Abstracts
Résumé
Au moment de statuer sur le placement d’un enfant, les services de protection de l’enfance doivent également se prononcer sur le milieu d’accueil le plus adéquat pour celui-ci. Pour les enfants de moins de cinq ans, les milieux de type familial, tels que la famille d’accueil régulière, de proximité, et à vocation adoptive, sont généralement privilégiés. À ce jour, le processus de pairage et les mécanismes décisionnels qui accompagnent le choix d’un milieu substitut ont fait l’objet de très peu d’études, de sorte que les motifs et facteurs pris en compte par les intervenants impliqués dans ce type de décision demeurent peu connus. La présente étude a pour objectif d’identifier, à partir du point de vue des intervenants, les différents facteurs qui soutiennent le choix du type de famille d’accueil. Pour répondre à cet objectif, 39 entretiens semi-dirigés ont été menés auprès d’intervenants sociaux du domaine de la protection de l’enfance dans trois régions distinctes de la province de Québec. Les résultats dressent un portrait des principaux facteurs considérés par les intervenants et montrent comment ces facteurs, au-delà de leur unicité et de leur rôle spécifique dans le processus décisionnel, s’inscrivent également dans une dynamique interactionnelle et dans un contexte de pratique qui comporte ses propres enjeux.
Mots-clés :
- protection de l’enfance,
- placement,
- famille d’accueil,
- processus décisionnel,
- pairage
Abstract
When making a decision regarding the placement of a child, child welfare services also need to decide on the most appropriate care setting for the child. For children under the age of five, family-type settings, such as regular foster care placement, kinship care placement and foster care placement with a view to adopt, are generally preferred. To date, the matching process and the decision-making mechanisms that accompany the choice of an alternative setting have been the subject of very few studies, so the reasons and factors taken into account by child protection workers involved in this type of decision remain poorly known. The aim of this study is to identify, from the point of view of the child protection workers, the different factors taken in consideration when choosing the type of foster care placement for a specific child. To meet this objective, 39 semi-structured interviews were conducted with child protection workers in three distinct regions of the province of Quebec. The results paint a picture of the main factors considered by the child protection workers and show how these factors, beyond their uniqueness and their specific role in the decision-making process, are also part of an interactional dynamic, in a practice context that has its own issues.
Keywords:
- child welfare,
- child protection,
- placement,
- foster care,
- decision-making process,
- matching
Article body
Au moment de statuer sur le placement d’un jeune enfant suivi par les services de protection de l’enfance, les intervenants impliqués doivent également se prononcer sur le milieu d’accueil le plus adéquat pour celui-ci. Ainsi au-delà de la décision du placement lui-même se pose la question du choix du type de milieu substitut. Pour les jeunes enfants, celui généralement privilégié est le milieu familial (ministère de la Santé et des Services sociaux, 2010), celui-ci étant identifié comme plus optimal sur les plans physique et psychologique que les milieux institutionnels (Dozier et coll., 2012). Dans le système de protection de l’enfance québécois, comme dans plusieurs autres systèmes occidentaux, on retrouve trois types de milieux familiaux destinés à accueillir des enfants faisant l’objet d’une mesure de placement : la famille d’accueil régulière (FA), de proximité (FAP) et à vocation adoptive (FAA)[1]. À ce jour, les motifs et facteurs quant au choix du milieu de placement pour des enfants suivis en protection de l’enfance demeurent très peu documentés : quels types de facteurs les intervenants prennent-ils en considération pour se diriger vers un milieu plutôt qu’un autre? Comment ces différents facteurs interviennent-ils dans le processus décisionnel entourant le choix du type de famille d’accueil pour de jeunes enfants âgés de zéro à cinq ans?
Au Québec, 9 067 enfants suivis en protection de la jeunesse vivaient en famille d’accueil au cours de l’année 2017-2018 (DPJ-DP, 2018), ce qui représente près de 40 % de tous les enfants pris en charge. Les différentes procédures liées à la prise en charge de l’enfant et, le cas échéant à son placement, sont encadrées par la Loi sur la protection de la jeunesse (LPJ), une loi provinciale qui établit les droits des enfants et des parents ainsi que les principes directeurs des interventions sociales et judiciaires en matière de protection de la jeunesse. Selon cette loi, « [t]oute décision prise (…) doit tendre à maintenir l’enfant dans son milieu familial » (LPJ, art. 4). Ce même article (art. 4) stipule aussi que lorsque le maintien dans le milieu familial n’est pas possible, « la décision doit tendre à lui assurer, dans la mesure du possible, auprès des personnes qui lui sont les plus significatives, notamment les grands-parents et les autres membres de la famille élargie, la continuité des soins et la stabilité des liens et des conditions de vie appropriées à ses besoins et à son âge et se rapprochant le plus d’un milieu familial. » Depuis 2007, la loi a également introduit des durées maximales de placement, après quoi le tribunal doit prendre une décision pour assurer des conditions de vie stables à l’enfant placé. Ces durées, établies en fonction de l’âge de l’enfant (12 mois pour les enfants âgés de moins de deux ans, 18 mois pour les enfants âgés de deux à cinq ans et 24 mois pour les enfants âgés de plus de six ans), visent à promouvoir la permanence et la stabilité pour l’enfant. Lorsque ces délais de placement sont expirés et que le retour de l’enfant dans sa famille est impossible, un projet de vie permanent doit être envisagé pour celui-ci, soit l’adoption, la tutelle ou le placement jusqu’à sa majorité. De plus, dans le système québécois, les placements planifiés sont pris en charge par l’intervenant assigné au suivi de l’enfant, lequel travaille de concert avec son chef d’équipe et le réviseur impliqué dans le dossier. Le chef d’équipe joue un rôle de supervision alors que le réviseur s’assure du respect de la loi et des mesures ordonnées. Le choix de la famille d’accueil se fait également en étroite collaboration avec le service des ressources qui tient compte de la banque de familles d’accueil disponibles et coordonne le processus de pairage entre l’enfant et le milieu d’accueil.
Les types de milieux d’accueil familial
Les trois types de milieux d’accueil envisagés lors du placement d’un enfant (FA, FAP, FAA) présentent des points communs : ils prennent soin d’enfants ayant vécu de la maltraitance et présentant des besoins particuliers, ils négocient avec le système public de protection de l’enfance et doivent composer avec les membres de la famille d’origine. Cependant, les données de recherche indiquent que ces milieux substituts ne présentent pas toujours les mêmes caractéristiques et que les intervenants semblent y placer des enfants présentant des profils différents. À quelques exceptions près, les études sur les caractéristiques et spécificités des milieux d’accueil familial proviennent de la littérature internationale. À l’heure actuelle, les études québécoises sur le placement qui distinguent les types de milieux demeurent peu nombreuses.
Les familles d’accueil régulières (FA) reçoivent des enfants de tous les âges qui présentent souvent des problématiques physiques, psychologiques et comportementales plus lourdes que les deux autres types de familles d’accueil (Sawyer et coll., 2007; Whenan et coll., 2009). Malgré les profils plus complexes de ces enfants, plusieurs études soulignent le manque de soutien apporté aux FA et les difficultés que ces dernières rencontrent pour accéder à des ressources et des services spécialisés (Brown et coll., 2005; Chateauneuf et Turcotte, 2015; Stukes-Chipungu et Bent-Goodley, 2004). Comparativement aux FAP et aux FAA, les FA accueillent généralement à leur domicile un nombre plus élevé d’enfants et sont plus souvent sollicitées pour des placements temporaires et d’urgence (Hélie et coll., 2015). Parallèlement, les responsables des FA sont considérés comme des professionnels qui, au-delà de leur collaboration avec les services de protection de l’enfance, doivent aussi être formés et détenir des compétences spécifiques en lien avec les problématiques des jeunes hébergés (Brown et coll., 2015; Murray et coll., 2011). Les familles d’accueil de proximité (FAP) sont des membres de la famille ou de l’entourage immédiat avec qui l’enfant entretient un lien significatif[2]. Les FAP accueillent habituellement des enfants plus jeunes (Beeman et coll., 2000; Ehrle et Geen, 2002; Hélie et coll., 2015; Kaylor, 2001) qui présentent moins de problématiques de santé mentale, de retard intellectuel ou de troubles de comportements (Rubin et coll., 2008; Sakai et coll., 2011; Stacks et Partridge, 2011; Vanschoonlandt et coll., 2012). On confie davantage à ce type de ressource, des enfants qui n’ont pas connu de placement antérieur et qui arrivent directement de leur milieu familial d’origine (Beeman et coll., 2000; Hélie et coll., 2015; Holtan et coll., 2005; Palacios et Jiménez, 2009; Poirier et coll., 2018). Comparativement aux FA, les responsables des FAP sont généralement plus âgés (il s’agit souvent de grands-parents) et présentent davantage de problèmes de santé et de difficultés sur le plan socioéconomique (Barth et coll., 2008; Cuddeback, 2004; Farmer, 2009; Liao et White, 2014). Différentes études ont aussi démontré que les responsables des FAP vivent davantage de stress et de détresse parentale que ceux des FA en raison de leurs problèmes de santé, du stress financier important qu’ils éprouvent, des relations parfois tendues et complexes avec les parents d’origine (Chateauneuf et coll., 2018) et de par leur obligation à composer avec les règles et procédures de la protection de l’enfance avec lesquelles ils sont généralement peu familiers (Borenstein et McNamara, 2015; Metzger, 2008). Quant aux familles d’accueil à vocation adoptive (FAA), elles accueillent généralement de jeunes enfants âgés de zéro à deux ans dont le pronostic de retour dans le milieu familial est considéré comme étant sombre, c’est-à-dire des enfants à haut risque d’abandon. Il s’agit d’un contexte particulier de placement dans lequel les intervenants doivent tenir compte simultanément de la réunification familiale et du projet d’adoption. Ainsi, lorsque le retour dans la famille est impossible, un projet permanent peut tout de même être envisagé et amorcé avec une autre famille (D’Andrade et coll., 2006; Pagé et Poirier, 2015; Pagé et coll., 2019; Wigfall et coll., 2006). Ce type de placement est plus fréquent chez les enfants les plus susceptibles d’être adoptés, c’est-à-dire ceux ayant été placés en bas âge et ne souffrant pas d’une problématique de santé mentale (Akin, 2011; Connell et coll., 2006; Snowden et coll., 2008).
Les enjeux liés au processus de pairage
De façon générale, le concept de « pairage » en protection de l’enfance réfère au processus de sélection d’un milieu substitut pour un enfant concerné par une mesure de placement (Pösö et Laakso, 2016). La décision de confier un enfant à un milieu d’accueil plutôt qu’à un autre a fait l’objet de très peu d’études. Pourtant, le choix de la ressource pour l’enfant qui doit être placé peut être déterminant dans son parcours et sur la réussite du placement lui-même (Zeijlmans, et coll., 2017). Ainsi l’intérêt de l’enfant, ses besoins, et le niveau de soins qu’il requiert se trouvent souvent au centre des facteurs et préoccupations identifiés dans les quelques études portant sur le processus de pairage (Blakey et coll., 2012; Chor et coll., 2013; Pösö et Laakso, 2016; Quinton, 2012). À cet effet, Blakey et ses collègues (2012), qui se sont penchés plus spécifiquement sur les approches et stratégies utilisées pour favoriser la stabilité de placement, mentionnent que « le raisonnement sous-jacent au pairage est qu’en identifiant les besoins de l’enfant et les capacités des parents d’accueil, les intervenants peuvent faire de meilleurs choix pour placer les enfants et, par conséquent, réduire les ruptures de placement. » (p. 372, traduction libre)
Certaines études vont ainsi considérer le pairage comme un processus directement associé à la stabilité du placement (Blakey et coll., 2012; Moore et coll., 2016; Sinclair et Wilson, 2003). Par exemple, Sinclair et Wilson (2003) soutiennent que les interactions entre l’enfant et les parents d’accueil et le développement (ou non) d’une chimie entre les deux sont déterminants sur le succès du placement.
Dans une recension d’écrits réalisée par Zeijlmans et ses collègues (2017) sur l’état actuel des connaissances sur le processus de pairage, les auteurs confirment que les études sur le sujet sont peu nombreuses et qu’elles tendent pour la plupart à se concentrer sur un ou des facteurs très spécifiques et à négliger les aspects contextuels et multifactoriels. À ce titre, les quelques études qui se sont intéressées plus spécifiquement au contexte dans lequel se déroule le processus de pairage mentionnent que différents obstacles organisationnels influencent les décisions des intervenants (Hollows et Nelson, 2006; Pösö et Laakso, 2015, 2016; Waterhouse et Brocklesby, 2001; Zeijlmans et coll., 2018). Par exemple, Pösö et Laakso (2016) considèrent que le pairage fait souvent l’objet de compromis de la part des intervenants en raison de la pénurie de ressources d’accueil, mais aussi de contraintes administratives ou légales. Sur le plan organisationnel, Waterhouse et Brocklesby (2001) soulignent que le manque de ressources disponibles pour accueillir les enfants, ainsi que le contexte d’urgence dans lequel se déroule le processus de pairage, ont des effets négatifs sur la préparation de l’enfant au placement, l’échange d’informations entre les acteurs impliqués, la stabilité de placement et le soutien accordé aux familles d’accueil. En se penchant sur le contexte de pratique des intervenants, Zeijlmans et coll. (2018) constatent que le pairage est loin d’être une procédure standardisée et que sa définition en termes théoriques est souvent très différente de son application dans la pratique. Leur étude démontre que le pairage, dans certaines situations, se déroule comme prévu et se rapproche d’une démarche standardisée (matching as planned), mais qu’il exige dans certains cas des ajustements (matching being tailored), voire des compromis importants en raison des différents obstacles rencontrés (matching as compromised). Finalement, les auteurs proposent une définition du pairage qui tienne compte des enjeux rencontrés par les intervenants dans leur pratique :
Nous proposons de décrire le pairage comme le processus qui implique à la fois de choisir la famille d’accueil disponible la plus compatible pour un enfant et d’établir une base solide au placement en famille d’accueil dans le but de maximiser les chances de réussite du placement.
Zeijlmans et coll., 2018, p. 464, traduction libre
La présente étude rejoint les préoccupations soulevées par Zeijlmans et coll. (2018) en regard du contexte dans lequel se déroule le processus décisionnel relatif au pairage et a pour objectif de documenter, selon le point de vue des intervenants, les facteurs déterminants dans le choix du milieu d’accueil. Par contre, contrairement aux quelques recherches menées sur les questions relatives au pairage, l’attention de la présente étude porte moins sur le choix de la famille elle-même que sur le choix du type de famille d’accueil (régulière, de proximité ou adoptive), un sujet actuellement absent de la littérature scientifique.
Méthodologie
Pour répondre à l’objectif de la présente étude, soit de comprendre les facteurs considérés par les intervenants dans le processus décisionnel menant au choix d’un type de famille d’accueil pour un enfant âgé de zéro à cinq ans, 39 entretiens semi-dirigés ont été menés auprès d’intervenants sociaux du domaine de la protection de l’enfance dans trois régions distinctes de la province de Québec. Le tableau 1 présente les caractéristiques des participants.
Considérant la plus grande vulnérabilité des jeunes enfants et la nécessité pour les intervenants de statuer plus rapidement sur un projet de permanence—en raison des délais maximaux de placement plus courts pour ce groupe d’âge—, le choix a été fait de concentrer l’étude sur les enfants âgés de zéro à cinq ans. Cette décision permettait également de prendre en compte les FAA, un milieu qui accueille généralement des enfants âgés de zéro à deux ans. De plus, en ciblant les intervenants assignés au suivi de l’enfant comme participants (service de l’application des mesures), l’équipe de recherche a choisi de se pencher plus spécifiquement sur les placements planifiés et non sur les placements d’urgence. Ces décisions permettaient d’établir une certaine uniformité dans les données recueillies et d’atteindre une plus grande cohérence dans le contenu des résultats.
Pour le recrutement des intervenants, le soutien des chefs d’équipe a été sollicité; ceux-ci avaient pour mandat de transmettre aux chercheurs responsables la liste de tous les intervenants de leur équipe étant familiers avec le placement des jeunes enfants, donc les intervenants qui avaient dans leur charge de cas des enfants placés ou l’ayant été entre zéro et cinq ans. Une fois les listes obtenues, chaque intervenant a été sollicité par téléphone ou courriel pour participer au projet (sur une base volontaire). Ceux qui acceptaient étaient rencontrés individuellement à leur lieu de travail, principalement dans leur bureau ou encore dans un local réservé. La durée des entretiens variait entre 25 et 90 minutes. Le tableau 2 indique les sujets abordés avec les intervenants ainsi que le détail des questions associées à chacun des sujets discutés.
Analyse des données
Le processus d’analyse des données de la présente étude s’appuie sur les principes de l’analyse thématique, une méthode qualitative qui consiste, à partir d’une lecture attentive des informations, à identifier, étudier et rapporter les « repeated patterns of meaning » présents dans les données (Braun et Clarke, 2006, p. 86). Fereday et Muir-Cochrane définissent le processus d’analyse thématique comme « une forme de reconnaissance des patrons dans les données, où les thèmes émergents deviennent les catégories d’analyse » (2006, p. 4, traduction libre). Cette démarche doit aboutir à la définition de thèmes généraux aptes à rendre significatif le phénomène à l’étude (Fereday et Muir-Cochrane, 2006). L’analyse thématique implique différentes étapes de réalisation, allant de la familiarisation aux données à la définition des thèmes identifiés; elle s’appuie également sur une méthode itérative de codification et d’identification des thèmes. Dans le cas de la présente étude, toutes les entrevues produites ont été retranscrites de manière intégrale. Une première lecture des entretiens a permis de dresser une version préliminaire de la grille de codification (définie comme le « Code Manual » par Fereday et Muir-Cochrane, 2006). Ce type de grille, développée sous forme d’arborescence (avec des codes et des sous-codes), permet de faire un premier découpage du matériel et de situer les données à l’intérieur de différentes catégories de sens. Par la suite, trois entretiens ont été choisis au hasard et codifiés par les trois auteures de l’article : cette stratégie d’analyse, que Guba (1981) et Lincoln et Guba (1985) nomment « la technique de réplication par étapes » (stepwise replication technique) exige que les membres de l’équipe travaillent de façon indépendante les données et comparent par la suite leurs résultats. Ce processus de validation a permis d’apporter quelques modifications à la grille de codification initiale et de s’assurer que les codes établis couvraient l’ensemble des contenus abordés par les participants. Une fois la grille approuvée par consensus, celle-ci a été intégrée au logiciel N’Vivo et la totalité des entretiens a été codée par une assistante de recherche. Ces étapes de l’analyse ont été appliquées à l’intégralité des données et ont principalement permis d’organiser le matériel et de procéder à des analyses préliminaires.
Par la suite, les données plus étroitement reliées au point de vue des intervenants sur le processus décisionnel concernant le choix du milieu d’accueil ont été isolées et ont fait l’objet d’une analyse supplémentaire dans le but de répondre à la question suivante : quels sont les facteurs que les intervenants prennent en considération dans le processus de décision du choix du milieu d’accueil pour de jeunes enfants qui doivent faire l’objet d’un placement? L’examen de ces données a permis d’identifier de multiples facteurs, lesquels ont par la suite été regroupés sous de grands thèmes communs; chacun d’eux réfère à un type de facteurs et contient à son tour des sous-catégories de facteurs ou facteurs spécifiques (voir tableau 3). Une dernière étape de l’analyse a consisté à identifier le nombre de fois où chacune des sous-catégories de facteurs était mentionnée par les intervenants interrogés. L’analyse de fréquence permet d’évaluer l’importance de chacun des facteurs spécifiques et d’estimer leur influence dans les pratiques décisionnelles des intervenants.
Résultats
L’analyse des résultats indique que les intervenants considèrent six grands types de facteurs pour identifier le milieu d’accueil pour un jeune enfant qui doit faire l’objet d’un placement. Chacun de ces grands facteurs est ensuite divisé en deux ou trois facteurs spécifiques. Le tableau 3 indique les thèmes et facteurs spécifiques identifiés ainsi que les fréquences attribuées à ces derniers.
Contraintes administratives
Le facteur de nature administrative le plus souvent mentionné par les intervenants concerne la pénurie de ressources, c’est-à-dire le manque de familles d’accueil de façon générale. Pratiquement tous les intervenants interrogés ont indiqué que le manque de ressources familiales avait un impact important sur le processus décisionnel entourant le choix de la famille d’accueil. Cette contrainte aurait pour effet de restreindre considérablement la marge de manoeuvre des intervenants :
Le service des ressources, il n’a pas beaucoup de places, donc quand il nous en donne une, on se sent comme un peu obligé de la prendre. Des fois, on peut négocier, mais notre marge de manoeuvre n’est pas tellement élevée.
MTL-09-F
Le manque de familles d’accueil augmente également le risque de devoir déplacer l’enfant dans le cas où, par exemple, les intervenants attendraient de trouver une famille qui pourrait répondre plus adéquatement aux besoins de l’enfant :
En général, c’est relativement facile d’évaluer un enfant puis de savoir c’est quoi qu’il a besoin, mais le match parfait, le match qui correspond là, c’est plus difficile de trouver la perfection ou de la [sic] trouver rapidement dans des délais raisonnables. On trouve les bonnes ressources, mais des fois, c’est malheureusement après 1 ou 2 essais (…) On est obligé parfois de faire des compromis ou d’aller vers le moindre mal.
QC-3-F
Parallèlement, des intervenants mentionnent que la pénurie de ressources pour un type de FA les oblige à se tourner vers un autre type de milieu, même si ce dernier n’est pas celui qu’ils avaient initialement envisagé. Par exemple, certains intervenants mentionnent que la pénurie de familles d’accueil les pousse parfois à redoubler d’efforts pour trouver une famille d’accueil de proximité, alors que cette option n’est pas celle qu’ils auraient priorisée au départ au regard des besoins de l’enfant :
Ça arrive aussi des fois qu’on n’a plus de places en famille d’accueil. On reçoit comme message de nos gestionnaires d’essayer le plus possible de faire des placements dans la famille (élargie). Même si ce n’est peut-être pas une situation qui est viable à long terme et qu’il va falloir déplacer cet enfant-là. Mais on n’a pas le choix des fois d’aller vers une situation temporaire.
OUT-11-F
Une situation similaire est rapportée par d’autres intervenants, mais concerne, cette fois-ci, des cas où ils souhaiteraient privilégier le placement en FAA, mais vont plutôt se diriger vers une FA régulière en raison du manque de FAA :
Admettons que c’est un enfant qu’on sait qu’on risque d’être impliqué jusqu’à ses 18 ans et qu’on a besoin d’une famille banque mixte et qu’il n’y en a pas, malheureusement on va peut-être choisir une famille d’accueil régulière.
OUT-12-F
Un autre facteur de nature administrative étroitement lié à celui de la pénurie des ressources est l’emplacement géographique du milieu d’accueil et la distance entre le milieu de vie des parents d’origine, le milieu d’accueil et les lieux de dispensation des services. Par exemple, la distance géographique entre l’enfant et sa famille d’origine ainsi que les défis qui en découlent au niveau des déplacements peuvent influencer la fréquence ou la qualité des contacts entre celui-ci et ses parents :
Si la famille d’accueil est super loin, et que ça fait en sorte, par exemple, que l’enfant qui a trois visites par semaine avec son parent se retrouve les trois fois à faire une heure et quart de transport (…) c’est sûr que ça a un impact sur la qualité des visites et sur la disponibilité aussi de l’enfant pendant la visite.
MTL-16-F
Sur le plan de l’accès aux services, une famille d’accueil située en milieu plus éloigné et dont l’enfant hébergé doit bénéficier de services spécialisés pourra difficilement assurer le maintien des suivis. Dans tous les cas, les inconvénients liés à la distance géographique peuvent influencer le choix du milieu d’accueil. Par exemple, dans une situation où le projet de vie de l’enfant est le retour dans le milieu familial, la décision de privilégier une FAP peut être remise en question si celle-ci se trouve à une distance trop importante de la famille d’origine de l’enfant ou des points de services.
Aspects législatifs et obligations légales
La Loi sur la protection de la jeunesse exige que les intervenants tiennent compte de l’entourage de l’enfant et des personnes qui lui sont les plus significatives au moment d’envisager son milieu de placement (LPJ, art. 4). Ce principe légal est soulevé par bon nombre d’intervenants et constitue un élément central dans la prise de décision du choix de milieu d’accueil :
Au niveau légal, c’est sûr qu’on est obligé de prendre en compte la famille élargie en premier de tout, ce qui est bien normal. Je veux dire, ça se fait pas mal automatiquement (…) Il faut faire la démonstration qu’on a essayé de regarder dans le réseau familial du jeune et de ses parents. Il faut faire l’exercice avec le parent dès le début.
QC-05-H
Par contre, cette obligation n’est pas sans susciter des remises en question de la part des intervenants, certains se questionnant sur les impacts parfois négatifs associés à cette orientation. En effet, certains intervenants se demandent si l’obligation de considérer prioritairement le milieu familial de l’enfant comme milieu de placement ne risque pas de se faire au détriment des besoins de celui-ci. Les inquiétudes rapportées par les intervenants sont variées : remise en question de la qualité et des compétences de certaines FAP, questionnements relatifs à la rigueur du processus d’évaluation des FAP, préoccupations à l’égard du fait que certaines tensions familiales peuvent porter préjudice à l’enfant et le placer en conflit de loyauté et inquiétudes liées à l’engagement des FAP sur le long terme. De plus, il peut s’avérer difficile de déplacer un enfant initialement placé en FAP même lorsque le placement se déroule plus ou moins bien ou que la situation se détériore :
On voit de plus en plus d’enfants placés dans les familles d’accueil de proximité et souvent, la problématique c’est que, ça fonctionne bien sous une base temporaire, mais quand le placement se transforme vers une permanence ou quelque chose à plus long terme, là ça devient beaucoup plus difficile.
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Sur le plan légal, les intervenants doivent également composer avec les délais maximaux de placement. La prise en compte de ces délais influence, dans certains cas, le choix du type de famille d’accueil privilégié par l’intervenant. Par exemple, si un intervenant juge que les parents pourront difficilement se reprendre en main à l’intérieur des délais fixés, il tendra à favoriser la FAA comme milieu de vie permanent pour un jeune enfant. Ces délais peuvent également contribuer à un changement de famille d’accueil. Par exemple, un enfant initialement placé dans une FA régulière, et pour lequel on constate que les parents ne se mobilisent pas et pourront difficilement en reprendre la garde dans les délais fixés par la loi, sera possiblement déplacé dans une FAA :
Dans la loi, il y a des délais maximaux de placement; quand l’enfant a entre zéro et deux ans, bien c’est un an que le parent a pour se reprendre en main. (…) Ça se peut qu’en cours de route on se rende compte que là il est en famille d’accueil régulière, mais on voit que c’est trop difficile pour les parents, fait que là on va faire une demande de famille d’accueil banque mixte parce qu’on voit déjà que cet enfant-là risque d’être placé à long terme.
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Caractéristiques et besoins des enfants
Les caractéristiques et les besoins de l’enfant sont considérés par les intervenants comme un facteur déterminant du choix du milieu de placement. Tant le bien-être général de l’enfant que ses besoins spécifiques sont jugés prioritaires par les intervenants dans le choix d’un type de milieu d’accueil :
On va regarder beaucoup l’enfant, c’est quoi l’ampleur de ses besoins, sa facilité à entrer en relation, son [sic] modèle d’attachement avec son parent biologique, son fonctionnement actuel à la garderie, les services qu’il reçoit. Si on a un enfant qui a beaucoup de suivis, puis que la seule personne-ressource qu’on connaît dans le milieu c’est une grand-maman de 75 ans, bien peut-être qu’on va se dire que ce n’est [sic] pas réaliste de confier un enfant avec autant de difficultés à cette grand-mère-là.
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Dans certains cas, les besoins de l’enfant sont davantage d’ordre physique et exigent des suivis spécifiques que certains milieux d’accueil ne sont pas toujours en mesure de prendre en charge. Par exemple, si la situation d’un enfant exige des suivis auprès de spécialistes, l’intervenant doit s’assurer que la famille d’accueil est disposée à assumer ce genre de tâches. Dans d’autres situations, c’est surtout les besoins psychologiques ou émotionnels de l’enfant qui vont faire en sorte qu’un type de famille sera privilégié au détriment d’un autre :
C’est sûr qu’on va regarder si l’enfant a des diagnostics, si l’enfant a des besoins particuliers. Est-ce que c’est un enfant qui a un trouble de l’attachement, un problème de santé mentale, un trouble du spectre de l’autisme? Si oui, on ne l’orientera pas vers les mêmes familles qu’un enfant qui va avoir une autre problématique.
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Par ailleurs, l’âge de l’enfant constitue également un facteur pris en compte par les intervenants. Les enfants âgés de zéro à cinq ans sont considérés comme plus vulnérables; ils peuvent plus difficilement s’exprimer verbalement et rencontrent des enjeux majeurs sur le plan du développement et de l’attachement, d’où une préoccupation des intervenants à l’égard de la stabilité et de la permanence du placement :
C’est sûr que plus ils sont jeunes, plus on veut quelque chose [sic] de stable, de durable et à long terme. Donc pour les bébés, souvent le premier réflexe c’est d’aller vers la banque mixte parce qu’on est sûr qu’il va y avoir du un pour un.
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La situation des jeunes enfants exige également une évaluation approfondie du pronostic de retour. Ainsi, parallèlement à l’âge de l’enfant, la décision relative au choix de la FA dépend aussi de ce qui est envisagé à moyen ou long terme pour l’enfant concerné.
Spécificités et caractéristiques des milieux d’accueil
La décision liée au choix du milieu d’accueil est aussi influencée par les caractéristiques et capacités de la famille d’accueil elle-même. À cet égard, les critères soulevés par les intervenants sont étroitement liés à la prise en compte de la capacité de la famille à répondre aux besoins de l’enfant :
Que ce soit une personne significative, banque mixte ou famille d’accueil, il faut vraiment que la ressource réponde aux besoins spécifiques des enfants. Par exemple, [sic] pour un enfant qui a besoin d’énormément de sécurité, de beaucoup d’attention, on ne choisira peut-être pas une famille d’accueil qui a déjà quatre enfants.
MTL-03-F
Plusieurs intervenants notent que les jeunes enfants (de zéro à cinq ans) exigent une plus grande disponibilité de la part des parents d’accueil et que cette dimension est prise en compte lors du choix du milieu de placement :
Si c’est un bébé naissant puis que les personnes travaillent et qu’elles ne peuvent pas s’en occuper, bien ça ne marche pas; il faut qu’elles soient disponibles au niveau du temps.
MTL-11-F
Les enjeux et préoccupations de collaboration entre la famille d’accueil et les différents professionnels du Centre jeunesse sont aussi mentionnés par plusieurs intervenants, mais concernent, dans la plupart des cas soulevés, les familles d’accueil de proximité :
Ce qui est quand même assez majeur, c’est la collaboration qui est très délicate quand tu es avec une famille d’accueil de proximité, parce que la tante en question devient une partenaire du Centre jeunesse. Fait que si elle ne croit pas en ce qu’on fait et si pour elle, le déplacement ou le retrait c’est épouvantable, que ça n’aurait jamais dû se faire, alors j’ai potentiellement une famille d’accueil qui va donner accès aux parents malgré les consignes.
OUT-10-F
Plusieurs intervenants soulignent que la décision d’aller vers une FAP exige que celle-ci soit ouverte à collaborer avec les services, et qu’elle soit également en mesure de se positionner adéquatement vis-à-vis du parent. Ce qui implique de savoir mettre des limites lorsque cela est nécessaire et de faire respecter les conditions prévues dans le plan d’intervention et les mesures ordonnées par le juge.
Caractéristiques des parents
Les problématiques des parents, mais aussi leurs attitudes, comportements et capacités à se mobiliser, interviennent dans le choix du milieu d’accueil. Les parents dont l’enfant doit être retiré sont souvent aux prises avec différentes problématiques (toxicomanie, santé mentale, difficultés relationnelles, conflits familiaux, violence conjugale, déficience intellectuelle, et autres). Les caractéristiques des parents et la chronicité ou la comorbidité de leurs problèmes permettent à l’intervenant d’évaluer la situation familiale et la possibilité que l’enfant puisse réintégrer son milieu familial à court ou moyen terme. Si les difficultés des parents sont majeures et récurrentes, un placement en FAA risque d’être envisagé plus rapidement :
Il y a des situations qui sont très claires, comme j’en ai une en ce moment, c’est deux parents schizophrènes, puis il y a beaucoup de comorbidité, ils sont schizophrènes, il y a de la consommation de drogues et ils sont sous ordonnance de traitement. Pour moi, ça, c’est très clair, c’est une banque mixte.
MTL-06-F
Par contre si, par exemple, le problème de consommation du parent s’apparente davantage à un épisode passager, le placement en FA régulière risque d’être privilégié :
Si c’est un enfant, par exemple, qui vit avec sa mère, qui a quatre ans, puis que c’est son premier placement, que la maman on sait qu’elle a été capable de s’en occuper, mais que là, elle est partie sur une dérape de consommation ou peu importe là, on va y aller plus pour une famille d’accueil régulière.
QC-04-F
Parallèlement, les intervenants vont aussi s’attarder au niveau d’implication des parents et à leur capacité à collaborer avec les services sociaux :
Est-ce que les parents sont impliqués, partiellement impliqués ou absents complètement? Ils sont rendus où les parents dans leur implication puis qu’est-ce qu’ils envisagent pour le futur? On regarde ça aussi. Ça détermine un peu si on s’en va vers une famille d’accueil régulière ou une famille d’accueil d’adoption.
MTL-08-F
L’intervenant, dans sa réflexion entourant le choix du milieu d’accueil, est amené à évaluer la capacité du parent non seulement à reconnaître les problématiques qui ont mené au placement de l’enfant, mais aussi sa capacité à se mettre en action dans des délais qui respectent les durées maximales de placement :
On va regarder aussi toute la question de la volonté du parent. Fait qu’il y a cet aspect-là qui est pris en considération aussi. On va regarder vraiment au niveau du potentiel de changement, au niveau de la volonté des parents versus leur capacité de se mobiliser.
OUT-04-F
Historique familial
L’historique familial et le passé des familles dans les services constituent également un facteur pris en considération par les intervenants dans le choix du milieu d’accueil, surtout lorsqu’il s’agit de familles dont un ou plusieurs enfants ont déjà fait l’objet d’un placement dans le passé :
C’est sûr qu’un nouveau-né dans une famille où il y a un historique de placements d’enfant et où les parents n’ont aucun enfant avec eux, le pronostic de retour est très sombre (…) C’est évident qu’on va davantage aller vers une banque mixte, tandis que, si c’est un premier retrait, que les parents ont déjà d’autres enfants avec eux ou qu’ils ont réussi à en récupérer la garde, à ce moment-là, on va aller avec une famille d’accueil régulière tout dépendamment aussi de l’âge de l’enfant.
QC-10-F
Par contre, une certaine prudence semble être de mise pour éviter que l’historique familial serve de raccourci au processus de placement en famille adoptive et porte préjudice au parent :
Si c’est une maman qui a eu trois enfants, mais qui ont été placés il y a cinq ans, la situation va être considérée comme une nouvelle situation, mais si on est impliqué avec un premier (enfant placé) puis que la maman a un deuxième bébé, bien à ce moment-là on va essayer de le mettre en banque mixte tout de suite pour éviter que cet enfant-là ait à vivre tous les déplacements que l’autre a vécus.
OUT-04-F
Discussion
De nombreux auteurs ont démontré que la prise de décision en contexte de protection de l’enfance s’inscrit dans un processus complexe et multifactoriel caractérisé par l’obligation pour les intervenants de composer avec différents types de savoirs (formels et informels, rationnels, émotionnels, intuitifs ) (Munro, 2018; O’Connor et Leonard, 2014; Platt et Turney, 2014; Whittaker, 2018) et par la présence de points de vue contradictoires ou d’informations manquantes (Pećnik et Brunnberg, 2006; Spratt et coll., 2015). En matière de placement, les intervenants sont également confrontés, d’une part, à la volonté des administrateurs de privilégier le maintien de l’enfant dans son milieu familial et de diminuer le recours au placement et, d’autre part, à l’obligation et à la responsabilité d’assurer la sécurité de l’enfant —une situation qui, selon Christiansen et Anderssen (2010) contribue à la complexité et parfois à l’ambiguïté du processus décisionnel entourant le placement.
Dans la présente étude, six principales catégories de facteurs ont été identifiées et semblent jouer des rôles quelque peu différents dans le processus décisionnel menant au choix du milieu de placement : les caractéristiques de l’enfant et celles des milieux d’accueil occupent en quelque sorte le coeur du processus décisionnel et servent à établir quel type de famille peut répondre aux besoins de l’enfant. Parallèlement à ce processus, les caractéristiques des parents et l’historique familial sont des facteurs pris en compte par les intervenants pour évaluer la situation familiale de l’enfant et pour établir le pronostic de retour de celui-ci dans sa famille, donc pour mieux cibler les besoins de l’enfant à moyen ou long terme. Cet accent sur l’intérêt et les besoins de l’enfant a aussi été noté dans d’autres études sur le pairage (Blakey et coll., 2012; Chor et coll., 2013; Moore et coll., 2016; Pösö et Laakso, 2016) et s’inscrit également dans le discours officiel et légal entourant non seulement le placement, mais la protection de l’enfance en général (Keddell, 2017). Par contre, les aspects légaux (prioriser la FAP, s’assurer du respect des délais légaux) et les contraintes administratives (pénurie de ressources, distance géographique) exercent une pression indue sur le processus décisionnel, et confrontent les intervenants à des choix parfois difficiles entre ce qu’ils considèrent comme étant le plus adéquat pour l’enfant et ce qui est réalistement possible de lui offrir comme milieu de vie.
À ce titre, les résultats montrent comment les considérations cliniques liées à la situation et aux besoins de l’enfant se trouvent inévitablement entremêlées aux contraintes administratives et législatives. La priorisation des besoins de l’enfant dans le choix du milieu d’accueil constitue un idéal à atteindre et correspond en quelque sorte à l’aspect plus théorique ou normatif du processus de pairage. Selon Zeijlmans et coll. (2018), la réponse aux besoins de l’enfant en contexte de placement est souvent compromise par différents obstacles (contraintes de temps, pénurie de ressources, informations manquantes) qui ont pour effet de rendre le processus plus pragmatique que systématique. D’autres études ont mis en évidence la pression exercée par le respect des délais légaux dans le processus relatif au placement (Beckett et coll., 2007; Hollows et Nelson, 2006; Waterhouse et Brocklesby, 2001). Les propos des intervenants interrogés dans la présente étude vont eux aussi dans cette direction : la valeur accordée aux besoins de l’enfant et le désir des intervenants de trouver un milieu d’accueil qui corresponde le plus étroitement possible au profil de celui-ci se trouvent en quelque sorte compromis par des considérations contextuelles, telles que la pénurie des ressources et la distance géographique ou encore par des exigences législatives.
Les différents facteurs recensés s’inscrivent également dans une logique interactive caractérisée par deux tendances : une première qui consiste à considérer différents facteurs simultanément dans le processus décisionnel et une deuxième qui consiste à orienter les décisions en fonction de préoccupations transversales qui dépassent en quelque sorte les facteurs eux-mêmes. Tout d’abord, dans la présente étude, rares sont les intervenants interrogés qui ne mentionnent qu’un seul facteur dans le processus menant au choix du milieu d’accueil. C’est souvent la prise en compte de plusieurs facteurs et leur mise en relation qui amènent les intervenants à privilégier un type de milieu de placement au détriment d’un autre. Dans tous les cas, l’analyse de la situation globale de l’enfant, de sa famille et de son environnement viendra influencer la décision de placer un enfant en famille d’accueil régulière, de proximité ou à vocation adoptive. De plus, tous les facteurs identifiés dans le cadre de cette étude se trouvent associés, à des niveaux variables, à deux considérations transversales : soit le projet de vie de l’enfant et la recherche de permanence (stabilité). Les intervenants font souvent référence à ces deux considérations pour expliquer le processus qui entoure le choix du type de famille d’accueil. Par exemple, une part importante du défi qui incombe aux intervenants amenés à statuer sur le type de milieu d’accueil le plus adéquat pour l’enfant repose sur le fait qu’ils doivent se prononcer sur le devenir de l’enfant et de sa famille. Le constat sur le pronostic de retour de l’enfant dans sa famille a un impact important sur le choix du milieu d’accueil. Les intervenants sont donc appelés à statuer le plus tôt possible sur la possibilité à court ou moyen terme pour l’enfant de réintégrer son milieu familial d’origine, mais aussi sur les délais dans lesquels cette réunification pourrait se concrétiser (puisque la LPJ exige le respect de certains délais fixés selon l’âge de l’enfant). Cet exercice s’avère donc un défi de taille dans un contexte où la situation familiale des parents et des enfants est changeante et parfois difficile à prédire (Pösö et Laakso, 2016; Zeijlmans et coll., 2018).
Forces et limites de l’étude
La présente étude comporte différentes forces et limites. Sur le plan des limites, la quasi-absence d’études sur le pairage en protection de l’enfance dans la littérature scientifique complique la compréhension du phénomène et rend difficile l’établissement de comparaisons : cette conjoncture de recherche donne également un caractère exploratoire à la présente étude. Sur le plan méthodologique, le fait de privilégier des questions semi-ouvertes permet de capter plus en détail les perceptions des intervenants et d’accéder à des informations qui seraient demeurées inaccessibles dans un format de questionnaire plus fermé. Cependant, cela rend les résultats plus complexes à interpréter et impose une certaine prudence dans la généralisation des conclusions. De plus, il importe de mentionner que les intervenants ont été interrogés une seule fois à un moment précis, ce qui ne permet pas de capter les changements dans le temps et de situer le problème étudié et les résultats dans une perspective longitudinale.
Conclusion
Le placement d’un enfant en famille d’accueil s’inscrit à l’intérieur d’une trajectoire décisionnelle qui implique différentes étapes et qui nécessite la prise en compte de plusieurs facteurs (Carvalho, et coll., 2018; Dettlaff et coll., 2015; Font et Maguire-Jack, 2015; Meiksans et coll., 2015; Sieracki et coll., 2015). Quant au processus qui accompagne plus spécifiquement le choix de la famille d’accueil, celui-ci exige une certaine flexibilité de la part des intervenants, d’abord parce que les situations familiales sont mouvantes, mais aussi parce que le système de protection de l’enfance est confronté à une importante pénurie de ressources.
Sur le plan de la pratique, la présente étude jette un éclairage sur un aspect encore peu connu des services sociaux en protection de l’enfance, soit le processus de pairage. L’étude met en évidence les nombreux défis auxquels sont confrontés les intervenants sociaux appelés à procéder au placement d’un jeune enfant et la complexité du processus décisionnel entourant le choix du type de milieu d’accueil. Par contre, des recherches supplémentaires permettraient sans doute de mieux comprendre comment les contraintes rencontrées par les intervenants et les compromis qu’ils sont amenés à faire ont un impact sur la qualité et, ultimement, sur la stabilité des placements.
Appendices
Note biographique
Doris Chateauneuf, Ph.D., est chercheure au Centre de recherche universitaire sur les jeunes et les familles (CRUJeF). Geneviève Pagé, Ph.D., est professeure au département de travail social de l’Université du Québec en Outaouais. Marie-Andrée Poirier, Ph.D., est professeure à l’École de travail social de l’Université de Montréal.
Notes
-
[1]
Au Québec, les familles à vocation adoptive sont désignées sous le terme spécifique de « famille d’accueil Banque mixte ». Par contre, pour faciliter la compréhension du présent article, elles seront désignées sous le terme « famille d’accueil à vocation adoptive » (FAA), excepté dans les citations des participants.
-
[2]
L’étude de Poirier et coll. (2018), menée au Québec, indique que 46 % des FAP sont des grands-parents ou arrière-grands-parents, 2. % des oncles ou tantes et 9 % un autre membre de la famille, tandis que 15 % sont des membres de l’entourage de l’enfant n’ayant pas de lien de parenté avec celui-ci.
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