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Introduction

La notion de gravité occupe une place de choix dans plusieurs champs de la criminologie : la prédiction de la récidive (Bonta et al., 1998 ; Cottle et al., 2001), l’étude des carrières criminelles (Piquero et al., 2003) et la réduction des méfaits (Quirion, 2002) en sont des exemples. Jusqu’à récemment, la gravité de la criminalité enregistrée par la police n’était mentionnée qu’au passage, comme explication ad hoc des variations observées (O’Brien, 1996, 2003). Pourtant, l’idée d’analyser la gravité des crimes en plus de la fréquence n’est pas nouvelle (Wolfgang et al., 1985). Le présent article vise à démontrer que la gravité mérite d’être analysée puisqu’elle améliore la compréhension des statistiques criminelles.

Les données compilées par les services de police sont la principale source d’information sur la criminalité au Canada. Les limites qu’elles comportent sont bien connues et ont fait l’objet de plusieurs commentaires (Skogan, 1974 ; MacDonald, 2002 ; Aebi, 2006). Les données officielles de la police comportent un avantage considérable qui est abondamment exploité par les médias, les services de police et autres observateurs de la criminalité : elles sont compilées de façon similaire presque partout dans le monde, ce qui facilite les comparaisons. Par exemple, Statistique Canada analyse les données policières du programme de Déclaration uniforme de la criminalité (DUC) et publie un rapport annuel intitulé Statistiques sur les crimes déclarés par la police au Canada. L’évolution temporelle de la criminalité y est présentée, de même que l’analyse comparative des provinces, territoires et grandes villes du pays, pour plusieurs types de crimes. Ces analyses sont abondamment utilisées pour décrire la situation criminelle au Canada et plusieurs médias les citent pour identifier les villes les plus dangereuses ou sécuritaires.

Les statistiques policières de la criminalité sont généralement analysées sous forme de taux plutôt que de volume, puisqu’il semble évident que la criminalité est fortement associée à la population (Chamlin & Cochran, 2004). Par exemple, le nombre d’infractions enregistrées est plus élevé à Toronto (117 670 en 2010) qu’à Saint-Hyacinthe (3710), mais les deux villes ont un taux de criminalité par habitant similaire (43,3 infractions criminelles par 1000 habitants pour Toronto vs 44,8 pour Saint-Hyacinthe). Autrement dit, à population constante, les villes de Toronto et de Saint-Hyacinthe sont apparemment aussi dangereuses l’une que l’autre.

Formule mathématique du taux de criminalité

Toutefois, différents problèmes liés à l’utilisation du taux de criminalité traditionnel ont été identifiés dans la littérature (Andresen et al., 2003 ; Andresen, 2006). Entre autres, le fait que toutes les infractions aient une valeur égale pose problème. Supposons deux villes ayant la même population : au cours d’une année donnée, la ville A a enregistré un total de 100 infractions, dont 80 vols sans violence, tandis que la ville B a aussi enregistré 100 infractions, dont 80 homicides et tentatives de meurtre. Les deux villes ont le même taux de criminalité, mais les observateurs avisés n’hésiteront pas à conclure que la ville B est la plus dangereuse pour la simple raison que les crimes qui y sont enregistrés sont plus graves. Pour bien rendre compte de la réalité, il faut tenir compte non seulement du volume de la criminalité, mais aussi de la gravité des infractions.

L’Indice de gravité de la criminalité de Statistique Canada

Statistique Canada a récemment développé un indicateur visant à tenir compte du problème de la gravité relative des infractions enregistrées par la police. L’Indice de gravité de la criminalité (IGC) a fait son apparition dans le rapport sur la criminalité enregistrée par la police en 2008, rapport publié au printemps 2009 (Wallace, 2009). Dans ce rapport, l’IGC est présenté comme une façon de « permettre aux Canadiens de suivre les variations annuelles de la gravité des crimes déclarés par la police » et de répondre à des questions comme « Les crimes déclarés par la police dans une ville ou une province donnée sont-ils plus graves ou moins graves que les crimes pour l’ensemble du Canada ? » (Wallace, 2009 : 6). Depuis, l’IGC a remplacé le taux de criminalité pour décrire l’évolution globale de la criminalité, mais le taux est encore utilisé pour suivre les variations de types de crimes spécifiques (Dauvergne & Turner, 2010 ; Brennan & Dauvergne, 2011 ; Brennan, 2012).

L’IGC est une mesure alternative proposée pour compléter la description de la criminalité basée sur le taux traditionnel. La proposition est intéressante : elle pourrait permettre des affirmations telles que « non seulement le volume de crimes déclarés par la police au Canada [mesuré par le taux] a-t-il fléchi en 2008 par rapport à l’année précédente, mais les crimes étaient aussi de nature moins grave [mesuré par l’IGC] » (Wallace, 2009 : 6). Toutefois, lorsqu’on y regarde de plus près, l’IGC ne tient pas compte uniquement de la gravité des infractions, mais aussi du volume de criminalité. Le calcul de l’IGC comporte deux opérations. D’abord, 1) le calcul d’un taux pondéré de criminalité, puis 2) la normalisation par rapport à une valeur de référence.

Formule mathématique de l’indice de gravité

La pondération consiste à attribuer une valeur plus élevée aux infractions plus graves. Le défi de la pondération est de déterminer le poids associé à chaque infraction. Les concepteurs de l’IGC reconnaissent que l’établissement des poids a fait l’objet de discussions et de débats (Babyak et al., 2009). Il fallait déterminer un poids propre à chaque infraction qui soit applicable à l’ensemble du Canada, sans complexifier l’exercice à outrance. Il fallait de plus que la mesure de la gravité des infractions soit la plus objective possible, ce qui peut être difficile car la notion de gravité fait appel au jugement et aux valeurs des individus (Wolfgang et al., 1985 ; Parton et al., 1991). Les concepteurs ont finalement opté pour une mesure basée sur deux dimensions associées aux condamnations judiciaires : le taux d’incarcération et la durée moyenne des peines attribuées. Il a été postulé que les jugements rendus par les cours de justice reflétaient les valeurs de la société canadienne. Autrement dit, 1) que les auteurs d’infractions graves seront condamnés à une peine d’emprisonnement (« placement sous garde ») et 2) que plus l’infraction est grave, plus la peine est longue. Selon cette méthode, un meurtre au premier degré vaut 7042, mille fois plus qu’une infraction de possession de cannabis (valeur de 7). Cette façon de faire comporte des limites (Goupil, 2011), mais il s’agit d’une estimation basée sur le jugement d’experts dont les décisions sont l’aboutissement du système judiciaire canadien. Ainsi, on reconnaît l’importance des infractions rares mais graves, tout en diminuant l’influence des infractions à haut volume, qui ont souvent des répercussions de moindre envergure (Babyak et al., 2009). Les valeurs obtenues sont additionnées et la somme de ces valeurs est divisée par la population d’un endroit. La résultante est un taux pondéré par la gravité des infractions enregistrées.

L’opération de normalisation vise à simplifier la lecture de l’IGC et à faciliter les comparaisons. Elle consiste à comparer une valeur à la valeur de référence q déterminée au préalable – dans ce cas-ci, la valeur pour l’ensemble du Canada en 2006. L’utilité de cette opération est discutable. D’abord, la valeur de référence a été déterminée de façon aléatoire : aucune considération empirique ou théorique ne distingue l’année 2006 des années précédentes ou subséquentes. Ensuite, la normalisation n’a ici pas d’utilité méthodologique comme telle : on obtient une valeur près de 100, plutôt qu’un chiffre entre 0 et 2. Multiplier un ensemble de valeurs par une constante n’a pour effet que de changer ces valeurs, sans modifier les écarts entre les valeurs. Autrement dit, d’un point de vue mathématique, l’opération de normalisation qui fait partie du calcul de l’IGC peut être retranchée du calcul sans conséquence fondamentale.

En fait, les calculs effectués pour obtenir le taux de criminalité et l’IGC sont très semblables. Le taux de criminalité est la somme des infractions divisée par la population résidente. Lorsqu’on retranche l’opération superflue de normalisation, l’IGC est la somme pondérée des infractions divisée par la population résidente. Ainsi, contrairement aux prétentions de Statistique Canada, l’IGC n’est pas une mesure de la gravité des infractions, mais un taux de criminalité pondéré en fonction de la gravité des infractions enregistrées. La mesure permet de tenir compte de la gravité des infractions, sans donner une valeur à la gravité relative des infractions. Un IGC élevé peut indiquer que le volume de criminalité est élevé, que les infractions enregistrées sont graves, ou les deux. L’utilité réelle du nouvel indicateur est discutable et dans la plupart des cas, le taux traditionnel et l’IGC peuvent être utilisés de façon interchangeable (Goupil, 2011).

Une mesure de la gravité moyenne des infractions

L’IGC est toutefois basé sur un problème réel : un indicateur de la gravité moyenne des crimes enregistrés permettrait une meilleure compréhension des statistiques officielles. Indépendamment du volume de criminalité, les crimes enregistrés à Saint-Hyacinthe (Qc) sont-ils plus ou moins graves qu’à Toronto (Ont.) ? Les crimes enregistrés en 2010 étaient-ils moins graves qu’en 1983 ? L’objectif de cet article est de proposer un nouvel indicateur destiné à mesurer uniquement la gravité des infractions enregistrées par la police. Ce nouvel indicateur, provisoirement nommé « mesure de la gravité moyenne des infractions », utilise la pondération proposée par Statistique Canada pour calculer une valeur unique représentant la gravité moyenne de l’ensemble des infractions commises à un endroit au cours d’une année. La mesure tient compte du volume d’infractions enregistré, sans être une variante du taux de criminalité traditionnel. La pertinence de la mesure repose sur l’idée que la situation criminelle d’un endroit est fonction du volume et de la gravité de criminalité.

Le calcul de la mesure de la gravité moyenne des infractions criminelles enregistrées par la police est simple : il s’agit de la somme pondérée des infractions divisée par la somme des infractions. C’est un ratio qui contrôle pour le volume de criminalité, mais dont la valeur n’est pas affectée par le volume, puisque les variations influencent à la fois le numérateur et le dénominateur. Cet indicateur est facile à interpréter : plus la valeur est élevée, plus les infractions enregistrées sont graves.

Formule mathématique de la mesure de gravité moyenne

Source de données

Les statistiques qui suivent visent à illustrer les contributions de la mesure de gravité moyenne en matière d’analyse comparative spatiale et temporelle. Elles sont basées sur les données compilées et diffusées par Statistique Canada dans le cadre du programme de la DUC. Les trois indicateurs (taux, IGC et mesure de gravité moyenne) ont été calculés en prenant en compte uniquement les infractions pour lesquelles le poids a été divulgué par Statistique Canada (Statistique Canada, 2009), ce qui comprend les infractions criminelles les plus courantes pour un total de 88,4 % de l’ensemble des infractions enregistrées par la police. L’analyse temporelle porte sur la période 1983-2010 afin d’avoir les données les plus comparables possible. En 1983, le Code criminel canadien a été réformé de façon importante, notamment en matière d’agression sexuelle ; les données antérieures à la réforme ont donc été exclues de façon à faciliter les comparaisons. Les analyses spatiales portent sur l’année 2010.

L’ensemble des données disponibles ont été utilisées pour la comparaison entre provinces, mais l’analyse plus spécifique se limite aux villes de plus de 50 000 habitants. La criminalité est un phénomène rare ; les statistiques des petites villes peuvent être considérablement influencées par des variations temporaires de la criminalité (ex. : série de cambriolages). Le volume de criminalité des villes de plus de 50 000 habitants (n = 104) est suffisamment élevé pour que les analyses soient peu influencées par les petits nombres.

Le taux de criminalité « traditionnel » est comparé à la mesure proposée de gravité moyenne des infractions. L’IGC développé par Statistique Canada n’est pas analysé dans le détail en raison de sa forte corrélation temporelle et spatiale avec le taux de criminalité : l’IGC et le taux de criminalité sont pratiquement deux mesures d’un même concept (Goupil, 2011). Selon nos calculs, la corrélation entre l’IGC et le taux de criminalité des villes de plus de 50 000 habitants pour l’année 2010 est presque parfaite ; la mesure proposée est plus faiblement corrélée au taux de criminalité et à l’IGC, ce qui suggère qu’elle mesure une autre dimension de la criminalité (tableau 1).

Tableau 1

Corrélations non paramétriques (rho de Spearman) entre le taux de criminalité, l’IGC et la mesure de gravité relative (Canada, villes de plus de 50 000 habitants [n = 104], année 2010)

Corrélations non paramétriques (rho de Spearman) entre le taux de criminalité, l’IGC et la mesure de gravité relative (Canada, villes de plus de 50 000 habitants [n = 104], année 2010)

** p < 0,01

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L’évolution de la criminalité

La figure 1 présente l’évolution du taux de criminalité (par 100 000 habitants) et la mesure de gravité moyenne des infractions criminelles enregistrées par la police. Plusieurs analystes ont tenté d’expliquer les tendances de la criminalité (Levitt, 2004 ; Blumstein & Wallman, 2006 ; Zimring, 2007). Recenser l’abondante littérature sur le sujet va au-delà des ambitions de cet article ; nous limiterons nos commentaires au fait que deux mouvements généraux ont été observés au Canada et ailleurs, soit une légère hausse jusqu’au début des années 1990, puis une baisse plus prononcée au moins jusqu’à 2010 (Bunge et al., 2005 ; Brennan, 2012). Il est à noter que la baisse du taux de criminalité s’explique en partie par le vieillissement de la population : les personnes plus âgées, qui sont rarement impliquées dans la criminalité, sont de plus en plus nombreuses, ce qui influence le dénominateur (la population) et diminue par conséquent le taux de criminalité. Le volume de criminalité (le numérateur) a aussi diminué, mais la baisse est moins prononcée (-10 %) (Ouimet & Blais, 2002).

Figure 1

Évolution du taux de criminalité (par 100 000 habitants) et de la mesure de gravité moyenne des infractions enregistrées au Canada de 1983 à 2010

Évolution du taux de criminalité (par 100 000 habitants) et de la mesure de gravité moyenne des infractions enregistrées au Canada de 1983 à 2010
Source : Centre canadien de la statistique juridique (Statistique Canada), 1983-2010, calculs de l’auteur

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La mesure de gravité moyenne des infractions enregistrées ne suit pas la même évolution que le taux de criminalité. Elle est en baisse du début à la fin de la série, ce qui indique que les infractions enregistrées par la police en 2010 étaient globalement moins graves que celles enregistrées en 1983. L’évolution de la mesure indique aussi que le volume et la gravité de la criminalité sont deux concepts différents qui requièrent des mesures indépendantes – ce que n’offre pas l’Indice de gravité de la criminalité proposé par Statistique Canada. La baisse de la mesure de gravité relative est d’environ 25 %, comparativement à une baisse de 33 % du taux de criminalité entre 1983 et 2010. Autrement dit, la figure 1 permet de conclure qu’au Canada non seulement la criminalité est de moins en moins fréquente depuis les années 1990 mais qu’en plus, les infractions enregistrées par la police sont moins graves qu’avant, une tendance observée à plus long terme.

Variations spatiales de la gravité de la criminalité

Chaque année, les données du programme de la DUC indiquent que les provinces de l’ouest et les territoires du Canada ont un taux de criminalité plus élevé que les provinces de l’est (Brennan, 2012). L’IGC suggère aussi que la criminalité enregistrée serait plus grave dans l’ouest. Par contre, le classement basé sur la mesure de gravité moyenne ne permet pas d’arriver aux mêmes conclusions. D’abord, des provinces de l’est occupent quatre des six premiers rangs (Québec, Ontario, Nouvelle-Écosse, Nouveau-Brunswick). Ensuite, les deux indicateurs ne varient pas ensemble. Un taux de criminalité élevé ne signifie pas nécessairement que les crimes enregistrés par la police sont graves. À titre d’exemple, la province de Québec se classe au deuxième rang pour ce qui est du plus faible taux de criminalité, mais a la mesure de gravité moyenne la plus élevée, une augmentation de 11 rangs. À l’inverse, les Territoires du Nord-Ouest sont loin devant pour le taux de criminalité, mais bons derniers pour la mesure de gravité moyenne, une diminution de 12 rangs.

Quelle est la province ou quel est le territoire le plus dangereux ? Si on se base uniquement sur le taux de criminalité, il s’agit des Territoires du Nord-Ouest, qui se distinguent particulièrement sur le plan du taux de crimes contre les biens. Toutefois, le Québec présente la mesure de gravité relative la plus élevée – les crimes qui y sont enregistrés sont plus graves qu’ailleurs. En combinant les deux indicateurs, l’Alberta, qui se situe dans le haut du classement pour les deux indicateurs, vient en tête des provinces et territoires les plus dangereux et les Territoires du Nord-Ouest glissent au 6e rang. La mesure de gravité moyenne offre une mesure globale de la gravité des crimes qui tient compte de tous les types d’infractions criminelles, alors que le taux de criminalité – et dans une moindre mesure l’IGC – est plus influencé par les crimes de gravité relativement faible mais à volume élevé.

Tableau 2

Taux de criminalité (/1000 habitants) et mesure de gravité moyenne par province canadienne, en 2010

Taux de criminalité (/1000 habitants) et mesure de gravité moyenne par province canadienne, en 2010
*

L’écart entre les rangs est calculé en soustrayant le rang pour la mesure de gravité du rang pour le taux de criminalité. Un écart positif signifie que la province obtient un score plus élevé pour la mesure de gravité que pour le taux de criminalité, en comparaison des autres provinces et territoires, et vice versa.

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Des constats similaires peuvent être faits en ce qui concerne les villes (voir annexe 1). Il peut paraître étrange de ne pas retrouver les grandes villes canadiennes (Montréal, Toronto, etc.) parmi les plus dangereuses. La fréquence avec laquelle les médias relatent des crimes commis dans les grandes villes alimente la croyance populaire que les grandes villes sont plus dangereuses que les petites. Pourtant, année après année, cette croyance n’est pas appuyée par les statistiques criminelles, puisque les grandes villes ont un taux de criminalité relativement faible (la plus grande ville canadienne, Toronto, a même un taux inférieur à la médiane). La corrélation entre le taux de criminalité et la taille de la population est d’ailleurs faible ou nulle (Rotolo & Tittle, 2006).

La croyance populaire n’est peut-être pas tout à fait erronée. Il existe une corrélation positive entre la mesure de gravité relative et la population résidente (ln ; rho = 0,376 ; p < 0,001) : plus une ville est populeuse, plus les crimes qui y sont enregistrés sont graves. En quoi cela influence-t-il le classement des villes canadiennes ? En 2010, Prince George (C.-B.) était la ville canadienne qui avait le taux de criminalité et l’IGC les plus élevés au pays. Rapidement, Prince George a obtenu le titre peu enviable de ville canadienne la plus dangereuse. La mesure de gravité moyenne laisse supposer que ce titre n’est pas tout à fait justifié. Il est basé sur deux indicateurs qui sont principalement influencés par le volume de criminalité, mais peu sur l’autre dimension de la dangerosité, la gravité des infractions. Les infractions qui sont enregistrées à Prince George sont globalement moins graves que dans la majorité des villes canadiennes de plus de 50 000 habitants (97e rang sur 104). Autrement dit, le taux de criminalité est élevé à Prince George, mais la gravité moyenne des infractions est faible. Il ne s’agit pas de l’exception qui confirme la règle : aucune des villes du « top 10 » pour le taux de criminalité n’a une mesure de gravité relative supérieure à la médiane (annexe 1).

Figure 2

Classement des 104 villes canadiennes de plus de 50 000 habitants selon le taux de criminalité et la mesure de gravité moyenne, en 2010

Classement des 104 villes canadiennes de plus de 50 000 habitants selon le taux de criminalité et la mesure de gravité moyenne, en 2010

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Notre argument est qu’un endroit peut être considéré dangereux si les crimes y sont fréquents ou s’ils sont graves. La figure 2 présente la distribution des villes en fonction du taux de criminalité et de la mesure de gravité moyenne des infractions enregistrées. Les différentes formes identifient les villes en fonction de la médiane. Une façon simple d’obtenir un classement pour les deux indicateurs est d’additionner les rangs des villes (ex. : taux de criminalité le plus élevé = 1). Ainsi, plus la somme est élevée, moins la ville est dangereuse, en comparaison des autres. Selon cette méthode, Winnipeg est la ville canadienne la plus dangereuse, puisqu’elle a un taux de criminalité élevé (15e sur 104) et une mesure de gravité moyenne élevée (13e sur 104). Winnipeg ne se distingue pas particulièrement selon l’un ou l’autre des indicateurs, mais ressort lorsque l’on considère les deux à la fois. Avec un taux de criminalité élevé, mais une mesure de gravité moyenne faible, Prince George est en milieu de peloton (43e).

Bref, lorsqu’on considère uniquement le volume, les dix villes ayant le taux de criminalité le plus élevé sont situées dans l’ouest du pays. Au contraire, sept des dix villes de plus de 50 000 habitants au sommet du palmarès de la gravité moyenne des infractions sont situées dans la province de Québec. De plus, le top 10 compte les 4 plus grands services de police municipale du Canada (Toronto, Montréal, la région de Peel et Calgary). En prenant en compte la gravité moyenne et le volume, le top 10 comprend quatre grandes villes (Winnipeg, Edmonton, Montréal et Vancouver) ainsi que quatre villes de l’est du Canada (Matawinie, Montréal, Saint-Jérôme et Thunder Bay). Selon cet indicateur, la criminalité n’est pas une affaire de petites villes de l’ouest ; il s’agit d’un problème réparti à travers les villes de différentes tailles situées à travers le pays.

Conclusion

Les données compilées par la police sont la source d’informations la plus accessible et systématique sur la criminalité. Par exemple, le programme de la DUC de Statistique Canada permet la compilation d’informations sur presque toutes les infractions criminelles enregistrées par la police et la diffusion rapide de ces informations aux médias, aux chercheurs et au public. Notre compréhension du phénomène criminel ne peut qu’être améliorée grâce à l’analyse de ces données riches.

Le taux de criminalité reste l’indicateur préféré d’entre tous. Il renseigne sur le volume de criminalité à un endroit donné, à un moment donné, tout en tenant compte de l’effet évident de la population sur le nombre de crimes commis. Cet indicateur permet d’observer les variations spatiales et temporelles de la criminalité. Ainsi, on peut conclure que le taux de criminalité au Canada a atteint en 2010 son niveau le plus bas depuis 1983 (Brennan, 2012). Malgré certaines limites méthodologiques et conceptuelles, le taux de criminalité reste une mesure simple à calculer et à interpréter, ce qui explique sa popularité (Chamlin & Cochran, 2004).

Au cours des années 2000, Statistique Canada a émis la volonté de développer un indicateur de la gravité des infractions, reconnaissant par le fait même que le volume n’est pas la seule dimension à prendre en compte en matière de criminalité. Après consultation auprès d’analystes et de chercheurs, l’organisme a divulgué l’Indice de gravité de la criminalité, indicateur issu de calculs plus complexes que le taux, mais également basé sur les données du programme DUC. Lorsqu’on y regarde de plus près, l’IGC s’avère être un taux pondéré selon la gravité des infractions et normalisé selon une valeur de référence de façon à obtenir des valeurs autour de 100. L’IGC offre sans contredit une mesure plus précise de la criminalité, mais sa contribution réelle a été remise en question : l’IGC et le taux sont si fortement corrélés tant sur le plan spatial que temporel qu’ils sont pratiquement interchangeables (Goupil, 2011).

Cet article visait à présenter un nouvel indicateur basé sur les données officielles de la criminalité enregistrée par la police. Cette « mesure de la gravité moyenne des infractions enregistrées par la police » utilise la pondération développée par Statistique Canada et tient compte du volume de criminalité enregistré. L’indicateur obtenu quantifie la gravité des infractions enregistrées et ne suit pas nécessairement les variations du taux de criminalité. Les analyses descriptives présentées indiquent que le taux de criminalité traditionnel doit être analysé en parallèle avec un indicateur de la gravité des infractions enregistrées. Un endroit peut avoir un taux de criminalité élevé mais enregistrer des infractions de gravité relativement faible ; à l’inverse, un service de police peut enregistrer un petit nombre d’infractions graves. De la même façon, l’évolution du taux de criminalité ne reflète pas nécessairement celle de la gravité des infractions enregistrées.

La question n’est pas qu’un simple débat sur la validité des indicateurs. Les résultats obtenus dans cette étude indiquent que les comparaisons basées uniquement sur le taux de criminalité sont trompeuses et désavantagent les villes qui enregistrent systématiquement les infractions signalées, peu importe leur gravité. Ils indiquent aussi que l’IGC développé par Statistique Canada ne remplit pas ses promesses et ne constitue pas un indicateur « pur » de la gravité des infractions enregistrées par la police ; l’IGC est une variation du taux de criminalité traditionnel, donc une mesure – certes plus précise – du volume de criminalité enregistré par la police. L’indicateur proposé dans cet article vise à combler le besoin identifié par plusieurs observateurs d’une mesure rendant compte uniquement de la gravité des infractions enregistrées. Lorsque combinée avec le taux traditionnel, cette mesure de la gravité moyenne offre un portrait plus juste de la criminalité, et des comparaisons plus exactes.

Expliquer les variations observées

La démonstration portait uniquement sur la pertinence d’analyser la gravité de la criminalité indépendamment du volume, mais n’a pas abordé une question tout aussi fondamentale : pourquoi la gravité des infractions enregistrées varie-t-elle ? Le fait que la gravité moyenne des infractions soit assez faiblement associée au volume de criminalité nous force à réfléchir aux facteurs qui pourraient expliquer les variations de cet autre indicateur. La littérature sur le sujet est très peu développée. À l’exception de Hellman et Naroff (1979), les études recensées traitent indirectement de la question, par exemple en comparant l’effet de plusieurs facteurs sur différents types de crime (ex. : Baumer et al., 1998). Ces études ne visent pas à expliquer les variations de gravité mais plutôt à vérifier l’effet d’un facteur précis sur un ou plusieurs types de crimes. La conclusion est généralement que certains facteurs (ex. : l’épidémie de crack des années 1990) ont eu un effet sur tel type de crime mais pas sur un autre, ce qui nous en apprend peu sur la gravité des infractions en général.

Certains auteurs soupçonnent une explication qui n’a rien à voir avec la criminalité elle-même. Il a été démontré que les pratiques d’enregistrement des infractions pouvaient varier considérablement d’un endroit à l’autre, et d’une année à l’autre (O’Brien, 1996, 2003 ; Boivin & Cordeau, 2011 ; Boivin & Ouellet, 2011). Statistique Canada met d’ailleurs en garde contre les éventuelles variations des pratiques d’enregistrement mais reconnaît qu’il est difficile d’en évaluer l’impact. Il n’en reste pas moins qu’il est possible que certains types d’infractions soient plus systématiquement enregistrés par la police que d’autres et que ces pratiques peuvent varier considérablement (Boivin & Ouellet, 2011).

L’impact des variations des pratiques d’enregistrement sur le volume de criminalité a été démontré (O’Brien, 1996, 2003) ; l’impact sur la mesure de gravité moyenne reste à explorer. Le nouvel indicateur a toutefois le potentiel de guider les analystes : la mesure indique que les crimes enregistrés sont plus ou moins graves à un endroit qu’à un autre. Il serait intéressant de comprendre pourquoi 33 villes canadiennes de plus de 50 000 habitants présentent un taux de criminalité bas mais une mesure de gravité élevée et pourquoi 19 villes ont le profil inverse.