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Introduction[2]

Les femmes qui quittent un conjoint violent se retrouvent fréquemment devant une panoplie d’obstacles dans leurs démarches, incluant une amplification de la coercition et du contrôle dans la période entourant la séparation (Stark, 2007). Dans ce contexte, l’intervention en matière de violence conjugale doit tenir compte de la sécurité des femmes et de leurs enfants, tout en offrant aux femmes un accompagnement dans leurs démarches pour reprendre du pouvoir sur leur vie (Nnawulezi et al., 2019). Peu d’outils existent toutefois pour évaluer dans quelle mesure les femmes reprennent du pouvoir sur leur sécurité lorsqu’elles reçoivent des services en matière de violence conjugale, ce qui constitue une limite dans le champ de l’intervention sociale. Pour pallier cette limite, une équipe de chercheures américaines a récemment développé une échelle de mesure visant précisément à évaluer la reprise du pouvoir des femmes sur leur sécurité en contexte de violence conjugale (Measure of Victim Empowerment Related to Safety, Goodman et al., 2015a).

Cette échelle a subséquemment été traduite et validée auprès d’un échantillon de 189 femmes recevant des services en maison d’hébergement au Québec (Côté et al., 2021). Ce processus de validation a permis de constater que certaines variables sont tributaires d’un niveau élevé ou, à l’inverse, d’un niveau plus faible de reprise du pouvoir des femmes sur leur sécurité. C’est précisément ce à quoi s’intéresse le présent article, qui analyse la relation entre la reprise du pouvoir des femmes sur leur sécurité en contexte de violence conjugale et cinq variables : l’estime de soi, l’auto-efficacité, la satisfaction de vie, la perception de soutien social et la détresse psychologique. Pour ce faire, les auteurs présenteront les principaux résultats émergeant d’une analyse de classification (cluster analysis) et discuteront des implications de ces résultats pour la recherche et l’intervention auprès des femmes victimes de violence conjugale.

Recension des écrits

Les maisons d’hébergement pour femmes victimes de violence conjugale

Les maisons d’hébergement constituent des ressources incontournables pour assurer la sécurité des femmes et des enfants victimes de violence conjugale. L’histoire des pratiques en maison d’hébergement révèle que les intervenantes ont développé des stratégies d’intervention qui visent spécifiquement à répondre aux besoins des femmes et de leurs enfants, mais ont également déployé de multiples stratégies de prévention et de sensibilisation dans le but d’enrayer cette problématique sociale et, entre-temps, améliorer l’offre et la qualité des services destinés aux victimes au sein des services sociaux et judiciaires (Côté, 2018). De manière plus précise, les notions de sécurité et de reprise du pouvoir (empowerment) sont fondamentales au sein de ces ressources. À cet égard, les intervenantes qui travaillent dans le domaine de la violence conjugale mettent de l’avant l’importance d’assurer la sécurité des femmes et des enfants, mais également d’amener les femmes à reprendre du pouvoir sur leur vie (Cattaneo et Goodman, 2015 ; Côté, 2016 ; Nnawulezi, Sullivan et Hacskaylo, 2019).

Sécurité et reprise du pouvoir : deux dimensions incontournables des pratiques

Considérant que la violence conjugale compromet la sécurité des femmes victimes et de leurs enfants, d’autant plus au moment de la rupture (Institut national de santé publique du Québec, 2021), les intervenantes en maison d’hébergement ont développé, au cours des dernières décennies, une panoplie de stratégies permettant d’assurer la sécurité des femmes et des enfants pendant et à la suite d’un séjour. La notion de sécurité se veut ainsi une dimension clé de l’intervention, mais constitue également l’une des principales sources de motivation chez les femmes qui font une demande d’hébergement. Au Canada, 80 % d’entre elles sont motivées par le besoin de trouver un endroit sécuritaire (Tutty, 2015) et 96 % évaluent la sécurité comme étant la composante la plus appréciée de leur séjour (Tutty, 2006).

Quelques recherches ont démontré l’efficacité des maisons d’hébergement pour assurer la sécurité des femmes. Une importante étude américaine sur une cohorte de 755 femmes victimes de violence conjugale démontre que celles qui reçoivent des services en maison d’hébergement sont considérablement moins susceptibles de subir de la violence modérée et sévère comparativement aux femmes qui ne vont pas vers ces ressources (Messing, O’Sullivan, Cavanaugh, Webster et Campbell, 2017). Une méta-analyse réalisée par Jonker et al. (2015) sur 10 études totalisant 726 femmes victimes de violence conjugale révèle que les pratiques en maison d’hébergement permettent aux femmes d’être davantage en sécurité, en diminuant notamment le risque qu’elles soient la cible d’incidents violents et/ou la sévérité de ces incidents. Dans une méta-synthèse s’intéressant à l’expérience de femmes (n = 232) séjournant en maison d’hébergement, l’analyse thématique de neuf études recensées dévoile que les femmes apprécient particulièrement le fait de se sentir en sécurité pendant leur séjour (Robinson, Maxwell et Rogers, 2020).

La notion de reprise du pouvoir (empowerment) est fortement intégrée dans les pratiques en maison d’hébergement au Québec (Chayer et Smith, 2012 ; Côté, 2016). Ce concept revêt une dimension psychologique et une dimension contextuelle qui interagissent de manière itérative ; en ce sens, la reprise du pouvoir est à la fois un processus et un résultat (Cattaneo et Goodman, 2015). Dans ce processus, les femmes « prennent des mesures pour atteindre des objectifs significatifs sur le plan personnel, s’appuient sur les ressources communautaires, les compétences, les connaissances et l’auto-efficacité pour atteindre ces objectifs et observent dans quelle mesure ces actions se traduisent par des progrès » (Cattaneo et Goodman, 2015, p. 84, notre traduction).

En matière d’intervention, la reprise du pouvoir nécessite donc que les intervenantes fassent preuve de flexibilité en établissant des objectifs d’intervention adaptés aux femmes et qui tiennent compte de leurs circonstances de vie particulières. En ce sens, des pratiques axées sur la reprise du pouvoir doivent être très centrées sur les femmes et leurs besoins précis et s’actualiser en partenariat. Tel que l’explique Wood (2015), la reprise du pouvoir part du postulat selon lequel « la [femme] est l’experte de sa propre vie, l’intervenante collabore avec elle en partenariat et les programmes sont basés sur les besoins exprimés par [les femmes] » (p. 287, notre traduction). Quoique ce concept ait fait l’objet de critiques dans la littérature (Gengler, 2012), sa mobilisation dans les pratiques permettrait de diminuer les conséquences de la violence conjugale sur la santé mentale des femmes (Johnson, Johnson, Perez, Palmieri et Zlotnick, 2016 ; Perez, Johnson et Wright, 2012). Plus encore, les femmes apprécient que les intervenantes soutiennent leur processus de reprise du pouvoir (Kulkarni, Bell et Rhodes, 2012).

Reprise du pouvoir des femmes sur leur sécurité en contexte de violence conjugale

Le concept de « reprise du pouvoir des femmes sur leur sécurité » (en anglais : safety-related empowerment) proposé par Goodman et al. (2015a) se situe à l’intersection des deux dimensions décrites ci-dessus. Il cible « dans quelle mesure une [femme] dispose de ressources internes dans ses démarches pour assurer sa sécurité, sait se prévaloir de l’aide disponible et croit que ses démarches pour assurer sa sécurité ne lui créeront pas d’autres problèmes tout aussi difficiles » (Goodman, Thomas et Heimel, 2015b, p. 2, notre traduction). Ce concept offre un niveau de précision qu’il serait plus difficile d’obtenir en mesurant la sécurité ou la reprise du pouvoir de manière séparée. En effet, tel que le suggèrent Goodman et al. (2015b), comme c’est le conjoint ou l’ex-conjoint violent qui, ultimement, fera le choix d’utiliser la violence ou non, les meilleurs services en matière de violence conjugale peuvent difficilement contrecarrer les stratégies qui seront employées par un conjoint violent pour maintenir son pouvoir et son contrôle. Quant à la notion de reprise du pouvoir, elle est difficilement mesurable de manière globale puisqu’elle varie dans différentes sphères de la vie d’une femme. C’est pourquoi la combinaison des deux est particulièrement intéressante pour étudier les pratiques en maison d’hébergement, en portant une attention particulière à la reprise du pouvoir d’une femme dans la sphère de sa vie qu’est la sécurité.

Afin de mesurer la reprise du pouvoir des femmes sur leur sécurité, une échelle à trois facteurs a été développée et validée par une équipe de chercheures américaines (Goodman et al., 2015a) et subséquemment traduite et validée par une équipe de recherche québécoise (Côté et al., 2021). Ces trois facteurs, qui constituent des indicateurs du construit, sont, respectivement, les ressources internes, la perception du soutien et les compromis. En somme, plus une femme a développé de ressources internes et sent qu’elle peut obtenir le soutien nécessaire de la part de son réseau, tout en estimant que les enjeux et défis qu’elle devra rencontrer dans ses démarches seront surmontables, plus elle reprendra du pouvoir sur sa sécurité. Inversement, moins une femme dispose de ressources internes, moins son réseau est solide et disponible et plus elle évalue que quitter son conjoint va lui créer une série de problèmes, moins elle reprendra du pouvoir sur sa sécurité. Outre ces trois indicateurs, nous en savons bien peu sur les variables associées à la reprise du pouvoir des femmes sur leur sécurité, encore moins en contexte québécois. C’est précisément ce à quoi s’intéresse le présent article.

Méthodologie

Cette étude exploratoire adopte un devis de type corrélationnel et transversal. Elle est financée par le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (CRSH) et a obtenu l’approbation du Comité d’éthique de la recherche de l’Université Laurentienne (CÉRUL).

Description de l’échantillon

L’échantillon est composé de 189 femmes ayant reçu des services en maison d’hébergement entre avril et décembre 2019. Ces femmes étaient âgées de 19 à 71 ans (M = 41,00, ÉT = 11,36) et avaient soit hébergé, soit reçu des services externes en maison d’hébergement. Elles ont toutes participé à l’étude sur une base volontaire après avoir signé un formulaire de consentement ; un montant de 30 $ leur était remis pour les remercier de leur participation. La majorité de l’échantillon est composée de femmes nées au Canada (90 %) ; de ce nombre, 8 % étaient d’origine autochtone, et 10 % sont nées à l’extérieur du pays. Un total de 91 % de l’échantillon a reçu des services pour des motifs de violence conjugale, 4 % pour des motifs liés à la violence familiale et 2 % pour des problèmes de logement. La majorité (66 %) avait un revenu de moins de 20 000 $ par année et des conditions d’emploi précaires. La majorité avait des enfants (91 %), dont un peu plus de la moitié avec l’agresseur (58 %). Les manifestations de violence infligées par l’agresseur sont de l’ordre de la violence psychologique (96 %), verbale (91 %), financière (74 %), physique (70 %), sexuelle (54 %) et spirituelle (17 %). Un peu plus de la moitié des femmes ont subi du harcèlement (53 %), 31 % ont reçu des menaces de mort, 20 % ont été séquestrées et 16 % ont été la cible d’une tentative de meurtre.

Instruments de mesure

Le niveau de reprise du pouvoir des participantes sur leur sécurité a été évalué à l’aide du questionnaire Measure of Victim Empowerment Related to Safety (MOVERS) (Goodman et al., 2015a ; version française par Côté et al., 2021). Le MOVERS est une échelle à 13 items regroupés en trois facteurs qui mesure les ressources internes (« Je peux faire face à tout défi que je rencontre dans mes démarches pour assurer ma sécurité »), la perception du soutien (« J’ai une bonne idée du type de soutien que je peux obtenir de la part des ressources et services pour assurer ma sécurité ») et les compromis (« Je dois renoncer à trop de choses pour assurer ma sécurité »). Les réponses sont recueillies sur une échelle de Likert en 5 points s’échelonnant de 1 « Jamais vrai » à 5 « Toujours vrai ». L’étude de validation de la version originale a mis en lumière que cette échelle démontre de bonnes qualités psychométriques sur le plan de sa validité de construit et sa validité convergente, ainsi que de bons indices de fidélité avec un alpha de Cronbach respectif de 0,88, 0,83 et 0,74 pour les sous-échelles ressources internes, perception du soutien et compromis (Goodman et al., 2015a). Dans cette étude, l’échelle présente un alpha de Cronbach respectif de 0,85, 0,78 et 0,64 pour les sous-échelles ressources internes, perception du soutien et compromis.

Les cinq échelles subséquentes ont été sélectionnées sur la base de leur proximité avec le construit que l’équipe de recherche souhaitait mesurer, tout en s’inspirant des échelles privilégiées dans le processus de validation du MOVERS (Goodman et al., 2015a).

La détresse psychologique des participantes a été évaluée à l’aide du Questionnaire sur l’humeur (DASS-21) (Lovibond et Lovibond, 1995 ; version française par Henry et Crawford, 2005). Le DASS-21 est une échelle à 21 items regroupés en trois facteurs qui évalue la dépression (« J’ai eu l’impression de ne pas pouvoir ressentir d’émotion positive »), l’anxiété (« J’ai eu le sentiment d’être presque pris·e de panique ») et le stress (« Je me suis aperçu·e que je devenais agité·e »). Les réponses sont recueillies sur une échelle de Likert en 4 points s’échelonnant de 0 « Ne s’applique pas du tout à moi » à 4 « S’applique entièrement à moi, ou la grande majorité du temps ». Une étude a mis en lumière que cette échelle démontre une bonne fidélité avec un alpha de Cronbach respectif de 0,88, 0,82 et 0,90 pour les sous-échelles de dépression, d’anxiété et de stress (Henry et Crawford, 2005). Dans la présente étude, l’échelle présente des coefficients alpha de Cronbach de 0,91, 0,77 et 0,85 pour les sous-échelles de dépression, d’anxiété et de stress.

L’estime de soi des participantes a été évaluée à l’aide du Rosenberg Self-Esteem Scale (RSES) (Rosenberg, 1965 ; version française par Vallières et Vallerand, 1990). Le RSES est une échelle à 10 items regroupés en un seul facteur qui mesure l’estime de soi global. Les réponses sont recueillies sur une échelle de Likert en 4 points s’échelonnant de 1 « Tout à fait en désaccord » à 4 « Tout à fait en accord ». Un exemple d’item est : « Je suis capable de faire les choses aussi bien que la majorité des gens. » Une étude a mis en lumière que la version francophone de cette échelle démontre de bonnes qualités psychométriques et un bon niveau de fidélité avec un alpha de Cronbach de 0,90 (Vallières et Vallerand, 1990). Dans la présente étude, l’échelle présente un alpha de Cronbach de 0,85.

La perception de soutien social des participantes a été évaluée à l’aide du Multidimensional Scale of Perceived Social Support (MSPSS) (Zimet, Dalhen, Zimet et Farley, 1988 ; version française par Denis, Callahan et Bouvard, 2015). Le MSPSS est une échelle à 12 items qui mesure le soutien social perçu de la part de la famille (« Ma famille essaie vraiment de m’aider »), des ami·e·s (« Je peux compter sur mes ami·e·s quand les choses vont mal ») et des personnes significatives (« Il y a une personne en particulier qui est là quand j’en ai besoin »). Les réponses sont recueillies sur une échelle de Likert en 7 points s’échelonnant de 1 « Fortement en désaccord » à 7 « Fortement en accord ». Une étude a mis en lumière que la version francophone de cette échelle démontre de bonnes qualités psychométriques avec un alpha de Cronbach de 0,94, 0,91 et 0,92 pour les sous-échelles famille, ami(e)s et personnes significatives (Denis et al., 2015). Dans la présente étude, l’échelle présente un alpha de Cronbach respectif de 0,94, 0,95 et 0,90 pour les sous-échelles de famille, ami(e)s et personnes significatives.

La satisfaction de vie des participantes a été évaluée à l’aide du Satisfaction with Life Scale (SWLS) (Diener et al., 1985 ; version française par Blais, Vallerand, Pelletier et Brière, 1989). Le SWLS est une échelle à cinq items regroupés en un seul facteur qui mesure la satisfaction globale de vie. Les réponses sont recueillies sur une échelle de Likert en 7 points s’échelonnant de 1 « Fortement en désaccord » à 7 « Fortement en accord ». Un exemple d’item est : « Si je pouvais recommencer ma vie, je n’y changerais presque rien. » Une étude a mis en lumière que la version francophone de cette échelle démontre de bons indices de fidélité avec un alpha de Cronbach de 0,80 et un test-retest de r = 0,64 (Blais et al., 1989). Dans cette étude, l’échelle présente un alpha de Cronbach de 0,85.

Le niveau d’auto-efficacité des participantes a été évalué à l’aide du General Self-Efficacy Scale (GSE) (Schwarzer et Jerusalem, 1995 ; version française par Dumont, Leclerc et Pronovost, 2000). Le GSE est une échelle à 10 items regroupés en un seul facteur qui mesure le sentiment de pouvoir gérer avec succès diverses situations stressantes. Un exemple d’item est : « Grâce à ma débrouillardise, je sais comment faire face aux situations imprévues. » Les réponses sont recueillies sur une échelle de Likert en 4 points s’échelonnant de 1 « Pas du tout vrai » à 4 « Totalement vrai ». Des études ont mis en lumière que cette échelle démontre de bonnes qualités psychométriques (Leganger, Kraft et R⊘ysamb, 2000 ; Schwarzer, Mueller et Greenglass, 1999). Dans cette étude, l’échelle présente un alpha de Cronbach de 0,90.

Procédure d’analyse des données

Des analyses de classification de type hiérarchique (cluster analysis) ont été conduites afin d’étudier la possibilité de créer des sous-groupes distincts dans l’échantillon. Pour ce faire, les indicateurs de reprise du pouvoir des femmes sur leur sécurité (ressources internes, perception du soutien et compromis) ont été inclus dans l’analyse. Autrement dit, le but de l’analyse de classification était de faire ressortir les différences et les similitudes entre les participantes sur la base de leur niveau de reprise du pouvoir sur leur sécurité. Les participantes qui présentaient de fortes similitudes dans leurs patrons de réponses aux indicateurs de reprise de pouvoir sur leur sécurité ont ainsi été regroupées dans un même sous-groupe. La méthode de Ward (1963) a été utilisée comme procédure de classification hiérarchique, car elle minimise la variance entre les clusters à chaque étape en assurant que ces derniers sont aussi distincts que possible. Les données ont préalablement été standardisées et converties en matrice de distance euclidienne. Deux algorithmes de classification ont été employés. Le premier, nommé AGNES (Agglomerative Nesting), utilise une méthode du bas vers le haut (bottom-up) qui consiste à traiter chaque participante comme un seul cluster. À chaque étape de l’algorithme, les deux clusters les plus similaires sont combinés en un nouveau cluster plus grand. Cette procédure est itérée jusqu’à ce que toutes les participantes soient regroupées en un seul grand cluster. Le second, nommé DIANA (Divisive Analysis), adopte un fonctionnement inverse du haut vers le bas (top-down). L’algorithme débute en regroupant toutes les participantes dans un seul cluster. À chaque itération, le cluster le plus hétérogène est divisé en deux. Ce processus est répété jusqu’à ce que toutes les participantes se retrouvent dans leur propre cluster. Les résultats de ces deux algorithmes de regroupement sont présentés sous forme de dendrogramme. Les deux algorithmes ont été comparés et la meilleure méthode de regroupement a été sélectionnée en fonction de sa capacité à réduire au maximum les recoupements entre les sous-groupes. Les analyses de classification ont été conduites à l’aide de la librairie « cluster » (Maechler, Rousseeuw, Struyf, Hubert et Hornik, 2019). Des tests t ont par la suite été conduits entre les sous-groupes obtenus dans le but de comparer les différences de moyennes en fonction des variables à l’étude. Avant d’effectuer ces comparaisons de moyennes, une analyse de corrélations dans l’échantillon global a été effectuée dans le but de quantifier les interrelations entre les variables de reprise de pouvoir et des variables à l’étude. Toutes les analyses ont été conduites à l’aide du logiciel R (R Core Team, 2020).

Résultats

Données manquantes

L’échantillon a d’abord été analysé pour détecter la présence de données manquantes. L’analyse révèle la présence de 8 % de données manquantes dans la totalité de l’échantillon. De façon plus spécifique, 77 % (n = 147) de l’échantillon ne présente aucune donnée manquante, 22 % (n = 42) présente moins de 10 % de données manquantes et 1 % (n = 2) présente plus de 10 % de données manquantes. Afin d’éviter d’introduire un biais statistique, les participantes avec plus de 10 % de données manquantes ont été retirées des analyses (Dong et Peng, 2013). Par la suite, l’hypothèse des données manquantes complètement aléatoires a été testée à l’aide de la librairie « MissMech » (Jamshidian, Jalal et Jansen, 2014) disponible dans R. Les résultats révèlent qu’il n’est pas possible de rejeter l’hypothèse des données manquantes complètement aléatoires. Par conséquent, une technique d’imputation multiple a été utilisée pour combler les données manquantes. La procédure d’imputation se base sur la méthodologie utilisée par Burns et al. (2011). Premièrement, cinq ensembles de données imputées ont été créés (Gaffert, Meinfelder et Bosch, 2016). Ensuite, la moyenne des valeurs imputées des cinq ensembles de données a été calculée. Les analyses ont été réalisées en utilisant la librairie « mice » (van Buuren et Groothuis-Oudshoorn, 2011) disponible dans R. Finalement, les données ont été examinées pour la présence de valeurs aberrantes multivariées à l’aide de la distance de Mahalanobis. Les résultats n’ont révélé aucune valeur aberrante dans les données.

Analyse de classification

La qualité des regroupements entre les deux algorithmes de classification est présentée à la Figure 1. Les résultats montrent que la méthode DIANA est supérieure pour réduire les chevauchements entre les sous-groupes. Cette méthode a donc été choisie pour les analyses subséquentes. La Figure 2 présente le dendogramme provenant de la méthode DIANA.

Figure 1

Projections sur deux dimensions des sous-groupes en fonction des algorithmes de regroupement testés

Projections sur deux dimensions des sous-groupes en fonction des algorithmes de regroupement testés

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Figure 2

Dendrogramme provenant de la méthode DIANA

Dendrogramme provenant de la méthode DIANA

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Les résultats des analyses de regroupement révèlent la présence de deux sous-groupes qui diffèrent quant à leur niveau de reprise du pouvoir sur leur sécurité (RPS) : F(1, 187) = 57,83, p < 0,001, η2g = 0,24. Le profil sociodémographique des deux groupes est présenté dans le tableau 1.

Tableau 1

Profil sociodémographique

Profil sociodémographique

Tableau 1 (continuation)

Profil sociodémographique

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Analyse de corrélations

Concernant les variables ressources internes et perception de soutien, l’analyse de la matrice de corrélations révèle la présence de corrélations positives et modérées avec : 1) l’estime de soi ; 2) la perception du soutien social ; 3) la satisfaction de vie ; et 4) le sentiment d’auto-efficacité. À l’inverse, des corrélations négatives et faibles sont dénotées avec : 1) le stress ; 2) l’anxiété ; et 3) la dépression. Concernant la variable compromis, des corrélations négatives de faibles à modérées ont été obtenues avec : 1) l’estime de soi ; 2) autre personne significative ; 3) la satisfaction de vie ; et 4) le sentiment d’auto-efficacité. Finalement, des corrélations positives et modérées ont été obtenues avec : 1) le stress ; 2) l’anxiété ; et 3) la dépression (voir Tableau 2).

Tableau 2

Matrice de corrélations entre les variables de reprise de pouvoir et les variables à l’étude

Matrice de corrélations entre les variables de reprise de pouvoir et les variables à l’étude

* p < 0,05, ** p < 0,01, *** p < 0,001.

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Comparaisons de moyennes entre les groupes

Les statistiques descriptives pour chaque indicateur des variables à l’étude ainsi que les résultats des comparaisons de moyennes entre les deux groupes sont présentés dans le Tableau 3. Les participantes associées au groupe RPS élevé présentent un score moyen de perception du soutien et de ressources internes significativement plus élevé, ainsi qu’un score moyen de compromis significativement plus faible que les participantes du groupe RPS faible.

Sur le plan des différences de moyennes des indicateurs de détresse psychologique (voir Tableau 3), les résultats révèlent que les scores moyens des participantes du groupe RPS faible sont significativement plus élevés que ceux du groupe RPS élevé. De plus, les femmes du groupe RPS élevé rapportent en moyenne des scores significativement plus élevés d’estime de soi ainsi que d’auto-efficacité. En ce qui a trait aux indicateurs de soutien social, les résultats illustrent des différences significatives entre les deux groupes, voulant que les femmes du groupe RPS élevé rapportent des scores moyens significativement plus élevés que celles du groupe RPS faible. Finalement, les femmes du groupe RPS élevé présentent des scores moyens significativement plus élevés de satisfaction de vie que celles du groupe RPS faible.

Tableau 3

Statistiques descriptives et comparaisons des moyennes de variables à l’étude

Statistiques descriptives et comparaisons des moyennes de variables à l’étude

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Discussion

La présente étude avait comme objectif d’explorer la possibilité de créer des groupes de femmes en fonction de leur niveau de reprise du pouvoir sur leur sécurité et d’analyser si ces groupes présentaient des caractéristiques distinctes sur d’autres variables d’intérêt. Les données récoltées dans le cadre de cette démarche ont permis de distinguer, à l’aide d’une analyse de classification (cluster analysis), deux groupes de participantes en fonction de leur niveau de reprise du pouvoir sur leur sécurité. En effet, les résultats suggèrent que les femmes du groupe RPS élevé rapportent des niveaux de ressources internes et de perception du soutien significativement plus élevés ainsi que des niveaux significativement plus faibles de compromis que celles du groupe RPS faible.

Afin d’étudier davantage les variables qui permettent de distinguer les deux groupes, des analyses de comparaison de moyennes ont été effectuées. Les résultats révèlent que les femmes du groupe RPS élevé rapportent en moyenne des résultats globaux de stress, d’anxiété et de dépression significativement plus faibles que les femmes du groupe RPS faible. De plus, les femmes du groupe RPS élevé rapportent en moyenne des résultats globaux d’estime de soi, de satisfaction de vie et d’auto-efficacité significativement plus élevés que celles du groupe RPS faible. Finalement, les femmes du groupe RPS élevé rapportent en moyenne des résultats globaux significativement plus élevés de perception de soutien social que celles du groupe RPS faible. Cela dit, il n’est pas possible à cette étape-ci de savoir si c’est la reprise du pouvoir qui permet d’augmenter l’estime de soi, le sentiment d’auto-efficacité des femmes et leur satisfaction de vie ou bien si ce sont des niveaux plus élevés d’estime de soi, d’auto-efficacité et de satisfaction de vie qui favorisent la reprise du pouvoir. En termes de pistes de recherche et d’interventions, trois hypothèses émergent de ces résultats.

La première hypothèse étant que pour favoriser la reprise du pouvoir des femmes sur leur sécurité, les pratiques d’intervention en matière de violence conjugale doivent continuer de favoriser l’estime de soi des femmes, leur sentiment d’auto-efficacité et de satisfaction de vie, les appuyer dans la consolidation de leur réseau de soutien social (familles, ami·e·s, personnes significatives), ainsi que viser la réduction de leur détresse psychologique. Cette hypothèse s’appuie également sur le fait que deux des indicateurs de la reprise du pouvoir des femmes sur leur sécurité, soit les ressources internes et la perception du soutien, sont significativement reliés aux variables d’estime de soi, d’auto-efficacité et de perception du soutien social mesurées par les échelles présentées plus haut. À titre d’exemple, il est intéressant de noter que les femmes du groupe RPS élevé rapportent des niveaux significativement plus élevés de soutien social que celles du groupe RPS faible. Ce résultat est cohérent avec la littérature sur l’importance du réseau de soutien des femmes victimes de violence conjugale dans leurs démarches pour assurer leur sécurité (Sudderth, 2017 ; Warnecke et al., 2017).

À ceci, il est important de rappeler que la reprise du pouvoir sur la sécurité nécessite que les femmes perçoivent que leurs démarches ne créeront pas trop de problèmes pour elles et les personnes auxquelles elles tiennent (Goodman et al., 2015a). Considérant que la rupture en contexte de violence conjugale implique fréquemment des pertes sur le plan personnel, interpersonnel, social et financier (Thomas, Goodman et Putnins, 2015), tout effort visant à réduire ce sentiment que les femmes doivent renoncer à trop de choses pour être en sécurité peut contribuer positivement à leur sentiment de reprise de pouvoir. Ceci nécessite sans doute de miser sur la défense des droits et de poursuivre les efforts de sensibilisation visant à ce que les services sociaux et judiciaires répondent adéquatement aux besoins des femmes en matière de sécurité. Les maisons d’hébergement ont d’ailleurs été très actives dans les luttes visant à défendre les droits des femmes et ont récemment fait d’importantes avancées après la publication du rapport « Rebâtir la confiance » (Gouvernement du Québec, 2020) qui a mené à la mise en place de tribunaux spécialisés en matière de violences sexuelles et conjugales et à l’implantation de bracelets électroniques pour mieux protéger les femmes. Les maisons d’hébergement ne peuvent, à elles seules, assurer la sécurité de toutes les femmes. Des mesures de sécurité accrues dans les services sociaux et judiciaires auront sans doute des effets positifs sur la reprise du pouvoir des femmes sur leur sécurité, mais cela reste à être évalué au Québec.

La seconde hypothèse relevée par l’étude est que pour favoriser l’estime de soi des femmes, leur sentiment d’auto-efficacité et de satisfaction de vie, la perception du soutien social, ainsi que réduire la détresse psychologique, des pratiques d’intervention axées sur la reprise du pouvoir des femmes sur leur sécurité seraient bénéfiques. Des pratiques favorisant la reprise du pouvoir auraient pour effet de réduire les symptômes de stress post-traumatique chez les victimes de violence conjugale (Johnson et al., 2016 ; Peres, Johnson et Wright, 2012). Par ailleurs, une alliance plus solide entre une femme et son intervenante est également associée à une réduction des symptômes de dépression et de stress post-traumatique, par l’entremise de la reprise du pouvoir des femmes sur leur sécurité (Goodman, Fauci, Sullivan, DiGiovanni et Wilson, 2016), mais d’autres études restent à être réalisées pour mieux comprendre les liens entre des pratiques axées sur la reprise du pouvoir des femmes sur leur sécurité et la détresse psychologique ou, de manière plus globale, la santé mentale des femmes victimes de violence conjugale.

Par ailleurs et à notre connaissance, aucune étude québécoise n’a cherché à évaluer quels types de pratiques d’intervention favorisent la reprise du pouvoir des femmes sur leur sécurité en contexte de violence conjugale. Les résultats obtenus dans le cadre d’études américaines révèlent que plus les pratiques d’intervention sont centrées sur les besoins des femmes (Goodman et al., 2016) ou sensibles aux traumatismes subis (trauma-informed practices) (Sullivan, Goodman, Virden, Strom et Ramirez, 2018) dans les programmes et services en matière de violence conjugale, plus les femmes reprennent du pouvoir sur leur sécurité. Une récente étude sur un échantillon de 177 femmes victimes de violence conjugale ayant reçu des services par des intervenantes formées à l’approche d’intervention centrée sur les femmes (survivor-centered) démontre qu’après une seule session, le score des sous-échelles « ressources internes » et « soutien perçu » de l’échelle de mesure MOVERS augmente significativement (Cattaneo et al., 2021). Compte tenu de l’influence de l’approche féministe dans les maisons d’hébergement pour femmes victimes de violence conjugale sur le territoire québécois, il serait plus que pertinent d’étudier l’effet de cette approche sur la reprise du pouvoir des femmes sur leur sécurité pendant un séjour et/ou dans le cadre d’un suivi externe.

La troisième hypothèse soulevée par l’étude est qu’il semble exister une relation bidirectionnelle entre la reprise du pouvoir des femmes sur leur sécurité et les variables présentées supra. La présence d’une telle relation entre ces variables ouvre la voie à une série d’interventions qui, implicitement ou explicitement, pourraient influencer positivement la reprise du pouvoir des femmes sur leur sécurité lorsqu’elles reçoivent des services en matière de violence conjugale. À titre d’exemple, il serait intéressant pour les intervenantes en maison d’hébergement de savoir que des pratiques favorisant l’estime de soi des femmes ou visant à consolider leur réseau social permettraient également d’augmenter le sentiment de reprise de pouvoir chez celles-ci. Ce type de pratique visant à rehausser l’estime de soi et à créer des réseaux de solidarité est déjà bien intégré dans l’intervention féministe québécoise (Corbeil et Marchand, 2010), mais nécessite d’être évalué de manière plus approfondie pour en connaître la portée et les retombées sur les femmes qui reçoivent des services.

Finalement et contre toute attente, les deux groupes de femmes se distinguent très peu en fonction de leur profil sociodémographique, à l’exception de deux variables socioéconomiques. D’une part, 41 % des femmes du groupe RPS faible ont déclaré un revenu de moins de 10 000 $ contre 30 % des femmes du groupe RPS élevé. D’autre part, 31 % des femmes du groupe RPS faible ont déclaré être sans emploi contre 22 % des femmes du groupe RPS élevé. Comme la situation financière des femmes victimes de violence conjugale constitue un facteur significatif dans leurs démarches pour assurer leur sécurité et reprendre du pouvoir sur leur vie (Côté et Louis Jean Esprival, 2022), ce résultat est cohérent avec la littérature dans le domaine.

Par ailleurs, si un nombre relativement plus élevé de femmes du groupe RPS faible ont subi de la violence physique de la part du conjoint comparativement aux femmes du groupe RPS élevé (74 % et 67 % respectivement), celles du groupe RPS élevé ont davantage été la cible de menaces de mort (37 % contre 18 %) et de tentative de meurtre (20 % contre 8 %). Ce résultat demeure difficile à interpréter puisque nous aurions cru que les femmes ayant été la cible de manifestations plus graves de violence auraient un RPS plus faible. Est-ce que le fait que toutes ces femmes ont reçu des services en maison d’hébergement a pu mitiger ce résultat ? Par exemple, est-ce que les pratiques des intervenantes qui visent, entre autres, à développer des scénarios de protection avec les femmes ou encore à mettre en place un filet de sécurité accru dans les situations à risque d’homicide (Riendeau, Tremblay et Messier Newman, 2022) ont des effets sur la reprise du pouvoir des femmes sur leur sécurité ? Est-ce que le simple fait d’être hébergé dans un endroit sécuritaire et confidentiel permet aux femmes de reprendre du pouvoir sur leur sécurité ? Ces questions demeurent sans réponse à cette étape-ci. Ces résultats inattendus viennent renforcer l’importance d’étudier de manière plus approfondie les pratiques d’intervention en maison d’hébergement et leurs effets sur le sentiment de reprise du pouvoir des femmes sur leur sécurité. Par ailleurs, des études permettant d’évaluer dans quelle mesure la fréquence et l’intensité de la violence du conjoint ou de l’ex-conjoint influencent la reprise du pouvoir des femmes sur leur sécurité, au-delà des manifestations de cette violence, seraient plus qu’utiles dans le champ de la violence conjugale.

Limites de l’étude

Cette étude comporte un certain nombre de limites qu’il importe de mentionner. Une première limite réside dans le fait que l’échantillon est composé exclusivement de femmes ayant bénéficié de services de maisons d’hébergement, limitant ainsi la portée des résultats de classification à cette population. Dans le même sens, puisque les intervenantes devaient offrir un texte de recrutement aux participantes potentielles, il n’est pas possible de savoir si le profil des participantes se distingue de celui des femmes qui ont été sollicitées, mais qui ont refusé de participer à l’étude. Il n’est pas non plus possible de savoir quelles femmes ont été abordées ou non par les intervenantes. Celles qui vont mieux ? Celles avec qui les intervenantes ont un meilleur lien de confiance ? Celles qui apprécient davantage les services ? Bref, ces biais potentiels de recrutement méritent d’être exposés.

Par ailleurs, puisque nous avons recruté des femmes à toutes les étapes de leur parcours (hébergement ou services externes), nous ne savons pas combien d’entre elles ont finalement décidé de quitter le conjoint violent. Il est possible que certaines participantes aient reçu des services alors qu’elles étaient encore dans l’ambivalence ou aient finalement décidé de retourner avec leur ex-conjoint violent après leur séjour en maison d’hébergement. Le processus de rupture en contexte de violence conjugale demeure fort complexe dû, entre autres, aux nombreux compromis que les femmes doivent faire pour elles et leurs enfants (Thomas, Goodman et Putnins, 2015). Il n’est donc pas possible de savoir combien de ces femmes ont quitté définitivement leur conjoint, ce qui a pu influencer leurs réponses à la sous-échelle « compromis » de l’instrument de mesure MOVERS.

En outre, moins de 10 % des femmes de l’échantillon sont nées à l’extérieur du Canada, limitant nettement les généralisations de l’étude aux femmes immigrantes. Sachant que ces femmes se butent généralement à une panoplie d’obstacles qui accentuent leur vulnérabilité en contexte de violence conjugale, encore plus lorsqu’elles sont en situation de parrainage ou lorsque leur statut migratoire est précaire (Castro Zavala, 2013), des efforts devront être déployés pour assurer leur représentativité dans des études subséquentes.

De plus, comme les données ont été récoltées à partir d’un seul temps de mesure et que la reprise du pouvoir est davantage un processus qu’un résultat (Cattaneo et Goodman, 2015), il n’est pas possible à cette étape-ci de savoir dans quelle mesure les variables abordées dans le présent article fluctuent dans le temps et en fonction des services reçus. Finalement, il est important de noter la faible cohérence interne des items de la sous-échelle compromis (α = 0,64). Dans la version originale du MOVERS (Goodman et al., 2015a), cette même sous-échelle était celle qui présentait également le plus faible niveau de cohérence interne. Cela peut s’expliquer en partie par le fait que les items qui composent cette sous-échelle sont formulés à la négative, ce qui peut affecter négativement le niveau de fidélité des items (Barnette, 2000 ; Schriesheim, Eisenbach et Hill, 1991). Il se peut également que ces questions aient été moins bien comprises par les participantes, comparativement aux questions des sous-échelles « ressources internes » et « perception du soutien », qui sont formulées de manière positive.

Conclusion

Cet article avait comme objectif de présenter les résultats d’une étude portant sur la reprise du pouvoir des femmes sur leur sécurité en contexte de violence conjugale. L’analyse de classification révèle que deux groupes de femmes se distinguent en fonction d’une série de variables mesurées dans l’étude et explicitées plus haut. Bien que les résultats présentés dans le présent article fassent émerger davantage de questions qu’ils n’apportent de réponses, ils soulèvent néanmoins des hypothèses intéressantes pour la recherche et la pratique, basées sur un échantillon significatif de 189 femmes victimes de violence conjugale ayant reçu des services en maison d’hébergement au Québec.

À la lumière des résultats présentés, force est de constater que les connaissances sont encore limitées quant au processus qui influence positivement la reprise du pouvoir des femmes sur leur sécurité pendant et après un séjour en maison d’hébergement, ainsi que sur les effets des pratiques d’intervention sur cette dimension de leur vécu. D’autres études sont nécessaires pour approfondir ce thème précis et proposer des pistes d’intervention novatrices en matière d’intervention auprès des femmes victimes de violence conjugale. C’est précisément ce sur quoi travaillera notre équipe de recherche dans le cadre de la prochaine phase de l’étude.