNet International (GreyNet International, s. d.), nous permet d’observer et de rapporter les types de documents suivants : rapports de recherche, notes de recherche, notes d’analyse, documents d’information compréhensive, communications et comptes-rendus, enquêtes et sondages, propositions et recommandations de politiques publiques ou de mesures législatives, études comparatives, prises de positions, documents légaux, livres blancs, rapports commandés par des instances publiques, mémoires déposés, recensions de politiques, de législations ou de bonnes pratiques, rapports et portraits statistiques, guides compréhensifs, guides de bonnes pratiques, plans d’action, documents de concertation, mémoires de maîtrise et thèses de doctorat.
Comme ces types de documents connaissent tous aujourd’hui une diffusion quasi-exclusivement en format numérique, la Bibliothèque en fait l’acquisition sous cette forme, mais a opté pour l’impression dans le cas des mémoires de maîtrise et des thèses de doctorat, leur diffusion numérique étant déjà assumée par les institutions universitaires. Certains de ces travaux académiques sont toutefois imprimés à l’Assemblée nationale pour intégrer le catalogue CUBIQ et les rayonnages de la Bibliothèque, favorisant les heureuses découvertes issues de butinage. Leur forme plus longue, appelant une lecture soutenue, se prête bien au support papier. La Bibliothèque intègre aussi dans ses outils de recherche les références aux mémoires et thèses qui traitent de sujets d’intérêt pour sa mission, mais elle ne peut pas en héberger les fichiers.
En plus des ministères, des gouvernements de proximité, des organismes et autres instances publiques, il existe plusieurs types de producteurs de littérature grise. Une observation des titres acquis par la Bibliothèque depuis une décennie permet de rapporter ces principaux types de producteurs, dans le contexte politique et des secteurs connexes : chercheurs et groupes de recherche universitaires, think tanks, organisations de recherche en politiques publiques, observatoires, associations sectorielles ou professionnelles, groupes d’intérêts, parlements, organisations internationales, instances de travail intergouvernemental ou interparlementaire, partis politiques, institutions financières, firmes de consultants ou firmes de recherche mandatées par des administrations publiques ou privées, comités ad-hoc et groupes de travail. Ces organismes ont souvent une préoccupation pour la diffusion de leur production éditoriale, et diffusent bien souvent une infolettre, ou sinon, alimentent au moins une section de leur site Web dédiée à la diffusion de leurs publications.
Les rouages du développement de la collection de littérature grise numérique
Repérage et sélection
La Bibliothèque de l’Assemblée nationale du Québec intègre des publications de littérature grise à ses collections depuis longtemps. La collecte s’est toutefois trouvée facilitée par le développement de la diffusion de ces publications sur le Web. Ce type de publications n’étant pas signalé sur le marché de l’édition, la collecte dépendait auparavant d’une certaine volonté de diffusion des producteurs de contenus et de la présence ou l’absence de réseaux développés par le personnel de la Bibliothèque. Le passage de la littérature grise au support numérique implique dorénavant une surveillance accrue du Web, qui permet à la Bibliothèque de tendre vers à une relative exhaustivité, en fonction de sa politique de développement de collection, et des ressources professionnelles disponibles.
La repérage des publications s’intègre au travail de sélection de l’activité de développement de collection assuré par l’équipe de sept bibliothécaires de référence du service de l’information de la Bibliothèque. Le logiciel de surveillance Web WebSite-Watcher est utilisé pour détecter l’apparition de contenu sur une sélection de sites Web. Des sondes du Web sont exercées en continu ou lancées de manière périodique, selon la préférence du bibliothécaire. L’abonnement aux infolettres, particulièrement celles d’organismes et de groupes de recherche, est aussi très utile au repérage, qui est complété par une surveillance de la presse d’actualité ainsi que par des dispositifs propres à chacun des bibliothécaires, comme des alertes Google, ou encore de la surveillance de communiqués de presse en utilisant des termes de recherche comme « étude » et « rapport ». Comme pour les autres types de publications, les bibliothécaires s’appuient sur les critères établis par la Politique de gestion des collections qui spécifient le niveau de développement de la collection à l’intérieur des diverses disciplines, les principales étant la politique et le parlementarisme, le droit, l’histoire, l’économie et les finances publiques, l’environnement, la santé et les sujets sociaux.
En plus d’un critère concernant le niveau de couverture géographique pour les différents sujets couverts par la Politique de gestion des collections, le niveau scientifique et l’approche communicationnelle de ces documents sont pris en compte. Les bibliothécaires, animés d’un principe impératif de neutralité politique, veillent aussi à respecter un critère de représentativité du spectre politique dans le développement des collections, choisissant les écrits davantage sur la base de la leur rigueur factuelle et scientifique et de leur qualité communicationnelle, que de leur perspective argumentaire. La Bibliothèque retient tout de même peu de documentation destinée à un lectorat d’experts, au langage très scientifique, à l’exception des sujets logés au coeur de sa mission, comme le parlementarisme, la science politique et le droit. Mais, contrairement à ces deux premiers sujets, le droit ne connaît toutefois pas de développement aussi exhaustif sur support numérique dans la collection, comme la littérature de doctrine juridique connaît déjà une diffusion accessible et exhaustive sur des plateformes spécialisées.
Évolution quantitative de la collection
Depuis quelques années, les documents numériques ont pris une place grandissante dans l’ensemble des titres choisis par l’équipe[4]. De plus ou moins 200 titres acquis annuellement au début de la décennie 2010, ce nombre a quadruplé, puis s’est stabilisé ces dernières années, après un bond important qui a précédé et qui aurait été amplifié par la période pandémique, pour se situer depuis tout juste derrière le nombre de livres imprimés acquis sur le marché des librairies (voir tableau 1). Devant ce bond, une mise au point a été nécessaire au sein de l’équipe durant l’année 2020-2021 afin de resserrer la vigilance des bibliothécaires face aux critères de pertinence appliqués au développement de cette collection numérique, dans le but de limiter l’augmentation des ressources impliquées par celle-ci dans la chaîne de traitement documentaire.
Tableau 1
Nombre d’acquisitions annuelles de livres imprimés et de littérature grise numérique par la Bibliothèque par année financière de 2011-2012 à 2022-2023
Acquisition des documents
Les titres de littérature grise numérique sélectionnés pour intégrer la chaine de traitement documentaire y entrent de façon similaire à celle des documents imprimés. Une fois repéré et sélectionné par les bibliothécaires de référence, le document est acquis, catalogué et indexé par l’équipe du service du développement des collections et du traitement documentaire, qui procède dans un premier temps à la demande d’autorisation de diffusion auprès de l’éditeur/producteur/premier diffuseur du document. L’offre de la Bibliothèque de prêter gracieusement son concours à la diffusion des documents auprès de décideurs emporte d’habitude rapidement l’adhésion. Dans le cas de la littérature grise numérique, l’enjeu commercial est généralement absent, alors que l’objectif est bien souvent une quête d’influence et de visibilité. Le principal défi à ce stade est d’arriver à obtenir le bon lien de communication auprès de l’organisme producteur. La voie d’une entente à la pièce prenant une forme juridique a été écartée pour éviter d’alourdir le processus. La Bibliothèque a plutôt choisi de demander simplement cette autorisation par courriel et d’en consigner le courriel de réponse. Des ententes globales ont toutefois été réalisées auprès de certains organismes producteurs pour éviter d’avoir à se référer à eux au moment de chaque acquisition.
L’équipe du service du développement des collections et du traitement documentaire s’occupe par ailleurs du repérage Web des publications gouvernementales, parmi lesquelles se trouve de la littérature grise, qui prend notamment la forme de rapports, d’avis scientifiques, de documents normatifs, et d’études statistiques. Pour les repérer, des techniciennes du service surveillent les sites Web des ministères et organismes, qui ne signalent pas leurs nouvelles publications de manière uniforme. Pour alléger ce travail, il serait intéressant d’obtenir un dépôt systématique de ces publications. Le dépôt légal des publications gouvernementales a beau être enchâssé dans la Loi de l’Assemblée nationale depuis 1982, grâce à l’article 132, qui enjoint les ministères et organismes du gouvernement québécois ainsi que les organismes du réseau de la santé et des services sociaux à déposer deux exemplaires des documents qu’ils publient (Loi sur l’Assemblée nationale, 1982), il n’est toutefois pas considéré pour ce qui est des publications numériques. La Bibliothèque a obtenu récemment un avis juridique à l’effet que l’article 132 peut s’appliquer aussi aux publications en format numérique, et elle s’apprête à informer les ministères et organismes, ainsi que le réseau de la santé et des services sociaux de l’existence du dépôt numérique.
Élagage de la collection numérique
Soumise à la Politique de gestion des collections, la littérature grise numérique doit passer par un exercice d’élagage selon les critères établis. L’objectif principal de l’exercice, mené périodiquement par le service de l’information, est de conserver la pertinence et l’utilité de la collection, et d’en éviter l’encombrement (Chant, 2015), quand on sait que la Bibliothèque ajoute beaucoup de titres annuellement au catalogue CUBIQ, outil partagé par plusieurs bibliothèques gouvernementales. Dans cette optique, les titres peuvent être retirés de la collection une fois que leur période d’utilité pressentie pour répondre aux besoins d’information des clientèles prioritaires est écoulée. Concrètement, les bibliothécaires du service de l’information travaillent à partir de listes de documents associés à des segments de la classification Dewey, classés selon le champ de cote de localisation, le travail d’évaluation étant réalisé de manière similaire à celui réalisé pour l’élagage des collections physiques, qui est réalisé en consultant le rayonnage.[5] Cette méthode permet d’évaluer la pertinence de chaque document en regard de la collection sur un sujet. L’équipe de la bibliothèque agit toujours avec précaution et, dans le doute, conserve les titres.
Le mandat patrimonial de la Bibliothèque de l’Assemblée nationale du Québec exclue des activités d’élagage les publications québécoises et, par extension, mais dans une moindre mesure, les publications canadiennes. La Bibliothèque se doit de conserver des documents numériques qui permettront de témoigner de l’évolution des écosystèmes informationnels, des enjeux et des débats politiques qui auront animé la société québécoise et ses décideurs. Cet objectif de pérennisation l’emporte donc sur celui de désemcombrement, d’autant que les publications de littérature grise, n’étant généralement pas sujettes au dépôt légal, ne seront pas nécessairement acquises et conservées par Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ).
Support PDF
La pérennisation des documents numériques passe par l’hébergement des fichiers qui les portent. Une fois catalogués et indexés, les fichiers PDF des documents sont déposés sur un serveur institutionnel auquel réfèrent les notices du catalogue CUBIQ. C’est pour répondre aux enjeux de stabilisation de l’accès et de pérennisation de la diffusion des documents textuels numériques que la Bibliothèque a, comme bien des institutions à vocation patrimoniale, opté pour l’utilisation du support PDF (Bieman, Vinh-Doyle, 2019). Ce choix s’est présenté sous forme d’évidence à la Bibliothèque, vu l’utilisation de ce support qui était observée chez les producteurs de contenus textuels. L’hébergement sur un serveur institutionnel permet de stabiliser l’accès aux documents par rapport à l’intégration de liens url aux notices, les emplacements Web des documents pouvant connaître des changements, et les documents pouvant en venir à disparaître. Le support PDF étant encore aujourd’hui le support de choix des diffuseurs, il est permis d’espérer que l’utilisation de ce support se maintiendra, et que l’éventualité d’une évolution vers un autre support serait accompagnée de solutions de migration de support depuis le PDF. Il reste que la Bibliothèque, comme bien d’autres institutions documentaires patrimoniales, rencontre un enjeu de gestion des contenus Web dynamiques, enjeu sur lequel elle s’est peu penchée encore.
Usages et diffusion
Les activités de repérage des publications numériques ont l’avantage de connaître plus d’un usage. Bien que ce soit souvent le cas pour les titres de littérature grise numérique, toutes les publications retenues ne trouvent pas le chemin du catalogue CUBIQ, alors que l’activité de surveillance permet aussi de repérer de la documentation publiée, mais nichée, comme des articles de revues numériques, académiques ou sectorielles, des chapitres d’ouvrages académiques, ou encore des sites Web thématiques. En plus d’être crucialement instrumentale pour le développement de collection sur un vaste spectre de sujets, la surveillance du Web permet aussi aux bibliothécaires d’alimenter des veilles stratégiques thématiques ciblées ou sectorielles diffusées auprès des clientèles du service de l’information. Cette pratique donne une valeur ajoutée à l’activité de surveillance, par sa contribution à une diffusion accrue de l’information.
Pour dynamiser et élargir la diffusion des titres de littérature grise numérique, comme de tous types de documents numériques acquis ou simplement repérés par la Bibliothèque, le service de l’information signale promptement, sans attendre le traitement documentaire, une sélection de références dans la liste des nouveautés diffusée chaque semaine par la Bibliothèque sur l’Intranet institutionnel, ainsi que par l’envoi d’une infolettre chaque mercredi. L’abonnement à cette infolettre, qui compte plus de 2 000 abonnés, est ouvert autant aux clientèles prioritaires de la Bibliothèque qu’aux citoyens intéressés[6]. Cette méthode de communication offre une occasion toujours renouvelée pour le service de l’information de démontrer la pertinence et l’actualité de la Bibliothèque, qui profite d’une position de médiation exceptionnelle entre la recherche et le pouvoir politique et législatif pour donner une impulsion à la visibilité et, potentiellement, à l’influence de travaux de recherche auprès des décideurs du Québec.
Conclusion
Le développement d’une collection numérique de littérature grise à la Bibliothèque de l’Assemblée nationale du Québec fait partie des stratégies d’adaptation adoptées par le service de l’information pour évoluer stratégiquement, avec pertinence, dans le contexte de la dématérialisation progressive des publications. Elle trouve surtout sa motivation dans les efforts de réponse efficace aux besoins informationnels de ses clientèles. En plus d’améliorer le repérage de ces ressources numériques, et donc de répondre plus rapidement et efficacement aux demandes de recherches, le travail de repérage effectué permet d’enrichir de nombreuses veilles documentaires et de signaler promptement une sélection de ces documents aux clientèles de la Bibliothèque chaque semaine, pendant que l’acquisition de ces documents numériques permet d’en pérenniser la diffusion, et de répondre ainsi également à la mission de conservation patrimoniale de la Bibliothèque.
La Bibliothèque participe actuellement à l’évaluation des options pour l’utilisation d’un nouveau catalogue de bibliothèque. L’adoption d’un catalogue de type outil de découverte permettrait, dans l’optique du développement des collections numériques de l’institution, y compris de celles des archives institutionnelles, d’interroger non seulement les champs des notices du catalogue, mais également le texte des documents numériques hébergés par la Bibliothèque, approfondissant les possibilités de repérage des collections. Les réflexions concernant les développements à venir de l’offre documentaire numérique de la bibliothèque devront tenir compte de ce principal dispositif de gestion et de repérage des collections.
Cet article avait pour but de partager l’expérience de développement d’une collection de littérature grise numérique dans le contexte d’un milieu documentaire bien circonscrit, celui de l’Assemblée nationale du Québec. Il serait intéressant de connaître d’autres pratiques et d’échanger sur les expériences de bibliothèques ayant des missions apparentées.
Appendices
Note biographique
Simon MAYER est détenteur d’une maîtrise en sciences de l’information de l’Université de Montréal. Il travaille depuis 2018 comme bibliothécaire de référence à la Bibliothèque de l’Assemblée nationale du Québec. Il a auparavant travaillé (2010-2018) au sein de Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ), où il a agi à titre de bibliothécaire de référence. Il s’y est notamment occupé du développement et de la diffusion des collections numériques patrimoniales.
Notes
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[1]
Plusieurs de ces bases de données sont accessibles à tous : https://www.bibliotheque.assnat.qc.ca/fr/24-bases-de-donnees
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[2]
Voir notamment : Les études détaillées https://www.bibliotheque.assnat.qc.ca//fr/10186-les-etudes-detaillees
Matière à réflexion https://www.bibliotheque.assnat.qc.ca//fr/10192-matiere-a-reflexion
La 42e législature en bref https://www.bibliotheque.assnat.qc.ca//fr/14142-la-42e-legislature-en-bref
En bref : https://www.bibliotheque.assnat.qc.ca//fr/3650-en-bref-notes-d-information-de-la-bibliotheque
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[3]
La Bibliothèque ne diffuse encore pas de livres numériques issus du marché de l’édition, mis à part quelques titres diffusés sous licence de diffusion ouverte Creative Commons. Les besoins de la Bibliothèque à cet égard ne trouvent pas de réponse dans les bouquets offerts aux bibliothèques publiques et aux bibliothèques universitaires, pour des raisons de couverture et de budget. Une solution intermédiaire et adaptée a déjà été évoquée dans le cadre de discussions avec un producteur, mais l’initiative n’a pas vu le jour.
-
[4]
Les chiffres présentés dans ce paragraphe et dans le tableau 1 proviennent d’une addition des documents sélectionnés par année financière, sur le marché de l’édition, pour les livres imprimés, ainsi que sur le Web, pour les titres de littérature grise numérique. Les chiffres représentent des documents qui ont tous en commun d’avoir été sélectionnés individuellement par les bibliothécaires responsables du développement des collections, excluant de fait les publications gouvernementales et parlementaires, qui sont, elles, traitées systématiquement. La compilation de ces données a été rendue possible grâce à une pratique qui a gardé la même forme à la Bibliothèque depuis l’année financière 2011-2012.
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[5]
La Bibliothèque n’évalue pas la pertinence de ses collections en fonction des statistiques de prêt. Bien que celles-ci constituent un indicateur, les ouvrages sont surtout évalués en fonction d’utilité pressentie pour la réponse à une éventuelle recherche des clientèles de la Bibliothèque.
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[6]
L’abonnement aux infolettres de la Bibliothèque est ouvert à tous : https://www.bibliotheque.assnat.qc.ca//fr/596-recevez-de-nos-nouvelles
Bibliographie
- Bernier, G. (2005). Organisation des ressources documentaires d’un parlement. Documentation et bibliothèques, 51(3) : 207–211. https://doi.org/10.7202/1029500ar
- Bernier, G., Sauvageau, P. (2008). La Bibliothèque du Parlement québécois, son lectorat et les services. Documentation et bibliothèques, 54(2) : 87–90. doi.org/10.7202/1029315ar
- Bibliothèque de l’Assemblée nationale du Québec. (s. d.). La collection Pierre-Joseph-Olivier-Chauveau. Repéré à www.bibliotheque.assnat.qc.ca/fr/2121-la-collection-pierre-joseph-olivier-chauveau
- Bibliothèque de l’Assemblée nationale du Québec. (s. d.). Mission. Repéré à www.bibliotheque.assnat.qc.ca//fr/551-mission
- Bieman, E., Vinh-Doyle, W. (2019). Recommandations relatives aux formats de fichier pour la préservation numérique – Stratégie de numérisation du patrimoine documentaire. Repéré à www.canada.ca/fr/reseau-information-patrimoine/services/preservation-numerique/recommandations-formats-fichier-preservationnumerique.html.
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- Loi sur l’Assemblée nationale. (1982). c. 62, a. 132. https://www.legisquebec.gouv.qc.ca/fr/document/lc/A-23.1#se :132
- Ménard, C. (2020). Mieux connaître pour mieux aider : l’implantation d’un système de gestion des demandes de référence à la Bibliothèque de l’Assemblée nationale du Québec. Documentation et bibliothèques, 66(3) : 38–46. doi.org/10.7202/1071200ar
- Schöpfel, J. (2012). Vers une nouvelle définition de la littérature grise. Cahiers de la documentation – Bladen voor documentatie, 3 : 14-24. www.abd-bvd.be/wp-content/uploads/2012-3_Schopfel.pdf
List of tables
Tableau 1
Nombre d’acquisitions annuelles de livres imprimés et de littérature grise numérique par la Bibliothèque par année financière de 2011-2012 à 2022-2023