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Les psychotropes sont des produits qui agissent sur le psychisme d’un individu en modifiant son fonctionnement mental. Ils peuvent entraîner des changements dans les perceptions, l’humeur, la conscience, le comportement et diverses fonctions psychologiques et physiques.

La classification pharmacologique des psychotropes distingue cinq grandes catégories (Ben Amar, 2002) :

  1. Dépresseurs du système nerveux central :

    • alcools ;

    • anesthésiques généraux ;

    • anxiolytiques, sédatifs et hypnotiques : antihistaminiques sédatifs, barbituriques, benzodiazépines, buspirone, hydrate de chloral, zaleplon, zopiclone ;

    • gamma-hydroxybutyrate ou GHB ;

    • opiacés ;

    • substances volatiles (acétone, colle, essence, éther, peinture, etc.).

  2. Stimulants du système nerveux central :

    • stimulants majeurs : amphétamines et dérivés, cocaïne ;

    • stimulants mineurs récréatifs : caféine, tabac (nicotine).

      L’ordre de puissance des stimulants du système nerveux central est le suivant : amphétamines > cocaïne > caféine > nicotine.

  3. Perturbateurs du système nerveux central :

    • cannabis et dérivés ;

    • LSD et analogues (psilocybine, mescaline, etc.) ;

    • hallucinogènes stimulants : MDMA ou Ecstasy, Nexus, DOM, MDA, MDEA, PMA, TMA, etc. ;

    • anesthésiques généraux dissociatifs : phencyclidine (PCP), kétamine ;

    • anticholinergiques : atropine, hyoscyamine, scopolamine ;

    • autres hallucinogènes : acide iboténique, muscazone, herbe à chat, salvinorine, vesses-de-loup.

  4. Médicaments psychothérapeutiques :

    • antipsychotiques ;

    • antidépresseurs ;

    • stabilisateurs de l’humeur.

  5. Androgènes et stéroïdes anabolisants.

La consommation de psychotropes peut entraîner une intoxication aiguë ou chronique. L’intoxication aiguë résulte de l’ingestion ponctuelle d’une substance toxique tandis que l’intoxication chronique se développe avec le temps, à la suite de l’ingestion régulière de doses importantes d’une substance toxique.

Par ailleurs, l’abus de certains psychotropes peut conduire au développement des phénomènes de tolérance, de dépendance psychologique et de dépendance physique (Ben Amar et Léonard, 2002a) :

  • La tolérance acquise se caractérise par le fait que, pour obtenir les mêmes effets, il faut continuellement augmenter la dose.

  • La dépendance psychologique est un état impliquant que l’arrêt ou la réduction abrupte de la dose d’un psychotrope produit des symptômes psychologiques caractérisés par une préoccupation émotionnelle et mentale liée aux effets du psychotrope et par un désir obsédant (en anglais, craving) et persistant de reprendre de nouveau la drogue. La conséquence de la dépendance psychologique est la pulsion à utiliser tous les moyens pour prendre le psychotrope, de façon continue ou périodique, afin de retrouver ses effets psychologiques. Le désir obsédant se rattache à une obsession contraignante qui envahit et dérange les pensées du consommateur, affecte son humeur et altère son comportement.

  • La dépendance physique est un état qui résulte de l’usage répété et excessif d’un psychotrope et dans lequel l’organisme s’est adapté pour son fonctionnement à la présence continue du psychotrope à une certaine concentration. Lorsque cette concentration diminue au-dessous d’un certain seuil, il se produit une perturbation du fonctionnement du système nerveux, qui se traduit par un ensemble de signes et symptômes appelés syndrome de sevrage (encore appelé syndrome d’abstinence, de privation ou de retrait). La nature, la sévérité, le début et la durée du sevrage varient selon le type de psychotrope, les doses consommées, la fréquence et la durée d’administration, ainsi qu’en fonction des facteurs biologiques et socioculturels propres à l’individu (Ben Amar et al., 2006).

Enfin, l’abus de certains psychotropes peut provoquer une toxicomanie. La toxicomanie est un état engendré par la prise répétée d’une ou de plusieurs substances toxiques qui créent une dépendance physique ou psychologique. Elle peut représenter un moyen d’adaptation visant la recherche compulsive du plaisir que procure le psychotrope ou le soulagement temporaire d’une souffrance (Ben Amar et Léonard, 2002b). La toxicomanie est un problème biopsychosocial complexe, relié à des composantes physiques, mentales et sociologiques. Le toxicomane est un individu qui prend de façon régulière et excessive une ou plusieurs substances toxiques susceptibles d’engendrer un état de dépendance physique ou psychologique.

Un des phénomènes liés à la toxicomanie est la criminalité. Celle-ci peut être directe (certains psychotropes entraînent un comportement violent qui engendre la commission de crimes de nature diverse) ou indirecte (les personnes commettent un acte criminel pour se procurer l’argent ou la drogue sans que la substance ait un effet intrinsèque d’agressivité).

Seul le volet de la criminalité directe induite par les psychotropes sera traité dans le présent article. La documentation scientifique et la revue des effets de l’ensemble des psychotropes révèlent que les drogues criminogènes directes par excellence sont l’alcool, les amphétamines, la cocaïne et la phencyclidine. Nous ferons une étude de leurs principales propriétés pharmacologiques et toxicologiques.

Alcool

L’alcool usuel contenu dans les boissons alcoolisées est l’alcool éthylique, également appelé éthanol ou tout simplement alcool. Lors d’une intoxication aiguë, les effets de l’alcool s’exercent principalement sur le cerveau. L’alcool peut provoquer alors, selon les quantités consommées, la désinhibition (perte des retenues), l’euphorie (sensation de bien-être et de satisfaction), la diminution de l’attention, de la concentration et du jugement, la confusion mentale, la désorientation, l’altération de la perception des couleurs, des formes, des mouvements et des dimensions, les éclats émotionnels, l’agressivité et un comportement violent. À très fortes doses, il peut induire l’anesthésie, l’inconscience, la dépression respiratoire, le coma et la mort (Dubowski, 1982 ; Winek et Esposito, 1985 ; Ben Amar, 1992 ; Ben Amar et al., 2002 ; Fleming et al., 2006 ; McKim, 2007a).

L’intoxication chronique à l’alcool, également appelée alcoolisme, affecte les principaux organes et systèmes et finit par atteindre l’ensemble du corps humain. Elle peut entraîner l’anxiété, la dépression, l’instabilité émotionnelle, les troubles du comportement, le suicide et la violence (Brands et al., 1998 ; Kushner et al., 2000). La personne qui a l’habitude de consommer de l’alcool acquiert la tolérance, de sorte qu’elle doit augmenter les quantités ingérées pour obtenir les mêmes effets. Cette tolérance acquise peut se développer rapidement, après seulement quelques jours de consommation de quantités importantes d’alcool (Brands et al., 1998).

L’usage abusif de l’alcool crée un phénomène de dépendance qui peut entraîner des troubles du caractère et du comportement et des perturbations intellectuelles et psychiques (Richard et Senon, 2004).

La dépendance psychologique à l’alcool est forte et peut se manifester même à la suite d’une consommation de quantités modérées d’alcool. Le buveur éprouve le besoin de ressentir les effets psychologiques de l’alcool sans nécessairement s’enivrer. Il est en proie à l’anxiété, et même à la panique, lorsqu’il ne peut obtenir de l’alcool (Fondation de la recherche sur la toxicomanie, 1991). Il ressent un désir obsédant de consommer de l’alcool qui le pousse à boire de façon compulsive.

La dépendance physique à l’alcool peut être très sévère et se traduit par un syndrome de sevrage après l’arrêt de la consommation. Il est courant chez les personnes souffrant d’alcoolisme, qui cessent ou réduisent leur consommation (Stuppaeck et al., 2000). Il apparaît quelques heures après l’arrêt de la consommation et peut durer de deux à sept jours (Brands et al., 1998).

Les principaux symptômes du sevrage à l’alcool sont l’anxiété, l’irri-tabilité, l’agitation, l’insomnie, les tremblements des mains, de la langue et des paupières, les convulsions, les diminutions de l’attention, de la concentration, de la mémoire et du jugement, la confusion, la désorientation, le sentiment d’irréalité, les illusions, les hallucinations, l’hypersensibilité à la lumière, aux sons et à la douleur, les maux de tête, la fièvre, la transpiration excessive, l’hyperréflexie (exagération des réflexes), les spasmes musculaires, les nausées, les vomissements, l’accélération du rythme cardiaque, l’hypertension artérielle et la perte d’appétit.

Environ 10 à 25 % des individus présentent des hallucinations ou des illusions au cours du sevrage. Ces hallucinations sont surtout visuelles, mais peuvent être également auditives et tactiles. Elles peuvent s’amplifier dans l’obscurité. Elles surviennent généralement 12 à 24 heures après l’interruption de la consommation et durent un ou deux jours (Beauchamp et Duchesne, 2000). Les risques de décès associés au sevrage et à l’alcool sont non négligeables (Ben Amar et al., 2002).

L’alcool est le psychotrope le plus fréquemment associé à la criminalité. Il est souvent impliqué dans les actes de violence (Pernanen et al., 2002 ; Boyum et Kleiman, 2003 ; Wincup et al., 2003 ; Sun et al., 2004).

Amphétamines

Le terme « amphétamines » désigne l’amphétamine ou des molécules dérivées de l’amphétamine, dont les propriétés pharmacologiques sont semblables.

Les amphétamines et les substances apparentées comprennent principalement (Cyr et al., 2002a ; APC, 2006) :

  • l’amphétamine ;

  • la déxamphétamine (Dexedrine®) ;

  • la méthamphétamine ;

  • le méthylphénidate (Ritalin®, Ritalin SR®, Biphentin®, Concerta®) ;

  • la cathinone ;

  • la methcathinone ;

  • les anoréxigènes ou inhibiteurs de l’appétit : diéthylpropion (Tenuate®, Tenuate Dospan®), mazindol (Sanorex®) et phentermine (Ionamin®) ;

  • les hallucinogènes stimulants dérivés des amphétamines : ces substances provoquent à la fois des effets stimulants et des effets hallucinogènes (ces effets hallucinogènes se manifestent surtout à des doses élevées). Les principaux composés sont la méthylènedioxyméthamphétamine (MDMA ou Ecstasy), la bromodiméthoxyphénéthylamine (Nexus, 2-CB), la diméthoxyméthamphétamine (DOM, STP), la méthylènedioxyamphétamine (MDA, Love drug), la méthylènedioxyéthamphétamine (MDEA, Ève), la paraméthoxyamphétamine (PMA) et la triméthoxyamphétamine (TMA). Le prototype d’hallucinogènes stimulants est la MDMA ou Ecstasy. Ses propriétés particulières, sa neurotoxicité, ses contextes d’utilisation et son usage croissant en font une substance potentiellement dangereuse pour la santé publique.

Les amphétamines font partie des stimulants majeurs du système nerveux central. Elles suscitent beaucoup d’intérêt de la part des usagers qui recherchent l’euphorie (sensation de bien-être et de satisfaction) car leurs effets sont puissants et de longue durée (Cyr et al., 2002a).

Les personnes qui prennent des amphétamines recherchent généralement la poussée d’énergie, une augmentation de la vigilance et une sensation de bien-être intense. Les amphétamines peuvent causer l’anxiété, l’agitation, l’insomnie, l’irritabilité, l’excitation, la panique, les troubles de l’humeur et du comportement et des épisodes psychotiques (Brands et al., 1998 ; Acosta et al., 2005 ; McKim, 2007b).

La psychose est un trouble mental grave, qui altère profondément la perception, le jugement, le raisonnement et la compréhension de la réalité. La psychose provoquée par l’excès d’amphétamines se caractérise, entre autres, par les hallucinations auditives et visuelles, le délire de grandeur ou de persécution, ainsi que l’hostilité et la violence, souvent consécutives au trouble paranoïde et à la sensation de danger imminent (Cyr et al., 2002a ; McKim, 2007b). Ces symptômes disparaissent quelques jours à quelques mois après la fin de la consommation (Weaver et Schnoll, 1999 ; McKim, 2007b).

Relativement aux effets chroniques, l’abus d’amphétamines perturbe grandement les capacités physiques du consommateur. Celui-ci mange peu, ne dort pratiquement pas et ses capacités physiques et psychiques s’épuisent rapidement. L’usage continu des amphétamines peut aussi être associé à la psychose et à des comportements violents. Le consommateur devient paranoïde et hostile ; sa personnalité est perturbée et il adopte un comportement agressif. Ces épisodes d’agressivité, bien que peu fréquents, peuvent se produire soudainement et de façon inattendue (Cyr et al., 2002a ; McKim, 2007b).

L’usage chronique des amphétamines conduit enfin à la tolérance et à la dépendance physique et psychologique. Cette tolérance aux effets euphorisants et stimulants s’installe rapidement. La diminution de l’eu-phorie pousse le consommateur à augmenter les doses pour rechercher les effets agréables.

Le syndrome de sevrage aux amphétamines se caractérise par l’anxiété, l’agitation, l’épuisement, la dépression et par le désir compulsif de reprendre la drogue. L’individu est fatigué et a besoin de dormir, mais il est insomniaque. Il fait souvent appel à différentes substances (alcool, benzodiazépines, etc.) afin de retrouver le sommeil (Weaver et Schnoll, 1999 ; King et Ellinwood, 2004).

Cocaïne

La cocaïne est un stimulant majeur du cerveau. Elle est extraite des feuilles du coca, un arbrisseau cultivé surtout en Amérique du Sud. Elle peut se présenter sous trois formes (Léonard et Cyr, 2002) :

  • La pâte de cocaïne : elle peut provenir d’un mélange avec du bicarbonate de sodium et de l’eau. Elle est généralement fumée. C’est le produit intermédiaire.

  • Le sel de cocaïne (chlorhydrate de cocaïne) : c’est une fine poudre cristalline blanche, sans odeur et à saveur anesthésique. Elle peut être prisée ou injectée. Elle ne peut être fumée, car elle est détruite en grande partie par la chaleur. C’est la forme purifiée.

  • La cocaïne-base (base libre ou freebase) : c’est un solide cireux blanc, jaunâtre ou grisâtre. Elle peut être fumée ou prisée. Elle ne peut être injectée, car elle n’est pas soluble dans l’eau. C’est la forme très purifiée appelée crack (craquement produit lorsque fumée) ou rock (vendue sous forme de petites roches blanches ou jaunâtres).

La cocaïne peut donc être consommée par voie orale, intranasale, fumée ou injectée. La voie intranasale, appelée aussi voie prisée (reniflée ou « sniffée »), est le mode d’administration le plus populaire au Québec (Schneeberger, 2000). Généralement, l’usager place un peu de poudre (ex. 250 mg) de cocaïne sur une surface de verre dure et lisse et la réduit finement avec une lame de rasoir ou une carte plastifiée. Puis, il trace des « lignes de cocaïne » qu’il aspire par le nez à l’aide d’une paille. Un quart de gramme de cocaïne de pureté moyenne (50 %) permet de faire habituellement cinq lignes dont chacune renferme approximativement 25 mg de cocaïne pure (Léonard et Cyr, 2002). La dose unique reniflée est d’environ 50 mg partagés entre les deux narines (Brands et al., 1998).

Lorsqu’elle est prisée, la cocaïne peut engendrer une euphorie (sen-sa-tion de bien-être et de satisfaction) intense. Une dose unique de 20 à 30 mg produit un début d’action rapide qui apparaît après 30 à 120 secondes (Gold et Miller, 1997). L’euphorie est perçue après 3 à 5 minutes et le temps nécessaire pour atteindre l’effet maximal est de 10 à 30 minutes (Weaver et Schnoll, 1999). Les effets agréables d’une ligne de cocaïne sont de courte durée et disparaissent après 30 à 60 minutes (Gold et Jacobs, 2004). Ils sont suivis d’une période de sevrage aigu, le crash, qui pousse le sujet à consommer de nouveau (Weaver et Schnoll, 1999 ; Gold et Jacobs, 2004). Comparativement à la voie orale, la prise intranasale permet d’obtenir des concentrations sanguines de cocaïne plus élevées et atteintes plus rapidement. Elle est donc plus euphorisante et plus toxicomanogène (induit davantage la toxicomanie).

Lors d’une intoxication aiguë à la cocaïne, le consommateur peut manifester l’euphorie, le gain d’énergie, l’impression de vigueur, la perte d’appétit, le retard de la fatigue, la diminution des besoins de sommeil, l’augmentation de la confiance en soi, l’égocentricité, l’anxiété, la tension, la méfiance, la colère, l’altération du jugement, la perturbation du fonctionnement social ou professionnel et la psychose toxique (Gold et Miller, 1997 ; Brands et al., 1998 ; Association psychiatrique américaine, 2000 ; First et Tasman, 2004). Cette psychose toxique peut s’accompagner d’une perturbation de l’appréciation de la réalité, de délire et d’hallucinations (Association psychiatrique américaine, 2000 ; First et Tasman, 2004). Environ les deux tiers des cocaïnomanes ont des idées délirantes à type de persécution (Karch, 2002 ; Sadock et Sadock, 2003).

Avec des doses répétées de cocaïne, l’anxiété, l’altération du jugement et du fonctionnement, les idées de grandeur, l’hypervigilance, la méfiance, les troubles paranoïdes, l’agitation psychomotrice, l’irritabilité, la colère, l’agressivité, les hallucinations visuelles, auditives et sensorielles, ainsi que le délire, sont relativement fréquents (Gold et Miller, 1997 ; Weaver et Schnoll, 1999 ; Léonard et Cyr, 2002). L’intoxication aiguë à la cocaïne s’estompe généralement après 6 à 24 heures.

La cocaïne conduit aux actes violents, du fait de ses effets perturbateurs sur le comportement. Les crimes commis sous l’influence de la cocaïne, notamment du crack, se caractérisent par leur plus grande violence (Inciardi, 1990 ; McBride et Swartz, 1990).

Le trouble paranoïde induit par la cocaïne se traduit par une hypervigilance à l’égard de menaces éventuelles. Il s’observe chez environ les deux tiers des consommateurs chroniques de cocaïne (Rosse et al., 1994 ; Karch, 2002 ; Sadock et Sadock, 2003). Il peut plonger l’usager dans un état d’hallucinose cocaïnique pouvant se manifester par le trouble paranoïde et les hallucinations auditives. Le sujet se sent souvent menacé et il est aux aguets. S’il continue sa consommation, il peut perdre le contact avec la réalité et avoir l’intime conviction d’un danger imminent. À ce stade d’intoxication, appelé psychose cocaïnique toxique, l’individu peut être très dangereux et violent. Dans la majorité des cas, cette psychose se dissipe trois à cinq jours après l’arrêt de la consommation (Gold et Jacobs, 2004).

Sur le plan des effets chroniques, la consommation répétée et abusive de cocaïne peut entraîner l’anxiété, les altérations du jugement, l’instabilité émotionnelle, l’irritabilité, l’insomnie, la perte d’estime de soi, les dépressions graves avec idées suicidaires, le trouble paranoïde grave, les comportements violents, le délire et la psychose toxique (Weaver et Schnoll, 1999 ; Karch, 2002 ; Gold et Jacobs, 2004 ; Acosta et al., 2005 ; O’Brien, 2006 ; McKim, 2007b).

La tolérance à la cocaïne, particulièrement pour l’effet euphorisant, se manifeste rapidement. Ainsi, la prise répétée procure moins d’effets agréables d’une dose à l’autre, ce qui entraîne une escalade des doses ou une augmentation des fréquences d’administration. En fin de bringue, les effets agréables sont de courte durée alors que les réactions indésirables deviennent de plus en plus importantes, voire insoutenables.

La dépendance à la cocaïne, également appelée cocaïnomanie ou cocaïnisme, est bien documentée. Elle est considérée comme très sévère. Selon le mouvement Cocaïnomanes Anonymes, il y a environ 40 000 cocaïnomanes dépendants au Québec. On peut soupçonner un abus ou une dépendance à la cocaïne lors de la présence de changements de personnalité inexpliqués. Le cocaïnomane est généralement irritable, compulsif, souffre de troubles de concentration et d’insomnie et perd du poids. Il peut manifester une difficulté progressive à accomplir ses tâches habituelles. Les difficultés financières engendrées par l’abus de cocaïne peuvent se traduire par un découvert bancaire important (Sadock et Sadock, 2003).

Le crash, ou dépression postintoxication, est un état de sevrage aigu apparaissant quelques minutes après l’arrêt de la consommation de cocaïne. Les principaux symptômes du sevrage à la cocaïne sont le besoin obsessif de consommer, la dysphorie (malaise général), les troubles de sommeil, la fatigue, l’épuisement, l’anxiété, l’agitation, l’irritabilité, l’impulsivité, le ralentissement du rythme cardiaque et la dépression (Gold et Miller, 1997 ; Sadock et Sadock, 2003 ; O’Brien, 2006). Plusieurs consommateurs ont recours à l’alcool ou aux tranquillisants pour retrouver le sommeil. Habituellement, après l’arrêt d’une consommation modérée de cocaïne, les symptômes de sevrage disparaissent en 18 heures. Si la consommation est forte, le sevrage atteint son maximum après deux à quatre jours d’interruption de l’usage. À l’exception du besoin compulsif de consommer, ce syndrome disparaît généralement après une à trois semaines (Sadock et Sadock, 2003).

La dépendance psychologique à la cocaïne est très forte. Le désir obsédant de consommer se manifeste sous deux formes : le désir anhédonique (désir dû à l’absence de plaisir) et le désir conditionné. Le désir anhédonique résulte de l’ennui et du besoin de ressentir l’effet euphorisant de la cocaïne (Weaver et Schnoll, 1999). Le désir conditionné émane des stimuli présents dans l’environnement au moment où l’individu consommait (Léonard et Cyr, 2002). Leur présence (vue ou contact) déclenche le désir de consommer. Ainsi, se retrouver dans un contexte d’usage antérieur (lieux, partenaires, chansons, etc.) ou voir de la cocaïne ou du matériel de consommation peuvent évoquer des sensations de la cocaïne fumée (goût, odorat) et entraîner des réactions physiques comme la transpiration, le souffle court et des troubles gastro-intestinaux (Gold et Miller, 1997). Ce désir compulsif est très marqué avec la cocaïne (Weaver et Schnoll, 1999).

D’autre part, les personnes qui présentent un double diagnostic d’alcoolisme-cocaïnisme ont en général une dépendance plus sévère à la cocaïne que les non-alcooliques (Acosta et al., 2005).

Enfin, lorsque la cocaïne est prise avec de l’alcool, un métabolite (produit de transformation) actif est susceptible de se former : le cocaéthylène. La formation de ce produit accroît l’intensité et la durée des effets de la cocaïne (Karch, 2002).

Les amphétamines et la cocaïne sont les drogues illicites les plus consommées en Amérique du Nord après le cannabis (Brochu, 2006). Comme nous venons de le voir, elles peuvent conduire à un comportement agressif. Cependant, il faut être extrêmement prudent avant d’attribuer la criminalité à l’usage de ces substances. En effet, l’association de ces psychotropes à la violence s’évapore lorsqu’on prend en considération la personnalité du contrevenant (Moeller et al., 2002).

Phencyclidine (PCP)

La phencyclidine ou PCP est un hallucinogène de la famille des anesthésiques généraux dissociatifs. À l’état pur, c’est une poudre cristalline blanche qui est soluble dans l’eau et l’alcool. Une dose typique vendue dans la rue est de l’ordre de 10 mg de PCP pur. Le prix d’une dose est d’environ 10 $. La phencyclidine peut être prise par voie orale, sous forme de poudre, de comprimés, de capsules ou de liquide. Sous forme de poudre, elle peut être prisée (reniflée) ou fumée. Elle peut enfin être injectée, le plus souvent par voie intraveineuse et plus rarement par voie intramusculaire (Brands et al., 1998 ; Cyr et al., 2002b ; Zukin et al., 2004).

Lors d’un usage aigu de PCP, les effets généralement recherchés par le consommateur sont l’euphorie (sensation de bien-être et de satisfaction), la relaxation, la stimulation plaisante, la sensation de légèreté et de flottement, la distorsion de la perception du temps et de l’espace, les hallucinations visuelles et auditives, la dissociation de l’environnement, le sentiment d’irréalité et la distorsion de la perception du corps (Brands et al., 1998 ; Cyr et al., 2002b).

Les effets indésirables psychiques produits par le PCP sont (Carrol, 1990 ; Brands et al. 1998 ; Cyr et al., 2002b ; First et Tasman, 2004 ; McDowell, 2005) :

  • l’anxiété, l’agitation et les crises de panique ;

  • les difficultés d’attention, de concentration et de réflexion ;

  • la confusion, la désorientation, l’altération du jugement, la désorganisation de la pensée ;

  • les troubles de mémoire et l’amnésie antérograde (incapacité à se souvenir de faits ou d’événements survenus après la prise de la drogue) ;

  • le nystagmus horizontal, vertical ou rotatoire (mouvements involontaires et saccadés des yeux) ;

  • les étourdissements, les problèmes d’élocution, le mutisme, le regard fixe, l’état de stupeur (absence de réponse aux stimuli), l’engourdissement des extrémités, la rigidité musculaire ;

  • l’hypersensibilité à la lumière, aux sons et à la douleur ;

  • les troubles psychomoteurs, l’incoordination des mouvements ;

  • le sentiment intense d’aliénation, la précipitation d’un épisode psychotique latent et la psychose toxique (hallucinations, délire, troubles paranoïdes). Cette psychose aiguë peut durer de quelques heures à quelques semaines ;

  • des comportements inadaptés, bizarres, impulsifs, hostiles ou violents.

Les autres principaux effets secondaires résultant d’une intoxication aigüe au PCP sont les convulsions, l’hypothermie ou l’hyperthermie, les troubles respiratoires, la tachycardie et l’hypertension (First et Tasman, 2004).

L’écart entre la dose de PCP induisant un effet psychédélique agréable et la dose où la personne perd plus ou moins la maîtrise de son état est malheureusement très faible. L’usager intoxiqué au PCP qui manifeste des troubles psychiatriques est souvent difficile à maîtriser. Son attitude est bizarre, confuse, désordonnée et désorientée. Son langage est incohérent et il peut être paranoïde. Son comportement peut être irritable, hostile et violent. Il manifeste souvent des préoccupations, voire des obsessions pour des sujets futiles. Il peut manifester des hallucinations, un délire de grandeur et un état de panique, de terreur ou de peur envahissante face à une mort imminente (Brands et al., 1998 ; Cyr et al., 2002b). Beaucoup de décès liés à l’usage de PCP sont dus à des accidents, des suicides ou des homicides (McDowell, 2005).

Dans le cas d’un usage chronique, les consommateurs réguliers peuvent ingérer de 100 à 1000 mg de phencyclidine par période de 24 heures, ainsi que d’autres psychotropes. Ils s’isolent socialement et se coupent graduellement du monde extérieur. Les comportements dus au PCP sont bizarres, imprévisibles et parfois d’une extrême violence. La psychose toxique se caractérise par l’agressivité ou la violence, les hallucinations (surtout auditives), le délire et les troubles paranoïdes (Brands et al., 1998).

Bien que le PCP soit clairement un psychotrope criminogène (Cyr et al., 2002b ; Ben Amar et al., 2004), la personnalité du consommateur et ses antécédents psychiatriques sont aussi des facteurs contribuant à l’expression de comportements hostiles ou violents (Hoaken et Steward, 2003). Le PCP pourrait, en effet, exacerber des troubles de comportement déjà présents chez l’individu (Fauman et Fauman, 1982).

Comparaison de la toxicité des principaux psychotropes criminogènes

En se basant sur l’ensemble de la documentation scientifique et sur les conclusions de divers comités d’experts nationaux et internationaux, le tableau 1 permet de comparer la toxicité générale de l’alcool, des amphétamines, de la cocaïne et de la phencyclidine (PCP).

Tableau 1

Comparaison de la toxicité générale de l’alcool, des amphétamines, de la cocaïne et de la phencyclidine (PCP)

Comparaison de la toxicité générale de l’alcool, des amphétamines, de la cocaïne et de la phencyclidine (PCP)
Sources : Léonard et Ben Amar, 2002. Les Psychotropes : Pharmacologie et Toxicomanie. Montréal : Les Presses de l’Université de Montréal ; Ben Amar, 2006. Chapitre 10 : Le tabac à l’aube du 21e siècle : Mise à jour des connaissances. Centre québécois de lutte aux dépendances (109-114).

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Types de rapports entre psychotropes et criminalité

La revue de la documentation permet de dresser les constats suivants :

  • Les jeunes adolescents âgés de 12 à 14 ans vivent une période critique au cours de laquelle risquent d’émerger à un rythme accéléré les troubles de comportement et les actes délictueux (Lanctôt et al., 2002).

  • Une consommation importante de psychotropes illicites augmente la probabilité de poser des gestes délinquants (Braithwaite et al., 2003 ; Hammersley et al., 2003).

  • La toxicomanie accélère et aggrave le rythme de la délinquance à partir du moment où la pharmacodépendance s’installe (Killias et Rabasa, 1996).

  • L’entrée dans la déviance et les comportements criminels se produit généralement de façon progressive, de sorte que la gravité des gestes posés s’accroît graduellement (Menard et al., 2001 ; Lanctôt et al., 2002).

  • La grande majorité des consommateurs de psychotropes illicites ne s’engagent jamais sur une trajectoire criminelle : ils ne s’intoxiquent pas au point d’en perdre leur pouvoir d’autocontrôle et de commettre des actes criminels (Brochu, 2006).

  • L’abus de certains psychotropes conduit à la commission d’actes criminels plus graves que ceux réalisés par une personne sobre ou qui n’abuse pas de ces substances (d’Orsonnens, 2000 ; Kerber et Harris, 2001).

  • Un petit nombre de jeunes contrevenants, habituellement les gros consommateurs de substances illicites, sont responsables d’une proportion élevée de crimes sérieux et violents (d’Orsonnens, 2000 ; VanderWall et al., 2001).

  • La consommation de drogues retarde généralement la sortie du milieu criminel (Menard et al., 2001).

  • Divers psychotropes ont des propriétés qui facilitent un passage à l’acte criminel. À titre d’exemple, une étude effectuée dans les centres de détention fédéraux du Canada illustre qu’un nombre significatif de détenus considèrent leur état d’intoxication comme un facteur responsable de la commission du délit qui les a conduits à la prison : 92 % d’entre eux pensent que l’alcool a affecté leur jugement et 83 % tiennent le même propos pour les substances illicites. De même, 50 % affirment que l’alcool les a rendus plus querelleurs et 33 % pensent que la drogue les a poussés à être plus belliqueux (Brochu et al., 1999).

  • Au Québec, un pourcentage élevé de femmes incarcérées à la Maison Tanguay (47 %) et d’hommes emprisonnés au Centre de détention de Montréal (60 %) avouent avoir été sous l’influence de l’alcool ou d’une substance illicite lors de la commission du délit le plus grave pour lequel ils sont écroués (Pernanen et al., 2002).

  • Une autre enquête menée dans les pénitenciers du Québec révèle que 36 % des détenus affirment avoir consommé une substance illicite la journée du délit qui a mené à leur emprisonnement (Brochu et al., 1999). De ceux-ci, 29 % avouent que leur consommation les a rendus plus agressifs (Brochu et al., 1999 ; Sun et al., 2004).

Conclusion

Plusieurs psychotropes appartenant à des classes pharmacologiques distinctes peuvent induire la tolérance, la dépendance psychologique, la dépendance physique et la toxicomanie. Un des phénomènes résultant de la toxicomanie est la criminalité. Les drogues criminogènes directes par excellence sont l’alcool, les amphétamines, la cocaïne et la phencyclidine (PCP). La nature et la sévérité des effets toxiques de ces substances sont associées à divers facteurs (Ben Amar et al., 2006 ; Ben Amar, 2007).

La relation intoxication-criminalité est complexe. Elle dépend, entre autres, du type de psychotrope utilisé, de sa pureté, des doses consommées, de la fréquence, du mode et de la durée d’administration, des phénomènes de tolérance et de dépendance, de l’usage concomitant de deux ou plusieurs drogues (phénomène d’interactions pharmacologiques) et de facteurs biopsychosociaux propres à chaque individu, incluant sa sensibilité, sa personnalité et la présence simultanée d’un trouble mental.