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Mise en contexte

Le continent nord-américain reçoit, à la fin du xixe siècle et au début du xxe siècle, une immigration internationale massive. L’Europe connaît à ce moment un contexte favorisant le départ d’une partie de la population de différent pays vers le continent nord-américain. Ces déplacements profitent davantage aux États-Unis d’Amérique. Cependant, vers la fin du xixe siècle, des changements majeurs surviennent tant aux États-Unis (comme la diminution des terres agricoles) qu’au Canada (fin de la sécheresse dans les Prairies, déploiement du train vers les provinces de l’Ouest, etc.) attirant des immigrants aux origines diverses en nombre croissant au Canada. Cette croissance de l’immigration va essentiellement alimenter les fronts pionniers canadiens ainsi que le développement des villes sur l’ensemble du territoire. Ainsi, depuis 1867, le Canada s’est principalement bâti grâce à l’immigration, largement dominée par les immigrants issus des îles britanniques. Ces derniers ont d’ailleurs été le sujet de nombreuses recherches portant sur leur contribution à la société canadienne et à leur intégration au Canada. À côté des immigrants principaux, d’autres ont également pris part au peuplement des xixe et xxe siècles, comme les Allemands, les Norvégiens, les Danois, les Suédois ou les Hollandais.

Quelques recherches ont été menées sur ces immigrants secondaires tels Bassler (1999) pour les Allemands, Brunvand (1974), Hale (1999a et 1999b) et Loken (1981) pour les Scandinaves et Swierenga (1981, 1983 et 1985) pour les Hollandais. Ces travaux ont pu être réalisés en partie parce que ces origines étaient observables dans les recensements publiés. Par contre, plusieurs origines non observables dans les recensements publiés n’ont pas été étudiées, la rareté des informations disponibles freinant l’intérêt parmi les chercheurs. Les immigrants d’origines belges figurent parmi ces minorités relativement peu connues et peu étudiées. Bien qu’ils s’intègrent dans l’ensemble des flux migratoires canadiens depuis plus de 150 ans, peu de recherches démographiques ou géographiques s’y sont intéressées. Cette lacune s’explique en partie par les effectifs modestes de l’immigration belge et leur « rapidité » d’intégration dans la population canadienne (Jaumain, 1999 ; Jaenen, 1999). À ces raisons s’ajoute le fait que, proportionnellement au territoire de départ, plus d’émigrants hollandais (voir les travaux de Swierenga en 1981, 1983 et 1985) ou luxembourgeois ont immigré au Canada que de Belges. Tous ces facteurs mis ensemble contribuent à expliquer le peu d’intérêt suscité par les immigrants belges chez les chercheurs travaillant sur l’Amérique du Nord. Quelques auteurs, dont Stengers (1978), Eggerick et Poulain (1995), Jaenen (1991 et 1999), Jaumain (1999), et Vermeirre (2001), se sont quand même intéressés aux immigrants belges et ont fait ressortir plusieurs éléments du mouvement migratoire. On sait, entre autres, que les immigrants belges se dispersent sur le territoire canadien (Jaenen, 1999), tout en se regroupant dans certaines provinces (Manitoba, Québec, Ontario) (Magee, 1987). De plus, plusieurs essais de colonisation ainsi que plusieurs localités concentrant des Belges dans différentes provinces canadiennes sont connus (Vermeirre, 2001 ; Jaenen, 1999). Le travail d’André Vermeirre (2001) aborde brièvement un autre aspect important : celui de l’intégration de cette population immigrante dans le Canada du xxe siècle. L’étude de l’intégration est un problème qui caractérise toutes les populations minoritaires de langue française au Canada car leur immigration est historiquement faible en termes d’effectifs. Quelques études ont été menées sur les Français mais pratiquement aucune ne porte sur les Belges[1]. Cette dernière observation touche la plupart des aspects de ce mouvement migratoire, surtout avant 1901 alors que les Belges sont absents des recensements agrégés. En fait, la réflexion de Weil (1999) s’applique très bien aux immigrants belges, à savoir que l’histoire des migrations francophones est à construire et qu’il n’y a pas eu d’étude géographique ou démographique d’ampleur, sauf quelques utilisations de recensements agrégés et de statistiques antérieures au recensement de 1901.

Ce texte va donc s’articuler autour de deux points principaux. Dans un premier temps, la démarche d’agrégation des microdonnées du recensement de 1881 est présentée, accompagnée d’une opération de validation avec le cas de l’immigration italienne. Dans un second temps, le produit de cette agrégation appliquée aux Belges est utilisé pour caractériser cette immigration en fonction de quelques variables démographiques et pour établir une première cartographie de leur répartition sur le territoire canadien en 1881.

Problématique

L’étude de l’immigration belge, durant la période allant de 1881 à 1911, est fondée sur l’information recueillie dans plusieurs sources de données, notamment les agrégés des recensements publiés (Canada, Ministère de l’Agriculture, 1882-1885) et les microdonnées tirées des recensements nominatifs de 1881 à 1911. De manière générale, les premières sources permettent d’établir les volumes migratoires et la répartition géographique des migrants, tandis que les secondes facilitent l’étude plus fine de leurs caractéristiques socio-démographiques. Cependant, les données agrégées figurant dans les recensements publiés ne permettent pas de distinguer toutes les origines. Ainsi, dans les recensements publiés de 1881 et 1891, les immigrants d’origine belge sont regroupés dans la catégorie « Autre » pour les variables du lieu de naissance et de l’origine. Dans les faits, il n’est possible d’observer les immigrants belges qu’à partir du recensement de 1901, date à laquelle on suppose que leur nombre est devenu suffisamment important pour être distingué des autres origines. Ceci nous empêche donc d’établir les rythmes migratoires et les zones d’établissement des immigrants belge antérieurement. Heureusement, l’ensemble des informations nominatives du recensement de 1881 a été numérisé grâce aux efforts combinés de l’Église des Saints des Derniers Jours (mormons) et du Projet de recherche en démographie historique (PRDH) de l’Université de Montréal. Ces microdonnées nous ont servi à la création d’un recensement agrégé distinguant les immigrants belges des autres origines, nous permettant ainsi de remonter 20 ans avant le recensement de 1901 et de saisir le mouvement d’immigration à ses débuts. Une fois cette reconstruction établie et validée, nous la mettrons en lien avec les recensements publiés de 1901 et 1911 afin de mieux comprendre l’intégration des immigrants belges, tant économiquement que socialement et spatialement[2]. Il faut au préalable vérifier dans quelle mesure il est possible d’agréger les microdonnées de 1881 et obtenir un résultat comparable à celui qui figure dans le recensement publié.

Traitement de l’information

Recensement publié de 1881

Le recensement publié de 1881 constitue le deuxième recensement canadien depuis l’Acte de l’Amérique du Nord en 1867[3]. Les tableaux publiés de 1881 contiennent moins de détails que ceux de 1871, mais permettent néanmoins de faire ressortir les généralités de la population canadienne selon la province, la division et la subdivision de recensement. Au total, le recensement publié de 1881 comptabilise 4 278 327 personnes sur l’ensemble du territoire. L’information contenue dans les microdonnées de 1881 utilisées ici provient des mêmes fiches que celles utilisées par les fonctionnaires canadiens pour compiler le recensement publié de 1881.

Agrégation des microdonnées de 1881

La démarche élaborée permet de créer un ensemble agrégé suivant les mêmes échelles que celles du recensement publié, c’est-à-dire au niveau des subdivisions de recensement. Pour valider cette opération d’agrégation avant de l’appliquer aux immigrants belges, nous avons retenu une sous-population d’immigrants dont l’origine et le pays de naissance ne posent pas de problème d’identification et qui ont été discrétisés dans le recensement publié. Notre choix s’est ainsi porté sur l’origine italienne qui, à la différence d’autres origines comme l’allemande, la française ou la scandinave, ne pose pas de problème majeur lors du décompte. En effet, on ne leur connaît pas de problèmes de déclaration, l’Italie ne possédant pas de colonies pouvant créer une ambiguïté lors de la déclaration de l’origine ou du lieu de naissance. Les Allemands posent certains problèmes liés à la langue parlée : souvent l’origine allemande est déclarée lorsque l’immigrant est germanophone, alors qu’il n’est pas nécessairement originaire d’Allemagne. L’origine française pose des problèmes dans les recensements car il peut y avoir confusion avec les Canadiens français. Enfin, les Scandinaves ayant une histoire commune déclarent parfois une origine scandinave sans distinction de pays d’origine.

Avant de commencer l’agrégation des microdonnées, la répartition des immigrants dans les deux sources de données est comparée afin de s’assurer de la présence d’une répartition similaire (tableau 1). On constate des différences qui ont déjà été documentées par le personnel du PRDH[4]. En effet, des microfilms sont manquants pour le Québec et le Manitoba, représentant moins de 2 % de la population de ces provinces. De plus, certains groupes autochtones sont soit comptés, soit omis. Ces différences représentent 1,2 % de la population de la Colombie-Britannique et 80,6 % de celle des Territoires du Nord-Ouest. En réalité, comme l’information concernant ces groupes autochtones était reprise sous forme de notes, elle n’a pas été introduite dans les microdonnées de 1881[5]. Enfin, la différence majeure observée en Ontario est due au dénombrement d’environ 1 000 individus de plus que dans le recensement publié. Cependant, cette différence représente seulement 0,1 % de la population de la province, ce qui est globalement négligeable. À l’exception des trois provinces mentionnées ci-dessus, les différences observées sont faibles en rapport de la population de chacune des provinces.

Tableau 1

Répartition de la population canadienne par province, 1881, différences entre le recensement publié et les microdonnées

Répartition de la population canadienne par province, 1881, différences entre le recensement publié et les microdonnées
Sources : recensement publié de 1881 et microdonnées de 1881 du PRDH (base du 29 septembre 2008)

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Après cette mise en contexte, l’agrégation des microdonnées de 1881 peut débuter en prenant l’origine italienne comme origine test. La première étape consiste en un regroupement des origines italiennes déclarées tout en contrôlant que les immigrants déclarant une origine du Vatican ou de Saint-Marin soient exclus. Ces deux entités constituent des États distincts de l’État italien. De plus, on peut dénombrer plus d’immigrants italiens par l’utilisation d’une seconde colonne reprenant l’information sur une origine secondaire déclarée par l’immigrant[6]. De cette façon, les deux colonnes représentant l’origine sont considérées afin de s’assurer de sélectionner le plus possible d’immigrants d’origine italienne. La même procédure est appliquée pour le lieu de naissance déclaré dans le recensement par un individu. En second lieu, ces agrégations sont comparées avec celles figurant dans les recensements agrégés publiés. Ces comparaisons prennent en compte les différentes échelles géographiques utilisées dans le recensement publié à savoir la province, la division de recensement et la subdivision de recensement. Ceci permet de percevoir les différences existantes entre les deux sources de données et de les quantifier afin de cerner l’ampleur du phénomène existant. La dernière étape de cette démarche applique le processus d’agrégation aux immigrants d’origine belge.

Résultats de l’agrégation

Origines

L’agrégation donne de bons résultats sur les immigrants d’origine italienne. En effet, les résultats obtenus par cette agrégation (tableau 2) révèlent une différence globale de 35 individus sur 1 855 personnes d’origine italienne en faveur du recensement publié, soit une différence de 1,9 %. Cette faible variation peut être liée à un ou plusieurs des facteurs dont les critères utilisés pour constituer le recensement publié de 1881. La répartition provinciale de la différence montre que seuls la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick comptabilisent plus d’immigrants déclarant une origine italienne dans les microdonnées de 1881. Les provinces du Nouveau-Brunswick et de l’Île-du-Prince-Édouard montrent des variations élevées, principalement dues aux faibles effectifs d’immigrants italiens qui y sont dénombrés. Les autres provinces ont des variations plus faibles oscillant entre -5,3 % pour la Nouvelle-Écosse et 0 % pour le Manitoba.

Tableau 2

Répartition des immigrants d’origine italienne par province, 1881, selon le recensement publié et les microdonnées

Répartition des immigrants d’origine italienne par province, 1881, selon le recensement publié et les microdonnées
Sources : recensement publié de 1881 et microdonnées de 1881 du PRDH (Base du 29 septembre 2008)

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La répartition des différences selon les divisions de recensement permet de déterminer si elles sont dispersées ou concentrées dans la province. Le tableau 3 montre le nombre de divisions de recensement dont le nombre d’immigrants italien diffère, après agrégation, de celui que l’on retrouve dans le recensement publié en 1881. En moyenne, un tiers des divisions de recensement de chacune des provinces présente une variation entre le recensement publié et les microdonnées de 1881, à l’exception toutefois du Manitoba.

Tableau 3

Divisions de recensement présentant une différence dans le nombre d’immigrants italiens entre le recensement publié et les microdonnées, 1881

Divisions de recensement présentant une différence dans le nombre d’immigrants italiens entre le recensement publié et les microdonnées, 1881
Source : microdonnées de 1881 du PRDH (base du 29 septembre 2008)

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Bien souvent, les variations détectées (annexe A) sont de l’ordre de l’unité. Elles ont donc une influence limitée dans chacune des subdivisions de recensement. Cependant, ces variations ne représentent pas uniquement des omissions mais également des ajouts par rapport au recensement publié. Ainsi, des individus enregistrés dans les microdonnées ne figurent pas dans le recensement publié. De plus, les variations observées dans une division de recensement se répartissent dans plusieurs subdivisions de recensement. Ainsi, lorsque ces variations sont additionnées, elles peuvent s’annuler et atténuer la variation à l’échelle de la division de recensement. Une partie de la variation observée au sein d’une division de recensement peut provenir du fait qu’un agent pouvait déborder de son territoire géographique et ainsi inscrire des personnes d’une autre subdivision de recensement dans la sienne. Le tableau 4 est une illustration de ce problème dans trois subdivisions de Montréal : Saint-Louis, Saint-Antoine et Sainte-Marie à Montréal.

Tableau 4

Répartition des immigrants d’origine italienne dans trois subdivisions de recensement de Montréal, 1881

Répartition des immigrants d’origine italienne dans trois subdivisions de recensement de Montréal, 1881
Sources : Recensement publié de 1881 et microdonnées de 1881 du PRDH (base du 29 septembre 2008)

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Ces trois subdivisions étant contigües, les huit personnes absentes de Saint-Antoine ont probablement été comptabilisées dans Saint-Louis et Sainte-Marie dans lesquels trop de personnes sont comptabilisées, ce qui nécessiterait de retourner aux images du recensement. Bien souvent, la variation observée est due à une, deux voire trois subdivisions de recensements. En fin de compte, l’effet de ces variations est limité tant spatialement que numériquement et n’influence en rien les caractéristiques socio-démographiques.

Lieu de naissance

Pour ajouter à la vérification, le même exercice a été réalisé pour le lieu de naissance déclaré (Italie).

Le tableau 5 donne un bon aperçu des écarts qui peuvent exister. Au total, 52 personnes (6,7 %) se déclarant nées en Italie sont absentes des microdonnées de 1881, surtout à cause de l’écart observé pour l’Ontario. À l’aide de l’annexe B, on peut attribuer cette différence à une division de recensement en particulier, soit celle de Welland. À son tour, cette variation est dépendante uniquement d’une subdivision, celle de Humberstone. La variation est ici localisée et n’affecte pas le reste des subdivisions de recensement.

Tableau 5

Répartition par province des immigrants déclarant un lieu de naissance en Italie, 1881, recensement publié et microdonnées

Répartition par province des immigrants déclarant un lieu de naissance en Italie, 1881, recensement publié et microdonnées
Sources : recensement publié de 1881 et microdonnées de 1881 du PRDH (base du 29 septembre 2008)

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Deux autres provinces enregistrent une différence proche de 10 %. Ceci s’explique par le faible effectif d’immigrants présents en Nouvelle-Écosse et au Manitoba.

De nouveau, l’absence de variation à l’échelle de la province ou de la division de recensement ne signifie pas automatiquement qu’il n’y en a pas à l’échelle inférieure. Ceci s’illustre bien avec le cas de la province de Québec (voir annexe B). Au niveau provincial, les chiffres présentés concordent entre les deux sources. Cependant, à l’échelle des divisions de recensement, des divergences apparaissent parmi 13 d’entre elles (tableau 6). Globalement, le nombre de divisions de recensement comptant un lieu de naissance déclaré en Italie est inférieur à celui observé pour les origines (tableau 6), 108 contre 130. Ceci s’explique par le fait que toute personne déclarant une origine italienne n’est pas nécessairement née en Italie. De plus, un nombre inférieur de divisions de recensement comptant des immigrants nés en Italie laisse supposer un établissement plus ancien dans la province concernée. Cependant, la province du Québec présente une variation plus grande pour le lieu de naissance que pour l’origine. Cette variation plus grande pourrait augmenter la marge d’erreur lors de l’agrégation des microdonnées de 1881.

Tableau 6

Divisions de recensement présentant une différence entre le recensement publié et les microdonnées à propos du nombre d’immigrants déclarant un lieu de naissance en Italie, 1881

Divisions de recensement présentant une différence entre le recensement publié et les microdonnées à propos du nombre d’immigrants déclarant un lieu de naissance en Italie, 1881
Sources : microdonnées de 1881 du PRDH (base du 29 septembre 2008)

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Bilan

Les variations relevées dans cet exercice peuvent être causées par diverses raisons outre la disponibilité de certains microfilms mise en évidence par l’équipe du PRDH. Le PRDH a également mentionné le fait que certaines lignes des formulaires manuscrits avaient été rayées par les compilateurs du recensement de 1881 alors que certains préposés à la saisie les entraient et d’autres non. Il ressort des vérifications pour les immigrants italiens que ces derniers ne sont pas concernés par ce problème. Par ailleurs, il arrive parfois que deux subdivisions de recensements soient fusionnées dans les microdonnées alors qu’elles sont distinctes dans le recensement publié (subdivisions de Extension et de Marquette au Manitoba, par exemple). Les raisons de leur fusion demeurent inconnues, mais l’équipe de l’IRCS a déjà révélé que pour les recensements de 1911 à 1951, il arrive que la géographie de la tenue du recensement à l’échelle de la subdivision diffère de celle des compilations et de la diffusion des résultats. Cependant, cette variation devrait se compenser à l’échelle de la division de recensement et ainsi donner les mêmes effectifs entre les deux sources de données. Or, il semble que cela ne soit pas nécessairement le cas tout le temps. Il reste enfin à mentionner les erreurs humaines que les compilateurs du recensement de 1881, les bénévoles de l’Église des Saints de Derniers Jours et ceux du PRDH ont pu commettre lors de la saisie des données individuelles. Ces dernières pourraient expliquer une bonne partie des variations +1/-1 observées dans plusieurs subdivisions de recensement.

Au final, vu l’ancienneté du recensement, les variations observées sont, sauf quelques exceptions comme Humberstone en Ontario, peu dommageables pour l’étude des immigrants italiens. Le processus d’agrégation donne de bons résultats et nous permet d’avoir une bonne idée de la répartition spatiale des immigrants italiens. Dès lors, il nous est possible d’appliquer ce processus d’agrégation aux immigrants d’origine belge.

Les Belges au Canada en 1881 : premières observations

L’origine

Les immigrants belges possèdent une caractéristique que les immigrants italiens n’ont pas : l’existence de deux langues majoritaires distinctes. Ce fait peut engendrer la déclaration d’une origine basée sur la langue parlée par l’immigrant plutôt que sur son appartenance à un pays. En fait, il se peut que les immigrants belges d’expression flamande déclarent une origine flamande alors que les immigrants belges francophones déclarent une origine wallonne. Cette différentiation linguistique a-t-elle été exprimée par les immigrants belges lors du recensement de 1881 ? Après un parcours du feuillet technique des microdonnées de 1881, il ressort que l’appartenance flamande a été exprimée alors qu’aucune mention de l’appartenance wallonne n’apparaît. La sélection des immigrants d’origine belge doit donc prendre en compte l’existence de cette expression flamande.

Dans un premier temps, les différents termes utilisés pour déclarer une origine belge ont donc été répertoriés et ramenés sous l’unique terme « belge ». Le tableau 7 répertorie les origines déclarées par les immigrants belges dont la majorité donne une origine belge. Cependant, quelques-uns, 25 sur 680 (5,7 %), déclarent une appartenance flamande. Ce faible nombre surprend car, selon Jaenen (1991), les immigrants flamands étaient plus nombreux. Les revendications identitaires des immigrants belges s’observent ainsi peu au travers de l’origine déclarée dans le recensement de 1881. On voit également que les immigrants belges sont peu nombreux à aller s’installer dans les fronts pionniers de l’Ouest canadien. On les retrouve principalement dans les deux provinces les plus peuplées à l’époque, le Québec et l’Ontario avec respectivement 65,1 % et 19 % des immigrants d’origine belge. Le tableau 7 donne également 3 immigrants déclarant une origine principale canadienne et une origine secondaire belge. Comme il s’agit d’enfants, nous les considérons d’origine belge parce que leurs parents sont probablement belges.

Tableau 7

Répartition des immigrants belges selon l’origine déclarée en 1881

Répartition des immigrants belges selon l’origine déclarée en 1881
Sources : microdonnées de 1881 du PRDH (base du 29 septembre 2008)

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L’âge, le sexe et le statut matrimonial

Les immigrants belges ont des caractéristiques qui diffèrent selon la province d’établissement. Les figures 1, 2 et 3 montrent leur répartition par âge, par statut matrimonial et par sexe. La Colombie-Britannique est ainsi caractérisée par une population immigrante d’origine belge ayant entre 20 et 54 ans, majoritairement masculine (86 %) et largement célibataire (86 %), caractéristiques liées à une province en plein développement ayant de nombreux fronts pionniers. Ceci ne les rend pas différents de ce que l’on observe habituellement dans ce genre de province. Les provinces de l’Ontario et du Québec ont une structure par âge similaire, avec de fortes proportions d’enfants, ces proportions étant légèrement inférieures au Québec. La population active est en revanche plus jeune et plus importante au Québec qu’en Ontario. La répartition par sexe est également similaire dans les deux provinces, avec une proportion d’hommes proche de 58 %. Cependant, près d’un immigrant sur deux est marié au Québec, contre moins de 2 sur 5 en Ontario. Le nombre de personnes veuves y est plus important qu’au Québec. Enfin, la Nouvelle-Écosse a une population immigrante belge dont la distribution par âges se rapproche de celle du Québec et de l’Ontario, avec des proportions d’enfants élevées, mais une population active moins nombreuse que dans les deux autres provinces. Les immigrants d’origine belge y semblent également plus âgés qu’en Ontario. La proportion d’hommes y est nettement supérieure (79 %), et proche de celle observée en Colombie-Britannique. La plupart des immigrants belges dénombrés sont célibataires (76 %). L’explication des observations réside dans la profession déclarée : de nombreux religieux sont dénombrés parmi ces immigrants, ce qui explique en partie la répartition par âge, par sexe et le statut matrimonial.

Figures 1

Répartition des proportions d’immigrants d’origine belge selon la province et le groupe d’âge en 1881

Répartition des proportions d’immigrants d’origine belge selon la province et le groupe d’âge en 1881

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Figures 2

Proportions des immigrants d’origine belge selon la province et le statut matrimonial en 1881

Proportions des immigrants d’origine belge selon la province et le statut matrimonial en 1881

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Figures 3

Proportions d’immigrants belges selon la province et le sexe en 1881

Proportions d’immigrants belges selon la province et le sexe en 1881

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Au final, les individus célibataires sont plus nombreux que ceux qui sont mariés dans la plupart des provinces. Cela laisse penser que l’immigration belge est plus souvent un acte individuel que familial. Cependant, ceci est à relativiser suivant la province d’établissement : le Québec attire plus de familles, l’Ontario moins, la Colombie-Britannique et la Nouvelle-Écosse, par leur contexte particulier mais différent, attirent plus de personnes seules.

La répartition spatiale

La carte 1 illustre la répartition spatiale des immigrants belges en 1881. Ils se retrouvent en majorité au Québec et en Ontario, provinces accueillant respectivement 65,1 % et 19,4 % des immigrants belges. Ils sont présents également dans les provinces des Maritimes, en particulier en Nouvelle-Écosse (7,8 %). Ensemble, ces trois provinces représentent 92,3 % des immigrants belges, seuls quelques-uns étant partis s’installer en Colombie-Britannique et en Saskatchewan. Ailleurs au Canada, la présence belge est négligeable.

Carte 1

Répartition des immigrants sur l’ensemble du territoire canadien en 1881

Répartition des immigrants sur l’ensemble du territoire canadien en 1881

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Les immigrants belges se répartissent inégalement à l’échelle des provinces. Au Québec, ils sont nombreux dans les villes de Montréal et de Québec, mais aussi dans la division de Labelle au nord de Montréal. Ils choisissent de préférence les milieux urbains et le sud de la province. En fait, plus on s’éloigne des ports d’entrée de Québec et de Montréal, moins ils sont nombreux. De manière un peu étonnante, le comté de Labelle (14,8 %) attire pratiquement autant d’immigrants belges que Montréal (19,1 %), ce qui laisse supposer des mécanismes différents entre ces milieux, mécanismes qui feront l’objet d’analyses à venir.

En Nouvelle-Écosse, c’est la division de recensement d’Antigonish qui regroupe le plus grand nombre d’immigrants belges, soit 3,7 %.

En Ontario, ils s’installent majoritairement dans le sud de la province et à proximité de la frontière avec le Québec, ce qui va dans les sens des observations de Magee (1987) sur les immigrants belges flamands en Ontario. Les immigrants belges installés en Ontario sont présents dans plusieurs divisions de recensement, où ils forment de petites communautés représentant en général moins de 2 % de l’ensemble des immigrants belges. Seule la division de Kent East fait exception, avec 4,6 %.

Conclusion

Pour la première fois, il est possible de cartographier la répartition des immigrants belges sur le territoire canadien en 1881. Présents principalement dans les provinces les plus peuplées de l’Ontario, du Québec et de la Nouvelle-Écosse, ils s’y répartissent différemment. Au Québec, ils s’installent davantage en milieu urbain (Québec, Montréal) alors qu’ils se dispersent davantage dans la plupart des autres provinces, souvent en milieu rural. C’est également dans les milieux urbains ou à proximité, tels Québec, Montréal ou Saint-Boniface au Manitoba, que s’observent les plus fortes concentrations d’immigrants. Les emplois qu’ils exercent à proximité de ces milieux urbains sont probablement plus diversifiés que dans les milieux ruraux, ce qui sera étudié ultérieurement.

Au total, comme l’illustre l’exemple italien, l’agrégation à partir des microdonnées permet de bien saisir les concentrations à l’échelle des provinces et des divisions de recensement. Les écarts observés à l’échelle des subdivisions laissent cependant deviner que des ajustements ont été faits à l’étape des compilations par les fonctionnaires canadiens pour faire correspondre le découpage des unités spatiales utilisé pour tenir le recensement avec celui des unités administratives locales. Compte tenu du caractère minime de ces écarts (sauf exception rarissime), les résultats demeurent tout à fait utilisables pour étudier la répartition à échelle fine (regroupements de quelques subdivisions) des effectifs immigrants. Il a ainsi été tout à fait possible de reconstituer la distribution géographique des immigrants belges en 1881 à une échelle fine, alors que ce mouvement migratoire en était à ses premiers balbutiements. L’amélioration est de taille puisque, jusqu’à tout récemment, le recensement agrégé de 1901 était le plus ancien à pouvoir être utilisé pour étudier la contribution belge aux flux migratoires canadiens. La suite s’annonce positive pour l’analyse des caractéristiques de cette immigration et pour en suivre l’évolution depuis la fin du xixe siècle jusqu’à la Première Guerre mondiale.