Abstracts
Résumé
Les auteurs font d’abord ressortir, pour l’ensemble du Québec, l’ampleur statistique du phénomène des élèves ayant obtenu un certificat d’admissibilité à l’école anglaise (ayants droit) et fréquentant le secteur français. L’analyse tient compte des variations selon les régions, les groupes linguistiques (anglophones, francophones et allophones), les ordres d’enseignement (préscolaire, primaire et secondaire) et le statut public ou privé des écoles. Les auteurs cherchent également à saisir l’impact sur le secteur français de la présence d’ayants droit en son sein. Ils procèdent enfin à une analyse plus fine du phénomène à l’échelle montréalaise, afin d’établir des comparaisons avec le reste du Québec et de dégager le type d’établissement scolaire et les zones géographiques où se concentrent les ayants droit à Montréal.
Abstract
The authors begin by showing the statistical magnitude, in Québec overall, of the phenomenon of students having obtained a certificate of eligibility entitling them to attend English schools, but who nonetheless go to schools in the French sector. The analysis considers variations by region, linguistic group (anglophones, francophones and allophones) and educational level (preschool, primary and secondary), as well as the public or private status of the schools. The authors also attempt to grasp the impact on the French sector of the presence of these students. They then examine the phenomenon in greater detail in Montréal in order to make comparisons with the rest of Québec and to highlight the type of schools and geographic sectors in which these students are concentrated in Montréal.
Article body
Depuis l’adoption de la Charte de la langue française, en 1977, l’accès à l’école anglaise au Québec est limité, à toutes fins utiles, à la communauté historiquement définie comme anglo-québécoise ou anglo-canadienne, ainsi qu’aux descendants des familles qui l’ont fréquentée dans le passé (Gouvernement du Québec, 1977). Étant donné les résistances suscitées par ces restrictions, du moins à l’origine, il n’est pas étonnant que le débat social et médiatique ait d’abord été très largement centré sur la présence, au sein du secteur anglais, d’élèves d’origine immigrée ne correspondant pas aux exigences de la loi ou, ces dernières années, ayant obtenu leur certificat d’admissibilité par des voies légales de contournement de la Charte. Ce n’est donc que tout récemment que la société québécoise a commencé à prendre conscience du phénomène inverse, soit celui des élèves qui, bien qu’ayant obtenu un certificat d’admissibilité à l’école anglaise [1], fréquentent le secteur français de manière ponctuelle ou durant toute leur scolarité. Toutefois, depuis que le Ministère a commencé à colliger des données à cet égard, en 1983, ce mouvement, qui représente bon an mal an entre 9 % et 10,5 % de la clientèle totale des ayants droit, s’est toujours révélé nettement supérieur au nombre d’élèves fréquentant illégalement le secteur anglais, même lorsque ce nombre atteignait son apogée [2].
Le choix d’une école de langue française par des parents et des élèves ayant droit à l’école anglaise peut paraître paradoxal, d’une part, face aux résistances suscitées par la loi 101 à son adoption et, d’autre part, du fait que ces personnes semblent préoccupées de préserver leurs droits futurs, ou ceux de leurs descendants, en accomplissant les démarches administratives nécessaires auprès du Ministère. Qu’il émane de parents francophones, anglophones ou allophones [3] — les trois groupes ont fréquenté l’école anglaise dans le passé et ont été, rappelons-le, touchés par la loi 101 —, ce choix semble témoigner d’une stratégie active destinée à maximiser l’impact de la scolarité dans le contexte linguistique complexe du Québec. L’exploration, en cours, des facteurs qui sont à l’origine de ce choix, du moins en ce qui concerne les parents anglophones, contribuera, notamment, à une meilleure compréhension du poids relatif des motifs instrumentaux et intégratifs : le désir d’améliorer les compétences linguistiques et de maximiser l’employabilité future, d’une part, et de favoriser le rapprochement et le développement de réseaux sociaux avec l’autre communauté, d’autre part.
À ce stade, le bilan statistique que nous présentons dans ce texte permet au moins de cerner l’ampleur et l’impact du phénomène ainsi que ses variations régionales et, par l’exploration des caractéristiques des ayants droit qui fréquentent l’école française (notamment de leurs choix scolaires à Montréal), de formuler quelques hypothèses à cet égard [4].
Un aperçu du phénomène à l’échelle du Québec
En 2000-2001, sur 127 699 élèves ayant obtenu un certificat d’admissibilité à l’école anglaise, 12 449 (9,7 %) fréquentent une école française (tableau 1a). Plus de la moitié (50,4 %) sont des francophones; les anglophones et les allophones représentent respectivement 38,9 % et 10,4 % des effectifs de ce groupe [5]. La popularité du choix d’une école française au sein des ayants droit varie également de façon sensible selon la langue maternelle des élèves. De manière prévisible, l’école française est nettement plus populaire chez les francophones (26,6 %) que chez les allophones (6,3 %) et les anglophones (6,0 %).
En ce qui concerne les ordres d’enseignement touchés (tableau 1b), le primaire regroupe 54 % des ayants droit à l’école française, le secondaire 40,6 %, et le préscolaire 5,4 %. Par rapport à la répartition de la clientèle scolaire totale au secteur français (préscolaire, 9 %; primaire, 51 %; secondaire, 40 %) [6], les ayants droit sont donc surreprésentés au primaire; au niveau secondaire, ils présentent des proportions similaires. La plus grande popularité du primaire par rapport aux autres ordres d’enseignement se confirme également lorsqu’on examine le pourcentage des élèves admissibles à l’école anglaise qui font le choix de l’école française : ce pourcentage s’élève à 10,1 % au primaire et à seulement 6,4 % au préscolaire et au secondaire (tableau 1c).
Cependant, une analyse par groupe linguistique révèle des stratégies bien différentes. Les 6278 francophones fréquentent un peu plus (3051, soit 48,6 %) le secondaire, ensuite le primaire (2959, soit 47,1 %) et finalement le préscolaire (268, soit 4,3 %), ce qui, étant donné la répartition globale des clientèles scolaires dans les divers ordres d’enseignement, indique une nette surreprésentation du choix du secondaire. Cette tendance est confirmée au tableau 1c par les données relatives au pourcentage de ceux qui font le choix de l’école française. Elles indiquent en effet que ce choix augmente systématiquement du préscolaire (12,9 %) au secondaire (36,7 %) en passant par le primaire (22,0 %).
Les 4839 anglophones fréquentent surtout le primaire (3040, soit 62,8 %), puis le secondaire (1458, soit 30,1 %) et, un peu plus que les francophones, le préscolaire (341, soit 7,1 %). La popularité du retour au sein de leur propre secteur linguistique est également confirmée par les données sur la fréquence du choix de l’école française, qui décroît du primaire (7,4 %) au secondaire (4,4 %), où elle est même plus faible qu’au préscolaire (5,1 %).
Quant aux 1332 allophones, ils fréquentent davantage le primaire (54,0 %) que le préscolaire (5,5 %), et le secondaire (40,5 %) autant que l’ensemble de la clientèle scolaire du Québec. Dans leur cas, le retour au secteur anglais est nettement moins marqué, comme en témoignent les données relatives à la popularité de ce choix, puisque le secondaire (6,7 %) dépasse le primaire (6,3 %).
L’interprétation de ces données est complexe. Dans le cas des francophones et des anglophones, malgré des tendances apparemment inverses, il faut comprendre qu’il s’agit en fait du même mouvement, soit le « retour au bercail » au secondaire, vers le secteur linguistique correspondant à la langue maternelle. Cette tendance pointe vers une interprétation essentiellement instrumentale des choix relatifs à la scolarisation : les enfants sont envoyés jeunes dans l’autre secteur pour y acquérir une meilleure maîtrise de l’autre langue; mais à l’adolescence, âge où se cristallisent les identités, se développent les réseaux sociaux et se définissent les projets ultérieurs de scolarisation et d’insertion dans la vie professionnelle, on préfère le retour aux solidarités premières. En ce qui concerne les allophones, on ne peut comprendre leur profil que si on se rappelle qu’ils fréquentent énormément l’école privée au secondaire, notamment grâce à l’existence du réseau ethnoreligieux, que nous aborderons dans la dernière partie de ce texte.
En effet, comme on peut le voir au tableau 1d, les parents des élèves ayant obtenu un certificat d’admissibilité à l’école anglaise qui fréquentent l’école française tendent nettement plus que les autres parents à préférer le réseau privé au réseau public. Toutefois, cette tendance est encore plus marquée chez les allophones : alors que le pourcentage d’élèves qui fréquentent le privé au primaire n’est que de 5,1 % au niveau national, il atteint 13,4 % chez les francophones, 18,3 % chez les anglophones et 61,2 % chez les allophones; au secondaire, pour une moyenne nationale de 16,6 %, ces proportions s’élèvent à 33,4 %, 42,5 % et 63,3 % respectivement. On pourrait attribuer cette grande popularité du privé à la concentration des ayants droit fréquentant l’école française dans la grande région métropolitaine, où l’accès à l’école privée est plus facile et, conséquemment, la popularité de ce choix plus grande. Comme on le verra, même dans cette région, les ayants droit sont surreprésentés dans ce réseau par rapport à l’ensemble de la clientèle.
Les variations régionales
La clientèle des ayants droit dans son ensemble est concentrée à plus de 75 % dans trois régions où la présence de la communauté anglophone et de ses institutions a toujours été importante : Montréal, Montérégie, Outaouais (tableau 2a). Si on y ajoute les trois régions suivantes à profil similaire (Laval, Laurentides, Estrie), on atteint 90 % de la population totale. La répartition des élèves qui, à l’intérieur de ce groupe, font le choix de l’école française reflète cette concentration, bien que de manière moins marquée, notamment à Montréal, qui ne compte que 39,2 % des ayants droit fréquentant l’école française. Les trois principales régions qui contribuent au phénomène ne regroupent ici que 66 % de la clientèle. De façon générale, les régions périphériques, où la complétude du réseau d’institutions de la communauté anglophone est moins grande et les distances entre établissements scolaires plus étendues, jouent un rôle un peu plus important, ce qui, ici encore, laisse supposer un choix instrumental (dans ce cas de simple commodité).
Cette répartition légèrement plus équilibrée des élèves qui font le choix de l’école française par rapport à l’échantillon total des ayants droit est probablement influencée par le poids important des élèves de langue maternelle française au sein de ce groupe. En effet, ce sont surtout les allophones (77 %) et les anglophones (49,3 %) qui sont concentrés à Montréal ou dans ses régions périphériques (à l’exception de l’Outaouais pour les anglophones), les autres régions regroupant plus de 40 % des ayants droit de langue française qui fréquentent l’école française (tableau 2b).
La popularité du choix d’une école française par les ayants droit connaît également d’importantes variations régionales, qu’il faut toutefois analyser avec une certaine prudence dans certaines régions, vu le petit nombre d’élèves concernés. Ainsi (tableau 3), cinq régions, où la fréquentation de l’école française par les ayants droit dépasse 20 %, doivent être considérées comme atypiques : Abitibi-Témiscamingue, Lanaudière, Chaudière-Appalaches, Centre-du-Québec et Bas-Saint-Laurent. Le nombre total des ayants droit n’y atteint pas 1000 élèves et leur contribution au mouvement de ces derniers vers l’école française oscille autour de 1 %. Pour l’essentiel, la popularité du mouvement dans ces régions peut probablement s’expliquer par les réalités de la géographie scolaire.
À l’autre extrême, à l’exception des Laurentides et de la Montérégie, où la surreprésentation des francophones accroît la popularité du choix de l’école française (respectivement 14 % et 11,2 %), les principales régions qui contribuent au phénomène (Laval, Outaouais, Montréal) se situent légèrement sous la moyenne. C’est le cas, notamment, de Montréal, où la popularité du choix de l’école française par les ayants droit n’est que de 7,4 %. Il est probable que cette tendance tienne essentiellement à la densité du réseau scolaire anglophone dans la grande région métropolitaine. Elle pourrait également, mais seules des données qualitatives pourront le confirmer, relever d’une plus grande loyauté ou d’une plus grande satisfaction envers les services offerts [7].
Exception faite de la Montérégie et des Laurentides, évoquées plus haut, le cas des régions intermédiaires [8], soit celles où la popularité du choix de l’école française par les ayants droit est supérieure à la moyenne sans dépasser 20 % et où la clientèle totale des ayants droit, sans être massive, n’est pas négligeable, demanderait à être exploré davantage. Dans certaines régions comme l’Estrie, où la communauté anglophone est ancienne et l’accès à des institutions scolaires anglaises plutôt aisé, il serait intéressant de comprendre pourquoi les anglophones ayants droit choisissent assez souvent l’école française.
L’impact sur le secteur français
Même si le phénomène du choix de l’école française par les élèves ayant obtenu un certificat d’admissibilité à l’école anglaise est intéressant au plan sociologique, son impact global sur le secteur de réception ne peut être globalement que très limité, étant donné le petit nombre d’élèves concernés. En effet, les 12 449 ayants droit qui font ce choix sont une goutte d’eau dans la mer des 1 003 166 élèves du secteur français, soit 1,24 % (tableau 4a). Les données complémentaires colligées dans le cadre de cette étude font apparaître de très légères variations par ordre d’enseignement (0,76 % au préscolaire, 1,31 % au primaire et 1,26 % au secondaire) qui ne sont pas susceptibles d’infirmer ce constat. C’est peut-être en grande partie ce qui explique l’invisibilité de cette problématique dans le débat médiatique et public, au-delà de facteurs politiques potentiels, d’autant plus que la population des illégaux, exclusivement concentrée à Montréal dans quelques commissions scolaires, représentait un pourcentage beaucoup plus important des effectifs du secteur anglais.
Mais des variations régionales et surtout locales méritent d’être signalées. Ainsi, la part relative des ayants droit dans la population scolaire totale est supérieure à la moyenne, non seulement dans les principales régions qui contribuent au phénomène, Montérégie, Laval, Outaouais et Montréal, mais également en Estrie et dans la région Gaspésie-Îles-de-la-Madeleine (tableau 4a). Cependant, la région montréalaise demeure probablement la seule où on peut penser que, du fait de la concentration des ayants droit à certains ordres d’enseignement et dans certaines écoles spécifiques, le phénomène pourrait être perceptible aux yeux des décideurs et intervenants scolaires. Par exemple, la part relative des ayants droit au secteur français atteint dans cette région 3 % au primaire et 2,5 % au secondaire (tableau 4b).
Le nombre d’écoles touchées (tableau 4c), soit celles qui comptent 5 % ou plus d’élèves ayant obtenu un certificat d’admissibilité à l’école anglaise, n’est pas négligeable non plus. Globalement, 9,8 % des écoles publiques et 51,2 % des écoles privées montréalaises répondent à ce cas de figure et il y a peu de variations selon l’ordre d’enseignement. Au sein des écoles publiques (31), le phénomène demeure toutefois limité puisque la plupart (24) ont moins de 10 % de clientèle d’ayants droit. La situation est bien différente au secteur privé, où 65 écoles comptent plus de 5 % d’ayants droit, dont 16 ont une population majoritairement constituée de cette clientèle.
Par ailleurs, des données complémentaires colligées dans le cadre de cette étude ont montré que la clientèle des ayants droit au sein de ces écoles comprend beaucoup d’anglophones et d’allophones, ce qui est susceptible de contribuer à la visibilité du phénomène. Sur les 96 écoles touchées, 63,5 % ont une clientèle d’ayants droit constituée à plus de 75 % d’allophones ou d’anglophones et, si l’on abaisse le seuil à 50 %, c’est le cas de près de 90 % des écoles. Rappelons toutefois que l’analyse par école a également montré que les écoles publiques et privées de langue française qui comptent 5 % ou plus d’élèves ayant obtenu un certificat d’admissibilité à l’école anglaise sont très souvent des écoles multiethniques où la population non francophone domine [9]. À quelques exceptions près, il est donc probable que seules les directions d’école connaissent la distinction, au sein des allophones et des anglophones, entre ceux qui choisissent librement l’école française et ceux qui la fréquentent à cause de la loi 101.
Les choix scolaires des ayants droit montréalais
Étant donné le caractère central de la région montréalaise dans le phénomène des ayants droit fréquentant l’école française ainsi que sa spécificité, il nous a paru intéressant d’effectuer une analyse plus précise des choix scolaires de cette clientèle dans cette région. Comme certaines des données précédentes, les données utilisées ici reposent sur des analyses effectuées à une échelle plus réduite, soit celle des établissements scolaires [10].
Les élèves ayant obtenu un certificat d’admissibilité à l’école anglaise qui fréquentent l’école française à Montréal ne diffèrent pas sensiblement de ceux de l’ensemble de la province dans leurs stratégies de choix eu égard aux ordres d’enseignement (tableau 5a). On note toutefois qu’ils sont proportionnellement plus nombreux à fréquenter le préscolaire et le primaire et, inversement, moins nombreux à fréquenter le secondaire qu’au niveau national. Cette tendance touche tous les sous-groupes linguistiques, à l’exception des allophones, qui fréquentent davantage le secondaire et, inversement, moins le primaire à Montréal que dans le reste de la province. On peut probablement voir là un effet de la complétude institutionnelle plus grande de certains groupes dans cette région, clairement illustrée au tableau 5b.
Celui-ci montre, en effet, que la principale spécificité montréalaise réside dans le choix encore plus important du réseau privé par les ayants droit qui fréquentent l’école française. Ainsi, alors que le taux moyen de fréquentation de l’école privée montréalaise est de 14 % au primaire et de 29 % au secondaire, chez les seuls ayants droits, l’école privée est fréquentée dans des proportions qui varient de 32,1 % à 68 % pour chacun des groupes linguistiques, et constitue même le choix dominant pour tous les groupes au secondaire et pour les allophones au primaire. Toutefois, le taux de fréquentation du réseau préscolaire privé par les ayants droit est légèrement inférieur à la moyenne montréalaise (11 %), sauf chez les anglophones (12,7 %).
Par ailleurs, une analyse de la nature des écoles privées de langue française comptant 5 % ou plus d’ayants droit a permis de confirmer l’importance qu’y revêt le secteur ethnospécifique, tout en délimitant mieux son influence (tableau 5c). Sur les 65 écoles privées comptant plus de 5 % d’ayants droit, en effet, 22 (soit 33,8 %) sont des établissements bilingues, trilingues ou multilingues, traditionnellement associés à des groupes ethnoreligieux (Commission consultative de l’enseignement privé, 1993). Ceux-ci ont bénéficié, à la fin des années 1960, de la possibilité de recevoir un soutien gouvernemental en modifiant de facto leur programme régulier conformément aux exigences de la loi en ce qui concerne les heures d’enseignement du français, tandis que les activités traditionnellement associées au maintien et au développement de la langue et de la culture d’origine étaient (et sont encore) offertes dans un programme scolaire allongé [11]. Dans ce cas, il est difficile d’évaluer jusqu’à quel point la présence des ayants droit résulte d’un choix conscient des parents. Elle témoigne toutefois de l’impact de francisation réel de cette mesure dans des communautés ethnoreligieuses d’implantation ancienne, traditionnellement associées à la communauté anglophone.
Néanmoins, malgré la présence de quelques écoles desservant des clientèles handicapées ou à besoins particuliers, l’analyse montre surtout l’importance du choix d’un certain nombre d’établissements privés à caractère universel (32, soit 49,2 %), qui, notamment au secondaire, semblent avoir fait du caractère bilingue de leur clientèle, et parfois même de leur programme, une marque de commerce. Ce sont souvent les mêmes écoles que nous avons identifiées dans une analyse parallèle portant sur la traversée des frontières linguistiques en milieu scolaire à Montréal [12]. Des analyses complémentaires ont également montré que ces écoles attirent particulièrement les ayants droit de langue française ou de langue anglaise qui ont décidé de fréquenter une école française. Dans le cas des francophones, on peut penser qu’ils tentent ainsi de préserver les réseaux bilingues auxquels leur donnait accès la fréquentation de l’école anglaise, alors que les anglophones s’assureraient que le passage vers une école française se fasse dans un milieu relativement protégé où leur langue n’est pas absente.
Cette tendance semble également se manifester au sein des écoles publiques (tableau 5d), où le phénomène des ayants droit touche essentiellement la Commission scolaire Marguerite-Bourgeois, soit l’ouest de l’île (78,2 % des écoles primaires et 50 % des écoles secondaires). Cette commission scolaire est également la seule qui compte des écoles où la proportion d’ayants droit dépasse 10 %. La plupart de ces milieux à densité relativement haute d’ayants droit sont aussi d’anciennes écoles protestantes dont les résultats préliminaires de la recherche qualitative en cours montrent qu’elles sont perçues, notamment par les parents anglophones, comme plus anglo-friendly que les anciennes écoles catholiques.
Appendices
Notes
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[1]
Bien que le mouvement vers l’école française d’élèves qui auraient théoriquement le droit de fréquenter l’école anglaise puisse être plus important (car certains parents pourraient ne pas avoir pris la peine de faire une telle demande), ce descripteur est le seul qui permette de retracer et de suivre ce type de clientèle au sein des banques de données ministérielles. Ce certificat est émis, à la demande des parents et après vérification des pièces la justifiant, par les autorités responsables du dossier au ministère de l’Éducation du Québec.
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[2]
Ainsi, lorsque fut promulguée la loi d’amnistie d’avril 1986, le nombre d’illégaux était estimé à 1432 élèves par le ministère de l’Éducation du Québec (Ministère de la Culture et des Communications, 1996).
-
[3]
Conformément aux indicateurs utilisés par le ministère de l’Éducation du Québec, les termes « francophones », « anglophones » et « allophones », qu’ils renvoient aux parents où aux élèves, désignent ici les personnes de langue maternelle française, anglaise ou autre, d’après la déclaration faite par le répondant sur la fiche d’inscription de l’élève.
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[4]
Pour une description plus complète des axes de l’étude et de sa méthodologie, voir notre autre article dans ce numéro (p. 223-253).
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[5]
À titre informatif, notons également que sur les 2487 élèves de langue maternelle autochtone ayant obtenu un certificat d’admissibilité à l’école anglaise, 35 sont inscrits à l’école française. Le cas de ces élèves ou, de manière plus large, de l’ensemble des élèves de langue maternelle autochtone ne fera pas l’objet de cet article. Il est, en effet, impossible de se prononcer sur la représentativité de ce mouvement, puisque légalement les élèves autochtones ne sont pas soumis à la loi 101 et ne devraient donc pas faire de demande d’admissibilité à l’école anglaise.
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[6]
Rappelons que l’ordre primaire compte six années d’études; le secondaire en compte cinq.
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[7]
Rappelons que l’accès à des écoles d’immersion au sein du réseau anglais est nettement plus répandu à Montréal qu’en province (ACSAQ, 2001).
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[8]
Ainsi que de la région Nord-du-Québec, très atypique à tous points de vue.
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[9]
44 % des écoles françaises accueillant plus de 5 % d’ayants droit sont fréquentées par une majorité de non-francophones; par comparaison, seulement 33 % des écoles françaises montréalaises ont une population à majorité non francophone.
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[10]
De telles analyses sur d’autres régions signalées plus haut pourraient se révéler intéressantes, mais les limites de ressources ne nous ont pas permis d’aller de l’avant.
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[11]
Contrairement au réseau public québécois, la plupart de ces écoles offrent un enseignement de 30 à 35 heures autant au primaire qu’au secondaire.
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[12]
Voir notre autre article dans ce même numéro (p. 223-253).
Références bibliographiques
- ACSAQ (Associations des commissions scolaires anglophones du Québec). 2001. Mémoire présenté au États généraux sur la situation et l’avenir de la langue française au Québec. Mars.
- COMMISSION CONSULTATIVE DE L’ENSEIGNEMENT PRIVÉ. 1993. L’école privée et les communautés culturelles et religieuses. Québec.
- GOUVERNEMENT DU QUÉBEC. 1977. Charte de la langue française. Titre 1, chapitre VIII, sanctionnée le 26 août 1977. Québec, Éditeur officiel.
- MINISTÈRE DE LA CULTURE ET DES COMMUNICATIONS. 1996. Le français langue commune, Enjeu de la société québécoise : Bilan de la situation de la langue française au Québec en 1995. Québec.