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Paru en 2021, l’ouvrage Travail social et santé de Yves Couturier et Louise Belzile aborde la pertinence du travail collaboratif entre les disciplines de la santé et du travail social. En se référant à une épistémologie pragmatique et une définition large de la santé, les auteurs montrent la complémentarité entre les pratiques des travailleuses sociales et des travailleurs sociaux (TS) et les autres professionnels du domaine de la santé en précisant faire abstraction des tensions symboliques et politiques entre les diverses disciplines. La fluidité de l’approche pédagogique utilisée ainsi que les nombreux exemples qui illustrent les concepts abordés rendent accessible et agréable la lecture de cet ouvrage. Ce livre est divisé en trois chapitres.
Le premier chapitre dresse les convergences entre le domaine de la santé et celui du travail social et il est subdivisé en quatre sections. La première décrit la santé comme étant un phénomène complexe qui a été décomposé en plusieurs fragments pour en faciliter l’analyse et explique que chaque discipline est spécialisée dans un champ d’intervention défini. L’acte clinique est le point de convergence de tous les métiers de soins (TS, infirmière, médecin, physiothérapeute, etc.) puisqu’il a pour visée « de connaître l’autre et d’intervenir sur lui » (p. 14). Alors que la « situation clinique est la rencontre d’un besoin (biopsychosocial) formulé par une personne porteuse d’une histoire et inscrite dans un environnement, et d’une réponse à ce besoin, elle-même inscrite dans un environnement organisationnel, professionnel, réglementaire, etc. » (p. 21). Dans le processus clinique, le travail interdisciplinaire sert à recomposer la complexité associée à la santé globale afin de proposer des solutions adaptées à la réalité de chaque personne. Pour situer la notion de travail collaboratif, les auteurs définissent de nombreux concepts comme discipline, disciplinarité, interdisciplinarité et collaboration interprofessionnelle. Des explications sont également proposées pour distinguer les différents préfixes (a, mono, pluri, multi, inter, trans et circum) associés aux mots « professionnel » et « disciplinaire » qui qualifient les rapports entre les disciplines et entre les différentes composantes du monde professionnel. Les trois autres sections présentent des dispositifs employés à l’actualisation de la collaboration interprofessionnelle. Alors que l’une aborde les pratiques professionnelles et les instruments cliniques pour effectuer une évaluation multidimensionnelle, les deux autres sections sont consacrées à la dimension organisationnelle qui préconise l’intégration et la coordination des services ainsi que les approches globales de soin. Pour étayer leurs propos, les auteurs présentent trois modèles conceptuels de soin (chronic care model, centre de médecine familiale et salutogène) qui se déploient sur une base de collaboration interdisciplinaire dans laquelle le travail social se démarque autant dans l’organisation des services que sur le plan clinique. Ce chapitre sera utile pour les chercheur.e.s, étudiant.e.s et TS qui désirent comprendre les fondements théoriques du travail interdisciplinaire.
Le second chapitre documente succinctement l’univers des six principaux acteurs avec lesquels les TS exerçant en milieu hospitalier sont amenés à collaborer dans le cadre de leurs pratiques. Il s’agit des médecins, des infirmières, des intervenants en réadaptation, des aides-soignants, des pharmaciens et des partenaires de la santé. En décrivant la formation, le contexte de travail et l’expertise de ces principaux acteurs, les auteurs souhaitent bonifier la compréhension qu’ont les TS du domaine de la santé. Couturier et Belzile identifient les réalités similaires qui unissent les TS à ces différents professionnels sur les plans sociologique, clinique, organisationnel ou théorique. Ces convergences contribuent à soutenir les TS dans leur mandat d’évaluation du fonctionnement global de la personne et de la réduction de leurs incapacités en vue d’une intégration à la société. Ces connaissances peuvent être mobilisées par les personnes qui forment les futurs TS et par les TS qui intègrent le marché du travail, mais elles risquent d’être moins utiles pour les TS expérimentés.
Le dernier chapitre démontre que les contributions réelles et possibles du travail social ne se limitent pas seulement aux problèmes sociaux en lien avec la pauvreté et l’exclusion sociale, mais qu’elles se situent également dans le domaine de la santé. Pour ce faire, les auteurs définissent la pratique des TS en se référant à une liste de domaines de contributions (13 éléments) et de fonctions spécifiques (18 éléments) appartenant au monde de la santé. Ce chapitre est divisé en 10 sections. La première section expose cinq critiques du travail social formulées par les acteurs de la santé. Les auteurs estiment que si les TS ont une meilleure compréhension des éléments qui teintent leurs rapports avec les autres professionnels, cela les aidera à gérer les tensions. Les neuf autres sections arborent le rôle du travail social dans le domaine de la santé en fonction des services de soins primaires (GMF), de la prescription de services sociaux par les médecins (nouvel espace de collaboration entre TS et médecin), du travail en contexte hospitalier, de l’intervention en santé mentale, de l’intervention auprès des personnes en perte d’autonomie fonctionnelle, de l’intervention auprès des personnes marginalisées, du travail avec les proches et la communauté, de l’intervention en santé publique et de l’éthique dans l’autonomisation en santé. L’expertise des TS s’articule autour de connaissances sur diverses problématiques, de compétences en communication interprofessionnelle et intersectorielle, de la fonction de liaison avec les usagers et divers professionnels travaillant à l’interne et à l’externe du réseau de la santé et des services sociaux (RSSS) et d’une connaissance des communautés. L’organisation des services publics au Québec repose sur des modèles conceptuels qui reconnaissent le caractère global des besoins de l’usager et la collaboration interprofessionnelle et intersectorielle. La présence des TS encourage ce changement de culture axé sur une approche holistique dans l’analyse des besoins biopsychosociaux et de la rédaction de plans d’intervention intégrés. Il est important de rappeler que les auteurs n’ont pas la prétention de couvrir toutes les réalités de pratique du travail social. Certains TS reconnaitront peu leur contribution, notamment celles et ceux qui exercent auprès des familles en difficulté ou des personnes présentant des limitations physiques et intellectuelles. En réponse aux critiques adressées au travail social, les auteurs concluent l’ouvrage en invitant les personnes qui enseignent le travail social à élaborer le contenu de leurs cours à partir de connaissances scientifiques afin que les futurs TS soient davantage reconnus par les acteurs du domaine de la santé.
Couturier et Belzile proposent aux lecteurs une immersion dans l’univers de la santé à partir duquel ils tissent des liens avec le travail social. Ceci explique pourquoi les deux premiers chapitres ne mettent pas le travail social à l’avant-plan. L’élaboration d’une table des matières plus détaillée refléterait la richesse de cet ouvrage et en faciliterait la consultation. Pour appuyer la visée pédagogique de cette publication, il serait intéressant, d’une part, de retrouver des vignettes cliniques illustrant les pratiques collaboratives des TS (défis, bons coups, stratégies privilégiées pour établir et maintenir une relation professionnelle interdisciplinaire, etc.). D’autre part, l’ajout en annexe d’un plan d’intervention intégré (PII) serait très instructif puisque les instruments sont des vecteurs importants des pratiques collaboratives. Enfin, la collaboration interprofessionnelle repose notamment sur la proximité relationnelle et cognitive entre deux personnes. Cet ouvrage explique les fondements de cette proximité, mais sans explorer en profondeur les stratégies qui sous-tendent la construction de liens d’affinité, de confiance et de complicité sur lesquels repose une relation professionnelle solide et durable. Dans un contexte où le réseau de la santé et des services sociaux est sous pression en raison de la pandémie de COVID-19, cette publication qui valorise l’expertise des TS dans l’univers médical est d’un grand intérêt.