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L’acceptabilité sociale des personnes dites handicapées soulève encore son lot de défis. Non seulement, il importe encore aujourd’hui de bien définir tout le champ conceptuel qui entoure les conditions de ces personnes vulnérables, mais il importe aussi de lever le voile sur leur désir de faire partie intégrante de la société et de ne plus être mises à la marge ou, comme cela est trop souvent le cas, considérées à partir des filtres de la pitié, du service public ou des mesures d’accommodements.
Un changement de discours est impératif et, en ce sens, la Convention relative aux droits des personnes handicapées (CDPH), adoptée en 2006 par l’ONU, vise à mettre en lumière cette tension perpétuelle qui existe entre la reconnaissance des droits formels des individus et leur accès à des conditions justes pouvant leur assurer une rencontre réelle de leurs droits effectifs. À cet effet, l’ouvrage Accessibilité et participation sociale. Vers une mise en oeuvre de la Convention relative aux droits des personnes handicapées (2020), qui revient sur des communications présentées lors du XIVe Congrès de l’Association internationale de recherche scientifique en faveur des personnes ayant un handicap mental (AIRHM), tenu en septembre 2017 à la Haute école de travail social de Genève, parvient à proposer un regard renouvelé sur les différentes représentations du handicap et sur l’évolution de celles-ci.
Le livre mobilise d’ailleurs différentes perspectives analytiques des enjeux sociaux. Nous pouvons y noter, entre autres, une certaine critique du structuralisme, mais aussi différentes propositions fonctionnalistes et interactionnistes, qui viennent s’ajouter aux perspectives écologiques et environnementales, comprises comme spatiales, qui sont en filigrane tout au long des différents chapitres. De manière plus descriptive, les quatre grands champs contenus dans l’ouvrage nous permettent à la fois d’avoir accès à des cadres conceptuels partagés (première partie), de nous intéresser à l’autodétermination comme processus d’émancipation (deuxième partie), de mettre en évidence les obstacles à franchir pour faciliter l’accès à une éducation inclusive (troisième partie), mais aussi, à partir des thèmes qui nous ont semblés être les plus essentiels, de rappeler tout le chemin qu’il nous reste à parcourir, à titre de société, afin de générer un réel basculement d’une reconnaissance formelle des droits à leur rencontre effective (quatrième partie).
Le volet critique de cette tension entre droits formels et droits effectifs est d’ailleurs occasionnellement soutenu par les oeuvres d’Amartya Sen (2010) et Martha Nussbaum (2011, 2012), à partir de leur concept de capabilités. Cette perspective s’applique d’ailleurs très bien au contexte des personnes en situation de handicap, puisque certains chapitres de l’ouvrage, tels que « L’écart entre les lois et les pratiques : le problème du statut des personnes »—rédigé à partir de la méthode FALC (« facile à lire et à comprendre »)—, et « Une démarche participative pour des jeunes ayant une trisomie 21 au Togo »—qui s’intéresse à la recherche participative et à la codétermination des savoirs—, témoignent d’un important souci d’ajuster le langage afin de permettre la rencontre de l’Autre, dans le souci d’assurer une communication adaptée et inclusive, qui puisse donner vie à une reconnaissance réelle des préoccupations des personnes concernées.
Un autre élément fort intéressant est la présence de chapitres accordés aux enfants présentant un trouble du spectre de l’autisme, dont un qui s’intéresse particulièrement au discours des professionnels de l’éducation, sur la façon dont les parents du Québec cherchent à défendre les droits de leurs enfants. La récupération d’une proposition de Lilley (2015), à l’effet que ce sont plutôt les écoles qui souffrent d’un Trouble d’inclusion de l’autisme (TIA), est mobilisée d’une façon particulièrement habile qui illustre fort bien l’un des enjeux centraux de notre rapport collectif au handicap. Et quoique essentielle, cette idée de l’autodétermination, qui est présente au coeur de la deuxième partie de l’ouvrage, doit cesser de permettre ce glissement vers une forme de déchargement de l’État, de la communauté et de la collectivité, de nos responsabilités communes, mais différenciées sur les seules épaules des personnes concernées. Fort heureusement, les chapitres de ce collectif évitent ce dangereux glissement et parviennent plutôt à mettre en évidence l’importance d’une mise en dialogue avec les personnes concernées et d’une considération sincère pour leurs préoccupations.
Si une limite devait être soulignée quant à cet ouvrage portant sur l’acceptabilité et la participation sociale, c’est possiblement du côté de l’absence d’un chapitre sur les inégalités en santé, en loisir et, d’une façon qui nous semble encore plus essentielle en ce qui a trait à l’inclusion et à la participation sociale, des inégalités en emploi. Cet aspect est pourtant reconnu, alors que certains auteurs qui sont même cités dans le livre se sont eux-mêmes déjà intéressés à ce volet très limitatif de l’inclusion sociale des personnes en situation de handicap. Non seulement, il semble y avoir aussi à ce niveau un flou conceptuel, un inconfort et une tension entre la perspective d’offre de services et celle visant la réelle inclusion, mais il semble y avoir aussi un enjeu significatif au niveau de la responsabilité des différents acteurs, quant à l’inclusion des personnes en situation de handicap sur le marché de l’emploi. L’absence d’un tel thème témoigne justement de cet inconfort qui est celui de notre société à considérer une réelle participation sociale des personnes handicapées en contexte de travail. Quoi de plus significatif, dans le domaine de l’inclusion et de la participation sociale, que d’avoir la possibilité et le sentiment de contribuer à la société?
Malgré cette absence de marque, l’ouvrage couvre dans sa quasi-totalité la plupart des champs associés aux droits des personnes handicapées et cela en fait un ouvrage incontournable pour le domaine du travail social. Que ce soit au niveau du milieu de vie, au niveau de la famille ou au niveau de l’éducation, qui constituent le coeur de cette quatrième et dernière partie du livre, l’idée de promouvoir un respect des droits effectifs plutôt que des droits simplement formels est soutenue de façon adéquate tout au long des chapitres. Dans le respect de la Convention relative aux droits des personnes handicapées (CDPH), qui stipule que les pays engagés en ce sens doivent assurer l’accessibilité et la possibilité à toutes et à tous de participer pleinement et activement à la société, ce livre brosse un portrait incontournable de l’état des lieux concernant la participation sociale des personnes en situation de handicap.