Abstracts
Résumé
La prospective démographique localisée est susceptible de recouvrir plusieurs démarches distinctes. Cette diversité méthodologique renvoie à la fois à des différences de degré d’élaboration et de respect des exigences de cohérence interne et au contexte qui a conduit à projeter une ou plusieurs populations locales. Après avoir présenté les principales méthodes de projection démographique utilisées en démographie locale, ce texte explique et illustre, par un exemple caractéristique, la façon dont elles peuvent être articulées pour répondre aux demandes de plus en plus composites des collectivités territoriales. Il décrit ensuite les données de recensement nécessaires à la mise en oeuvre de ces démarches de prospective démographique localisée en fonction de leur degré d’élaboration.
Abstract
Local demographic prospective studies can be conducted by means of several distinct approaches. This methodological diversity has to do with differences in the elaboration and consistency of each process, and with the context leading local districts to express their need for demographic projections. This article presents the main methods used in local demographic projections, and shows by means of an example the way to combine them in order to respond to a local level demand which is of ever-increasing complexity. It describes the census data required by each type of method used for local demographic projections, according to their level of elaboration.
Article body
Constituant une sollicitation fréquente adressée à la discipline[1], la prospective démographique localisée peut être conduite selon une assez grande diversité de méthodes. Cette variété méthodologique renvoie partiellement à la position institutionnelle des auteurs, ce qui détermine les questions pratiques adressées à ces derniers. La nature des questions a, en effet, un rôle essentiel dans le choix de la méthode prospective retenue qui, elle-même, nécessite de disposer d’informations statistiques adaptées à leur mise en oeuvre. Dans les pays où l’information sur les populations locales s’appuie essentiellement sur les recensements, tout changement dans le questionnaire ou dans les principes de collecte peut donc avoir un impact important sur la capacité à répondre aux interrogations prospectives territoriales, qui comprennent presque toutes un volet démographique, d’importance variable.
Dans cette perspective, on décrira tout d’abord les différents types de méthodes mobilisées en matière de prospective démographique localisée, tout en caractérisant leurs contextes les plus fréquents d’utilisation et leurs limites dans l’appréhension des facteurs de transformation des populations territoriales. On distinguera ainsi essentiellement deux types de démarches : les méthodes tentant de reconstruire la dynamique du système démographique, et les méthodes s’appuyant sur la composition et sur le renouvellement du parc de logements. Une option d’articulation de ces deux types de démarche sera ensuite illustrée à travers un exemple caractéristique. On examinera enfin la nature des données de recensement (pour les pays où ils constituent la base de l’information sur les populations locales) nécessaires à la mise en oeuvre des différentes méthodes présentées. Autrement dit, on pourra ainsi percevoir, « en creux », les conséquences d’un recul de la richesse ou de la qualité des données de recensement en matière d’appréhension des populations locales futures, et donc de préparation des politiques de développement territorial et de couverture des besoins sociaux.
Reconstruire la dynamique des populations locales…
Souvent, afin de proposer des effectifs de population répartis par sexe et âge pour chaque unité géographique appartenant au territoire sous leur couverture administrative, les instituts de statistiques[2] recourent à des démarches qui reconstruisent la dynamique démographique à partir de ses composantes élémentaires (mortalité, fécondité, migrations), a minima désagrégées selon le sexe et l’âge, et éventuellement selon d’autres caractéristiques. Idéalement adaptées à la production systématique d’une sorte d’annuaire démographique territorial du futur, ces méthodes s’appuient sur les éléments stables des profils par âge des flux de mobilité résidentielle entre les territoires et sur l’inertie relative de l’organisation de l’espace aménagé. Au-delà d’une relative similitude de contextes de production, il existe trois types de méthodes reconstruisant la dynamique démographique à partir de ses composantes élémentaires. Elles présentent des degrés d’élaboration très divers en termes de cohérence interne et de capacité d’intégration de variables de décomposition dépassant les seuls sexe et âge.
Les projections uni-régionales[3], qui peuvent être conduites en parallèle (indépendamment les unes des autres) pour un très grand nombre d’unités territoriales, constituent le type de modèle le plus classique et le plus élémentaire. Ce modèle applique, aux différentes populations territoriales réparties par sexe et âge, les séries correspondantes de quotients de mortalité, de taux de fécondité et de taux de migration nette (Banens, 2007 ; Descours et Poinat, 1992). Le recours à ces indices de migration nette conduit à de nombreuses incohérences et à la non-convergence entre la sommation des populations territoriales ainsi projetées et la projection de l’ensemble de ces territoires. Cette divergence résulte de l’engendrement de déséquilibres dans les bilans migratoires projetés, qui sont eux-mêmes la conséquence de la perte, au fil de la projection, de la proportionnalité entre les flux de migrants et les populations dont ils proviennent. Cet éloignement progressif, d’un bond projectif à l’autre, d’une proportionnalité pourtant à la base de la démographie et de son outillage méthodologique, se traduit alors par des créations de migrants fictifs ou par des éliminations arbitraires de véritables migrants. Susceptibles d’être très importantes dans certaines configurations théoriques, ces incohérences et cette divergence structurelle peuvent aussi, sur le plan empirique, déformer artificiellement la pyramide des âges projetée de certains types de territoires. Si à l’échelon de grandes régions (comme les 22 régions françaises) ces invraisemblances restent très modestes, elles sont en revanche particulièrement manifestes dans les zones urbaines à fort peuplement étudiant, dans les espaces ruraux vieillissants et, de façon générale, dans tous les territoires dont la composition par âge présente une forte spécificité déterminée par la mobilité résidentielle (Bergouignan, 2008). De plus, l’agrégation, dans une même série d’indices de migration nette, de comportements de mobilité résidentielle parfois très différents les uns des autres tend à en lisser les spécificités propres et ne facilite pas vraiment la mise en relation de leurs possibles tendances futures avec des scénarios concrets d’évolution sociale et territoriale. Autant de raisons qui ont favorisé l’abandon de ce type de modèle par de nombreuses institutions responsables de la réalisation des projections démographiques localisées. Ainsi, depuis 2010, en France, l’Institut national de statistique (INSEE) ne recourt plus à ce type de modèle pour projeter les populations locales, mais s’appuie sur un modèle de type multi-états qui projette simultanément un ensemble de zones couvrant l’intégralité de la France.
Relativement ancien (Rogers, 1973 et 1975), le principe de cette projection territoriale multi-états, alors dénommée multi-régionale[4], est d’appliquer, aux populations des zones projetées simultanément et réparties par sexe et âge, des séries de quotients de mortalité, de taux de fécondité et de probabilités de migrer d’une zone à l’autre. Ces modèles multi-régionaux réintroduisent ainsi, en principe, la cohérence et la convergence avec les projections nationales[5], ce qui faisait défaut à la méthode uni-régionale. Surtout, même si la convergence avec les projections nationales n’est souvent qu’approximative, les modèles multi-régionaux éliminent totalement les fortes anomalies structurelles engendrées par la méthode uni-régionale dans les pyramides des âges de certaines populations territoriales projetées (Bergouignan, 2008). Il est par ailleurs possible de subdiviser les populations territoriales auxquelles on applique les projections multi-régionales selon des caractéristiques supplémentaires autres que géographiques. Cela suppose alors de mesurer (voire d’extrapoler avec pertinence), pour les appliquer, tous les comportements de changement de sous-population que ce découpage ajoute[6]. Outre le fait de permettre une appréhension plus riche des populations projetées (les nouvelles variables introduites intéressant fréquemment les commanditaires du travail prospectif), l’ajout de ces caractères de subdivision permet une meilleure prise en compte de l’hétérogénéité des comportements dans la démarche projective. Cet accroissement de l’hétérogénéité des comportements démographiques entre sous-ensembles projetés peut éloigner les résultats de la convergence de ceux des projections nationales globales. Toutefois, à la différence des biais structurels de la méthode uni-régionale, cette absence éventuelle de convergence relève autant de la pertinence des résultats des projections nationales globales que de celle des résultats des projections multi-régionales. Dans l’absolu, l’ajout de caractéristiques non géographiques pour subdiviser les populations territoriales projetées devrait se limiter à des variables strictement individuelles (niveau d’instruction, diplôme, activité…) et ne pas comprendre de variables relationnelles (rôle familial, type ou taille de ménage…). En effet, une projection multi-régionale dont les sous-ensembles projetés sont en partie définis par des caractéristiques relationnelles entre les individus statistiques élémentaires perd ses vertus de cohérence interne. Les conséquences de cette perte de cohérence interne peuvent néanmoins rester modérées en termes de résultats et sont à mettre en balance avec l’apport d’information représenté par des populations projetées réparties par territoire, sexe, âge, autres caractéristiques individuelles éventuelles et type de ménage. De nombreux aspects de l’action publique locale (logement, solidarité…) intervenant à l’échelle du ménage, il est évident que disposer de cette dernière variable pour appréhender le futur démographique d’un territoire constitue un apport essentiel. La question de la traduction en nombre de ménages de la population projetée repartie par sexe et âge se trouve donc fréquemment posée. Cela implique, si l’on recourt à un modèle multi-régional, soit d’introduire des variables relationnelles pour décomposer la projection, soit d’appliquer aux résultats du modèle des méthodes comprenant de nombreuses imperfections (taux de personne de référence par âge, fraction de ménage associée à une personne d’un âge donné). Il n’est donc pas certain, lorsqu’une traduction des populations projetées en nombre de ménages est requise, qu’il soit moins pertinent d’introduire ces variables relationnelles dans le modèle multi-régional, au risque d’engendrer des incohérences, que de mobiliser des outils imparfaits et imprécis pour transformer des résultats obtenus par un processus dont on a maintenu la cohérence interne.
En conservant l’échelon individuel tout au long du processus de projection de la population, les microsimulations permettent, par définition, le traitement structurellement cohérent des variables relationnelles (Pennec, 1994). Leur application à l’échelle locale présente donc un très grand intérêt, tant sur le plan méthodologique que sur celui de l’utilisation potentielle des résultats. Si des travaux à l’échelle régionale ont déjà été réalisés (Bélanger, Caron Malenfant et Martel, 2005), les initiatives développées à l’échelon local restent expérimentales. De plus, au moins dans le cas français, elles se heurtent à certaines difficultés liées au manque d’information permettant de spécifier, en fonction des territoires, les paramètres d’interaction entre les différentes dimensions biographiques. De fait, les éléments des biographies familiales/domestiques, éducatives et professionnelles et les parcours résidentiels détaillés (distinguant au moins deux étapes à l’échelle géographique selon laquelle la projection doit être entreprise[7]) ne sont pas recueillis dans le cadre des mêmes opérations de collecte et ne peuvent donc pas être systématiquement croisés. Il est donc nécessaire de procéder à des adaptations territoriales de paramètres de microsimulation estimés pour d’autres échelles géographiques. En France, les quelques tests rétrospectifs menés pour la période intercensitaire 1990-1999 ne permettent pas, en l’état actuel des choses, de reconstruire fidèlement les répartitions localisées des ménages selon leur type, sans doute en raison de la grande spécificité territoriale des parcs de logements. S’orienter vers des typologies spatiales modulant l’adaptation territoriale des paramètres de microsimulation estimés pour d’autres échelles géographiques conduira peut-être à aplanir cette difficulté.
… Et prévoir les besoins d’aménagement à venir
Dans la pratique, ces méthodes de reconstruction de la dynamique démographique à partir de ses composantes élémentaires sont particulièrement adaptées pour répondre aux interrogations portant sur les besoins futurs d’équipement et d’aménagement en fonction d’une population « attendue » sur un territoire. Cette démarche peut paraître inverser la logique implicite de l’action territoriale (qui consiste à « attendre » une population en fonction d’un programme aménageant l’espace). Dans leur forme caricaturale, ces méthodes de reconstruction de la dynamique démographique à partir de ses composantes élémentaires pourraient même être perçues comme l’anticipation d’une « demande » de territoire totalement indépendante des aménagements qui y seront réalisés. Cette perception évidemment absurde d’une attractivité territoriale qui serait indépendante de « l’offre » en territoire (à travers les équipements, les emplois et, bien entendu, les logements) pourrait aussi s’interpréter comme une « demande » potentiellement infinie de territoire insensible aux phénomènes de « saturation ». Au-delà du caractère très discutable de la notion de « saturation »[8], il n’est pas forcément absurde de considérer qu’à l’échelon territorial la relation emploi-population ne fonctionne pas de façon unidirectionnelle (l’emploi attirant les populations) mais s’organise de façon plus complexe. L’économie résidentielle (Davezies, 2008) ou l’implantation d’établissements de salariés qualifiés dans des territoires jugés attirants par ces salariés pour leur « douceur de vivre » en sont des exemples de plus en plus fréquents. Aussi, en dépit de son apparente inversion de la logique de l’action territoriale, cette démarche partant de la projection de la population « attendue » pour estimer les besoins futurs en équipements est-elle loin d’être dépourvue de signification. Elle est néanmoins surtout applicable pour d’assez grandes zones (très grandes communes, agglomérations urbaines, ensembles de communes rurales[9]), pour lesquels les opportunités de ré-affectation de l’espace permettent d’assouplir les contraintes physiques limitant la poursuite indéfinie d’un système de développement territorial. Travailler à l’échelle de ces « grands » territoires locaux, c’est aussi s’appuyer sur une certaine inertie de la répartition géographique des très grands équipements (réseaux routiers, réseaux de transport public à fort débit, universités, hôpitaux…). Pour l’ensemble de ces raisons, les évolutions démographiques futures de ces « grands » territoires locaux dépendent fortement de la structure initiale de la population et de la relative stabilité du profil par âge des flux de mobilité résidentielle (leur niveau variant bien plus rapidement), ce qui rend particulièrement adaptée une démarche reconstruisant la dynamique future de la population à partir des flux de renouvellement. Cette logique n’est, en revanche, guère adaptée (en tous cas considérée seule) aux échelons géographiques les plus fins (quartiers, petites ou moyennes communes). De fait, pour les très petits territoires, la sensibilité aux programmes d’aménagement de l’espace, notamment en matière d’habitat, modifie non seulement le volume des flux de migrants, mais aussi très largement leur composition par âge.
Partir des caractéristiques et du renouvellement du parc de logements pour projeter la population future
La forte liaison entre les caractéristiques des logements (nombre de pièces, destination d’occupation, nature et ancienneté de l’immeuble…) et celles de leurs occupants (âge, type de ménage, groupe socioprofessionnel…) peut être utilisée, lorsqu’on connaît ou imagine les programmes d’habitat à venir, pour projeter la population (Dittgen, 1993 et 2008). Généralement utilisées par les chargés d’études des collectivités territoriales pour associer à l’évolution du parc de logements la programmation de services destinés à une catégorie de population spécifique (scolarisation, grand âge…), des méthodes s’appuyant sur cette relation sont parfois conçues par des chercheurs (Bergouignan et Dupuy, 2007 ; Dittgen et Dupuys, 2003). Très sensibles au contexte de la demande et aux données mobilisées, ces méthodes projectives s’appuyant sur la dynamique anticipée du parc de logements regroupent schématiquement :
celles qui en proposent une application directe, sans projeter le maintien sur place de la population occupant les logements déjà existants à la date origine de la projection,
celles qui combinent vieillissement et remplacement de la population résidant dans le parc de logements initial (ou dans une partie de ce parc, souvent celui occupé par ses propriétaires a priori plus susceptibles de vieillir sur place) et affectation de nouveaux résidants dans les logements neufs et dans ceux libérés par le décès ou le départ du dernier occupant.
Le premier type de méthodes présente l’avantage de la simplicité conceptuelle, puisqu’il suffit d’obtenir un nombre et une répartition des futures résidences principales pour pouvoir produire une population d’occupants répartis par sexe et âge, voire selon d’autres variables. Un de ses principaux inconvénients réside dans l’impossible prise en compte d’un renouvellement par vagues de personnes d’âge voisin affectant fréquemment la population des logements occupés par leurs propriétaires (Eggerickx et Poulain, 2007). Cette limite peut toutefois être atténuée lorsque l’ancienneté de l’immeuble fait partie des variables structurant la répartition des futures résidences principales, puisqu’il existe souvent une corrélation entre l’âge de l’immeuble et ces vagues d’occupation par de nouveaux propriétaires. Conçues pour traiter de façon plus systématique ces phénomènes de remplacement de la population dans les logements déjà existants, les méthodes du deuxième type font survivre et se maintenir dans le logement d’origine les occupants initiaux propriétaires[10] d’un logement dans le territoire dont la population doit être projetée. Dans l’absolu, identifier la libération d’un logement par le déménagement ou le décès du dernier occupant suppose de recourir à des microsimulations, elles seules permettant de conserver, au fil de la projection, les relations entre les personnes composant les ménages, et donc de voir la composition de chaque ménage se transformer. Dans la pratique, et après avoir appliqué probabilités de survie et de sédentarité, on peut, en appliquant la méthode de la fraction de ménage associée à une personne d’un âge donné, estimer un nombre de logements libérés à la suite de décès ou de déménagement. Malgré son caractère assez artisanal, ce calcul apporte un certain degré de vraisemblance et de robustesse à ce deuxième type de méthodes s’appuyant sur la dynamique du parc de logements. On peut néanmoins considérer que l’optimum serait de développer une autre forme de microsimulation, non plus structurée autour des séquences biographiques associées aux changements de territoire, mais organisée autour des séquences biographiques liées à l’occupation des logements du territoire étudié. En principe, les deux logiques pourraient être intégrées, au prix d’un degré élevé de complexification.
Quoi qu’il en soit, ces deux types de méthodes imposent l’extrapolation de la proportion de résidences secondaires, du taux de vacance des logements et des tailles moyennes des ménages par catégorie de logements, pour qu’il soit possible de passer :
du nombre futur de logements et de sa répartition par catégories au nombre futur de ménages répartis par catégorie de logements,
puis du nombre futur de ménages répartis par catégorie de logements à la future population des ménages répartie par catégories de personnes et de ménages.
Ces extrapolations sont d’autant plus aisées que l’on projette la population de territoires où les résidences secondaires sont rares, le taux de vacance faible, la typologie des ménages faiblement diversifiée et, donc, où l’essentiel des variations du nombre de ménages résulte de la construction de logements neufs. Les couronnes périurbaines des grandes agglomérations, dont le peuplement résulte de vagues de construction de lotissements individuels neufs, constituent la configuration idéale d’application de ce type de méthodes. A contrario, les parties centrales des grandes agglomérations et leurs banlieues proches, les petites villes caractérisées par un taux de vacance des logements plus élevé et plus instable ou les espaces ruraux et littoraux, où les résidences secondaires sont fréquentes, constituent un contexte plus délicat de mise en oeuvre de ces méthodes. Associant programmes futurs de construction de logements et évolution de l’affectation et de la vacance des logements selon leur catégorie, les scénarios proposés sont alors plus diversifiés et conduisent à des incertitudes plus importantes.
Le degré d’adéquation des méthodes projectives s’appuyant sur la dynamique du parc de logements ne se limite pas aux contextes démo-géographiques auxquels elles sont appliquées, mais il dépend aussi de la taille du territoire projeté et de l’horizon prospectif visé. De façon générale, la valeur ajoutée de ces méthodes sera d’autant plus importante que le territoire sera petit et que la projection concernera un horizon proche. D’une part, les programmes d’habitat sont souvent connus avec davantage de précision (catégories de logements construits ou rénovés) aux échelons géographiques les plus fins et lorsqu’ils concernent le court terme. D’autre part, la sensibilité des évolutions de population aux programmes d’habitat est beaucoup plus importante aux petits échelons géographiques et pour des horizons temporels réduits, puisqu’à ces échelles de temps et d’espace les phénomènes de compensation via le parc déjà existant ou le taux de vacance ont moins de chances de pouvoir en amortir l’effet. Réciproquement, les grands territoires et les horizons projectifs lointains répercutent bien davantage les transformations démo-géographiques globales de nature à modifier à moyen terme la relation entre caractéristiques des logements et de la population qui les occupe, comme on a pu l’observer par le passé. De fait, les méthodes projectives s’appuyant sur la dynamique du parc de logements n’intègrent que de façon très limitée (à travers la survie des anciens occupants), et pas dans toutes leurs variantes, le vieillissement à venir de la population nationale. Ainsi, à court terme, un programme très concentré de construction de logements de grande taille accueillant usuellement des familles avec enfants se traduira-t-il très probablement par l’augmentation de la part des moins de 18 ans dans le territoire concerné. En revanche, à plus long terme, rien ne dit que la poursuite de tels programmes, dans ce territoire, conduira à attirer dans des proportions semblables des enfants devenus plus rares dans une population globale plus âgée, des couples aisés de sexagénaires n’ayant plus d’enfants pouvant apprécier les avantages de ces logements spacieux. Au-delà d’un horizon de 5 ans, un redressement des résultats tenant compte des grandes évolutions démo-géographiques devient ainsi nécessaire.
Des contextes spécifiques d’utilisation à l’articulation des démarches
La nature des conclusions apportées, des processus reconstruits et des données traitées dans les différentes démarches projectives localisées définit un partage plus ou moins explicite de leurs contextes d’utilisation. Schématiquement, on pourrait opposer deux situations. Lorsqu’il s’agit de définir une stratégie globale de développement territorial avec un assez long terme (horizons de 5 ans à 25-30 ans) et pour des territoires de taille assez importante (très grandes communes, agglomérations urbaines, ensembles de communes rurales), on aurait recours aux méthodes projectives s’attachant à reconstruire les flux d’échange de populations entre les territoires. Lorsqu’il s’agit de quantifier les évolutions démographiques à attendre de la mise en oeuvre d’un programme d’habitat afin d’anticiper les besoins de services et d’équipement immédiatement à venir (horizon de moins de 5 ans), on aurait recours, sans redressement, aux méthodes projectives s’appuyant sur la dynamique du parc de logements. Si dans de nombreuses situations pratiques ce partage se révèle assez efficient pour répondre à la demande des collectivités publiques, il est néanmoins de plus en plus fréquent que cette demande soit beaucoup plus composite.
Conduisant, entre autres, à élaborer des programmes d’habitat, les questionnements relatifs aux stratégies globales de développement s’accompagnent très souvent d’un besoin d’anticipation des équipements et des services territorialement beaucoup plus précis (quartier, commune rurale). Il est donc nécessaire de décliner les résultats des différents scénarios projectifs conçus pour un terme assez lointain et pour un territoire assez vaste sous une forme localisant plus précisément les effectifs des différentes catégories de population. Dans cette logique, la coordination inter-communale aujourd’hui exigée en vue de l’élaboration des politiques de développement territorial rend de plus en plus difficile une représentation atomisée de programmes d’habitat considérés indépendamment des évolutions démo-géographiques de plus long terme. Cette exigence d’un double regard prospectif peut difficilement se satisfaire de la seule juxtaposition des résultats issus de chacune des démarches. Si les éventuelles différences tendancielles (en termes d’effectifs et de composition par sexe et âge) peuvent ne pas être perçues du fait de certaines restrictions et spécifications[11], cela ne résout en rien les contradictions qu’elles pourraient révéler. Plus rigoureuse, la confrontation des résultats issus des deux types de démarche pour un même horizon (en général de moyen ou long terme) et un zonage commun (impliquant une application de la méthode s’appuyant sur la dynamique du parc de logements à tous les sous-ensembles géographiques) permet de discuter de l’origine de ces éventuelles contradictions, sans pour autant offrir de conclusion satisfaisante. Dans l’absolu, le recours aux microsimulations pourrait permettre d’intégrer ces deux démarches dans un même processus. Cependant, sans être inenvisageable, cette option combinée semble d’autant plus délicate à mettre en oeuvre que l’élaboration de microsimulations localisées ne s’appuyant que sur l’une de ces deux logiques s’avère déjà difficile. Quoique, sous réserve des données disponibles, cette orientation doive à l’avenir être de plus en plus utilisée, en l’état actuel des choses c’est une intégration qui reste à construire. En revanche, on peut tenter d’articuler les résultats produits par les deux démarches réalisées au départ de façon distincte.
Bien que fortement dépendante du contexte de développement territorial pour lequel la recherche prospective est sollicitée, cette articulation vise à tirer profit des aspects les plus performants de chacune des deux démarches :
capacité à relier les évolutions locales projetées aux grandes évolutions démo-géographiques, pour les méthodes cohérentes reconstruisant la dynamique de la population à partir de ses flux de renouvellement,
lien des programmes d’habitat avec les enjeux de développement local, pour les méthodes s’appuyant sur la dynamique du parc de logements.
En pratique, cela se traduit d’abord en modulant, selon plusieurs scénarios, la projection s’appuyant sur les programmes d’habitat prévus ou envisagés. Ces scénarios discuteront le contenu quantitatif et qualitatif des politiques d’habitat tout en ouvrant une réflexion prospective plus large, intégrant d’autres aspects du développement territorial que le seul habitat (situation économique régionale, grands équipements, réseaux de transport…). L’autre volet de cette articulation consiste à redresser les compositions par âge obtenues à l’issue de cette modulation des résultats de la projection s’appuyant sur les programmes d’habitat. Un tel redressement utilise comme base de calage la composition par âge et sexe d’un ensemble géographique plus vaste dont la population a été projetée par une méthode cohérente reconstruisant la dynamique de la population à partir de ses flux de renouvellement. Il s’agit ainsi de tenter de rétablir le lien entre les grandes évolutions démo-géographiques à venir et les résultats de projections s’appuyant sur la dynamique du parc de logements, résultats qui ne peuvent en rendre compte en tant que tels.
Illustration par un exemple caractéristique
La commune de Cestas, située aux limites de la Communauté urbaine de Bordeaux (CUB), permet d’illustrer cette option d’articulation des deux démarches. Cette commune, qui fait partie des quelques communes périphériques dont l’adhésion à la CUB est aujourd’hui discutée, a connu une croissance démographique extrêmement rapide de la fin des années 1960 au milieu des années 1980 (multiplication par près de 5 de la population entre 1968 et 1990). Depuis les années 1990, la population ne varie presque pas, les quelques constructions neuves (en moyenne 73 logements par an) permettant seulement l’installation de familles dans des maisons individuelles dont elles sont propriétaires, confortant la spécialisation de ce territoire dans ce type de logements[12]. La figure 1 est la parfaite illustration de cette prédominance de maisons individuelles construites en majorité avant 1990, les adultes des familles s’étant installés à Cestas à ce moment-là ayant vieilli et une bonne partie de leurs enfants ayant décohabité. La pyramide des âges de 2008 de la commune de Cestas tranche ainsi nettement avec celle du canton de Belin-Beliet, beaucoup plus éloigné de Bordeaux, mais qui a connu beaucoup plus récemment de fortes vagues de construction de maisons individuelles en accession à la propriété, se traduisant par la présence de familles à un stade plus précoce de leur constitution (adultes et enfants étant en moyenne plus jeunes qu’à Cestas). Les deux autres territoires offrent un contraste encore plus saisissant avec Cestas : la commune de Talence et sa sur-représentation en étudiants louant des appartements dans le parc privé, et la commune de Lormont illustrant l’importance du logement social.
Relativement proches d’importantes zones d’activité économique de l’agglomération de Bordeaux, les habitants de Cestas utilisent néanmoins très peu les transports collectifs, ce qui se traduit par un recours quotidien important à la voiture :
moins du quart des actifs occupés travaillent dans la commune,
plus de 40 % des élèves et étudiants sont scolarisés hors de la commune (90 % s’agissant de ceux fréquentant un établissement secondaire ou supérieur),
près de 90 % des déplacements domicile-travail se font en voiture,
de ce fait, plus de 60 % des ménages de Cestas possèdent au moins 2 voitures, cette proportion s’élevant à 82 % pour les ménages dont au moins un enfant est scolarisé dans un établissement secondaire ou supérieur.
Les discussions entourant une éventuelle adhésion à la CUB impliquent donc, pour cette commune périphérique, une réflexion sur son développement territorial futur. Celui-ci peut s’envisager selon quatre scénarios.
Le premier d’entre eux (S1), correspondant aux souhaits d’une partie non négligeable des habitants actuels, s’orienterait vers une limitation encore plus drastique de la construction neuve, pour préserver la densité modérée de l’habitat, et ainsi les surfaces importantes d’espaces naturels diversement aménagées qui constituent un aspect déterminant de l’attrait de la commune. S’inscrivant plutôt dans une logique de refus de l’adhésion à la CUB, ce scénario limite à 5 le nombre annuel de nouveaux logements, avec une très faible diversification du parc de logements existant et un taux de vacance se maintenant très bas.
Le second scénario (S2) s’inscrit aussi plutôt dans une logique de refus d’adhésion à la CUB et ne recueille ni l’assentiment des habitants actuels ni celui des instances administrant l’urbanisme aux différents échelons, mais il répond à une logique économique immobilière de court terme. Dans un contexte de forte attractivité régionale, notamment vis-à-vis des familles en cours de constitution, il conduirait à relancer les constructions de lotissements de maisons individuelles à vocation familiale, auxquelles s’ajouterait la construction de deux maisons de retraite de 100 places chacune. Cela correspondrait à une moyenne de 100 nouveaux logements par an pendant les premières années, en très large majorité des maisons en accession à la propriété. Nécessitant de fortes disponibilités en matière d’espace constructible, ce type d’habitat connaîtrait, du fait d’un empiétement trop important sur les espaces naturels, une réduction rapide du rythme de son extension géographique, d’où un passage à 25 constructions nouvelles par an pendant les années suivantes. Ce scénario est, par ailleurs, associé à une hausse non négligeable, à moyen terme, du taux de vacance, le renchérissement du coût des transports quotidiens, via celui de l’énergie, étant de nature à réduire fortement l’attrait pour ce type de territoire qui aurait conservé sa forte dépendance à la voiture particulière.
Les deux autres scénarios (S3 et S4) s’inscrivent plutôt dans une logique d’adhésion à la CUB et donc de développement d’un accès facilité aux transports collectifs de l’agglomération, qui en partagerait alors les coûts avec Cestas. Sans radicalement transformer la structure du parc de logements, ces scénarios correspondent à une amorce de sa diversification, avec 100 nouveaux logements par an dont 40 appartements en location privée, 15 appartements en accession à la propriété, 15 logements sociaux, 20 maisons individuelles en accession à la propriété et 10 maisons individuelles en location privée, auxquels s’ajouterait la construction de deux maisons de retraite de 150 places chacune. Engendrant un habitat moins dispersé, ces constructions d’immeubles d’appartements permettraient de rapprocher la population des réseaux de transports collectifs, car ces derniers étendraient leurs ramifications tout en augmentant la fréquence des passages dans la commune. Cette plus grande diversité du parc de logements se traduirait par ailleurs par une légère hausse du taux de vacance, du fait d’une plus forte rotation des occupants des logements en location privée. Le troisième scénario (S3) envisage cette politique de développement territorial dans la perspective du projet d’agglomération de la CUB, autrement dit dans le cadre d’une réunion des conditions nécessaires à la réalisation de ce projet (Bergouignan, 2011). Le quatrième scénario (S4), lui, envisage cette politique de développement territorial dans une optique d’absence de réalisation de ces conditions, la politique volontariste de renouvellement du parc de logements se traduisant alors par une augmentation du taux de vacance, qui dépasserait largement les seules contraintes induites par la plus grande rotation des habitants des logements en location privée.
Pour les quatre scénarios, les étapes de la projection sont les mêmes :
Projection (survie et sédentarité), à l’horizon 2024, de la population des ménages propriétaires de leur logement en 2008[13].
Calcul du nombre de logements libérés par le décès ou le départ de ces propriétaires entre 2008 et 2024 (application aux propriétaires survivants n’ayant pas quitté leur logement de la méthode de la fraction de ménage associée à une personne d’un âge et d’un sexe donné).
Calcul du nombre de logements du territoire à l’horizon de la projection (ici 2024) disponibles pour d’autres occupants et répartis selon leurs caractéristiques croisées (maison ou appartement ; location sociale, privée ou occupation par les propriétaires ; grand, moyen ou petit logement ; période de construction). Ce calcul utilise les logements libérés par leurs propriétaires occupants (précédemment calculés) auquel il ajoute une actualisation du parc des autres types de logements conduite à partir des programmes d’habitat associés à chaque scénario.
Passage de la structure des logements à la structure de la population, via le taux de vacance, la taille des ménages et la composition par sexe et âge associés à chaque catégorie de logements définie par le croisement des caractéristiques précédentes, à l’exception des propriétaires survivants n’ayant pas quitté leur logement, dont l’effectif réparti par sexe et âge est déjà estimé en 1.
Redressement des compositions par âge obtenues pour chaque catégorie de logements, par calage avec les compositions par âge, de l’ensemble de l’aire urbaine bordelaise[14] projetées à l’horizon 2024, selon un modèle multi-régional. Les scénarios de projection multi-régionale sont : le scénario tendanciel pour S1 et S2, le scénario adossé au projet d’agglomération de la CUB pour S3, le scénario adossé à la non-réalisation des conditions du projet d’agglomération pour S4.
Les résultats des projections selon les quatre scénarios proposés montrent (figure 2) :
qu’avec un très faible niveau de construction neuve (S1), la population de Cestas devrait progressivement diminuer (– 7,3 % en 16 ans) et, surtout, connaître un important vieillissement (+ 11 points de pourcentage pour la proportion des 60 ans et plus ; + 9 points de pourcentage pour la proportion des 75 ans et plus),
qu’un niveau modéré et peu diversifié (S2) ou important mais plus diversifié (S3 et S4) de construction neuve, correspondants à des besoins assez semblables de surface communale, conduirait à une augmentation de la population (modeste pour S2 : + 5,8 % en 16 ans ; plus conséquente pour S3 : + 11,7 % en 16 ans ; intermédiaire pour S4 : + 8,3 % en 16 ans),
que ces niveaux modéré (S2) et importants (S3 et S4) de construction neuve ne ralentiraient qu’assez peu le vieillissement (+ 8 à + 9 points de pourcentage pour la proportion des 60 ans et plus), profiteraient au maintien de la part des 18-29 ans (S3 et S4) et conduiraient à une augmentation de celle des moins de 18 ans (S2 et, à un moindre degré, S3 et S4).
Les quatre scénarios proposés n’ont évidemment pas pour objectif de fournir un intervalle de prévision de la population future. D’une part, l’amplitude des valeurs extrêmes (notamment en termes d’effectif total de la population) est beaucoup trop vaste pour renvoyer à une prévision présentant le moindre intérêt pratique. D’autre part, les quatre scénarios projectifs montrent la sensibilité (plus ou moins importante selon les aspects considérés : effectif ou composition de la population) des évolutions démographiques futures à la politique de développement territorial qui sera choisie, ce qui est peu compatible avec le déterminisme nécessaire à la prévision à proprement parler. Renvoyant à des besoins en équipements et en services, ces populations projetées et leurs compositions par âge (qui dans la pratique se déclinent aussi sous forme d’effectifs) ont avant tout pour objectif d’alimenter le débat démocratique local. Il est donc essentiel, non pas de chercher à prévoir un avenir qui est en partie la conséquence des actions qui pourront être conduites, mais d’exprimer, de la façon la plus précise possible, la relation entre les évolutions démographiques futures et :
le contenu de ces actions pilotées à l’échelon local (ici, programmes communaux d’habitat, volonté de préserver certains espaces naturels et adhésion éventuelle à la CUB),
les projets dépendant d’une gouvernance plus large (ici, le projet d’agglomération conçu par la CUB),
les déterminants structurels locaux (ici, la composition initiale par sexe et âge des occupants propriétaires de leur logement),
l’environnement démo-géographique plus général (ici, le vieillissement de la population et l’attractivité de la région Aquitaine),
et les transformations économiques et sociales pouvant influencer ces évolutions (ici, le coût de l’énergie utilisée pour les transports quotidiens et le développement économique de l’agglomération).
C’est donc la cohérence avec laquelle ces éléments seront articulés qui fera la qualité de la démarche prospective locale, articulation qui dépend non seulement de la conception des instruments projectifs mais aussi de la précision des informations incorporées dans la méthode. Dès lors, les données démographiques produites par la statistique publique et leur diffusion occupent un rôle déterminant puisqu’elles conditionnent à la fois les instruments projectifs qui pourront être utilisés et le niveau de décomposition qui pourra être envisagé pour associer population et logement.
Un recensement riche et fiable pour discuter de l’avenir des populations locales
Dans de nombreux pays ne disposant pas de registre de population, l’essentiel de l’information démographique locale passe par les recensements. De ce fait, pour ces pays, les données susceptibles d’être mobilisées dans une démarche prospective et le choix de la méthode elle-même vont dépendre de la richesse et de la qualité des recensements.
Les projections uni-régionales, conduites ou non en parallèle pour plusieurs zones, sont très peu exigeantes en informations. Pour chaque territoire correspondant à l’échelon géographique dont la population est projetée, il convient de disposer des effectifs de résidents répartis par sexe et âge pour deux recensements successifs, des décès domiciliés classés par sexe et âge et des naissances domiciliées classées par âge de la mère.
Les projections multi-régionales nécessitent des informations plus détaillées. Pour chacun des territoires inclus dans le modèle, les effectifs de résidents doivent être, au moins au dernier recensement, répartis selon leur sexe et âge et selon leur résidence antérieure. Il est, par ailleurs, préférable de disposer, éventuellement avec ces seules variables et un numéro de ménage, d’un fichier de microdonnées. Celui-ci permettra alors d’estimer, via la méthode de décompte des enfants au foyer, la fécondité récente des femmes selon leur résidence antérieure, ce qui permet de maintenir la cohérence du modèle. En effet, ne prenant pas en compte, de façon adaptée, les interactions entre mobilité résidentielle et constitution de la famille, les taux de fécondité construits à partir des données domiciliées d’état civil engendrent d’assez fortes incohérences dans les modèles multi-régionaux (Bergouignan, 2008). Pour autant, les données de recensement, y compris diffusées selon la configuration nécessaire à la mise en oeuvre de modèles mutli-régionaux, ne sont pas exemptes de défaut. C’est notamment le cas de la question sur la résidence antérieure, qui semble assez fortement touchée, pour certaines catégories de population (en particulier les très jeunes adultes dont les migrations internes vers les villes centres sont sous-estimées), par les informations erronées (Aubry, 2009 ; Bergouignan, 1999). Si cela n’affecte pas la cohérence des modèles multi-régionaux, et si les erreurs tendent à se compenser lors de leur mise en oeuvre, une très légère dérive est observée (Bergouignan, 2008). L’exploitation de gros fichiers de gestion enregistrant les domiciles successifs des personnes gérées (assurance maladie et protection sociale en général) pourrait en principe constituer une forme alternative de connaissance des flux de migrations internes. Cela permettrait alors de se passer d’un recensement renseignant sur la résidence antérieure des personnes recensées, et de ne plus être tributaire des erreurs affectant cette déclaration. Dans l’état actuel des choses, en France, ces fichiers présentent davantage de limites (défaut de couverture, sous-estimation encore plus importante des migrations de jeunes adultes du fait de l’affiliation à la protection sociale parentale, etc.) qu’ils n’apporteraient de solutions dans une optique prospective, ce qui n’empêche pas certains d’entre eux (les déclarations annuelles de données sociales, notamment) de permettre d’étudier la mobilité résidentielle de certaines sous-populations (Royer, 2009).
Les méthodes projectives s’appuyant sur le renouvellement du parc de logements sont assez exigeantes en données de recensement, tant sur le plan des variables que sur celui de la diffusion. Dans l’idéal, il faut, pour chaque territoire concerné par l’exercice projectif, être en mesure de répartir la population selon le sexe, l’âge et les caractéristiques du logement (type de logement — maison ou appartement —, période de construction, taille, nature de l’occupation — propriété, location privée ou attribution sociale —), tout en pouvant construire la distribution des ménages selon leur taille pour ces mêmes catégories. En pratique, ne pas disposer d’une ou deux variables de catégorisation des logements n’empêche pas de réaliser ce type de projections, mais en réduit la précision en augmentant l’hétérogénéité des sous-populations traitées. Par ailleurs, le taux non négligeable de non-réponse à la question sur la période de construction du logement incite à ne pas conférer à cette variable un rôle central dans le processus projectif, ce qui implique de recourir à une méthode faisant survivre et se maintenir dans leur logement les personnes qui en sont propriétaires. Il est alors nécessaire de disposer d’autres données pour pouvoir répartir les populations selon leur sexe, leur âge et leur résidence antérieure[15], de façon à pouvoir estimer[16] dans quelle mesure les anciens résidents survivants sont restés dans le même logement.
Au final, les projections multi-régionales, et surtout les méthodes projectives s’appuyant sur le renouvellement du parc de logements, exigent un recensement riche en variables et diffusé sous une forme permettant de conduire à un certain nombre de croisements, ce qui ne correspond pas aux tableaux agrégés publiés par les offices de statistiques. Autrement dit, ces méthodes impliquent un accès à des fichiers de microdonnées comprenant ces variables et un numéro de ménage. En France, les fichiers anonymes de données individuelles du recensement rénové de population, librement téléchargeables sur le site de l’INSEE, répondent, en bonne partie, à ces attentes. Au-delà des questions de richesse de l’information diffusée, la méthode du recensement rénové de la population (Pan Ké Shon, 2007), qui nécessite, pour disposer d’une couverture géographique complète, de cumuler cinq années de collecte et qui, dans les communes de 10 000 habitants et plus, repose sur un sondage à 40 % après ce cumul de cinq vagues, ne pose, en général, pas de difficultés pour conduire des projections démographiques localisées. Toutefois, notamment dans certains travaux de prospective des besoins en scolarisation primaire (Léger et Raulot, 2008), l’absence d’exhaustivité des données relatives aux communes de 10 000 habitants et plus s’avère un handicap important pour redéfinir, avec une précision géographique suffisante, une carte d’affectation des plus jeunes élèves des différents quartiers.
Sans être opérationnelles à l’heure actuelle, du moins en France et dans de nombreux pays, les projections localisées de population par microsimulation constituent néanmoins une perspective théorique très stimulante permettant d’apporter davantage de cohérence à cet exercice. Leur intérêt pratique peut par ailleurs être tout à fait conséquent, dès lors qu’elles n’ambitionnent pas de recréer, sous une forme spatialisée, des vies humaines virtuelles dans toute leur complexité, mais qu’elles incorporent dans leurs hypothèses et qu’elles citent dans leurs résultats les éléments constitutifs des questionnements déterminant les politiques de développement territorial. Pour élaborer ces microsimulations localisées, disposer d’un fichier de microdonnées de recensement est presque indispensable. Il n’est cependant guère réaliste d’attendre du recensement toutes les données nécessaires à ces microsimulations localisées. Que ces dernières visent à reconstituer les interactions entre biographies migratoires, familiales et professionnelles, qu’elles cherchent à reproduire le renouvellement des occupants des logements du territoire ou qu’elles tentent de combiner les deux approches, collecter toutes les informations permettant de les paramétrer ne peut s’accorder avec la relative brièveté des questionnaires des recensements, y compris les plus riches d’entre eux. Une bonne partie des paramètres de ces microsimulations doivent être construits à partir d’enquêtes nationales, dont les résultats peuvent éventuellement être décomposés par région, voire par grand type d’espace ou à partir de dispositifs appariant les données individuelles des recensements successifs pour un échantillon de personnes. Cela ne signifie pas pour autant que ces microsimulations, qui représentent l’avenir des démarches prospectives localisées, puissent se contenter des données d’un recensement très pauvre en variables, ou pour lequel les informations collectées n’auraient pas la même représentativité dans tous les territoires. Au contraire, la capacité de moduler selon les territoires les paramètres construits à des échelles plus larges, ainsi que celle de vérifier l’adéquation de cette modulation aux interactions qu’engendrent les discontinuités spatiales (habitat, équipements, services, topographie…), sont d’autant plus grandes que les données de recensement caractérisant les populations aux échelons géographiques les plus fins sont riches en variables et également fiables pour tous ces échelons.
Appendices
Notes
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[1]
Emplois et stages destinés aux démographes débutants, demandes d’expertises aux universitaires et aux autres spécialistes, achats de produits standards aux instituts de statistique, etc.
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[2]
Il arrive néanmoins, de plus en plus fréquemment, du fait d’un accès facilité aux fichiers, que des chercheurs et universitaires n’appartenant pas à ces instituts de statistiques s’engagent, dans le cadre de collaborations (avec les instituts de statistiques ou d’autres administrations publiques) ou de façon plus isolée, dans ce genre de démarches systématiques de projections démographiques localisées.
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[3]
Cette méthode est souvent nommée « méthode des composantes ». Dans la mesure où d’autres méthodes se basent aussi sur la décomposition de la dynamique démographique selon ses flux de renouvellement, sans conduire aux mêmes défauts de cohérence et de convergence avec les projections nationales, et donc aux mêmes invraisemblances, cette terminologie est exagérément restrictive. D’où le terme de projection uni-régionale, ou projection uni-zone (on peut encore parler de projection « autonome »), si l’on souhaite éviter la confusion avec la région entendue en son sens d’unité administrative spécifique à certains pays. Dans tous les cas, il convient d’indiquer que, si ce type de modèle peut engendrer des populations projetées pour un grand nombre de zones (ce qui en constitue un usage fréquent), elles le sont alors indépendamment les unes des autres, d’où leur caractère uni-zone, uni-régional ou « autonome ». Autrement dit, avec ce type de modèle, il n’y a théoriquement aucune différence entre projeter la population d’une zone ou projeter celles de toutes les zones d’un pays. Dans la pratique, lorsque la population de toutes les zones d’un pays est projetée selon ce type de modèle, les résultats sont ajustés à la projection de la population de l’ensemble de ce pays, ces calages informatiques indépendants de toute hypothèse projective pouvant intervenir selon plusieurs niveaux intermédiaires (notamment régionaux). En pratique, cette procédure corrective qui vise à faire disparaître la divergence nationale ne parvient pas à éliminer les conséquences les plus visibles des invraisemblances locales, tout en modifiant assez sensiblement les résultats par rapport à la projection initiale de la population de chaque zone.
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[4]
On pourrait aussi parler de projections multi-zones, pour s’abstraire de ce qui pourrait sembler être, à tort, une restriction à la région entendue dans son sens d’unité administrative spécifique à certains pays. Pour exprimer la dépendance entre les populations projetées, on peut aussi parler de projections « liées ».
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[5]
Cette convergence suppose, d’une part, que le traitement de l’immigration internationale soit conduit selon les mêmes principes et, d’autre part, que les hypothèses d’extrapolation des comportements nationaux de fécondité, de mortalité et d’émigration internationale correspondent aux mêmes tendances que la synthèse nationale des hypothèses d’extrapolation de ces mêmes comportements à l’échelle de chacune des zones dont la population est projetée. S’y ajoute le problème que pose la formulation d’hypothèses localisées d’émigration internationale future qui, en l’absence de registre de population, résulte plutôt de difficultés d’observation. La condition de correspondance entre tendances nationales extrapolées et synthèse nationale des tendances locales extrapolées peut sembler difficile à respecter. Elle demeure sans grande conséquence en termes de source de divergence entre somme des résultats des populations projetées à l’échelle des zones et projection nationale, dès lors que l’hétérogénéité territoriale des comportements de fécondité et de mortalité reste à l’intérieur de certaines limites. Pour cette raison, il est par exemple plus pertinent de projeter les populations de zones dont l’ensemble forme la France métropolitaine plutôt que la France entière (incluant les espaces d’outre-mer).
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[6]
Fécondité, mortalité et mobilité résidentielle propres à chaque nouvelle catégorie et passage d’une de ces catégorie à une autre pour chaque population territoriale initiale.
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[7]
En l’absence de registre de population, et ce, malgré les nombreuses imperfections de la question sur la résidence antérieure, il n’y a souvent que le recensement qui permette d’appréhender la mobilité résidentielle de la population générale à une échelle géographique fine, compatible avec les unités territoriales pour lesquelles les projections localisées sont sollicitées. En revanche, les informations concernant les autres dimensions biographiques (familiale/domestique, éducative, professionnelle, etc.) sont en général beaucoup plus détaillées dans de grandes enquêtes nationales, dont les résultats se prêtent cependant peu à la désagrégation géographique, possible tout au plus à l’échelle régionale ou à celui de grands types d’espace. L’échantillon démographique permanent peut, avec environ 800 000 personnes suivies d’un recensement à l’autre, offrir davantage d’opportunités, mais on reste cependant très loin de la désagrégation territoriale autorisant une estimation directe des paramètres nécessaires à la microsimulation localisée.
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[8]
Ces derniers phénomènes correspondent à la saturation d’un système de développement plutôt qu’à la saturation de l’espace à proprement parler. Ils renvoient à la fois à l’impossibilité pour les décideurs locaux de consommer l’espace en poursuivant une politique d’aménagement fondée sur son abondance et à la modification des représentations collectives de ce territoire et de « l’envie » d’y vivre. De fait, de nombreux espaces considérés comme saturés ont connu de nouvelles vagues de peuplement fondées sur de nouveaux principes d’aménagement. Certaines villes centres (comme Bordeaux, Lille, Lyon) ou certains communes de la première couronne de banlieue des grandes aires urbaines de province (comme Bègles) en sont l’exemple (Bergouignan, 2008).
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[9]
En France, il s’agirait des communautés de communes de taille conséquente, ou des « pays » de taille modeste, les « pays » étant des regroupements de communautés de communes.
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[10]
Dans certains cas (territoires de forte concentration de populations en difficulté) il peut s’avérer utile de procéder aussi de la sorte avec les occupants des logements sociaux.
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[11]
Des horizons projectifs distincts pour les deux démarches, ou une application des projections s’appuyant sur la dynamique du parc de logements limitée à une partie des sous-ensembles du territoire projeté en reconstruisant la dynamique démographique basée sur les flux, peuvent rendre ces différences imperceptibles.
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[12]
82 % des habitants de Cestas vivent dans des maisons individuelles dont ils sont propriétaires.
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[13]
Les années de synthèse centrale de 5 vagues du recensement rénové de la population entraînant un décalage de plus de 3 ans entre ces années et la date publication des résultats, la dernière année de synthèse centrale pour laquelle les résultats sont publiés est l’année 2008 (vagues 2006 à 2010 du recensement rénové de population).
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[14]
Il s’agit de la CUB, soit 706 840 habitants en 2008, à laquelle s’ajoutent un grand nombre de communes périphériques totalisant 307 690 habitants.
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[15]
Définie à l’échelon du territoire dont on cherche à projeter la population, et précisant si la personne a ou non changé de logement.
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[16]
Ne disposant pas de la catégorie de logement occupée à la date de référence correspondant à la question sur la résidence antérieure, il s’agit d’une estimation basée sur la répartition des logements du territoire au précédent recensement et utilisant la proportion d’anciens résidents du territoire n’ayant pas déménagé, toutes catégories de logement actuel confondues, et selon les catégories de logement actuel.
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