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Les rapports entre les jeunes et la rue sont divers et complexes. Espace dangereux, espace criminogène, espace d’expérimentation, espace de survie, espace de revendication, la rue se construit autour de différentes facettes qui imposent des stratégies d’intervention tout aussi diverses. Quant aux jeunes, qu’on les définisse comme jeunes de la rue, gangs de rue, jeunes prostitué(e)s, jeunes militant(e)s… leur présence dans la rue fait obstacle aux usages habituels de cet espace public, qui s’inscrivent dans la circulation et la mobilité des personnes qui le fréquentent. La rue n’est pas faite pour y rester, ni même y inscrire une expérience singulière. Dès lors, l’ancrage dans la rue de certains jeunes pose problème. En ce sens, les études sur les jeunes et la rue permettent de révéler les tensions normatives de nos sociétés contemporaines. En effet, d’un côté, la montée de l’individualisme contemporain renforce les injonctions au singularisme et au relativisme normatif qui permettraient de faire de la rue un espace de construction identitaire comme un autre ; d’un autre côté, les impératifs néolibéraux tentent de mieux contrôler et mettre à l’écart les populations définies comme menaçantes pour l’ordre établi puisque l’ancrage dans la rue serait un signe de désordre et de risques de criminalité.
L’objectif de ce numéro est de faire écho à cette tension en s’intéressant, d’une part, aux expériences des jeunes associés à la vie de rue et, d’autre part, aux interventions dont ils sont l’objet. Dès lors, nous reviendrons tout autant sur les enjeux identitaires, de criminalité et de victimisation que peuvent révéler les expériences de la rue que sur les formes d’interventions répressives, préventives et d’accompagnement qui sont destinées à ces jeunes dans cet espace.
Le texte de Karabanow et collaborateurs décrit, du point de vue des jeunes, comment s’articulent leurs expériences de travail dans l’économie formelle et dans l’économie informelle. Les auteurs montrent comment les enjeux de normalisation des formes de travail qu’exercent les jeunes de la rue renforcent leur exclusion plutôt que de soutenir leur insertion. En ce sens, l’article de Larouche rend compte de cette exclusion en analysant les effets de l’incarcération sur les trajectoires des jeunes de la rue qu’elle a rencontrés à Montréal. L’étude des trajectoires des jeunes donne l’occasion à l’auteure d’analyser comment l’expérience de la prison impose à ces derniers un repositionnement identitaire.
Les deux articles suivants portent sur le phénomène des gangs de rue. L’article de Descormiers et Morselli étudie, à partir d’entretiens menés avec des jeunes appartenant à des gangs de rue montréalais, le réseau de ces gangs et leur dynamique relationnelle, notamment au regard de la dichotomie entre les gangs qui s’identifient aux Bloods (les rouges) et aux Crips (les bleus), les deux grandes coalitions rivales étatsuniennes des gangs de rue. L’autre article, de Sénécal et collaborateurs, aborde un processus de médiation urbaine pour montrer comment les réseaux des acteurs sociaux peuvent ou non favoriser la mise en oeuvre d’une stratégie communautaire de prévention des gangs de rue. Soutenant la nécessité de la participation des représentants des populations marginalisées dans ces interventions communautaires, cet article fait écho à celui de Greissler qui s’interroge sur la pertinence de comprendre l’engagement des jeunes dans la rue comme une forme d’engagement politique. Il s’agit ici d’appréhender les différentes formes d’interprétation possibles de l’expérience de la rue en retenant comme clé d’analyse le sens politique de cette dernière.
Si la rue est un espace de revendication, elle est aussi un espace d’intervention. À travers l’étude des cadres culturels de l’intervention des travailleurs de rue, Fontaine soutient que le travail de proximité permet d’établir un rapport de médiation entre le monde de la marginalité et le monde conventionnel en accompagnant les jeunes.
Le cadre culturel de l’intervention des travailleurs de rue en est un parmi d’autres. Comme le montre Colombo dans son article, la rue est le plus souvent associée aux comportements dits « à risque », représentation qui accompagne des stratégies d’intervention qui vont à l’encontre du sens qu’attribuent les jeunes de la rue à leurs expériences. L’écart entre ces deux conceptions de la rue a des effets importants sur la reconnaissance des jeunes dans leur processus de sortie de la rue. Cet enjeu de reconnaissance est au coeur de l’article de Bellot et collaborateurs, qui montre comment l’intervention par les pairs peut constituer pour les jeunes de la rue un espace de reconstruction identitaire et de reconnaissance entre le monde de la marge et le monde conventionnel.