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L’auteure, Catherine Rollet, est historienne et démographe. Elle relate de façon chronologique l’histoire des carnets de santé en France. Il s’agit bien des carnets de santé, car il y en a eu plusieurs versions au fil du temps. Au-delà des faits documentés en détail en 8 chapitres totalisant près de 300 pages, faits qui intéresseront certainement les praticiens de la santé publique, la qualité première de ce livre est de faire état d’enjeux qui prévalaient lors de la création du premier carnet ou des créations suivantes. Ce livre est aussi d’intérêt pour les démographes car la démographie de la France est l’une des raisons d’être de la mise en place d’un carnet de santé.
Dans la présente note de lecture, ce sont ces deux aspects que nous présenterons. Nous ne tenterons pas de résumer chaque chapitre ni de refaire l’histoire des carnets, que l’auteure qualifie de passablement longue et compliquée. Nous nous concentrerons sur certains enjeux et sur la démographie. L’auteure consacrant un chapitre aux expériences étrangères, nous verrons la place que le Canada et le Québec y tiennent.
Catherine Rollet attribue littéralement l’invention du carnet de santé (tous pays européens confondus) au docteur Fonssagrives en 1868-1869, tout en mentionnant ses influences, comme celle de Florence Nigthingale, et un contexte favorable. Médecin, Fonssagrives préconisait l’utilisation d’un carnet rempli par les mères afin de le seconder dans sa tâche de thérapeute dans l’observation de l’état de santé de l’enfant, en leur faisant noter la sortie des dents, l’allaitement, la croissance, les maladies infectieuses, etc. ! Depuis ce premier carnet, les thèmes retenus dans les versions suivantes ont été nombreux (on recense un carnet qui comptait 104 pages !). Toutefois, les vaccinations et la croissance (la taille et surtout le poids) ont été des constantes, quelles que soient les modifications de format, de contenu, d’apparence et de promoteur.
Le carnet de santé est-il un instrument de soutien au thérapeute (comme le voulait Fonssagrives) ou d’éducation des parents ? ou un instrument de santé publique ?
Les mères, qui étaient au centre du dispositif de Fonssagrives, en furent évincées lorsque l’État intervint dans ce champ : le carnet de santé devint alors un instrument entre les mains des médecins, contrôlés par l’autorité publique.
Le carnet de santé est devenu au fil du temps un instrument privilégié de propagation au sein des familles de l’idée de soins méthodiques et précis, et il participera, aux côtés d’autres initiatives (consultations de nourrissons, Gouttes de lait, pouponnières, crèches, etc.), « à cette véritable croisade contre la mortalité infantile » (p. 66). Le carnet de santé devient en quelque sorte un outil de promotion des bons soins auprès des familles. « De la place qui était la sienne jusqu’à présent comme lien entre médecin et mère, le carnet de santé sort de la sphère privée pour devenir un instrument public de gestion de la santé des populations […] » (p. 132) ; « […] l’optique de santé publique a finalement pris le dessus, selon l’objectif de la prévention des maladies » (p. 78) : le contrôle sanitaire (à travers l’inscription des vaccinations), les études épidémiologiques (pour l’identification et le suivi des cas auxquels des services sont offerts), l’éducation à la santé des parents.
« Dans le contexte d’une mortalité qui commence sérieusement à baisser, les pouvoirs publics s’intéressent au carnet de santé comme outil de gestion de la santé des populations, dans une optique de santé publique » (p. 286). La période d’après-guerre peut être considérée comme celle d’une montée en puissance de la santé publique, avec comme point d’orgue, dans le cas français, l’insertion dans le carnet de trois certificats de santé au début des années 1970. C’est le triomphe de l’idée d’un suivi de toute la population enfantine grâce à ces trois examens médicaux approfondis et obligatoires, susceptibles d’être traités du point de vue épidémiologique.
Le carnet doit-il être obligatoire ? Et alors, qu’en est-il de la confidentialité ?
Au cours du temps, il y eut plusieurs promoteurs de carnets de santé : médecins privés, associations, entreprises privées de médicaments, etc. Aucun ne pouvait le rendre obligatoire. Mais quand l’État s’en est mêlé, l’obligation légale est devenue un enjeu majeur, avec, comme corollaire, la question de la confidentialité.
Une auteure (Louise Hervieu), grandement affectée elle-même par des maladies héréditaires, se fait la promotrice du carnet de santé pour tous, qui inclurait des renseignements sur les maladies héréditaires afin de pouvoir intervenir avant qu’il ne soit trop tard. Sa démarche est soutenue par un courant eugéniste (il faut protéger « la race blanche qui est en train de se tarir », p. 168). C’est à elle et à son engagement que l’on doit le premier carnet de santé officiel.
Divers projets de loi visant l’obligation du carnet n’ont pas fait l’unanimité. Retenue dès 1918, après la Première Guerre mondiale, l’obligation légale du carnet se bute à la question des libertés de chacun et de l’inviolabilité du domicile privé, avec comme conséquence que l’obligation n’est pas appliquée. Les milieux de l’hygiène sociale, entre autres, réagissent mal face au carnet à cause du « danger qu’il y aurait à ce que divers partenaires prennent connaissance du contenu du carnet de santé » (p. 153), comme les employeurs potentiels ; « […] il faut éviter absolument que le carnet puisse devenir une pièce administrative opposable dans diverses circonstances de la vie (scolarité, embauche) et qu’il soit exigé par l’administration, un employeur, une compagnie d’assurances » (p. 203).
Un décret le rendant obligatoire est adopté en 1935, mais, mal interprété, il n’est pas appliqué. Puis, une loi est enfin adoptée, mais on est alors en 1942… la guerre empêche que l’obligation soit réelle.
Au sortir de la guerre, les pouvoirs publics décident d’une réforme en profondeur des structures de santé (maternelle et infantile en particulier) et confirment la décision de rendre le carnet obligatoire. Toutefois, « […] la question du secret des informations contenues dans le carnet continue de préoccuper le législateur » (p. 194).
Et la démographie ?
La démographie française a longtemps été l’une des raisons d’être de la création du carnet de santé. « À une époque de son histoire où la France a un besoin vital d’accroître sa population, le premier devoir qui s’impose aux pouvoirs publics est de sauvegarder l’existence des enfants qui viennent au monde, et la présente ordonnance apparaît, en la matière, comme une véritable mesure de salut public. L’objectif de cette ordonnance est de lutter contre la mortalité infantile dans la perspective clairement affichée d’un redressement démographique. C’est une mesure de salut public qui engage les familles et toute la nation » (p. 192). C’est un enjeu considéré comme « vital pour la France » (p. 132) : « La mortalité infantile atteint des chiffres si alarmants que des mesures rigoureuses doivent être prises immédiatement pour l’enrayer » (p. 192).
Et actuellement en France ?
Plusieurs modèles de carnets se sont succédé en France (1957, 1978, 1980, 1995). Puis, en 2004, le ministère a décidé d’une refonte du carnet de santé. À la suite d’un processus élaboré de consultations des médecins et des usagers, d’études spécifiques et en s’inspirant d’expériences étrangères, un nouveau carnet paraît en 2006. Encore là, la question cruciale de la confidentialité est un enjeu important. « […] Seuls sont autorisés à consulter le carnet, sous réserve de l’accord des parents, les membres des professions médicales et paramédicales […] » (p. 270). Le carnet de santé n’est pas un dossier médical, même si le ministère signalait que les éléments pertinents du carnet de santé (de 2006) (examens médicaux, vaccinations, pages spécifiques, hospitalisations) et des trois certificats de santé seraient à terme intégrés au dossier médical personnel (p. 284). L’informatisation des carnets de santé attire médecins et familles.
Le carnet de 2006 : « […] intègre les évolutions les plus récentes en matière de suivi médical de l’enfant, elle met résolument l’accent sur l’accompagnement des parents dans leur rôle auprès de leurs enfants, et prend davantage en compte la question du développement psychique, relationnel et cognitif de l’enfant » (p. 283).
« Même s’il reste bien imparfait, car il vise de nombreux objectifs à la fois, le carnet de santé est devenu réellement en France un outil de gestion de la santé des populations, mais, en même temps, il retrouve, avec les conseils aux parents et aux adolescents, dans la version de 1995, la fonction d’accompagnement du parcours de santé de l’individu » (p. 205).
Catherine Rollet termine son livre (juste avant la conclusion) en écrivant : « La question du carnet de santé des enfants est loin d’être close » (p. 284).
Les expériences étrangères
L’auteure fait un portrait des carnets de santé dans plus de 30 pays (en insistant sur certains), constatant que le carnet de santé existe presque partout. Ce qui différencie les pays, ce sont le degré et la nature du lien entre le carnet de santé et l’État ainsi qu’une optique éducative plus ou moins présente. Le modèle français apparaît comme un compromis entre les deux options (p. 254).
Et le Canada ? Et le Québec ?
Si le Canada y a une bien petite place (1 page sur 299), le Québec en est à peu près absent (1 ligne). L’auteure mentionne qu’après l’expérience de « l’Alberta (Alberta Child Health Passport) ou du Québec (il existait dans les années 1980 une version anglaise et une version française du carnet de santé) » (p. 245), l’État canadien s’est doté d’un modèle fédéral de carnet de santé non obligatoire. Fruit d’une concertation de sept partenaires publics et privés, le Canada’s Child Health Record est remis lors de la naissance à l’hôpital, en anglais ou en français. Il permet de suivre l’enfant de la naissance à l’adolescence et il a comme objectif majeur « d’assurer la continuité de l’information médicale, malgré la mobilité de la population » (p. 246).
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Permettons-nous comme auteur de cette note de lecture de préciser que le carnet de santé utilisé au Québec, qui répertoriait plusieurs renseignements, est devenu essentiellement un carnet de vaccination. Il serait sans doute intéressant de faire l’histoire des carnets québécois et canadiens et de passer en revue les enjeux, qui sont sans doute similaires à ceux auxquels la France a fait face depuis 1868. Une comparaison avec les carnets français pourrait aussi être intéressante, advenant le cas où le Québec (ou le Canada) envisagerait de modifier son carnet actuel.