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Introduction

Le sadisme sexuel est une paraphilie définie par la cinquième édition du Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders (American Psychiatric Association, 2013, p. 696) comme « une excitation sexuelle intense et récurrente à partir de la souffrance physique ou psychologique d’une autre personne, qui se manifeste par des fantasmes, des pulsions ou des comportements ». Cette définition présentant un caractère relativement général ne fait pas l’objet d’un consensus malgré sa parution dans un ouvrage universel pour les praticiens. En effet, comme cela est établi par plusieurs travaux, le sadisme est un concept complexe qui se manifeste de différentes façons (Longpré, Guay, Knight et Benbouriche, 2018 ; Longpré, Guay et Knight, 2019). Ainsi, les comportements violents et humiliants sont mentionnés, la réaction de peur et de souffrance des victimes ainsi que le sentiment de pouvoir et de contrôle qui en résulte (voir par exemple Brittain, 1970 ; Dietz, Hazelwood et Warren, 1990). Cette perspective multidimensionnelle dans la définition du sadisme suggère que les fantaisies sexuelles et les manifestations qui s’ensuivent peuvent prendre différentes formes. Donc, l’hypothèse de ce constat serait que les agresseurs sadiques pourraient constituer un groupe beaucoup plus hétérogène qu’il n’y paraît.

Cependant, cette hypothèse d’hétérogénéité des manifestations du sadisme, et par analogie des fantaisies qu’elles représentent (Marshall et Kennedy, 2003 ; Nitschke, Mokros, Osterheider et Marshall, 2013), n’a jamais été formellement testée par le biais d’une classification des manifestations des fantaisies sexuelles sadiques. En fait, dans la plupart des études portant sur le sujet, les agresseurs sadiques ont été considérés comme une population homogène se distinguant d’autres catégories d’agresseurs sexuels (Brittain, 1970 ; Reale, Beauregard et Martineau, 2020 ; Warren, Hazelwood et Dietz, 1996). Très peu de recherches ont mentionné la possibilité que cette population puisse être hétérogène. Mellor (2017) a proposé une classification théorique de meurtriers sadiques sans pour autant qu’elle soit accompagnée d’une base empirique, tandis que Reale, Beauregard et Martineau (2017) ont distingué trois groupes de meurtriers sexuels en fonction de la présence ou non de sadisme (sadique, sadique mixte et non sadique) sans proposer pour autant une analyse plus approfondie du groupe incluant les individus évalués comme sadiques. Finalement, deux autres études récentes se sont intéressées à la détermination de dimensions des manifestations du sadisme, mais uniquement pour des sous-groupes particuliers d’agresseurs sexuels (c.-à-d. les adolescents et les meurtriers sexuels sadiques [Chopin et Beauregard, 2021a ; Chopin et Beauregard, 2021b]), limitant ainsi la portée de leurs conclusions.

La reconnaissance d’hétérogénéité dans la manifestation des comportements sadiques des agresseurs sexuels pourrait être notablement pertinente pour mieux comprendre la distribution latente des fantaisies sexuelles dans un échantillon d’agresseurs sexuels. En effet, l’étude des comportements s’est avérée particulièrement valide pour relever les fantaisies sadiques sous-jacentes (Longpré et al., 2019 ; Marshall et Kennedy, 2003 ; Nitschke et al., 2013). Elle pourrait permettre une approche plus spécifique aux enquêteurs et cliniciens qui sont amenés à travailler avec des individus impliqués dans des agressions sadiques.

Les manifestations du sadisme

La question des manifestations du sadisme est un sujet relativement peu traité en criminologie. La plupart des études qui se sont intéressées au sadisme dans un contexte criminel l’ont considéré comme un ensemble homogène (Brittain, 1970 ; Healey, Lussier et Beauregard, 2013 ; Reale et al., 2020). Cependant, les études qui se sont attachées à la définition et à la mesure du sadisme suggèrent que ce concept se concrétiserait de différentes manières. Longpré et al. (2019) proposent notamment une recension des principales définitions du sadisme selon six dimensions : 1) fantasmes, plaisirs ou pulsions sexuelles ; 2) cruauté, torture psychologique et/ou corporelle ; 3) humiliation ; 4) domination, contrôle et/ou servitude ; 5) ritualisme et/ou planification de l’agression ; 6) comportements sadiques des fantasmes pouvant impliquer des humains ou des animaux. Dans leur étude portant sur les adolescents sadiques, Chopin et Beauregard (2021b) ont relevé cinq expressions différentes du sadisme : 1) mutilation/comportement antisocial ; 2) mutilation/érotophonophilie ; 3) ritualisme/paraphilies multiples ; 4) violence excessive/colère ; 5) torture/troubles de la personnalité. Chopin et Beauregard (2021a) analysent les manifestations du sadisme dans un échantillon de 285 individus impliqués dans des meurtres sexuels sadiques et distinguent quatre groupes d’individus : 1) ceux qui extériorisent leur sadisme par des actes sexuels centrés sur la pénétration anale et orale ; 2) ceux qui se concentrent sur l’insertion d’objets étrangers dans les orifices de la victime ; 3) ceux qui collectionnent les trophées appartenant à la victime ; et 4) ceux qui torturent et mutilent leurs victimes. Les résultats indiquent que les caractéristiques des agresseurs et du mode opératoire varient en fonction des groupes, mais que les manifestations du sadisme ne sont pas influencées par les contraintes situationnelles. Finalement, Chopin, Beauregard et Dietz (2022) montrent que les aspects situationnels et instrumentaux ont un apport très limité dans l’explication de la létalité des crimes sadiques tandis que certaines manifestations du sadisme y sont fortement associées (p. ex. : mutilations, insertion d’objets étrangers).

Les caractéristiques des agresseurs sadiques

Un pan important de la recherche dans le domaine du sadisme s’est porté sur la détermination des caractéristiques individuelles propres aux agresseurs sadiques. Les travaux ont ainsi montré que les agresseurs sexuels sadiques présentaient plus de troubles de la personnalité (p. ex. : trouble paranoïaque, narcissique, obsessionnel compulsif, etc.) que les autres agresseurs sexuels (American Psychiatric Association, 2013 ; Darjee, 2019 ; Myers, Burket et Husted, 2006 ; Warren et al., 1996). La probabilité qu’ils présentent des problèmes d’alcoolisme et de toxicomanie est également beaucoup plus importante (Myers et al., 2006) par rapport aux agresseurs sexuels non sadiques. Les agresseurs sadiques présentent plus souvent des antécédents judiciaires, en particulier pour les infractions violentes qui ne sont pas à caractère sexuel (Dietz et al., 1990). Les individus impliqués dans les crimes sadiques ont également une propension plus importante à avoir d’autres paraphilies que le sadisme par rapport aux autres agresseurs sexuels (American Psychiatric Association, 2013 ; Brittain, 1970 ; Darjee, 2019). Les études font également état de comportements d’isolement social et de colère qui sont beaucoup plus présents que chez les autres agresseurs sexuels (Beauregard et Proulx, 2002).

Les caractéristiques du mode opératoire des agresseurs sadiques

Les agresseurs sexuels sadiques présentent une façon de préparer et de commettre leurs crimes qui se distingue des autres agresseurs sexuels (Healey et al., 2013). L’analyse de leurs comportements avant, pendant et après le crime a conduit les chercheurs à qualifier leur mode opératoire d’« organisé », pour reprendre la classification dichotomique du Federal Bureau of Investigation (FBI) « organisé/désorganisé » (Chopin et Beauregard, 2020a ; Ressler, Burgess et Douglas, 1988).

Dans un premier temps, les agresseurs sadiques démontrent une capacité de préparation et de préméditation supérieure aux autres agresseurs sexuels. Ils utilisent la plupart du temps la ruse pour aborder leurs victimes, dans des lieux qu’ils ont repérés préalablement (Warren et al., 1996). Les recherches ont montré que les agresseurs sadiques ciblent principalement des victimes qu’ils ne connaissent pas et qui présentent des vulnérabilités situationnelles, sociales, ou physiques (Beauregard et Proulx, 2002 ; Chopin et Beauregard, 2020a ; Warren et al., 1996). Ces délinquants ont plus souvent une arme avec eux, même s’ils ne l’utilisent pas nécessairement (Chopin et Beauregard, 2020b) et sont impliqués dans une plus grande variété d’actes sexuels intrusifs que les autres agresseurs sexuels (Chopin et Beauregard, 2020a ; Dietz et al., 1990 ; Gratzer et Bradford, 1995). Sans grande surprise, il a également été établi que ces agresseurs avaient plus souvent recours à des pratiques telles que l’insertion d’objets dans les orifices de la victime, de la torture, des actes d’humiliation, de mutilation (Beauregard, Chopin et Darjee, 2020 ; Beauregard et Proulx, 2002 ; Healey et al., 2013 ; Reale et al., 2017). Finalement, les études ont montré que les agresseurs sadiques utilisaient plus souvent des stratégies précises pour éviter la détection policière (Reale et al., 2017, 2020).

Objectif de l’étude

La revue de littérature nous a permis de voir qu’un nombre important d’études a cherché à distinguer les caractéristiques des agresseurs sadiques et de leur mode opératoire des autres agresseurs sexuels. Des différences majeures ont été relevées en tout point permettant indubitablement de considérer que les agresseurs sadiques sont un type particulier d’agresseurs sexuels. Cependant, la littérature portant sur le concept de sadisme réfute de plus en plus l’idée que le sadisme est un concept unidimensionnel et que les individus impliqués dans des agressions sadiques constituent un groupe homogène (Chopin et Beauregard, 2021a, 2021b ; Longpré et al., 2018 ; Mokros, Schilling, Eher et Nitschke, 2012 ; Nitschke, Osterheider et Mokros, 2009). Nous croyons dès lors qu’il est important d’explorer de façon plus approfondie la question de l’hétérogénéité de ces agresseurs, en particulier à travers leurs manifestations du sadisme et des corrélats qui y sont associés. L’identification de catégories plus précises d’agresseurs sadiques pourrait être bénéfique aux praticiens, aussi bien dans un contexte d’investigation que dans un contexte clinique. Cette étude présente ainsi plusieurs objectifs. Premièrement, elle vise à proposer une première classification empirique d’un échantillon d’agresseurs sexuels sadiques en se basant sur leurs manifestations du sadisme. Deuxièmement, elle souhaite déterminer s’il existe une association entre les manifestations du sadisme et les caractéristiques personnelles des individus. Finalement, elle vise à vérifier si les manifestations du sadisme sont associées au mode opératoire suivi par ces délinquants.

Méthodes

Données utilisées

L’échantillon adopté pour cette recherche inclut 735 cas d’agressions sexuelles sadiques issues d’un échantillon total de 4282 agressions sexuelles. Les renseignements dont nous nous sommes servis proviennent d’une base de données nationale gérée par le ministère de l’Intérieur français. Cette dernière recense des informations sur des agressions sexuelles extrafamiliales (c.-à-d. en dehors du cadre familial) qui se sont déroulées sur le territoire français entre 1990 et 2018. Les informations incluses dans cette base de données sont renseignées par une équipe d’analystes spécifiquement dévolus à cette tâche et spécialistes des questions de délinquance sexuelle violente. Ils compilent[3] des renseignements provenant de diverses sources entourant les cas d’agressions sexuelles portés à la connaissance des autorités. Pour chacun des cas, des informations relatives aux agresseurs, aux victimes et aux crimes commis sont recensées. Elles sont issues des rapports d’enquêtes, des interrogatoires policiers avec les agresseurs, des interviews avec les victimes (le cas échéant), de différents rapports d’évaluation et d’expertise qui sont fournis par les psychologues judiciaires, psychiatres, médecins légistes et experts forensiques concernés par chaque cas.

Dans le cadre de cette étude, nous avons sélectionné uniquement les cas concernant des agresseurs pour lesquels le diagnostic du sadisme sexuel était présent (c.-à-d. score de 4 et plus avec la Sexual Sadism Scale, voir ci-après). D’autre part, afin d’avoir un échantillon plus homogène, nous avons inclus uniquement les cas dans lesquels un individu masculin agressait une victime de sexe féminin[4] (Morgan, Brittain et Welch, 2012) pour les différences avec les cas dont les victimes sont de sexe masculin, avec plusieurs agresseurs ou plusieurs victimes). Les cas de délinquants sériels ont également été exclus étant donné que des différences importantes ont été constatées par rapport aux agressions non sérielles (Hewitt, Beauregard et Davies, 2016). L’échantillon utilisé compte finalement 735 cas impliquant 735 agresseurs sadiques et 735 victimes. Dans cet échantillon, 100 cas sont des homicides sexuels sadiques.

Évaluation du sadisme

L’évaluation du sadisme a été effectuée avec la Sexual Sadism Scale (SeSaS), qui a été créée par Nitschke et al. (2009). Cette échelle a été conçue pour reconnaître la présence de sadisme sexuel à partir d’un ensemble d’indicateurs comportementaux. Cet outil a été choisi car il a été démontré que ses résultats étaient très proches de ceux d’un diagnostic clinique (Gonçalves, Rossegger, Gerth, Singh et Endrass, 2020 ; Mokros et al., 2012 ; Nitschke et al., 2009). Pour établir le score dimensionnel permettant d’identifier la présence de sadisme sexuel, nous avons utilisé la première partie du SeSaS[5]. Celle-ci est divisée en 11 items, et les instructions proposées par Nitschke et al. (2009) ont été suivies pour coder[6] chacun d’entre eux. Les 11 items sont les suivants : 1) l’agresseur commet des actes de violence gratuite envers la victime et/ou la blesse (il a été codé comme présent si la quantité de violence dépassait nettement le degré de force qui aurait été nécessaire pour simplement contrôler la victime, c.-à-d. pour éviter qu’elle ne résiste ou qu’elle ne s’enfuie) ; 2) l’agresseur exerce pouvoir/contrôle/domination sur la victime ; 3) l’agresseur humilie et/ou dégrade la victime (c.-à-d. qu’il réduit la victime à une position inférieure, la rabaisse à un état bas, démuni ou démoralisé) ; 4) l’agresseur est sexuellement excité par l’acte (les informations proviennent des entretiens avec les délinquants, de la déclaration de la victime en cas d’issue non mortelle et des rapports de scène de crime indiquant des traces de comportement sexuel telles que des préservatifs usagés ou du sperme [Nitschke et al., 2009]) ; 5) l’agresseur torture la victime et/ou s’engage dans des actes de cruauté envers la victime (c.-à-d. qu’il inflige une douleur et une souffrance intenses en perçant, pinçant, tirant, mordant des parties du corps [Nitschke et al., 2009]) ; 6) l’agresseur suit un rituel pendant l’agression (c.-à-d. qu’elle a été codée comme présente si le déroulement de l’infraction suivait de toute évidence un certain type de script ou de jeu de rôle. Par exemple, la présence de costumes spéciaux ou d’un attirail inhabituel suggérant la présence d’un script ou d’un jeu de rôle [Nitschke et al., 2009]) ; 7) l’agresseur enlève et/ou séquestre la victime ; 8) l’agresseur insère des objets étrangers dans les orifices corporels de la victime (ante mortem) ; 9) l’agresseur mutile des parties sexuelles du corps de la victime (acte commis ante mortem et jamais uniquement après le décès, mais pouvant avoir conduit à la mort et s’être poursuivi après) ; 10) l’agresseur mutile des parties non sexuelles du corps de la victime (acte commis ante mortem et jamais uniquement après le décès, mais pouvant avoir conduit à la mort et s’être poursuivi après) ; 11) l’agresseur conserve des trophées de son crime (est exclu le vol d’objets appartenant à la victime dans une logique pécuniaire).

Les scores totaux peuvent aller de 0 à un maximum de 11, avec un score seuil de 4 ou plus indiquant la présence de sadisme sexuel (Nitschke et al., 2009). Dans la base de données, nous avons relevé 735 cas d’agression sexuelle sadique avec un score moyen de 4,48 [écart type = 0,78 ; intervalle 4-10]. Nous avons observé une fiabilité satisfaisante pour les items du SeSaS utilisés pour évaluer le sadisme sexuel (alpha de Cronbach = 0,84), ce qui est conforme aux études récentes ayant fait usage de cet outil (voir par exemple Gonçalves et al., 2020 ; Mokros et al., 2012 ; Oswald, Ducro, Alvarez et Pham, 2019).

Mesures

Modèle principal. Afin de proposer une classification basée sur les manifestations du sadisme, nous avons utilisé 11 variables dichotomiques (codées 0 = absence et 1= présence) correspondant aux 11 dimensions du SeSaS présentées précédemment.

Variables additionnelles. Deux ensembles de variables ont servi à tester la validité externe du modèle principal : les caractéristiques des agresseurs et celles du mode opératoire.

Caractéristiques des agresseurs. La sélection des variables est basée sur les résultats d’études précédentes suggérant que les agresseurs sadiques présentaient un certain nombre de caractéristiques spécifiques en regard des agresseurs non sadiques (Brittain, 1970 ; Dietz et al., 1990 ; Warren et al., 1996). Un total de 10 variables ont été sélectionnées afin de déterminer si ces caractéristiques varient en fonction des groupes appartenant au modèle principal : 1) âge (variable continue ; M = 30,51, E-T = 10,02, intervalle 13-73) ; 2) l’agresseur est célibataire ; 3) troubles liés à l’usage d’alcool (abus et/ou dépendance) ; 4) troubles liés à l’usage de drogues (abus et/ou dépendance) ; 5) style de vie solitaire (c.-à-d. évite les contacts sociaux avec les autres) ; 6) antécédents judiciaires ; 7) troubles de la personnalité ; 8) autres comportements paraphiliques (fétichisme, travestisme, exhibitionnisme, masochisme, voyeurisme) ; 9) dysfonctions sexuelles ; et 10) possède une collection de vidéos/photos de nature sadique.

Caractéristiques du mode opératoire. Les études précédentes ont montré que les agresseurs sadiques suivaient un mode opératoire particulier en regard des agresseurs non sadiques, notamment en matière de sélection de leurs victimes, d’actes commis pendant l’agression et des stratégies mises en oeuvre pour éviter la détection policière. Afin de voir si ces caractéristiques varient en fonction des différents groupes établis dans le modèle principal, nous avons eu recours à un total de 19 variables dichotomiques (codées 0 = absence et 1 = présence). Celles relatives à la sélection des victimes sont : 1) la victime a été précisément ciblée par l’agresseur ; 2) la victime a été abordée par la ruse ; 3) la victime était un enfant (c.-à-d. 10 ans et moins) ; 4) la victime était une personne âgée (c.-à-d. 65 ans et plus) ; 5) la victime était intoxiquée par l’alcool ; 6) la victime était intoxiquée par la drogue ; 7) la victime avait une vie sociale active ; 8) la victime était solitaire ; 9) la victime était sans domicile ; 10) la victime se prostituait. Les variables relatives aux comportements pendant le crime sont les suivantes : 11) pénétration vaginale de la victime ; 12) pénétration anale de la victime ; 13) fellation ; 14) masturbation ; 15) l’agresseur avait apporté une arme ; 16) l’agresseur a usé de violence en réponse à la résistance de la victime. Finalement, les variables utilisées pour mesurer la capacité des agresseurs à éviter la détection policière sont : 17) l’agresseur, en la menaçant, a ordonné à la victime de ne pas le dénoncer ; 18) l’agresseur a détruit des preuves du crime (p. ex. : nettoyer la scène de crime, mettre le feu à la scène de crime) ; et 19) l’agresseur a protégé son identité (p. ex. : port d’une cagoule, de gants, d’un préservatif, etc.).

Stratégie analytique

La première phase de la stratégie analytique consistait à déterminer l’hétérogénéité de la manifestation du sadisme dans notre échantillon. Pour ce faire, nous avons eu recours à une analyse en classes latentes avec le logiciel Latent Gold V6.0, à partir des 11 variables correspondant aux différents items du SeSaS. Cette analyse est une procédure statistique qui permet de certifier le caractère hétérogène d’un phénomène qui n’est pas directement observable ou mesurable. Plus précisément, elle fait ressortir des structures distinctes dans des jeux de données concernant des individus partageant des caractéristiques similaires et qui sont concernés par un phénomène commun, tel le sadisme (Collins et Lanza, 2010). Le but de cette procédure est ainsi de distinguer des classes mutuellement exclusives en se servant principalement des variables dichotomiques (Collins et Lanza, 2010). L’analyse en classes latentes est similaire à d’autres méthodes de classification (p. ex. : hiérarchique, partitionnement en k-moyennes) mais fournit des modèles plus robustes, car elle attribue, à chaque cas individuel, des probabilités d’appartenance à une classe en particulier (Lanza et al., 2007 ; Lanza et al., 2003). Nous avons aussi calculé la taille d’effet de chacune des variables (V de Cramer et oméga carré) pour déterminer leur contribution à la formation du modèle final.

Dans une seconde phase, nous avons utilisé des analyses bivariées (c.-à-d. chi2 et H de Kruskal-Wallis[7]) avec les mesures de taille d’effet (V de Cramer et oméga carré) pour tester la validité externe du modèle de classes latentes avec les variables relatives aux caractéristiques des agresseurs et du mode opératoire. Une telle procédure est relativement commune dans les recherches optant pour les analyses en classes latentes (voir par exemple Petersen et al., 2019). L’objectif de cette procédure est de voir si les différences observées dans le modèle principal de classification en classes latentes sur un nombre limité d’indicateurs se reportent sur d’autres indicateurs relatifs au phénomène étudié. Cela permet d’améliorer la compréhension globale du phénomène et sa portée générale.

L’approbation éthique pour mener cette recherche a été obtenue auprès de l’Institutional Review Board de l’Université Simon Fraser.

Résultats

Analyse en classes latentes

Afin de déterminer l’hétérogénéité des manifestations du sadisme de l’échantillon de cette recherche, nous avons recouru à 11 variables correspondant aux 11 items du SeSaS permettant de reconnaître les manifestations du sadisme. Nous avons testé des modèles comportant de 1 à 7 classes distinctes afin d’évaluer le meilleur d’entre eux. Le Tableau 1 décrit les indicateurs de qualité de ces différents modèles et il apparaît que la solution à 4 classes est la plus adéquate par rapport à l’indicateur BIC. La plus faible valeur du BIC laisse supposer que le compromis entre ajustement et parcimonie a été atteint (Schwartz, 1978). En outre, l’entropie de ce modèle est à 0,87, suggérant que les indicateurs utilisés permettent de classifier correctement les cas et que la distinction entre les 4 classes est très satisfaisante. Finalement, le test du rapport de vraisemblance ajusté Vuong-Lo-Mendell-Rubin indique que le modèle à 4 classes améliore de façon significative celui à 3 classes. Nous constatons que l’ensemble des 11 variables contribue à la structure du modèle avec des tailles d’effet allant de modérée à très forte. Seule une variable (l’agresseur enlève et/ou séquestre la victime) contribue de façon limitée à la structure du modèle.

Tableau 1

Indicateurs de qualité des modèles d’analyse en classes latentes (N = 735)

Indicateurs de qualité des modèles d’analyse en classes latentes (N = 735)

Les caractères en gras indiquent le modèle sélectionné.

BIC : critère d’information bayésien ;

AIC : critère d’information d’Akaike ;

VLMR : test du rapport de vraisemblance Vuong-Lo-Mendell-Rubin.

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Le Tableau 2 et la Figure 1 décrivent le modèle de classes latentes en quatre classes. Dans la classe 1 (32,11 % des cas, n = 236), le sadisme se manifeste par des actes de violence gratuite et/ou de blessure (1,00[8]), exerçant pouvoir/contrôle/domination sur la victime (0,64), l’humiliation et/ou la dégradation de la victime (1,00), la présence d’éléments indiquant une excitation sexuelle manifeste des actes commis (1,00). Dans la classe 2 (29,80 % des cas, n = 219), le sadisme se manifeste par des actes de violence gratuite et/ou de blessure (1,00), l’humiliation et/ou la dégradation de la victime (1,00), la présence d’éléments indiquant une excitation sexuelle manifeste des actes commis (0,76), et la présence d’actes de torture et de cruauté (1,00). Dans la classe 3 (18,78 % des cas, n = 138), le sadisme se manifeste par l’usage de pouvoir/contrôle/domination sur la victime (0,87), l’humiliation et/ou la dégradation de la victime (1,00), la présence d’éléments indiquant une excitation sexuelle manifeste des actes commis (1,00), ainsi que par la séquestration et/ou l’enlèvement des victimes. Nous observons également que la probabilité de la présence d’actes ritualistes (0,38) y est plus importante que dans les classes 1 et 2 ; il en va de même pour la conservation de trophées (0,26), pratique qui, cette fois, surpasse toutes les autres classes. Dans la classe 4 (14,83 % des cas, n = 109), le sadisme se manifeste par des actes de violence gratuite et/ou de blessure (0,67), l’humiliation et/ou la dégradation de la victime (0,91), la présence d’actes de torture et de cruauté (0,61) et l’insertion d’objets étrangers dans les orifices corporels de la victime (0,72). Nous remarquons que la probabilité de présence d’actes ritualistes (0,35) est plus importante que dans les classes 1 et 2. Nous observons également que les mutilations des parties sexuelles (0,23) et non sexuelles (0,47) sont beaucoup plus importantes que pour toutes les autres classes.

Deux covariables ont été ajoutées au modèle principal. Si ces deux variables n’ont pas servi à créer le modèle, elles permettent de mieux le qualifier et contribuent à tester la validité externe. Les résultats indiquent que les cas de la classe 4 présentent un score SeSaS moyen de 4,92, qui est significativement plus élevé que celui des autres classes (H(3) = 67,39, p < 0.001, ω2 = 0,10). Cette variable présente une taille d’effet moyenne (selon les seuils de l’oméga carrée fixés par Cohen, [1988]). Les résultats indiquent que les homicides sadiques sont nettement plus élevés dans la classe 4, où ils représentent un tiers des cas (χ2 = 55,10, p < 0,001, V de Cramer = 0,27), et que cette variable présente une taille d’effet modérée sur le modèle principal.

Tableau 2

Modèle de classification en quatre classes (N = 735)

Modèle de classification en quatre classes (N = 735)

* p ≤,05. ** p ≤,001.

1 : H de Kruskal Wallis.

2 : Oméga carré.

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Figure 1

Profil des quatre classes latentes – Probabilités moyennes des manifestations du sadisme

Profil des quatre classes latentes – Probabilités moyennes des manifestations du sadisme

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Afin de tester la validité externe du modèle de classification, nous avons eu recours à 29 variables additionnelles relatives aux caractéristiques des agresseurs et du mode opératoire qu’ils ont suivi. Les résultats montrent que 24 variables, soit 82,75 % des variables additionnelles, présentent des différences significatives entre les quatre classes du modèle général. Ce résultat suggère que le modèle de classification offre une validité externe qui peut être qualifiée de très bonne.

Le Tableau 3 présente les résultats de l’analyse de validité externe portée sur les caractéristiques des agresseurs. Les résultats indiquent que les individus de la classe 4 sont plus âgés que les individus des autres classes avec une moyenne d’âge de 35,15 ans (H(3) = 44,22, p < 0,001, ω2 = 0,07). Les individus de la classe 2 sont plus souvent célibataires (χ2 = 27,57, p < 0,001, V de Cramer = 0,19), tandis que les individus de la classe 3 présentent moins de troubles liés à l’usage de l’alcool (χ2 = 32,93, p < 0,001, V de Cramer = 0,21), de drogues (χ2 = 12,04, p = 0,007, V de Cramer = 0,13) et moins d’antécédents judiciaires (χ2 = 11,69, p = 0,0079, V de Cramer = 0,13) que les individus des autres classes. Les individus des classes 2 et 4 présentent plus de troubles de la personnalité que les individus des autres classes (χ2 = 17,31, p < 0,001, V de Cramer = 0,16), tandis que les individus de la classe 4 présentent plus souvent des comportements paraphiliques autres que le sadisme (χ2 = 40,11, p < 0,001, V de Cramer = 0,23) et possèdent plus souvent une collection de vidéos/photos de nature sadique (χ2 = 42,63, p < 0,001, V de Cramer = 0,24) que les individus des autres classes. Finalement, les individus des classes 3 et 4 présentent plus de dysfonctions sexuelles (χ2 = 11,64, p = 0,009, V de Cramer = 0,13).

Le Tableau 4 présente les résultats de l’analyse de validité externe portée sur les caractéristiques du mode opératoire. En ce qui concerne le processus de sélection des victimes, les résultats indiquent que les individus de la classe 4 ciblent plus souvent des victimes précises que ceux des autres classes (χ2 = 25,66, p < 0,001, V de Cramer = 0,19). Ces individus ciblent également plus souvent les personnes âgées (χ2 = 15,15, p = 0,002, V de Cramer = 0,14), les personnes intoxiquées par l’alcool (χ2 = 21,15, p < 0,001, V de Cramer = 0,17), les drogues (χ2 = 13,12, p = 0,004, V de Cramer = 0,13) ainsi que les celles présentant un mode de vie solitaire (χ2 = 19,26, p < 0,001, V de Cramer = 0,16) ou des personnes sans domicile fixe (χ2 = 13, 47, p = 0,004, V de Cramer = 0,14) que les individus des autres classes. Finalement, les individus de la classe 3 ciblent moins souvent des personnes qui se prostituent (χ2 = 10,47, p = 0,015, V de Cramer = 0,12) que les individus des autres classes. Concernant les comportements des individus durant l’agression, les délinquants de la classe 1 commettent plus souvent une pénétration vaginale de leurs victimes que ceux des autres classes (χ2 = 34,60, p < 0,001, V de Cramer = 0,22), tandis que les individus de la classe 4 commettent plus souvent des pénétrations anales que ceux des autres classes (χ2 = 11,26, p = 0,010, V de Cramer = 0,13). Les individus de la classe 2 forcent plus souvent leurs victimes à pratiquer une fellation (χ2 = 22,06, p < 0,001, V de Cramer = 0,17) tandis que les individus de la classe 3 se masturbent plus souvent que les individus des autres classes (χ2 = 44,45, p < 0,001, V de Cramer = 0,225). Les individus de la classe 2 prennent moins souvent une arme avec eux pour commettre leur crime (χ2 = 20,40, p < 0,001, V de Cramer = 0,17), tandis que les individus de la classe 3 usent moins souvent de violence physique pour contrôler la résistance de leur victime (χ2 = 37,49, p < 0,001, V de Cramer = 0,23) que les individus des autres classes. Concernant la capacité des individus à éviter la détection policière, les individus de la classe 4 ordonnent, en les menaçant, moins souvent à leurs victimes de ne pas les dénoncer (χ2 = 18,41, p < 0,001, V de Cramer = 0,16) et protègent moins souvent leur identité (χ2 = 33,34, p < 0,001, V de Cramer = 0,21) que les individus des autres classes.

Tableau 3

Analyse de la validité externe du modèle en quatre classes, basée sur les caractéristiques des agresseurs (N = 735)

Analyse de la validité externe du modèle en quatre classes, basée sur les caractéristiques des agresseurs (N = 735)

** p ≤,01. *** p ≤,001.

Comparaisons par paires : chaque lettre en indice dénote un sous-ensemble du modèle à 4 classes dont les proportions des colonnes ne diffèrent pas significativement les unes des autres au niveau de 0,05.

a : H de Kruskal Wallis.

b : Oméga carré.

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Tableau 4

Analyse de la validité externe du modèle en quatre classes, basée sur les caractéristiques du mode opératoire (N = 735)

Analyse de la validité externe du modèle en quatre classes, basée sur les caractéristiques du mode opératoire (N = 735)

Notes. * p ≤,05. ** p ≤,01. *** p ≤,001.

Comparaisons par paires : chaque lettre en indice dénote un sous-ensemble du modèle à 4 classes dont les proportions des colonnes ne diffèrent pas significativement les unes des autres au niveau de 0,05.

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Discussion

L’objectif principal de cette étude consiste à déterminer si les agresseurs sexuels sadiques constituent un ensemble hétérogène, et ce, en se basant sur leurs manifestations propres au sadisme, et si ces manifestations sont associées à des caractéristiques individuelles et un mode opératoire particulier.

Vers une nouvelle typologie empirique des agresseurs sadiques

Les quatre classes d’agresseurs qui ont été déterminées présentent des schémas de manifestation des comportements sadiques distincts : le sadique violent, le sadique tortionnaire, le sadique dominateur et le sadique mutilateur.

Le sadique violent. Cette catégorie est la plus prévalente et les individus qui en font partie sont principalement caractérisés par la commission d’actes de violence gratuite et l’infliction de blessures. Bien que cette manifestation du sadisme soit également observée chez d’autres classes d’agresseurs sadiques, elle concerne ici l’ensemble des délinquants de cette catégorie. Cependant, aucun des agresseurs de celle-ci ne s’engage dans des actes de torture ou de cruauté envers la victime. Ils sont exclusivement centrés sur la violence et cette catégorie ressemble à celle de violence extrême/colère déterminée par Chopin et Beauregard (2021b) chez les adolescents impliqués dans des crimes sadiques. Marshall et Kennedy (2003) notent d’ailleurs que la violence gratuite dans les crimes sadiques est souvent l’expression d’une colère expressive et déplacée (par exemple colère envers la mère de l’agresseur, déplacée vers une autre victime [Myers, 2002]). Cette catégorie d’agresseurs présente un profil avec des caractéristiques antisociales puisqu’une partie des délinquants ont des problèmes d’alcool, de toxicomanie de même que des antécédents judiciaires, ce qui est en accord avec les études précédentes (Berger, Berner, Bolterauer, Gutierrez et Berger, 1999 ; Myers et al., 2006). Malgré l’absence de détails sur les délits passés, nous pourrions faire l’hypothèse qu’il s’agit d’agressions violentes (p. ex. : agression interpersonnelle, vol à main armée), comme cela est mentionné par DeLisi et al. (2017). En termes de mode opératoire, il est intéressant d’observer que ces agresseurs ne ciblent pas des personnes particulièrement vulnérables autres que celles impliquées dans la prostitution comme victimes potentielles. Nous pourrions ainsi émettre l’hypothèse que ces agresseurs se trouvent dans un processus d’opportunisme prémédité à la recherche de vulnérabilités situationnelles (Rossmo, 2000) plutôt que d’une victime en particulier. Lorsque le décès de la victime intervient, il pourrait s’expliquer par des motifs situationnels (p. ex. : usage excessif de la violence entraînant la mort) ou instrumentaux (p. ex. : éviter la détection policière) (Mieczkowski et Beauregard, 2010). D’ailleurs, nous constatons que ces agresseurs portent une attention particulière à menacer leurs victimes et à protéger leur identité, ce qui pourrait confirmer l’absence d’intention initiale de les tuer.

Le sadique tortionnaire. Les individus de cette catégorie sont tout particulièrement concernés par la commission d’actes de torture et de cruautés envers les victimes (p. ex. percer et/ou pincer les parties sexuelles du corps, utiliser des objets pour fouetter, etc.) sans pour autant commettre d’actes de mutilation. La torture est un élément central du concept de sadisme et a pour objectif de créer aussi bien la peur que la souffrance chez la victime (Dietz et al., 1990 ; Warren et al., 1996). Le profil des agresseurs de cette catégorie est relativement proche de la catégorie des sadiques violents avec une moyenne d’âge plus basse que celle des autres groupes et une propension similaire à présenter des problèmes d’alcool, de drogue, de même que des antécédents criminels (Berger et al., 1999). En outre, chez plus d’un tiers d’entre eux, on rencontre des troubles de la personnalité et une comorbidité qui avait été trouvée précédemment (Chopin et Beauregard, 2021b ; Lord et Perkins, 2014). De la même manière que les sadiques violents, les individus de cette catégorie semblent privilégier la préméditation opportuniste plutôt qu’un type de victime en particulier, bien qu’ils fassent partie des délinquants ciblant plus souvent les prostituées. Nous remarquons également qu’ils forcent plus souvent leurs victimes à leur faire une fellation. Dans un contexte de sadisme, il a été mentionné que cette pratique sexuelle avait pour objectif de dégrader et d’humilier les victimes (Dietz et al., 1990 ; Gratzer et Bradford, 1995). Finalement, l’usage de stratégies pour éviter d’être dénoncés et identifiés pourrait également suggérer que le décès de la victime ne faisait pas partie du processus déviant.

Le sadique dominateur. Les individus de cette catégorie présentent un schéma de manifestations sadiques bien particulier. Ils sont particulièrement associés à l’exercice de pouvoir/contrôle/domination sur leur victime tout en ne commettant aucune violence ni aucune blessure gratuite. La domination dans un contexte sadique a pour objectif la soumission ultime et totale d’une autre personne, allant même jusqu’à sa dépersonnalisation afin d’en avoir le contrôle complet (Dietz et al., 1990). Cette idée de domination est renforcée par le fait que, dans la majorité des cas, elle s’exerce dans un contexte d’enlèvement et de séquestration, renforçant ainsi le schéma de sujétion de la victime à son agresseur. Ainsi, nous observons que les sadiques dominateurs ont plutôt tendance à présenter nettement moins de facteurs de risque individuels que les autres catégories d’agresseurs, à l’exception de dysfonctions sexuelles. Cet aspect pourrait souligner l’incapacité de ces agresseurs à trouver de l’excitation sexuelle en dehors des fantaisies de domination (Proulx, McKibben et Lusignan, 1996). Cette hypothèse est renforcée par le fait qu’il s’agit de la catégorie d’agresseurs où on compte le plus de célibataires. De plus, ces individus présentant le plus haut taux de masturbation durant l’agression, ce qui pourrait être interprété comme une manifestation sexuelle d’autosatisfaction liée au contexte de domination. La présence d’une arme n’est pas surprenante, elle contribue probablement à asseoir la domination de l’individu sur sa victime.

Le sadique mutilateur. Les individus de cette catégorie d’agresseurs présentent la particularité de pratiquer l’insertion d’objets dans les orifices de leurs victimes, ainsi que de commettre des actes de mutilation de leurs parties sexuelles et non sexuelles. En outre, ce qui caractérise les sadiques mutilateurs par rapport aux autres agresseurs réside dans le taux de décès des victimes. Prêt d’un tiers de ces individus ont tué leurs victimes durant l’agression. L’insertion d’objets dans les orifices de la victime est considérée comme un comportement sadique visant à torturer les parties génitales et la région anale des victimes de façon intense et sévère (Beauregard et al., 2020 ; Dietz et al., 1990). Par ailleurs, les mutilations des parties sexuelles et non sexuelles consistant en l’ablation irréparable d’une petite partie du corps par quelque moyen que ce soit (Petreca et al., 2020) conduisent à l’infliction de blessures et de douleurs extrêmes, source principale d’excitation de ces agresseurs sadiques (Byard, 2017 ; Dietz et al., 1990). L’association entre ces manifestations extrêmes du sadisme avec le décès des victimes a été mentionnée précédemment, en particulier dans les cas où des mutilations ante mortem ont été commises. L’insertion d’objets dans les orifices de la victime a également été associée à l’érotophonophilie (c.-à-d. l’excitation sexuelle liée à la mort de la victime [Beauregard et al., 2020 ; Chopin et al., 2022]) dans une moindre mesure. Comme cela est décrit par Chopin et al. (2022), la différence entre les crimes létaux et non létaux commis par les sadiques mutilateurs pourrait être expliquée en grande partie par la présence de mutilations sexuelles et non sexuelles (c.-à-d. en plus de l’insertion d’objets dans les orifices de la victime) impliquant des blessures graves et conduisant à l’agonie puis au décès des victimes. Il pourrait s’agir d’un indicateur de sévérité des fantasmes sadiques et de la présence d’érotophonophilie. Les sadiques mutilateurs présentent un ensemble de caractéristiques individuelles qui sont plus prévalentes que celles observées chez les autres groupes d’agresseurs. Au-delà des comportements antisociaux également constatés parmi les sadiques violents et les sadiques tortionnaires, ces individus présentent une prévalence supérieure en termes de troubles de la personnalité, de comportements paraphiliques autres que le sadisme et de dysfonctions sexuelles. Cette association entre le sadisme et les comorbidités individuelles a été discutée à plusieurs reprises, en particulier dans un contexte d’homicide sexuel (Arrigo et Purcell, 2001 ; Darjee, 2019). En outre, ces agresseurs sont plus nombreux à collectionner des contenus (vidéos/photos) à caractère sadique. Cet aspect a également été observé précédemment et pourrait servir de vecteur pour attiser les fantaisies sexuelles déviantes (Arrigo et Purcell, 2001). Ces agresseurs ciblent beaucoup plus souvent un type précis de victime, qui pourrait répondre à un besoin associé à d’autres paraphilies et en particulier des victimes présentant des vulnérabilités physiques (Beauregard et Proulx, 2002 ; Chopin et Beauregard, 2020a ; Warren et al., 1996). Ils commettent plus souvent des pénétrations anales, traduisant dans un contexte de sadisme une volonté de dégrader, de contrôler et d’humilier leurs victimes (Dietz et al., 1990 ; Gratzer et Bradford, 1995). Finalement, ces agresseurs utilisent moins souvent des stratégies pour éviter d’être dénoncés et reconnus. Cela pourrait être le signe qu’au moins une partie d’entre eux ont prémédité la mort de leur victime dans le cadre du processus sadique, et qu’ils se soucient par conséquent moins des conséquences d’une dénonciation.

Limitations

Malgré des résultats novateurs, cette étude n’est pas sans limitation. Premièrement, le sadisme a été évalué uniquement à partir du SeSaS et n’a pas fait l’objet d’une évaluation clinique pour confirmer le diagnostic. Bien que le SeSaS soit reconnu comme un outil particulièrement fiable, nous ne pouvons affirmer l’absence de cas de faux positifs ou de vrais négatifs. Deuxièmement, cette étude est basée sur l’utilisation de données officielles et concerne, par définition, uniquement les cas rapportés aux autorités. Il nous est impossible d’exclure que les cas n’ayant jamais été déclarés présentent des schémas différents. De plus, les cas traités ici sont survenus dans un contexte non sériel et extrafamilial, ce qui restreint la portée de ces résultats aux non sériels et/ou survenus dans un contexte intrafamilial. Troisièmement, plusieurs études ont montré la forte relation entre sadisme et psychopathie, qui n’est cependant pas incluse dans les variables testées dans cette étude (Darjee, 2019).

Finalement, l’utilisation de données secondaires pour cette recherche limite la précision de certaines informations considérées notamment comme covariables (Dionne et Fleuret, 2016).

Conclusion

Cette étude visait à déterminer si les agresseurs sexuels sadiques constituaient un ensemble hétérogène en fonction de leurs manifestations du sadisme et si ces dernières étaient associées avec des caractéristiques individuelles et un mode opératoire particulier. Les résultats ont indiqué que les individus de notre échantillon présentaient quatre schémas de manifestations du sadisme différents : le sadique violent, le sadique tortionnaire, le sadique dominateur et le sadique mutilateur. D’ailleurs, l’analyse des corrélats a permis de montrer qu’il existait une association entre les différentes manifestations du sadisme, les caractéristiques individuelles et le mode opératoire suivi par les individus.

Les résultats de cette étude présentent des implications sérieuses. Premièrement, ils viennent conforter l’idée que le sadisme n’est pas un concept binaire et que les agresseurs sadiques ne constituent pas un groupe d’individus hétérogène. Étant donné les différences que nous avons observées, il serait probablement plus opportun de prendre en compte la diversité des profils dans les recherches à venir, comme cela est le cas pour les meurtriers sexuels. Deuxièmement, dans une perspective d’investigation criminelle, il s’avère nécessaire, pour les enquêteurs qui traitent de la commission d’un crime sadique, de considérer que le mode opératoire pourrait varier en fonction des manifestations sadiques et les individus présenter des profils distincts. Ces informations sont importantes lorsque vient le temps d’élaborer des hypothèses de recherche et de reconstitution des évènements ainsi que lors de la priorisation des suspects. La diversité des profils peut également être un élément à prendre en compte au cours des interrogatoires avec les agresseurs puisque tous ne souffrent pas des mêmes maux et que leurs caractéristiques individuelles pourraient impacter leur attitude en fonction de l’approche des enquêteurs à ce moment-là. Finalement, les résultats de notre étude suggèrent des implications dans le domaine clinique. La prise en charge et le traitement des agresseurs sexuels devraient se faire sur les bases de programmes visant les caractéristiques de chaque agresseur pour augmenter leur efficacité (Beech, Oliver, Fisher et Beckett, 2005). Dans le contexte des adultes présentant des intérêts sexuels déviants, les programmes combinant les méthodes de thérapie cognitivo-comportementale et pharmacologique semblent être parmi les plus efficaces (Beech et Harkins, 2012). La TCC appliquée aux individus impliqués dans des crimes sadiques consiste à contrôler les fantaisies et comportements sadiques. Il serait donc profitable, dans cette perspective, que les cliniciens envisagent des interventions axées sur les manifestations particulières du sadisme de chacun des individus et les leur proposent. Nos résultats montrent en effet que tous ne sont pas animés par les mêmes fantaisies et qu’il est important que les cliniciens apprennent aux individus à reconnaître leurs distorsions cognitives et à utiliser les stratégies appropriées pour les contrôler (Beech et Harkins, 2012).

Les études futures devraient tester la validité de cette classification en utilisant des données provenant d’autres pays et d’autres sources. L’objectif consisterait à tester la stabilité des schémas de manifestations du sadisme. Ces études devraient également mettre de l’avant une recherche plus approfondie des facteurs individuels afin d’obtenir des résultats plus précis qui s’avéreraient utiles aux praticiens. Plus précisément, les différentes classes pourraient être croisées avec des données sur la psychopathie et les différents troubles psychologiques connus pour avoir une comorbidité avec le sadisme.