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Introduction[1]

L’alimentation est un lieu de confrontation de multiples acteurs et actrices de nature différente concourant à l’orientation des pratiques des consommateurs et consommatrices (pouvoirs publics, associations, acteurs marchands…)[2]. Dans un contexte d’« incertitude généralisée » (De Iulio et al., 2015) et de « crises alimentaires » (Ibid.) qui ont ponctué et ponctuent encore l’histoire des industries agroalimentaires, la fabrique de repères dans la consommation alimentaire semble être dynamisée par une prétention communicationnelle (Jeanneret, 2014) des marques à la « transparence ». Nous voyons ainsi naître une panoplie de notes, la plupart désignées comme « scores », issues d’un processus de médiatisation d’une évaluation ayant eu lieu (Bouchard et al., 2015). C’est le cas du Franco-Score d’Intermarché[3], mis en place en 2019, que nous nous proposons d’étudier (Fig. 1).

Figure

Capture d'écran du communiqué de presse d'Intermarché annonçant le lancement officiel du Franco-Score

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Dans le cadre d’une concurrence intense dans la médiation informationnelle en contexte alimentaire, les mentions figurant sur les emballages font l’objet d’une forte réglementation des pouvoirs publics. Ces lieux d’inscription particuliers sont ainsi au centre d’une « guerre des labels » (Almeida, 2012) structurée autour d’une prétention à l’orientation des consommateurs ou consommatrices et au regard de la promesse d’une meilleure consommation. Cette forme « score » semble s’imposer[4] et le terme apparaît au moment où les discussions, aux niveaux national et européen, s’ouvrent quant à la mise en place du Nutri-Score[5]. Aux côtés de labels agréés par des instances certifiantes[6] coexistent ainsi des dispositifs informationnels créés par des acteurs ou actrices marchand·e·s, présentés comme des dispositifs objectifs et des réponses efficaces aux « besoins » des consommateurs et consommatrices, voire plus largement à des problématiques sociales (environnement, politique agricole, transition alimentaire, etc.).

L’enjeu est donc d’interroger en quoi ces scores créés par les marques-enseignes alimentaires sont des dispositifs polychrésiques (Jeanneret, 2014) qui servent une nécessité de différenciation des marques et invisibilisent du même coup, par leur construction apparemment objective, les enjeux marchands auxquels ils répondent. Correspondant à un processus de « dépublicitarisation » (Berthelot-Guiet, et. al., 2013), ces hybridations discursives et flous énonciatifs posent question dans un espace où les enjeux sanitaires, politiques et écologiques sont centraux.

Notre analyse s’articule autour de trois hypothèses qui composent les trois parties de cet article. Nous explorerons le score en tant que forme efficace en abordant les modalités de son objectivation (I.) ; puis en tant que texte publicitaire en interrogeant sa possible nature de « prétexte » (Berthelot, 2005) à la visibilité d’Intermarché (II.). Enfin, nous nous concentrerons sur les enjeux didactiques du score se déployant entre implication volontaire et prise en charge du consommateur ou de la consommatrice (III.).

Cadre théorique et méthodologique

La naissance du Franco-Score survient dans un contexte de défiance envers les acteurs et actrices traditionnel·le·s des industries alimentaires. Or, le bon déroulement du marché se structure notamment sur des logiques d’attribution de confiance (Karpik, 1996) et de stratégies qui y sont associées. Il s’agit alors pour les acteurs et actrices marchand·e·s de travailler à rétablir les conditions nécessaires à leur crédibilité vis-à-vis des publics engagés. En l’occurrence, la mise en place de « scores » et autres dispositifs d’évaluation a été intensifiée ces dernières années dans le champ alimentaire.

À la frontière entre dispositif évaluatif, objet publicitaire et « outil-prêt-à-choisir » (Cochoy, 2002, p. 73) pour les publics, l’analyse du Franco-Score dont il est ici question consiste à en dénaturaliser l’apparente objectivité. Ce score, mis en place par Intermarché, propose d’évaluer l’origine française des produits alimentaires distribués par l’enseigne. Le choix d’évaluation d’une qualité particulière – ici, la francité – n’est pas anodin, nous amenant à nous interroger quant à la nature publicitaire du score. La présentation comme objective du score participe en effet à rendre invisible la dimension marchande qui le structure, l’inscrivant ainsi au cœur d’une logique de dépublicitarisation.

Pour mettre au jour ce phénomène, il a été nécessaire de s’intéresser au Franco-Score en lui-même, au discours d’Intermarché qui le présente, et plus largement aux discours des professionnel·le·s du secteur sur ce type de dispositifs. L’élaboration d’une méthodologie croisée articulant les dimensions sémiotique et discursive permet ainsi de rendre compte des logiques de co-construction qui lient discours, prétentions et dispositifs. Ainsi, deux corpus ont été construits.

Le premier regroupe 45 articles de presse professionnelle française du secteur de la grande distribution/grande consommation, constitué via l’outil Europresse[7]. La collecte débute en janvier 2016, période d’adoption de la loi de modernisation du système de santé français initiant les concertations pour définir un système d’affichage d’information nutritionnelle (Nutri-Score). Cette période coïncide avec les premières mentions, dans la presse professionnelle, de création de « scores ». La collecte se termine en janvier 2020, date à laquelle est organisée une rencontre entre les acteurs et actrices agroalimentaires et les pouvoirs publics quant à l’affichage de l’origine des ingrédients des produits en grande distribution. Ce corpus d’articles, appréhendé comme « discours d’accompagnement » (Souchier et al., 2019), a permis de saisir à la fois les logiques de circulation des scores, les imaginaires des professionnel·le·s du secteur nourris à leur égard, les répertoires de description de ces dispositifs et les représentations des consommateurs et consommatrices construites à travers eux et elles. Le score est présenté comme un outil équipant et facilitant la décision des consommateurs et consommatrices afin de réaliser de meilleurs choix de produits alimentaires. Les discours d’accompagnement participent ainsi, par leur dimension performative, à configurer les usages et la manière dont sera reçu le dispositif par les différents publics (Souchier et al., 2019), d’où l’importance de comprendre les représentations qui entourent ces scores dans la sphère professionnelle du secteur. La grille d’analyse est composée de trois axes thématiques : qualification du score et de son fonctionnement, justification de la mise en place du score, qualification de la relation avec le consommateur ou la consommatrice. Les extraits saillants ont été distribués au sein de cette grille afin de se concentrer sur les désignations de ces dispositifs, leurs promesses et leurs effets (qualificatifs et champs lexicaux employés), les modes de justification mobilisés et la construction de la figure du consommateur et de la consommatrice au sein de ces discours.

Le second corpus est constitué de deux objets : le Franco-Score mis en place par Intermarché en novembre 2019 et le communiqué de presse officiel annonçant son lancement. Ce dernier a permis de mettre au jour l’argumentation déployée par Intermarché pour justifier la mise en place du Franco-Score. Le Franco-Score et le discours tenu sur lui par Intermarché sont intégrés plus largement dans un récit mélioratif travaillé par les gestionnaires de la marque. Ainsi, la narrativité propre aux discours publicitaires permet d’appréhender la manière dont ce récit de marque (Dupuy, 2013) se construit notamment au regard de la construction d’un éthos de marque (Marti, 2019). Nous verrons ainsi en quoi, dans la scénographie discursive analysée, la marque énonciatrice déploie certaines valeurs et s’attribue une certaine position au regard de représentations des consommateurs et consommatrices particulières. Enfin, le score a fait l’objet d’une analyse sémiotique afin de s’intéresser à la construction de son sens. Pour rendre compte de la complexité de cet objet, le parti pris est de faire se rencontrer différents regards sémiotiques (Berthelot-Guiet, 2015). En partant d’une décomposition des unités de signification identifiées sur les plans plastique, scénique, iconique et linguistique puis d’une recomposition des effets de sens qu’ils produisent, l’objectif a été d’analyser en quoi le score tend à produire la francité en lien étroit avec une densification sémiotique (Jeanneret, 2014) de l’évaluation plus qu’à proposer une évaluation « neutre ». Une attention particulière a donc été donnée aux logiques de figuration de la spatialité, du raisonnement indiciel et à l’imaginaire de la fabrication française afin de dénaturaliser l’objectivité du score. De manière générale, l’approche a pour ambition de rendre compte, à travers l’étude d’un objet « micro » mais fortement condensé, de l’épaisseur et de la complexité du phénomène de dépublicitarisation à l’œuvre au regard de la trivialité propre à ces dispositifs (Jeanneret, 2014).

1. Le score : entre forme efficace et objectivation stratégique de la valeur

Le score peut être désigné comme une « qualimesure » (Bouchard et al., 2015), c’est-à-dire tenant compte de « l’ancrage social dans lequel baignent en réalité toujours la production et la circulation de mesures évaluatives » (Ibid.). Si ces scores portent la prétention de permettre au consommateur de remédier à l’opacité du marché, ils articulent cependant les dimensions du savoir et du pouvoir au sein de mises en scène particulières.

1.1 La construction du score comme dispositif efficace

1.1.1 Le score pris dans sa trivialité : de la capitalisation linguistique du terme « score » à l’objectif de généralisation du dispositif

Au sein du corpus de presse, on observe que le terme de « score » n’a commencé à être utilisé par les professionnel·le·s qu’à partir de l’adoption du Nutri-Score en 2016. La mise en place du Nutri-Score a en effet donné lieu à de nombreux débats dans le champ professionnel des industries agroalimentaires, notamment sur le mode de la critique vis-à-vis du mode de calcul retenu : si les associations de consommateurs et consommatrices défendent alors un droit à l’information alimentaire, de nombreux industriels s’insurgent contre le fait de voir la qualité de leurs produits réduite à une lettre dont le contrôle leur échappe. Peu à peu le Nutri-Score s’impose et les marques s’en saisissent afin de communiquer sur leur position volontariste ou la révision de leurs recettes afin d’obtenir un meilleur classement nutritionnel. Si des dispositifs d’information nutritionnelle avaient déjà été créés par les professionnel·le·s agro-alimentaires[8], les marques commencent alors à investir plus précisément le modèle de la note sous le terme de « score ». Les articles du corpus mentionnant le Franco-Score sur lequel nous nous concentrons ici font également référence au Nutri-Score. Nous voyons débuter un jeu de connotation, d’homophonie et d’intertextualité qui illustre un processus de capitalisation linguistique sur ce terme de score, propre à la trivialité (Jeanneret, 2014) à l’œuvre. Celle-ci traduit la concurrence informationnelle intense qui se joue dans le champ alimentaire et la quête de visibilité des acteurs et actrices qui le composent par une circulation entre les sphères institutionnelles et marchandes.

Au sein des discours analysés, les scores sont présentés comme des réponses à des phénomènes externes, servant ainsi une logique de justification de création de tels dispositifs. Dans le cas du Franco-Score, cette justification ex-situ (Catellani, 2014) se structure au regard de deux arguments. Le premier est que le Franco-Score est un outil qui permettrait de sauver l’agriculture française en danger, qui se dégrade (1). Le Franco-Score se transforme symboliquement en un outil au service de l’intérêt général qui pourrait être une solution à un problème d’ordre politico-économique, naturalisant ainsi la marque à avoir une prise dans cet espace particulier. Le second argument est que le Franco-Score est présenté comme une réponse à une « forte demande des consommateurs et consommatrices » (2). Il s’inscrit également dans l’externalité de la justification et fait valoir une forme d’imposition d’un état de fait au distributeur ou de la distributrice. La légitimation de la mise en place du score est ainsi relative à des éléments ex-situ, des énoncés fortement circulants permettant à Intermarché de capitaliser sur leur capacité potentielle à entraîner avec eux des réservoirs symboliques précis, en somme « des énoncés et des formules qui ont déjà prouvé leur aptitude à traverser la société et à y laisser des empreintes » (Jeanneret, 2014, p. 100).

L’analyse du corpus de presse a permis de faire ressortir l’ambition de généralisation des scores par les acteurs et actrices qui les mettent en place, c’est-à-dire de les voir adoptés par l’ensemble des parties prenantes et en premier lieu les consommateurs et consommatrices. Cette prétention illustre deux phénomènes intéressants. Tout d’abord, elle permet d’entrevoir l’intensité de la concurrence dans les informations qui sont données à voir en contexte alimentaire, d’autant plus, dans le cas du Franco-Score, que les débats sur l’indication de l’origine des denrées alimentaires étaient alors très vifs[9]. Celle-ci s’exerce dans le but de maîtriser un processus d’attribution de valeur et d’organisation du marché qui est en lien avec les objectifs stratégiques de la marque. De plus, la désignation du score comme une forme absolument efficace indique un impensé des liens entre visibilité et lisibilité.

1.1.2 Le score ou la lisibilité augmentée

En effet, l’analyse du Franco-Score permet de rendre compte de la façon dont il est construit selon un assemblage de formes particulièrement connues et circulantes. Ainsi, en tenant compte du caractère « trivial » (Jeanneret, 2014) de cette entité, il apparaît que les caractéristiques sémiotiques qu’elle présente relèvent d’une forme de « densification sémiotique » (Jeanneret, 2014, p. 100) de l’évaluation. Celle-ci « consiste en la création de formes particulièrement susceptibles de solliciter l’attention, le désir et la mémoire » (Ibid.). Par le recours à des unités signifiantes particulièrement circulantes telles que le tracé-carte de France métropolitaine ou le drapeau français dont il sera question un peu plus tard, le score semble donné à voir plus que destiné à être lu, l’enjeu étant alors de faire français en capitalisant sur la valeur que cet élément peut avoir en contexte marchand. De plus, le score s’appose sur un espace d’inscription sémiotiquement dense (l’emballage) qui est lui-même organisé selon l’optimisation de la visibilité et la distinction des qualités. Le Franco-Score est un agrégat de signes d’ores et déjà connus et rendus homogènes dans une forme unique.

La promesse d’accessibilité directe au sens dont est porteur le score repose également sur un ensemble d’énoncés, qui participent à l’essentialiser ou la naturaliser. Les articles du corpus, de même que le communiqué de presse d’Intermarché relatif au Franco-Score, présentent en effet un discours sur la qualité de la forme de ces dispositifs. Celui-ci participe ainsi à nourrir l’impensé d’une lisibilité absolue des scores par leur structure qui serait facilement intelligible :

« connaître facilement », « éclairage concret », « facile à comprendre », « information simple », « plus précis et plus facilement compréhensible », « systèmes graphiques synthétiques », « un étiquetage symbolique et lisible »[10].

En somme, le score serait une forme facile à lire. Or, il est avant le produit d’un choix stratégique quant à la sélection d’une qualité, à savoir, dans le cas du Franco-Score, la francité.

1.2 Le Franco-Score, un « précipité de sens »

1.2.1 La médiation de la francité : le choix d’une qualité

Le Franco-Score est construit comme un « précipité de sens » (Jeanneret, 2014, p. 100) mesurant une qualité, la francité, qui n’est pas choisie au hasard par les gestionnaires d’Intermarché[11]. Ainsi voyons-nous se déployer au travers du Franco-Score une médiation de la francité. En proposant la « mise en score » de l’origine française des produits, Intermarché capitalise en effet sur la vision méliorative du « fabriqué en France »[12]. Pour ce faire, le score en lui-même déploie deux modalités : « faire être en France » et « faire être français ».

Tout d’abord, la partie haute du score présente une carte de la France métropolitaine. Cette carte ne possède aucune légende, ni d’échelle ou de nom de ville : seul le tracé semble compter. En se faisant oublier en tant que médiation du réel, la carte fait exister un « "double" qu’elle représente" » (Marin, 1973, p. 456). La fonction relai des signes qui entourent cette carte contribue à l’épaisseur de sens du score : il n’est pas question d’outil de mesure ou de représentation spatiale fidèle mais plutôt de « renvoyer au raisonnement spatial, en d’autres termes de susciter une approche spatiale du raisonnement » (Bonin, 2014, p. 59). En l’occurrence, le point rouge et la flèche comme vecteurs concourent à créer une relation proxémique particulière entre un /là-bas/passé/ (lieu de fabrication/le produit a été fabriqué) avec un /ici/maintenant/ (/lieu de vente, Intermarché/le produit est devant moi/). L’enjeu est d’amener le lecteur-consommateur ou la lectrice-consommatrice à se figurer, lui ou elle, la marque et le produit dans un même espace commun et partagé : la France[13].

La valeur construite par le « faire être en France » se combine à la modalité du « faire être français » : le nom de la ville de fabrication, le drapeau comme motif de remplissage fonctionnent ensemble, par relation connotative à la francité. L’indication du numéro de département (« 29 »), du nom d’une ville française (« Saint-Evarzec ») et le type de fabrique (« dans notre charcuterie ») déploient un paysage particulier qui nous renvoient à un savoir-faire artisanal français, à des gestes de fabrication qui appartiennent à une culture commune, connue voire reconnue. La relation texte-image se tisse sur le mode de l’ancrage : que la jauge soit pleine ou non, la « bonne interprétation » qu’elle suggère est que le produit est français voire, selon certains triptyques (département – ville – fabrique), issu d’une culture de production artisanale. Le loin devient le proche, le médié devient désintermédié, directement accessible et l’industriel se tord en ce qui se rapprocherait de l’artisanal, ce qui permet de procéder à une requalification symbolique du produit et de l’acteur ou actrice en jeu par la valuation[14] de l’origine française. Nous pourrions presque parler de monosémie du score au regard du seul signifié francité auquel les signifiants des unités qui le composent se rapportent. Par la force des connotations mélioratives qu’elle sous-tend, la francité repose ici sur la naturalisation des relations entre qualité du produit et origine française.

1.2.2 Les oppositions structurantes : rendre visible et invisibiliser

Nous observons deux axes d’oppositions structurantes au sein du Franco-Score : le plein et le vide, le présent et l’absent. Pour le premier, si la fonction de la carte est ici relative à la signification de l’image de la France, nous voyons que le pourcentage d’ingrédients d’origine française (censé être l’élément le plus important du score) possède la même place que cette carte. Tous les signes semblent ainsi concourir à faire être en France, quel que soit le pourcentage d’ingrédients français. La taille de l’encart-texte et de la carte France sont équivalentes. La jauge relayant le pourcentage ne change pas de couleur selon le remplissage pour sanctionner un taux plus ou moins important. Elle s’emplit et se vide, mais elle est toujours une jauge qui peut virtuellement se remplir. Elle diffère d’autres formes d’évaluation figées telles qu’une note ou une lettre. De plus, le score prévoit également l’agrégation d’autres labels créés par les professionnels des filières – tels que « Le Porc Français ». En somme, le score joue de relations intertextuelles avec d’autres signes déjà connus qu’il réénonce, ce qui participe à le légitimer.

Pour le second axe, nous voyons que le Franco-Score est d’abord un processus de sélection/éviction : la francité est une qualité donnée, opération de valuation particulière où l’origine française est méliorative[15]. Le score ne donne aucune indication sur l’origine des produits qui ne seraient pas français. Le cas d’une jauge affichant 0% a-t-il été prévu ? Ces jeux de présence/absence qui structurent la construction du Franco-Score sont relatives plus largement à des enjeux de hiérarchisation stratégique des produits.

Ces modalités ne sont pas anodines, car éminemment liées à l’intentionnalité sur laquelle tout dispositif marchand est construit, en l’occurrence une stratégie particulière des gestionnaires d’Intermarché qui consiste à capitaliser sur un élément qui a été identifié comme favorable pour son développement économique, et par extension, pour « le consommateur ou la consommatrice ». Ce phénomène d’« ajustement aux publics » (Jeanneret, 2014, p. 100) est au cœur des opérations sémiotiques des professionnel·le·s de la marque. Dénaturaliser ce qui se joue au sein de ce score permet de mettre au jour les « mythes marchands » contemporains qui opèrent dans la construction du sens en contexte, – tel que le Made in France ici (Fouquier, 2011) – de révéler la dimension axiologique d’un dispositif qui se présente comme objectif et qui a vocation à accompagner une décision supposément plus éclairée pour le consommateur et la consommatrice.

1.3 Un processus d’objectivation stratégique de l’organisation de la valeur

1.3.1 Le score, résultat d’un processus d’attribution de valeur

Le score relève ainsi d’un processus d’objectivation stratégique de l’organisation de la valeur. La dimension axiologique du score semble invisibilisée par sa forme évaluative qui participe à présenter celui-ci comme objectif. Le pourcentage, la jauge graduée et son positionnement sur la face avant du produit (comme d’autres scores ou labels certifiés) sont autant de signes qui induisent une certaine lecture du score par référence : intertextuelle (les autres scores/labels/logos certifiants), hypertextuelle (d’autres formes d’évaluation) voire architextuelle (le score comme « matrice génératrice d’évaluations »). L’image du score (Souchier, 1998) induit qu’il est le résultat d’une évaluation à caractère objectif.

En rappelant la dimension axiologique, on comprend également l’importance du choix du mot pour désigner cette évaluation. L’itinéraire sémantique du terme « score » laisse entrevoir trois univers : la forme, la causalité et la relation. Le score est tout d’abord numéraire et sanctionne une action ayant eu lieu ; il s’inscrit dans une chaîne causale. Il est le résultat d’une opération de calcul et son interprétation est encadrée par un ensemble de règles, méthodes et normes. Le score se déploie dans un régime de relation entre différents termes qui actualise des effets sur le réel (départager, séparer, arbitrer, trier). Il est donc un signe qui sanctionne « ce qui a été » (Jeanneret, 2019) engendre des conséquences (orienter « ce qui sera »Ibid.) et qui advient aux acteurs et actrices impliqué·e·s par sa médiatisation.

1.3.2 Le score ou l’escamotage de l’interprétation

En repartant de la théorie peircienne de la signification qui se fonde sur la sémiose (processus interprétatif qui permet au sens « de se faire »), Yves Jeanneret développe la « fabrique de la trace ». Elle est intimement liée au raisonnement indiciel, c’est-à-dire au fait de « considérer que l’existence du signe (de la forme perçue) dépend de l’existence de l’objet » (Jeanneret, 2019, p. 45). Cela amène ainsi à pouvoir interroger à la fois « le processus matériel de l’inscription et le processus interprétatif de l’indice » (Ibid., p. 24) dans l’appréhension de certains dispositifs tels que la photographie ou le sondage qui sous-tendent la prétention à avoir un lien direct entre « un signe (des chiffres, une courbe) et un phénomène réel (un état de l’opinion, des attentes de consommateurs) » (Ibid., p. 68).

Cette prétention « définit à la fois la manière dont le dispositif est construit et les conditions d’interprétation des signes qu’il produit » (Ibid.). Le score suit ainsi le même parcours : il attribue a posteriori une « valeur informationnelle » (Ibid., p. 24) à un signe, structuré par un processus d’attribution de valeurs mené par des acteurs et actrices dont l’intentionnalité marchande est structurante. Il est construit selon un agrégat de « traces plausibles » (Ibid., p. 68) de ce qui compte pour le consommateur ou la consommatrice, de « morceaux de réalité » eux-mêmes construits par un ensemble de médiations.

Si la trace « est la figuration concrète de ce lien entre la matérialité de l’inscription et sa valeur d’indice d’une pratique » (Ibid., p. 24), le Franco-Score est la figuration indicielle d’une pratique de choix instrumentée en grande distribution. Déjà produit de multiples traces (relation entre francité et qualité, « ce qu’attendent les consommateurs et consommatrices », « ce qui compte » sur le marché à un instant donné, entre autres), le score est un dispositif dont les modalités d’existence sont organisées afin qu’il soit interprété lui-même comme trace – donc pris dans la prétention d’une relation directe entre signe et réalité, alors qu’il est déjà le fruit d’une interprétation spécifique. Le processus interprétatif lui-même semble escamoté dès lors que les conditions matérielles d’existence de l’objet tendent à privilégier un raisonnement indiciel : le score semble avoir vocation à être vu plus que lu. Cela peut se rapprocher du signal, en tant que signe « dont la fonction est réduite à déclencher une réaction comportementale » (Vaillant, 1999). Le signal porte en lui une figuration de neutralité : sa fonction est d’exister ou non, sans question de subjectivation, et d’enclencher une action.

Sur le plan discursif, cet escamotage de l’interprétation se déploie notamment dans la description de ces dispositifs par les professionnel·le·s qui donne lieu à un discours sur la méthodologie de l’évaluation. Certains articles précisent les critères retenus, d’autres la manière dont les scores pourraient être améliorés ou encore l’implication de différents types d’acteurs ou d’actrices dans la notation. Les scores sont qualifiés au regard d’un univers lexical de la scientificité et du raisonnement logique, nous renseignant ainsi sur les modalités d’anticipation de sa lecture en tant que dispositif objectif. En somme, la simple présence du score suffirait à « activer » un achat plus efficace.

2. Le score comme prétexte : visibilité et requalification symbolique

La construction de l’objectivité et le processus de neutralisation du score ne sont pas étrangers à la nature publicitaire de cet objet. Il s’agit ainsi de voir en quoi il peut fonctionner comme un « prétexte » (Berthelot, 2005) pour la marque-enseigne afin de rester visible, pris dans des logiques en tension entre « hyperpublicitarisation » et « dépublicitarisation » (Berthelot-Guiet, et al., 2013).

2.1 La dimension publicitaire du score

2.1.1 Le score comme occasion de communiquer

La mise en place du score est liée à un environnement spécifique de la marque appréhendé en termes d’opportunités/menaces[16]. La francité évaluée par le Franco-Score repose sur les prises que la marque effectue dans le monde social. L’enjeu est l’adéquation entre les territoires communicationnels d’Intermarché, qui structurent la « gestion sémiotique » (Marti, 2019, p. 208) de la marque-enseigne Intermarché et le Franco-Score afin de garantir la « cohérence entre l’offre de l’entreprise, les consommateurs, la société » (Ibid.).

Au sein du communiqué de presse et sur le site officiel d’Intermarché, on retrouve notamment trois éléments issus de l’univers de la marque qui structurent son « territoire communicationnel » : le « mieux produire », le « mieux manger » et l’accompagnement du consommateur et de la consommatrice. Dans le discours déployé par Intermarché sur le Franco-Score, nous observons une adéquation avec ces trois termes : le score permet de mieux produire car il encourage l’approvisionnement de produits français ; il permet de mieux manger car incite les consommateurs et consommatrices à sélectionner des produits locaux et de meilleure qualité[17] (mis notamment en lien avec la francité des produits), il accompagne le consommateur ou la consommatrice par sa qualité de repère dans le processus de décision d’achat.

Ainsi le Franco-Score illustre particulièrement bien l’ « écrin » publicitaire (Marti de Montety, 2013, p. 29) qui permet d’investir les signes constituant le capital sémiotique de la marque, ses « valeurs ». En effet, le score permet également de rappeler « l’excellence de marque » (Barthes, 1963), fonction majeure du discours publicitaire. Le lancement du Franco-Score est une occasion pour la marque de déployer un récit sur toutes les actions déjà réalisées par le passé, en somme de présenter sa « face positive » (Maingueneau, 2016 ; Amossy, 2016). Nous retrouvons notamment dans le communiqué de presse une liste de différents dispositifs d’information au consommateur mis en place par Intermarché, présentée alors comme enseigne pionnière :

[i]nvention de l’affichage du prix au litre et au kilo (1980), devenu obligatoire deux ans plus tard ; lancement de « l’Argus de la consommation », l’ancêtre des comparateurs de prix (1985) ; invention du premier affichage nutritionnel français avec le Nutri-Pass (2006) : dix ans après, l’idée sera reprise avec le Nutri- Score.

Or, comme l’explique Nicole d’Almeida au sujet de la fonction du temps dans les récits d’entreprise, « [l]’ancienneté fonctionne comme un avantage concurrentiel, comme un facteur de prestige et comme un argument publicitaire » (Almeida, 2012, p. 25). La mise en place du Franco-Score permet de revenir sur des éléments du passé de la marque afin d’affirmer sa légitimité ainsi que celle de ce nouveau dispositif tout en travaillant un éthos mélioratif.

2.1.2 Le score comme opérateur de requalification symbolique de la marque-enseigne

Intermarché, en tant que marque, est fondée comme nous l’avons vu sur certaines valeurs. Conséquemment, la production de dispositifs précédant le Franco-Score, les multiples scandales alimentaires qui ont entaché l’image et la responsabilité des grands groupes agro-industriels, le climat de défiance et le manque de transparence dénoncé par les consommateurs et consommatrices sont autant d’éléments constituant le contexte dans lequel l’énonciation prend place et composant l’éthos prédiscursif de la marque-énonciatrice. Selon Ruth Amossy, celui-ci relève de l’« image que l’auditoire peut se faire du locuteur avant sa prise de parole » (Amossy, 2016, p. 94). Cet éthos préalable est relatif au « rôle que remplit l’orateur dans l’espace social » (Ibid.) et à la « représentation collective ou du stéréotype qui circule sur sa personne » (Ibid.), d’où l’importance de prendre en compte l’imaginaire social qui entoure l’énonciateur ou l’énonciatrice et sa prise de parole. Sur cet éthos prédiscursif repose l’éthos « pleinement discursif » qui, dans le cas analysé ici, est notamment travaillé au sein du communiqué de presse et participe à transformer l’image de l’énonciateur ou de l’énonciatrice (Intermarché).

Au sein du communiqué de presse, Intermarché construit un éthos discursif de fervent défenseur de la cause agricole et des combats en faveur du consommateur et de la consommatrice. Nous y retrouvons le champ lexical du militantisme (« soutenir », « se mobilise », « appelle à », « s’engage », « combat pour », « collégial », « s’asseoir ensemble », « élan collectif », « co-construction vertueuse », « l’urgence est telle »). Le score est présenté comme solution à un problème politique national selon une modalité logique, ou encore comme résultant d’une obligation qui s’impose à Intermarché d’agir face à l’urgence de la situation, selon une modalité affective. La scénographie ainsi construite possède un caractère « diffus » (Maingueneau, 2016, p. 88) en cela que le communiqué présente une hybridation discursive : tout à la fois un discours politique proposant une solution à un problème urgent, un appel militant, une adresse aux consommateurs et consommatrices, un discours marchand ou encore un appel à l’échange avec les concurrent·e·s. Le score est ainsi présenté comme un outil qui dépasse la seule intentionnalité marchande : Intermarché se voit requalifiée de marque-enseigne s’engageant dans un combat militant pour le pays[18], comme un acteur au service de l’intérêt général. Ce faisant, la marque-enseigne légitime de son action et réaffirme son autorité à défendre des intérêts nationaux par l’entremise de ses bénéfices économiques. La marque rompt la concurrence en s’extrayant du marchand : elle invite ses concurrent·e·s à s’asseoir « autour de la table »[19] pour trouver une solution bénéfique pour la France et ses consommateurs ou se consommatrices, se requalifiant ainsi en tant qu’acteur de la société à part entière, à la fois porte-parole de l’industrie agroalimentaire, des agriculteurs et agricultrices, des consommateurs et consommatrices, voire de l’État (agir sur la balance commerciale du pays). La logique est syllogistique : elle agit pour elle, et étant défenseuse du bien commun, elle agit dans l’intérêt général.

Comme l’explique Jean-Philippe Dupuy, en contexte publicitaire la fonction du récit est d’ « incarner la marque », « lui donner chair en lui accolant des images, des situations, des personnages [...] ; il nourrit nos représentations de la marque par les figurations qu’il nous en propose » (Dupuy, 2013, p. 15), notamment par le recours à deux types de récits : l’exemplum et la fabula. Le premier repose sur « […] des faits présentés comme vrais et proches du réel quotidien du consommateur » (Ibid., p. 6). Nous le retrouvons au sein du communiqué par les références à la défense des intérêts des consommateurs et consommatrices grâce au Franco-Score ou encore les moyens disponibles pour se repérer sur le marché. Le second consiste en un récit qui « se présente comme une fiction » (Ibid.). Il se déploie ici par la présentation d'Intermarché comme adjuvant du quotidien, défenseur du consommateur et de la consommatrice ordinaire et de l’agriculture française, héro du combat en faveur de la transparence, donnant les armes aux consommateurs et consommatrices pour lutter contre des ennemi·e·s flou·e·s (balance commerciale déficitaire, opacité du marché, ingrédients non français…). De plus, l’idée que le Franco-Score saurait être un moyen unique afin de renverser une balance commerciale nationale déficitaire relève du fictionnel. Le score est à la fois l’objet du récit autour duquel s’organise le discours de la marque et son embrayeur.

Le récit participe ainsi à une négation de l’intentionnalité marchande de la marque par la naturalisation de sa présence dans une sphère différente (politique, sociale) : le score est une solution apportée à un problème national et une réponse à la « forte de demande des consommateurs et consommatrices ».

2.2 Le score comme construction d’une singularité

2.2.1 L’emballage comme lieu d’inscription

Sur un plan marketing, la marque de distributeur (MDD) appartient à une enseigne de grande distribution[20] (ou distributeurs, ou marque-enseigne) qui met en vente des produits par son intermédiaire. Dans l’environnement concurrentiel intense du magasin, la MDD permet aux distributeurs et distributrices de contrôler la distribution de leurs produits et d’assurer un lien « direct » entre les consommateurs, les consommatrices et le marché. L’enseigne de distribution Intermarché a notamment fondé sa stratégie de marquage selon une logique « d’indépendance qui correspond à des marques réservées pour lesquelles le consommateur ne fait pas forcément le lien avec l’enseigne » (Heilbrunn, 2017, p. 102), telles que Monique Ranou, Pâturages ou Chabrior. Sur le plan communicationnel, l’enjeu est ainsi de créer des entités sémiotiques autonomes permettant de capitaliser sur un ajustement précis aux normes d’une catégorie de produits tout en invisibilisant le lien entre le distributeur ou la distributrice et ces marques.

Le score s’inscrit dans un cadre spécifique dans lequel l’enseigne possède une place majeure dans la gestion de ce qui sera visible ou non, en termes de disponibilité des marques en rayon comme en termes d’organisation technique, logistique (parcours, signalétique, marchandisage, catégories de rayons) et communicationnelle (campagnes de communication, informations, guides, sélections, affichages) de l’espace de vente. Il semble donc important d’approfondir les enjeux de « l’économie d’emballage » (Cochoy, 2002) dans le cadre de ces relations marchandes en cela que les conditions d’inscription et d’élaboration du score en configurent l’écriture et la lecture. En effet, l’emballage est devenu le lieu d’inscription principal des qualités qui permet au consommateur et la consommatrice de recueillir des informations sur les produits dans un espace en libre-service : « l’emballage se pose comme un médiateur objectif qui intercède physiquement entre producteurs et consommateurs » (Cochoy, 2002, p. 43). Le conditionnement des produits a en effet transformé la considération de l’offre, autrefois envisagée comme une « pâte homogène » (Ibid., p. 41) dans la pensée du marché. L’emballage devient un support de médiation de ce qu’il contient, fortement normé et réglementé. Il est à la fois ce qui cache et ce qui montre, lieu de « re-médiation » du produit qu’il contient. Il est un espace sémiotiquement dense où co-existent récits de marques, allégations réglementaires, composition du produit, ou encore données logistiques. Il opère selon un double mouvement d’identification et de différenciation, objet de nombreuses médiations de professionnels différents (Barrey, et al., 2000, p. 3) et de logiques de « gouvernement des conduites » (Dubuisson-Quellier, 2016).

2.2.2 Le score comme « marque de la marque-enseigne »

Si la consommation en tant que système est d’abord une consommation des signes avant celle de l’utilité des produits (Baudrillard, 1970), les significations « relèvent de la production industrielle des différences » où se différencier, c’est « se dessaisir de toute différence réelle », en cela qu’« [i]l y a concentration monopolistique de la production des différences » (Ibid., p. 126). Cette dernière est inhérente à la fonction même de l’emballage, relative à « la primauté de la concurrence par les qualités sur la concurrence par les prix » que Lucien Karpik juge structurante du « marché des singularités » (Karpik, 2008, p. 408). L’opération d’un choix en toute connaissance de cause étant impossible, la décision du consommateur ou de la consommatrice « implique nécessairement le recours à des dispositifs de jugement qui produisent de la connaissance et dont l’efficacité varie avec la confiance dont ils bénéficient » (Ibid., p. 410).

Le score fonctionne ainsi comme un dispositif de production de différence et de jugement (Karpik, 1996), en renouvelant la visibilité par la nouveauté d’une signification, d’une nouvelle singularité, seule à même d’extraire le produit d’une homogénéité insoluble.

Si l’on peut penser que l’enseigne Intermarché et plus généralement le groupe Les Mousquetaires auraient intérêt à faire savoir qu’ils sont les initiateurs de ce dispositif, le Franco Score n’est cependant pas « marqué » : le nom de l’enseigne ou son logo n’apparaissent pas sur le Franco-Score. Le groupe industriel rassemble une diversité de marques de distributeurs (MDD), ayant chacune une image qui lui est propre. Parce que ces différentes MDD apposent un seul et même score, cela contribue à légitimer l’objectivité de celui-ci[21]. Si la présence du Franco-Score dans les diverses enseignes d’un même groupe augmente sa visibilité, l’absence de signature participe à nourrir l’effet d’objectivité du score, qui se présente comme autonome sur les emballages. Sans signature, le lien entre le score et son auteur ou son autrice est l’objet d’un travail de rupture. Ces dynamiques sont ainsi marquées par une volonté de rendre indépendant un sigle privé, de lui attribuer l’efficacité d’un tiers neutre, certifiant afin de dépasser les « limites d’action de l’entreprise privée » (Cochoy, 2022, p. 65).

La mise en place du score opère donc entre hyperpublicitarisation et dépublicitarisation, dans des jeux de visibilisation/invisibilisation qui brouillent les frontières des énonciations, des identifications et des rôles. Ainsi, l’enjeu principal de la mise à disposition d’un outil gratuit, le Franco-Score, par Intermarché repose sur la manière dont il permettra « l’implication volontaire » des consommateurs et consommatrices (Berthelot, 2005, p. 100) par l’euphémisation de sa dimension marchande.

3. Le score comme dispositif didactique : opérateur d’implication volontaire et prise en charge du consommateur et de la consommatrice

Le processus de dépublicitarisation ici étudié se fonde également sur la manière dont l’autorité des marques se tisse en contexte, au regard d’une délégation de responsabilité à un consommateur ou une consommatrice construit·e comme ignorant·e et en besoin d’éducation par le monde marchand.

3.1 La place du score dans la relation marque-consommateurs : des paradoxes

3.1.1 Les jeux de responsabilisation/déresponsabilisation entre marque et consommateurs ou consommatrices

Le score est un outil gratuit pour le consommateur et la consommatrice, mis à sa disposition par la marque-enseigne comme adjuvant dans son parcours de consommation. L’analyse du communiqué de presse et des articles de presse professionnelle permet de voir comment se déploient les régimes de responsabilité dans les discours professionnels et d’accompagnement.

Le score est en effet présenté comme un moyen de réaliser un choix « en toute connaissance de cause »[22] par un consommateur ou une consommatrice qui maîtriserait l’ensemble des informations nécessaires pour prendre la meilleure décision : nous notons également l’expression « permettre aux consommateurs d’effectuer leurs choix en toute connaissance ». Ainsi, la mise en place du score tend à s’accompagner d’une délégation de responsabilité de l’entreprise qui le met en place vers les consommateurs et consommatrices sur lesquels reposera la charge de faire le « bon » choix. Nous recensons en ce sens, au sein du corpus d’articles de presse, des énoncés tels que :

« Sa crainte ? L'assistanat trop prononcé du consommateur. Si le consommateur ne se fie qu'à l'étiquette en oubliant ses réflexes de surveillance, il y a un risque. »; « On sait que le consommateur veut plus d'informations, et il a transféré l'obligation de l'informer à l'industrie et à la distribution »; « plus de consommateurs désireux de produits d’origine France, ce sera plus de sourcing d’origine France de la part des industriels et des enseignes ».

Dans le cas du Franco-Score, à présent qu’Intermarché « a fait sa part » et que le consommateur et la consommatrice peut accéder au pourcentage d’ingrédients français, c’est à lui ou elle de choisir les produits les plus français afin d’inverser la tendance de la balance commerciale et d’inciter les industriel·le·s à utiliser plus d’ingrédients d’origine française. Avant de présenter le Franco-Score comme une solution au problème exposé, le premier paragraphe du communiqué de presse d’Intermarché mentionne notamment :

Pour la première fois, le solde des échanges agroalimentaires de la France avec le reste de l'Union européenne est devenu négatif. Intermarché veut contribuer à renverser la tendance : la France, puissance agroalimentaire de premier rang, doit à nouveau vendre plus qu'elle n'achète.

Le paradoxe est le suivant : plutôt que de participer directement à un approvisionnement plus local des produits, Intermarché crée un score de francité, stratégie dont l’efficacité est entièrement remise sur la bonne volonté des consommateurs et consommatrices. Dans un double mouvement d’orientation (donc de prise en charge) par le balisage des produits et de déresponsabilisation, le score illustre les jeux d’autorité et les relations entre savoir et pouvoir entretenues dans le contexte marchand. La marque possède le pouvoir d’informer, dans un espace où le consommateur et la consommatrice est construit comme en demande d’accompagnement. Cette volonté d’accompagnement s’inscrit dans un processus d’anthropomorphisation de la marque comme un acteur ou une actrice en soi pouvant « entrer en conversation »[23], « discuter avec le consommateur et la consommatrice »[24], « humaniser la relation »[25] que ces deux entités (la marque – Intermarché et « le consommateur ou la consommatrice ») entretiennent[26]. Dans sa fonction première, le marketing a vocation à réduire la distance figurée entre ces deux pôles (Berthelot, 2005).

Si l’économie contemporaine semble faire prévaloir l’instauration d’une relation permettant de rendre la transaction acceptable (Ibid.), cette relation repose notamment sur les signes de qualité (Almeida, 2012). Or, la transparence apportée par ces signes (labels, logos, appellations officiels) doit être « crédible » (Karpik, 1996, p. 539). Le consommateur ou la consommatrice doit donc s’appuyer sur de multiples « dispositifs de jugement » (Ibid.) que Lucien Karpik classe en deux catégories : les dispositifs qui s’appuient sur la confiance personnelle et ceux qui s’appuient sur la confiance impersonnelle. Cette deuxième classe rassemble notamment les classements, les appellations et les guides, en somme des dispositifs dont l’efficacité repose sur une confiance tierce (confiance attribuée au dispositif, à la connaissance médiée, aux marques qui mettent en place ces dispositifs). Nous retrouvons en ce sens de nombreux énoncés qui s’inscrivent dans cette axiologie confiance/défiance au sein du corpus d’articles :

« rassurer les consommateurs est une bonne chose », « tout ce qui va dans le sens de la transparence et rassure les consommateurs est une bonne chose », « les Français ont perdu confiance dans leur alimentation », « les industriels tentent de les rassurer », « mais nous sommes persuadés qu'il s'agit de la seule voie possible pour faire taire la défiance permanente des consommateurs à l'égard de l'industrie agroalimentaire ».

Ainsi, une nouvelle forme de délégation apparaît, fondée sur la confiance accordée au dispositif informationnel proposé par la marque et censé fournir une information permettant un meilleur choix pour le consommateur et la consommatrice. En cela, les marques capitalisent sur la production d’informations qu’elles seules sont en mesure d’apporter, participant à légitimer leur autorité et entretenir des formes de dissymétries d’information entre elles et les consommateurs ou les consommatrices, comme l’illustre bien cet énoncé issu du corpus d’articles : « [l]a première urgence est d'alimenter l'appétit des consommateurs avec des données qui proviennent des marques et non des consommateurs ».

3.1.2 Le score comme balisage de la consommation : préfigurer et susciter une pratique du choix

Dans un marché opaque et dont l’offre ne peut être entièrement connue des consommateurs et consommatrices, le score opère comme une balise, parmi de nombreuses autres, permettant aux client·e·s de s’y retrouver dans un contexte de forte concurrence et de foisonnement des produits. Il oriente le parcours de la décision d’une certaine façon et promet un pouvoir enfin retrouvé par la médiation d’informations particulières.

La prétention pragmatique du score se fonde sur les discours tenus à l’égard de ce type de dispositif par les professionnels·le·. Ces acteurs et actrices nourrissent ainsi leur potentiel à avoir un réel effet sur les actions des consommateurs ou consommatrices, à mieux organiser le marché, en somme à être des dispositifs agissants. Les discours s’organisent en deux univers de sens. Le premier est l’adaptabilité, c’est-à-dire la capacité de ces dispositifs à répondre aux attentes et aux besoins de l’ensemble des acteurs et actrices, à être compatible avec l’existant, que l’on retrouve dans des énoncés tels que :

« ne remplacera pas [...] mais les prendra en compte », « réguler », « réunissant tous les enjeux », « un important travail de mise en cohérence », « note unique qui synthétise », « en agrégeant ».

Le second univers est l’optimisation, c’est-à-dire supplanter les repères d’ores et déjà existants et les améliorer, qui se déploie par des énoncés tels que : « ils classent », « il attribuera », « il détaille », « amène de la transparence ».

Ces discours participent également à structurer l’action du consommateur ou de la consommatrice en cela qu’ils « représentent et suscitent sans cesse » (Jeanneret, 2019, p. 178) l’agir consommatoire dont le choix semble être l’action ultime. La manière dont cet « objet médiatisant suscite les pratiques » (Ibid.) repose sur quatre modalités développées par Yves Jeanneret (Jeanneret, 2014) : la préfiguration, la suggestion, la réquisition et la fantasmagorie. Le Franco-Score préfigure les conditions d’évaluation d’un produit au regard d’une certaine valeur, à savoir l’origine française. La manière par laquelle le score suggère une certaine pratique du choix du consommateur et de la consommatrice engendre ainsi des effets sur les pratiques des professionnel·le·s impliqué·e·s. La prise en compte du score par les consommateurs et consommatrices peut aboutir à une forme de réquisition : les autres acteurs et actrices du marché sont ainsi astreint·e·s à utiliser des signes de même type afin d’être visibles ou d’éviter la suspicion possiblement causée par leur absence. En tant que dispositif qui instrumente une pratique évaluative, le score devient partie intégrante de la fantasmagorie de la consommation, c’est-à-dire l’« ensemble des textes, images, dispositifs matériels, situations qui peuvent donner une portée et une valeur imaginaires et esthétiques à des marchandises et des produits industriels et marchands » (Ibid., p. 12). Le score est ainsi un texte voué à l’action, pensé comme un « outil prêt-à-choisir » (Cochoy, 2002, p. 73) par la marque qui le met en place dans lequel le consommateur et la consommatrice est invité·e à s’impliquer volontairement.

3.2 Le score comme porteur d’une relation didactique : l’illustration d’une certaine construction du consommateur et de la consommatrice

3.2.1 Les marques-enseignes, « marques-enseignantes »

Par une organisation sémiotique particulière décrite comme absolument lisible, facilitant le parcours du choix du consommateur ou de la consommatrice, les discours tenus par les professionnel·le·s sur ces dispositifs actualisent une prise en charge du consommateur et de la consommatrice sur le mode didactique :

« plus facilement compréhensible », « simple à comprendre, pas culpabilisant, bien visible et pédagogique », « une information nutritionnelle simple pour les guider dans leurs choix alimentaires », « Pour le consommateur, cet étiquetage sur l’emballage devrait être plus simple à appréhender »[27].

La lecture et l’interprétation à faire du score sont cadrées par le recours à la mise en scène des dispositifs dans des cas concrets, avec des produits types. La scénographie ainsi construite place les marques en acteurs ou actrices enseignante·s vis-à-vis de consommateur et consommatrices apprenant·e·s. Le score s’inscrit dans une volonté des maques, de manière générale, « d’endosser la figure d’autorité de celui qui détient le savoir, de jouer, dans le sens plein du terme, un rôle » (Marti, 2019, p. 92).

Cette volonté d’éducation du consommateur et de la consommatrice n’est pas nouvelle et s’inscrit dans une généalogie longue de dispositifs, discours, promesses, postures et stratégies que les marques ont investis afin de garantir leur autorité. Les professionnel·le·s nourrissent des représentations du marketing comme lieu d’apprentissage du consommateur ou de la consommatrice, amenant à cultiver des formes de dissymétries d’informations entre eux et les consommateurs et consommatrices (Marti, 2019). Fonctionnant de pair avec l’éthos d’acteur et d’actrice militant·e engagé·e pour la France vu précédemment, Intermarché nourrit ainsi un « ethos de détenteur de la vérité face à l’ignorance supposée du consommateur » (Ibid., p. 85).

3.2.2 La construction du consommateur et de la consommatrice par les marques

Face à ces « marques enseignantes », quel consommateur et quelle consommatrice est construit·e? Si la posture d’Intermarché est celle d’un guide, elle procède d’un « ajustement au public » (Jeanneret, 2014, p. 94) qui est au fondement de la gestion sémiotique propre aux médiations de la marque (Marti, 2019). Ainsi, cette position nous renseigne sur la façon dont le consommateur et la consommatrice est représenté·e, dit, agit par les gestionnaires de la marque. L’analyse du communiqué et des articles de presse a ainsi permis de mettre au jour les représentations en tension d’un consommateur ou d’une consommatrice tout à la fois ignorant·e et acteur ou actrice de la scène marchande. La scénographie de la conversation entre le consommateur, la consommatrice et la marque est sans cesse présente, dans laquelle le premier serait toujours en position d’attente vis-à-vis de la seconde (d’information, de transparence, de repères, etc.), en quête de balisages faciles, clairs, colorés, participant également à une forme d’infantilisation.

Aux côtés de ce consommateur ou de cette consommatrice ignorant·e, la figure du consommateur-acteur ou de la consommatrice-actrice émerge des représentations entretenues par les professionnel·le·s du secteur et déployées dans les discours étudiés. Nous retrouvons notamment au sein du corps d’articles :

« le consommateur, acteur de l'étiquetage », « un "jury citoyen" qui permettrait à chaque consommateur membre de l'association d'aller vérifier par lui-même », « engager activement les consommateurs dans la priorisation et le suivi », « permet de remettre le consommateur au centre des décisions », « les consommateurs veulent comparer ».

Les consommateurs et consommatrices sont ici décrit·e·s comme des acteurs et actrices, doué·e·s d’agentivité, d’un pouvoir d’action, en mouvement. Cette image s’oppose au consommateur passif ou consommatrice passive en besoin de guidage : ici, il ou elle s’engage avec les marques voire pour elles, en tout cas grâce à elles et aux outils qu’elles proposent. Si l’on prend un pas de recul vis-à-vis des figures du consommateur et de la consommatrice mobilisées dans ces discours, il ne s’agit pas de se demander comment saisir ou accéder à ce que serait le, la « vrai·e » consommateur ou consommatrice mais plutôt de voir en quoi ces figures en tension servent des stratégies de légitimation du monde marchand, en l’occurrence la mise en place d’un dispositif précis. Cela amène des questions plus larges quant aux rapports de pouvoir qui structurent la médiation d’information en contexte marchand.

Conclusion

Le score possède une dimension pragmatique forte, il donne à voir pour faire faire. Il semble être la source d’une certaine « figuration », en cela qu’il semble incarner « des rapports de communication dans des formes concrètes, connues, susceptibles d’être attendues, comprises et jugées par le public » (Jeanneret, 2014, p. 12). Pris dans sa « trivialité » (Jeanneret, 2014), il peut être saisi en tant que texte publicitaire afin de dénaturaliser les postures qu’il institue dans les relations entre marques et consommateurs ou consommatrices et dont il est porteur. La mise en place de tels dispositifs donne l’indice d’un processus de captation du social et des formes permettant aux marques de rester visibles dans l’espace social. Alors qu’il procède d’une production stratégique de différence par le biais d’un processus de « valuation » (Bouchard et al., 2015), le score tend à invisibiliser les médiations qui le précèdent et le traversent, participant ainsi à nourrir son objectivation.

À travers et par lui opèrent des jeux de visibilisation/invisibilisation, dans un contexte de processus de différenciation et de distinction complexes propres à la grande distribution et plus largement au monde marchand. Ce dispositif, qui semble a priori anodin, peut nous enseigner de multiples choses sur les enjeux de requalification symbolique d’une marque et des relations entre pouvoir-savoir dans la consommation dans le cadre de médiations informationnelles. Le score opère ainsi comme une nouvelle balise, articulant lisibilité et visibilité, permettant aux marques de garantir leur autorité vis-à-vis de consommateurs et consommatrice décrit·e·s comme tout à la fois ignorant·e·s et acteurs ou actrices dans le monde marchand.

L’analyse de l’univers discursif qui accompagne le dispositif (Souchier et al., 2019) et des conditions de déploiement du sens au niveau sémiotique est particulièrement féconde dans le cadre des médiations marchandes. Elle permet en effet de voir comment sont travaillées et rendues opérantes les modalités du (faire) dire, du (faire) voir et du (faire faire), dans un contexte où les relations, énoncés, dispositifs, rôles, postures, etc. sont parfois naturalisés tant ils sont vus et répétés, en somme « infra-ordinarisés » (Souchier, 2012).

Ce travail nous renseigne enfin sur les représentations des consommateurs et consommatrices que les acteurs et actrices marchand·e·s nourrissent. Le consommateur ou la consommatrice et sa construction font l’objet de nombreuses théories, approches, dans de multiples disciplines (Cochoy, 2004 ; Marti, 2015 ; Pinto, 2018 ; Galluzzo, 2020). Sa définition et ce qu’elle recouvre évoluent au fil des époques et des cadres dans lesquels il est mobilisé (Cochoy, 2002 ; Frohlich, 2010 ; Marti, 2016). Le consommateur ou la consommatrice est une matrice efficace car « universalisante ». Il ou elle permet de recomposer des « individualités de synthèse » (Baudrillard, 1970, p. 125) utiles à des fins d’ajustement perpétuel du monde marchand au social. Si les marques font appel à ses engagements politiques, citoyens, militants, etc., « c’est toujours in fine par son désir d’investissement dans les échanges marchands qu’il est appréhendé, quel que soit son parcours culturel et symbolique préalable » (Marti, 2015).

Cependant, cette étude pourrait être prolongée de perspectives comparatistes permettant de mieux saisir les enjeux culturels et réglementaires liés à la médiation d’informations dans l’alimentation, à l’évaluation alimentaire et aux emballages. De plus, les multiples couches stratégiques qui composent ici l’organisation entre enseigne, marques de distributeur ou distributrices, groupe et fonctionnement en coopérative (« producteurs, productrices et commerçant·e·s ») peuvent faire l’objet d’une analyse plus approfondie afin de soulever de nouvelles hypothèses quant à la mise en place de tels dispositifs. Une interrogation de la façon dont sont utilisés ces dispositifs en contexte par les consommateurs, les consommatrices ou encore des discours tenus sur eux par leurs concepteurs etconceptrices pourrait permettre de mieux saisir les enjeux qui les entourent. Croiser cette étude avec l’analyse d’autres dispositifs de même nature, mais issus d’énonciateurs ou énonciatrices différent·e·s (tels que le Nutri-Score ou l’Eco-Score) permettrait également d’interroger plus précisément les rhétoriques didactiques (Marti, 2019) des acteurs ou actrices marchand·e·s dans une concurrence intense de médiation informationnelle dans l’alimentation. De plus, une approche historique serait particulièrement riche afin de rendre compte de l’évolution de tels dispositifs et de la généalogie dans laquelle ils s’inscrivent (Seguy, 2014).

Cette étude ouvre des interrogations quant aux rôles tenus, laissés, attribués ou entretenus par les marques dans l’éducation et l’orientation alimentaire. Elle permet d’envisager des questions plus larges sur les relations entre savoir et pouvoir dans la consommation à l’heure où le consommateur et la consommatrice est sans cesse décrit·e comme de plus en plus politisé·e et engagé·e par les mondes marchands (Dubuisson-Quellier, 2018). Comment ces évolutions sont-elles saisies par les professionnel·le·s ? Sous quels régimes co-existent les informations privées issues d’acteurs ou d’actrices marchand·e·s et celles issues des pouvoirs publics dans l’alimentation, notamment à l’heure où de nouvelles technologies permettent la mise à disposition de dispositifs tels que les applications de balayage de produits (Buisson, 2022 ; Soutjis, 2021) ? Quelle relation à l’alimentation se dessine lorsque celle-ci est envisagée à travers un prisme informationnel (Frohlich, 2017) ou sanitaire (Didier, 2019) ? L’éducation alimentaire, terrain particulièrement sensible et politique, n’est pas épargnée par l’incursion du marchand dans les sphères publiques (Berthoud et De Iulio, 2015 ; Seurrat et Marti, 2018). L’étude de ces processus permet de questionner ces formes et présences naturalisées et plus largement, d’ouvrir des réflexions quant à la prétention des marques à l’orientation des consommateurs et consommatrices à l’aune des jeux d’autorité dans lesquels l’ensemble des acteurs et actrices (marchand·e·s comme non marchand·e·s) sont pris·es.