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L’obtention d’un diplôme d’études représente aujourd’hui « le niveau minimum requis pour évoluer dans l’économie et [dans] la société moderne » selon l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE, 2019). Or, plusieurs jeunes mettent fin à leurs études avant l’obtention d’une première qualification (p. ex. : diplôme d’études secondaires [DES] ou professionnelles [DEP]). Ces jeunes sont susceptibles d’être marginalisés ou de faire face à des situations de précarité (Blaya, 2010; Janosz, 2000). Pour limiter les conséquences négatives associées au phénomène du décrochage scolaire, différents organismes communautaires offrent un accompagnement éducatif permettant aux décrocheurs de s’engager dans un processus de raccrochage scolaire, lequel s’inscrit dans une perspective d’approche globale (Desmarais et coll., 2012) et propose le développement d’un projet scolaire. Ce projet scolaire prend généralement appui sur les aspirations personnelles et professionnelles de l’individu (ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur [MEES], 2021) et comporte des retombées éducatives (ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport [MELS], 2006). Toutefois, bien que l’adoption ou l’actualisation d’un projet scolaire constitue un pas vers un retour à l’école, la célèbre réplique de Molière (« Le chemin est long du projet à la chose. ») nous rappelle que, pour quiconque, mener à bien un projet, quel qu’il soit, n’est pas une sinécure. En effet, on constate bien souvent que les jeunes qui réintègrent le milieu de l’éducation formelle le quittent à nouveau avant l’obtention d’une qualification pour des raisons personnelles, scolaires, familiales ou encore financières (Charlebois, 2018; Marcotte et coll., 2011).

Parmi les variables scolaires susceptibles d’influencer la concrétisation d’un projet scolaire, notons la motivation qui est un fort prédicteur de l’engagement et de la réussite à l’école (Deci et Ryan, 1985; Plante et coll., 2013; Steinmayr et Spinath, 2009; Vallerand et Thill, 1993). Issue du mot latin « movere » (Druide, 2021), la motivation se traduit comme une « force […] qui précède un comportement » afin d’atteindre un but (Fréchette-Simard et coll., 2019, p. 501). Compte tenu de l’importance que revêt la motivation dans l’amorce d’un projet, notre équipe s’est intéressée aux propos de 28 jeunes Montréalais en processus de raccrochage scolaire alors qu’ils se prononçaient sur leur retour à l’école. Ainsi, le présent article explorera les enjeux motivationnels auxquels ces derniers font face en employant un cadre de référence tenant compte à la fois des facteurs individuels et environnementaux : le modèle attentes-valeur (Eccles et Wigfield, 2002). Ce modèle, présenté dans la prochaine section, permettra de dégager les aspects motivationnels présents dans le discours de jeunes raccrocheurs, de même que les facteurs individuels et contextuels susceptibles de les motiver en s’attardant à leurs attentes de succès et à la valeur qu’ils accordent à leur projet scolaire. Les résultats obtenus fourniront des pistes d’action pour soutenir la motivation de ces jeunes qui entament un retour à l’école et ainsi enrichir l’accompagnement offert par les intervenants sociaux et les organismes communautaires travaillant avec eux.

Cadre de référence

Les nombreuses approches théoriques employées pour étudier la motivation s’entendent pour la définir comme un état dynamique qui pousse la personne à s’engager et à persévérer en vue de l’atteinte d’un but (Eccles et Wigfield, 2002). On note toutefois des divergences entre les approches théoriques, notamment à l’égard des facteurs susceptibles de moduler la motivation d’un individu. Certaines approches précisent que la motivation serait essentiellement influencée par les caractéristiques individuelles (p. ex. : modèles nativistes), alors que d’autres indiquent que ce serait principalement l’environnement qui la prédirait (p. ex. : modèles associationnistes) (Richardson, 1998). Les modèles théoriques issus du paradigme social cognitiviste, dont le modèle attentes-valeur (Eccles et Wigfield, 2002), affirment que la motivation ne serait pas statique (Bourgeois, 2009, 2011; Lazowski et Hulleman, 2015), mais qu’elle serait plutôt déterminée par l’interaction des facteurs personnels et contextuels (voir figure 1). Selon le modèle attentes-valeur, les facteurs individuels (p. ex. : conception de l’intelligence, interprétation des performances antérieures, motifs d’engagement en formation, genre) (Dubeau et Beaulieu, 2020) ne peuvent, à eux seuls, expliquer l’engagement d’une personne envers un projet ou, inversement, son désengagement, pas plus que les facteurs contextuels (p. ex. : état physiologique et émotionnel, observation des pairs, soutien d’acteurs significatifs, climat motivationnel) (Dubeau et Beaulieu, 2020), à eux seuls, ne le peuvent. Le recours au modèle attentes-valeur permet ainsi de considérer une combinaison de facteurs susceptibles de prédire la motivation et la réussite (Plante et coll., 2013; Wigfield et coll., 2009).

Figure 1

Schématisation adaptée du modèle attentes-valeur

Schématisation adaptée du modèle attentes-valeur
Source : Eccles et Wigfield, 2002

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Toujours selon le modèle attentes-valeur, la considération de deux composantes ayant des rôles distincts et complémentaires permettrait de bien comprendre la motivation : les attentes de succès et la valeur accordée au projet (Eccles et Wigfield, 2002).

Attentes de succès

Les attentes de succès réfèrent aux perceptions qu’a un individu à l’égard de ses habiletés à réussir dans un domaine (p. ex. : une matière scolaire), à réaliser une tâche avec succès (p. ex., résoudre une équation algébrique) ou à atteindre un but (p. ex. : un projet scolaire) (Wigfield et coll., 2009). Face à son projet scolaire, l’élève évaluera s’il a les connaissances et habiletés nécessaires à la réalisation de ce projet (sentiment d’efficacité personnelle) et s’il perçoit du contrôle et de l’autonomie face aux étapes à franchir (Wigfield et coll., 2009).

Valeur accordée au projet scolaire

La valeur accordée au projet scolaire renvoie aux raisons qui amènent la personne à s’engager dans celui-ci (Eccles et Wigfield, 2002) et se divise de quatre dimensions distinctes. D’abord, l’intérêt se traduit par l’appréciation du contenu étudié ou le plaisir éprouvé face aux tâches à réaliser pour mener à terme le projet scolaire (Barron et Hulleman, 2015; Eccles, 2005; Gaspard et coll., 2018). Les modalités scolaires mises en place par les personnes enseignantes ou accompagnatrices contribuent à augmenter l’intérêt situationnel de l’élève (Renninger et Hidi, 2015; Schiefele, 2009). L’importance, pour sa part, renvoie à la pertinence qu’ont les tâches en relation avec ses objectifs personnels (Barron et Hulleman, 2015; Eccles et Wigfield, 2002). L’utilité, quant à elle, est liée à la pertinence que peut avoir une tâche pour la réussite de son projet scolaire (Schunk et coll., 2014). Cette dimension s’avère déterminante pour les élèves en grandes difficultés scolaires. À cet effet, Hulleman et ses collaborateurs (2017) rapportent que cette dimension est une excellente porte d’entrée pour influencer la dynamique motivationnelle puisqu’elle permet de donner un sens aux apprentissages réalisés. Finalement, le coût renvoie à la perception (positive ou négative) des efforts ou des sacrifices nécessaires à la réalisation du projet (Eccles et Wigfield, 2002).

Alors que les attentes de succès élevées sont reconnues pour prédire les performances scolaires d’un individu (Plante et coll., 2013 ; Wigfield et coll., 2016), la valeur accordée au projet scolaire favorise l’engagement de l’élève envers les tâches à réaliser (Neuville, 2004). Dans l’ensemble, le recours au modèle attentes-valeur permet de dresser un portrait global de la motivation des jeunes raccrocheurs et des déterminants susceptibles d’influencer indirectement la réussite de leur projet scolaire.

La présente étude

La présente étude entendait explorer les enjeux motivationnels auxquels peuvent faire face des jeunes en processus de raccrochage. Cette étude s’inscrivait dans le projet Paroles de jeunes : Retour en formation par les chemins de traverse[2]. Ce projet a été financé par la Fondation Lucie et André Chagnon et visait à « comprendre les parcours et les enjeux liés au retour en formation des jeunes qui fréquentent un [organisme communautaire] » (Desmarais et Merri, 2016).

Méthode

Afin de répondre à l’objectif encouru par cette étude, une démarche qualitative de type déductive et vérificatoire a été privilégiée (Chevrier, 2009). Cette approche a permis d’employer un cadre de référence existant, soit le modèle attentes-valeur, pour analyser les propos des participants (Deslauriers, 2005). Ces propos ont été recueillis au moyen d’entretiens biographiques, lesquels misaient sur une approche globale permettant ainsi de considérer l’ensemble des situations et des événements importants verbalisés par les participants (Desmarais, 2016) et de leur offrir une reconnaissance sociale (Laviolette, 2013).

Collecte des données

Des entretiens biographiques (n = 28) ont été réalisés de manière individuelle auprès des participants. Ces entretiens, d’une durée d’environ 1 h à 1 h 30, traitaient de différents aspects de la vie du participant (p. ex. : emploi du temps, aspirations, expériences scolaires et familiales, rapport actuel avec l’organisme communautaire et la famille, vie sociale, valeurs, etc.). Des données sociodémographiques (p. ex. : parcours scolaire et domiciliaire, composition des réseaux sociaux, informations liées à la santé et aux conditions socioéconomiques) ont également été recueillies.

Participants

28 jeunes Montréalais (hommes = 16), âgés de 15 à 24 ans (m = 20 ans) ont été rencontrés par l’équipe de recherche. Ces jeunes fréquentaient alors un organisme communautaire autonome. Afin d’être retenus pour la présente étude, les participants devaient avoir quitté le milieu de l’éducation formelle avant l’obtention d’une qualification reconnue par l’état (p. ex. : DES ou DEP) et ils devaient s’être engagés dans un projet de vie incluant un volet de formation. Ces jeunes rapportaient avoir vécu une situation scolaire difficile à l’école primaire (p. ex. : échecs scolaires répétés, redoublements, fréquentation de cheminements scolaires particuliers, absentéisme, expulsions). Cette situation s’est détériorée à leur arrivée au secondaire et a mené à un abandon définitif de leurs études. Parmi cet échantillon, la majorité (19 participants) avait effectué un retour aux études au moment de l’entretien. Pour ces jeunes, la situation de retour en formation s’ajoutait à plusieurs tentatives antérieures de raccrochage scolaire. Le tiers de l’échantillon (neuf participants) était en transition d’un programme à un autre (p. ex. : transition d’une scolarisation au sein d’un organisme communautaire vers un centre d’éducation aux adultes [CEA]). Des neuf jeunes qui n’étaient pas en formation, cinq d’entre eux étaient en réflexion quant à un possible retour en formation.

Traitement des données

Les entretiens ont été enregistrés et retranscrits pour fins d’analyse. Les verbatim ont ensuite été soumis à une analyse thématique de contenu (Paillé et Mucchielli, 2016). Cette analyse a permis de regrouper les propos des participants en thèmes pertinents. Plusieurs thèmes ont émergé de ces récits de vie, mais seuls ceux en lien avec le projet scolaire ont été analysés dans le cadre de la présente étude.

Résultats

La situation scolaire des 28 participants interrogés sera d’abord présentée, suivie de leurs attentes de succès en lien avec leur projet scolaire, de même que la valeur qu’ils y accordent.

Situation scolaire des participants

Au moment de l’entretien, 19 participants fréquentaient un établissement scolaire alors que neuf n’en fréquentaient pas. Le tableau 1 présente le diplôme convoité par ces derniers et l’organisme scolaire fréquenté.

Tableau 1

Diplôme convoité et établissement scolaire fréquenté par les participants[3]

Diplôme convoité et établissement scolaire fréquenté par les participants3

Légende : L’indice placé à côté du nom du participant représente le type d’établissement scolaire fréquenté au moment de l’entretien. 1 = école secondaire, 2 = école dans l’organisme communautaire, 3 = centre d’éducation des adultes, 4 = programme d’insertion socioprofessionnelle, 5 = ne fréquente pas d’établissement scolaire.

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La majorité des participants rencontrés, soit 22, visaient l’obtention d’un diplôme, ce qui se traduisait comme étant leur projet scolaire. Parmi ceux-ci, 11 participants souhaitaient obtenir un diplôme d’études professionnelles (DEP), quatre convoitaient un diplôme d’études secondaires (DES) et sept projetaient obtenir un diplôme à la suite d’études postsecondaires (diplôme d’études collégiales [DEC] [3] ou études universitaires [4]). Enfin, cinq participants évoquaient simplement un projet de retour à l’école au sens large, alors qu’un participant n’a pas abordé la question d’un retour à l’école durant l’entretien.

La précision du projet scolaire des participants était directement proportionnelle au délai nécessaire à sa réalisation. Ainsi, plus la durée des études était courte, plus le projet scolaire était précis alors que plus la durée était longue, plus le projet était flou. Dès lors, il apparaît qu’une distinction subsiste entre les formations « clé en main », c’est-à-dire celles menant à un seul métier (p. ex. : DEP en plomberie), et les formations générales ouvrant plusieurs portes (p. ex. : baccalauréat en droit). En ce sens, parmi les 11 participants qui envisageaient obtenir un DEP, sept avaient clairement défini un projet scolaire. Ces sept participants fréquentaient tous un établissement de formation au moment de l’entretien; six fréquentaient l’école de leur organisme communautaire et une participante était engagée dans un programme d’insertion socioprofessionnelle (PISP). À l’opposé, parmi les 11 participants désirant compléter un profil d’études générales (DES, DEC ou diplôme universitaire), seulement trois avaient défini leur projet scolaire. Enfin, seuls les participants de sexe masculin aspiraient à réaliser des études universitaires.

Attentes de succès relatives au projet scolaire

Huit participants ont traité de leurs attentes face à la réussite de leur projet scolaire dans l’entretien. Cinq participants témoignaient d’une détermination et d’une confiance en leurs capacités de réussir. Trois participantes étaient plutôt ambivalentes quant à leur projet scolaire; deux participantes témoignaient de leur tristesse face aux contraintes vécues dans l’élaboration de leur projet scolaire et deux participantes devaient se battre contre les faibles attentes de réussite que lui renvoyait son entourage.

Détermination et confiance. Cinq participants abordaient un discours empreint de détermination et de confiance quant à leur capacité de réussir à concrétiser leur projet scolaire. D’une part, un premier participant était conscient de ses difficultés scolaires, mais était déterminé à poursuivre ses études, peu importe le temps qu’il devrait y consacrer. Benjamin, qui allait à l’école secondaire, entrevoyait son parcours vers l’atteinte de son projet scolaire comme un combat qu’il était déterminé à gagner : « C’est une bataille [pour laquelle il n’y a] aucune fin. C’est [lorsque je vais] avoir fini mon éducation, ma technique en éducateur spécialisé. Ça, ça va être la fin. » Parallèlement, Alexis éprouvait un sentiment de fierté lorsqu’il posait un regard réflexif sur sa situation à l’école secondaire. Il inscrivait sa réussite scolaire dans un ensemble d’éléments positifs qui lui permettaient de se sortir tranquillement de sa situation précaire : « De jour en jour, ça va pour le mieux. » Seuls deux participants qui ne fréquentaient pas un établissement scolaire parlaient avec enthousiasme de leur projet scolaire : « J’ai hâte à l’année prochaine, de pouvoir faire mon cours en assistance dentaire […] » Cette participante considérait la réussite de ce projet scolaire comme une preuve qu’elle serait capable de réussir quelque chose malgré toutes les difficultés qu’elle a rencontrées.

Quatre participants ont abordé les moyens qui leur permettraient de réaliser leur projet scolaire, ce qui témoigne d’une confiance en leurs capacités. Un premier se parlait tous les soirs pour s’encourager à ne pas abandonner, malgré les obstacles auxquels il pouvait faire face. Deux autres jeunes hommes faisaient de ce projet une priorité et écartaient de leur vie tout ce qui ne favorisait pas leur réussite. Enfin, pour s’assurer d’atteindre son objectif, un quatrième participant envisageait d’étudier davantage s’il ne réussissait pas à passer l’examen lui permettant d’accéder au programme de formation professionnelle (FP) convoité. Il avait choisi de s’orienter vers une FP, car il considérait que ses difficultés scolaires ne lui permettaient pas d’aspirer à un autre type de formation.

Ambivalence. Les discours de certaines participantes étaient marqués par une ambivalence quant à leur projet scolaire, alors qu’aucun participant masculin n’en témoignait. La source de cette ambivalence variait d’une participante à l’autre. Anaïs, par exemple, abordait une ambivalence quant à sa croyance en sa capacité à réaliser son projet scolaire. Elle exprimait sa crainte d’abandonner l’école secondaire et de ne pas réussir : « J’ai plein de choses comme positives pour dire : « je suis capable de finir », mais après je pense et je [me] dis : « ah non, ça ne sert à rien [de] finir. De toute façon, je n’ai jamais réussi. » » De plus, plutôt que de recevoir le soutien d’acteurs significatifs, deux participantes devaient se battre pour briser les perceptions négatives que leur entourage avait et affronter les faibles attentes de celui-ci quant à leurs capacités à réussir :

« Je veux montrer que je suis capable encore parce que même encore aujourd’hui ils me disent [tous], comme me disait ma mère : « tu n’es pas capable, lâche l’école, tu vois bien, ça fait un an et demi que tu [es] retournée et tu n’as pas encore fini. » Mais je ne sais pas, pour moi [c’est] important. »

Valeur accordée au projet scolaire

Deux raisons étaient fortement employées par les participants afin de valoriser leur projet scolaire. La première raison relevait de l’utilité de ce projet pour l’avenir, ce qui se traduisait dans les propos des participants par le désir d’améliorer leurs conditions de vie matérielles. La seconde raison correspondait à l’importance du projet, ce qui se manifestait dans les propos par la valeur symbolique associée à l’obtention d’un premier diplôme. Ces aspects positifs associés à la valeur accordée au projet scolaire étaient toutefois contrebalancés négativement par les efforts et les sacrifices requis par le projet de formation. Ainsi, les participants considéraient l’absence de soutien financier du programme Formation de la main-d’oeuvre[4] et l’absence de soutien familial comme d’importantes entraves à la réalisation de leur projet scolaire. Enfin, la dernière dimension de la valeur de la tâche, l’intérêt, se manifestait principalement lorsque les participants s’exprimaient sur leurs ambitions professionnelles alors qu’ils traitaient peu de leur intérêt pour l’école en général ou pour les matières scolaires.

L’utilité perçue. D’abord, trois participants associaient leur projet scolaire à l’amélioration de leurs conditions de vie. Le premier, Quentin, entrevoyait une suite logique entre la fin de ses études et l’obtention d’un emploi : « Moi, plus tard, je pense que je vais finir mon DEP et puis commencer à travailler. » La deuxième, Anaïs, associait explicitement son projet scolaire à l’obtention d’un meilleur emploi : « J’aimerais retourner aux études pour avoir un meilleur travail, parce qu’on a besoin du [DES] pour avoir un meilleur travail. » Cette participante souhaitait terminer ses études pour ses enfants et elle-même. Alexis, le troisième, souhaitait compléter un DEP comme poseur de systèmes d’intérieur afin de quitter son emploi saisonnier qui l’obligeait à recevoir de l’assurance-emploi durant une partie de l’année.

Ensuite, pour six participants, le projet scolaire était lié l’amélioration de leur situation financière. Ainsi, à travers l’obtention d’un premier diplôme, Amélie et Julien souhaitaient augmenter leurs revenus pour eux-mêmes alors que Lukas, Anaïs et Camille souhaitaient bénéficier de ressources financières suffisantes pour venir en aide à d’autres personnes. Alors qu’Anaïs et Camille voulaient subvenir aux besoins de leurs enfants, Lukas souhaitait aider sa mère qui l’avait toujours soutenu. Pour Audrey, la réussite du projet scolaire lui permettrait de ne plus dépendre de l’aide sociale : « Mais pour vrai on s’entend que l’aide sociale, tu ne vis pas avec ça. Désolée, mais c’est pour ça que je me suis mise à l’école, parce que justement je ne veux pas passer ma vie sur l’aide sociale. », ce qui améliorera ses conditions de vie.

Finalement, trois participants, Anthony, Julien et Clément, ont associé l’obtention d’un premier diplôme à l’amélioration de leurs conditions de travail. Anthony élaborait son projet scolaire en réponse à une expérience de travail négative où il se sentait comme un esclave. Ainsi, il souhaitait occuper un emploi qui lui donnerait accès à de meilleures conditions. Julien, pour sa part, justifiait son projet en énumérant les différents avantages auxquels il aurait accès lorsqu’il aurait les acquis nécessaires à l’occupation de ses fonctions :

« Avec un mois de congé, douze jours de congé [fériés], neuf jours de congé de maladie, moi si j’ai [cette] job-là, je serais vraiment [bien]. Je partirais en appartement avec une job assurée à vie. [Alors] je suis bien porté à vouloir. »

Enfin, Clément définissait son projet selon la sécurité d’emploi que cela pourrait lui procurer. En effet, pour ne pas perdre son emploi, comme son père lorsque la compagnie pour laquelle il travaillait a fermé, il souhaitait travailler pour la fonction publique qui lui offrirait une meilleure sécurité d’emploi.

L’importance. Pour six participants, l’importance du projet scolaire se manifestait dans la valeur symbolique qu’ils y attribuaient. Ainsi, pour Alexandre et Clara, le fait de faire des études s’inscrivait dans l’imaginaire d’un avenir typique, c’est-à-dire conforme aux normes sociales. En effet, même si leur projet scolaire n’était pas clairement défini, ils ont intégré l’idée qu’ils devaient faire des études et obtenir un diplôme pour s’inscrire dans la normalité. De son côté, Camille affirmait avoir toujours su qu’elle voulait travailler pour obtenir un diplôme, et ce, même lorsque son projet scolaire demeurait flou : « Au début, je ne savais pas ce que je voulais faire, mais je savais que je voulais avoir mon diplôme. » Amélie, pour sa part, indiquait qu’elle avait décidé de terminer son secondaire bien qu’elle avait déjà complété les cours préalables pour accéder à la FP convoitée. Pour elle, l’obtention du DES constituait la concrétisation de ses capacités face à elle-même et face à sa famille : « Je veux finir mon diplôme, même si je n’en aurai pas de besoin, mais juste pour pouvoir l’encadrer et dire comme je l’ai fait! » Enfin, Émilie avait pris conscience qu’elle ressentait un manque parce qu’elle n’avait pas réussi à obtenir son DES, soulignant ainsi la valeur sociale accordée à l’obtention d’un diplôme. Elle souhaitait combler ce manque en retournant à l’école et en terminant ses études secondaires, même si cela la contrariait : « Mais là, je suis obligée de retourner à l’école pour avoir mon [secondaire] 5, c’est pas mal ça qui fait chier. »

Pour trois participantes, le peu d’importance accordée par leur famille à l’égard des études constituait un obstacle de taille à la réalisation de leur projet scolaire. Aucun participant masculin n’a abordé cette question. Au moment de l’entretien, Clara et Sarah ne fréquentaient pas d’établissement scolaire; pour concrétiser son projet de retour à l’école, Clara devrait tenir tête à sa famille qui l’incitait à aller sur le marché du travail plutôt que de suivre une formation : « [Puis il] faut dire que ma famille me pousse à travailler. Moi, ce que je leur dis, c’est que je veux faire les études. Je ne veux pas être serveuse toute ma vie. » Sarah souffrait, elle aussi, du manque de soutien de sa mère qui n’accordait pas d’importance à son projet scolaire. Enfin, même si elle n’était pas soutenue par sa famille, Amélie était quand même engagée en formation dans l’école de l’organisme communautaire qui l’accompagnait.

Le coût. Deux participants, Léa et Alexandre, ont abordé l’absence de soutien financier du programme Formation de la main-d’oeuvre comme un obstacle à la réalisation de leur projet de formation. Ces deux participants essuyaient cette absence de soutien différemment. Léa se laissait décourager et ne savait pas comment elle pourrait retourner aux études sans l’aide accordée par ce programme. Pour sa part, Alexandre, parce qu’il désirait compléter une formation générale plutôt que de s’orienter vers un DEP, s’est vu refuser le soutien financier de ce programme; plutôt que de se laisser décourager, il avait décidé de tout de même poursuivre ses études. Finalement, Amandine n’était pas encore retournée en formation; elle se sentait obligée de restreindre ses choix de formation en raison de la durée nécessaire à leur réalisation. Elle considérait avoir perdu assez de temps et affirmait qu’elle ne pouvait pas se permettre de se lancer dans une longue formation.

L’intérêt. Comme indiqué précédemment, les participants associaient difficilement leurs intérêts personnels au monde scolaire. À cet effet, ces derniers manifestaient plutôt une aversion envers l’école en général. Ainsi, seuls cinq participants sur 28 associaient leurs intérêts personnels à leur projet scolaire, par le biais d’un choix de carrière. Anaïs et Laura ont choisi leur métier en fonction de ce qu’elles aimaient faire dans la vie quotidienne. Lucie était indécise, car elle considérait qu’elle avait peu d’options de carrière : « Je suis perdue quand on me demande [ce que je] veux faire. Je n’ai pas de choix. » Enfin, un participant n’avait toujours pas défini son projet professionnel, car il attendait de trouver un métier qui le passionnait.

Discussion

Les résultats obtenus seront ici discutés afin de faire ressortir les principaux enjeux motivationnels susceptibles d’influencer la réussite d’un projet scolaire. Il sera d’abord question de l’importance que revêt la définition du projet scolaire puis de la motivation qui y est associée. Des pistes d’action ponctueront également la présente discussion.

L’importance d’un projet scolaire bien défini

Dans l’ensemble, presque tous les jeunes rencontrés souhaitaient retourner à l’école. Bien souvent, leur projet scolaire menait à l’obtention d’un diplôme d’études appliquées (p. ex. : DEP) ou générales (p. ex. : DEC). On constate que plus la durée de réalisation des études était courte, plus le projet scolaire des jeunes était précis. Bien qu’il puisse être difficile pour les jeunes en échec scolaire de se projeter dans l’avenir (Guichard et Falbierski, 1994), le niveau de précision du projet scolaire exerce une influence sur la motivation de l’individu et, ultimement, dans l’accomplissement de son projet (Cournoyer, 2008). D’abord, avoir un projet scolaire précis permet à l’élève de saisir pleinement l’apport des activités scolaires et ainsi leur accorder un sens, une valeur (Lens et coll., 2006). Qui plus est, la précision du projet scolaire offre la possibilité à l’individu d’évaluer s’il détient les connaissances et les habiletés nécessaires à sa réalisation. Ainsi, aborder un projet avec confiance permet d’entretenir des attentes de succès élevées (Dubeau et Beaulieu, 2020). Selon cette perspective, l’accompagnement offert aux jeunes doit miser sur la précision de leur projet scolaire en concordance avec leurs habiletés (p. ex. : interventions personnalisées, orientation scolaire et professionnelle, activités de connaissance de soi) afin qu’ils accordent une valeur aux activités qui leur seront proposées en contexte scolaire et qu’ils anticipent avec confiance les exigences auxquelles ils feront face.

Motivation relative au projet scolaire

Les discours recueillis auprès des jeunes permettent de rendre compte de la motivation entretenue à l’égard de leur projet scolaire. Cette motivation sera discutée à travers les attentes de succès relatives au projet scolaire et la valeur qui y est accordée.

Attentes de succès relatives au projet scolaire. Sur le plan des attentes de succès, des différences sont recensées entre les jeunes femmes et les jeunes hommes interrogés. D’abord, les hommes témoignaient d’une détermination et d’une confiance en leur capacité à réussir. Certains identifiaient les moyens à mettre en place pour atteindre leurs objectifs, témoignant ainsi d’un contrôle et d’une autonomie. Qui plus est, lorsque mentionnées par les hommes, les faibles performances antérieures ne semblaient pas miner leurs perceptions à l’égard de leur habileté à réussir. On remarque toutefois que les échecs scolaires répétés mènent à des attentes de succès ambivalentes chez certaines femmes. Ceci rejoint également le constat de différentes recherches qui rapportent que le découragement associé aux échecs scolaires répétés provoque des doutes chez les élèves (Archambault et Chouinard, 2003; Bandura, 1997; Dweck, 2006). Qui plus est, pour deux femmes, les perceptions négatives d’acteurs significatifs exercent une influence suffisamment importante pour les amener à douter de leur capacité à réussir. Bien que la motivation scolaire ne soit pas statique (Bourgeois, 2009, 2011; Lazowski et Hulleman, 2015), on constate que les attentes de succès évoluent peu à partir de l’adolescence (Muenks et coll., 2018). Ce faisant, l’accompagnement offert aux individus ayant de faibles attentes de succès doit leur permettre d’augmenter leur confiance et leur estime de soi (Cauvier et Desmarais, 2013) ce qui aura un effet positif sur leur sentiment d’efficacité personnelle ainsi que leur perception de contrôle et d’autonomie (Dubeau et Beaulieu, 2020). À cet effet, amener les jeunes raccrocheurs à repérer des ressources intérieures permettant la réalisation de leur projet scolaire augmentera leurs attentes de succès (p. ex. : recensement des forces et des limites du jeune, exploration de moyens permettant de pallier ces limites, bilan des savoirs). Ces moyens doivent soutenir l’agir de l’individu afin que le jeune soit à l’origine de ses actions et, ultimement, de ses réussites (Dubeau et Beaulieu, 2020).

Valeur accordée au projet scolaire. Pour justifier la valeur positive accordée à leur projet scolaire, les jeunes évoquaient différents motifs en vue de son atteinte. Ces motifs rejoignent principalement le concept d’utilité perçue. Ainsi, dans leurs propos, ce concept se traduisait par le désir de s’engager dans un projet scolaire pour améliorer leurs conditions de vie matérielles et leurs conditions de travail. L’utilité perçue apparaît ainsi comme la dimension la plus importante de la valeur accordée au projet scolaire, ce qui est également rapporté par des études menées auprès d’élèves de la FP et de la formation technique (Dubeau et coll., 2017). Comme cette dimension représente une excellente porte d’entrée pour susciter l’intérêt à l’égard des notions enseignées (Hulleman et coll., 2017), il importe de miser sur celle-ci. Une excellente piste d’action consiste à amener l’individu à nommer concrètement les retombées positives associées à la réussite de son projet scolaire. Un rappel fréquent de ces retombées agira positivement sur la motivation du jeune. Qui plus est, comme l’intérêt envers l’école était pratiquement absent du discours des jeunes, rendre utiles les apprentissages réalisés peut les amener à accorder un sens à ce qui est enseigné et, ultimement, développer leur intérêt pour l’école à travers l’utilité perçue (Hulleman et coll., 2017).

La valeur accordée au projet scolaire s’exprimait également par l’importance associée à l’obtention d’un diplôme. Ainsi, la valeur symbolique d’un premier diplôme était relatée par plusieurs individus. Ceci peut, en partie, s’expliquer par les valeurs sociétales véhiculées qui voient en un premier diplôme un moyen de prévenir différentes problématiques (p. ex. : santé physique et mentale, espérance de vie, précarité d’emploi, isolement) (OCDE, 2015, 2019). L’aspect positif associé à l’importance du projet scolaire pour obtenir un premier diplôme est toutefois contrebalancé négativement par le peu d’importance accordée par les familles de certains jeunes. Cet aspect touchait plus particulièrement les jeunes femmes. En effet, leurs discours étaient davantage empreints d’un besoin de soutien et de reconnaissance de la part de leur famille. Ce constat rejoint celui de la Fédération autonome de l’enseignement (2015) qui indique que les jeunes femmes seraient plus sensibles à un manque de soutien parental lorsqu’il est jumelé à un faible niveau d’études chez les parents. Le soutien apporté par des acteurs significatifs, comme l’entourage, constitue un élément déterminant non seulement pour la motivation (Eccles et Wigfield, 2002), mais à toutes les étapes de la réalisation d’un projet scolaire (Cournoyer et coll., 2016). Comme le soulignent d’autres recherches, l’accompagnement offert doit miser sur une approche individualisée et permettre « d’accroître la responsabilité, l’émancipation sociale et l’autonomie » (Cauvier et Desmarais, 2013, p. 5).

Le coût de l’engagement des jeunes dans leur projet scolaire constitue un aspect qui contribue à réduire la valeur accordée au projet scolaire. Cet aspect se traduit dans le discours des jeunes par l’absence de soutien financier d’un programme gouvernemental (p. ex. : Formation de la main-d’oeuvre). Le manque de ressources financières représente un enjeu majeur dans le projet scolaire et est rapporté par différentes études (Blouin Achim, 2018; Cournoyer et coll., 2016; Lavoie et coll., 2008). Il semble donc essentiel de fournir aux jeunes décrocheurs, en complément de l’accompagnement éducatif, les moyens financiers de réaliser leur projet scolaire. Soutenir financièrement les jeunes dans leur projet contribue à la création d’un cercle vertueux de la réussite. En effet, puisque l’obtention d’un premier diplôme est considérée comme un vecteur de développement social et économique, c’est non seulement les jeunes qui y gagnent individuellement, mais toute la société (OCDE, 2015, 2019).

Conclusion

La présente étude a mis en lumière les nombreux facteurs personnels et contextuels susceptibles d’influencer la réussite du projet scolaire de jeunes raccrocheurs à travers leurs attentes de succès et la valeur accordée au projet. Notons d’abord que la précision du projet scolaire joue un rôle dans la motivation à entreprendre celui-ci. De plus, en ciblant des moyens permettant de réaliser son projet scolaire, l’individu augmente ses attentes de succès, lesquelles sont reconnues pour prédire les performances scolaires (Plante et coll., 2013; Wigfield et coll., 2016). Par ailleurs, l’obtention d’une première qualification et les retombées positives qui en découlent donnent de la valeur au projet scolaire, laquelle favorise l’engagement de l’individu (Neuville, 2004). Toutefois, le manque de soutien financier et familial contrebalance ces aspects positifs. Ces résultats rendent compte de la complexité de la motivation, mais également de son caractère évolutif. Les déterminants constituent autant de leviers sur lesquels les intervenants peuvent miser pour soutenir les jeunes dans la réalisation de leur projet scolaire.

Finalement, bien que les résultats de la présente étude ne puissent pas être généralisés en raison de la taille de l’échantillon, le recours au modèle attentes-valeur (Eccles et Wigfield, 2002), jumelé à l’entretien biographique, constitue un apport original. En effet, comme le modèle attentes-valeur est majoritairement employé dans des études de nature quantitative, la présente recherche a permis de rendre explicites les concepts associés à ce modèle.