Abstracts
Résumé
Cet article présente les résultats d’analyse de discours autoreprésentatifs formulés par 105 personnes assistées sociales. Leurs discours sont discutés à la lumière des outils conceptuels et théoriques des études culturelles. Ils exposent des trames narratives alternatives à celles couramment utilisées dans les espaces publics et médiatiques pour nommer, définir et problématiser les expériences vécues par les personnes assistées sociales au Québec. Les résultats permettent d’identifier les motifs déclarés menant à l’assistance sociale, les difficultés vécues par les personnes assistées sociales, ainsi que les stratégies de nature économique qu’elles déploient au quotidien. Ils mettent également en lumière une capacité d’action autonome créative chez ces dernières ainsi que des rapports complexes à l’assistance sociale et à la pauvreté. Ces discours autoreprésentatifs de personnes assistées sociales sont contextualisés dans le cadre des programmes d’assistance sociale en vigueur au Québec et par des données quantitatives sur les profils des prestataires de ces programmes.
Mots-clés :
- assistance sociale,
- pauvreté,
- discours autoreprésentatifs,
- inégalités sociales,
- Québec
Abstract
This article presents the results of an analysis of self-representations formulated by 105 welfare recipients. These representations are discussed in light of conceptual and theoretical tools from the field of cultural studies. By doing so, alternative narratives to those commonly used in public and media discourse emerge to name, define, and problematize the experiences of welfare recipients in Quebec. The results identify the reasons leading to social assistance, the difficulties experienced by welfare recipients, as well as the economic strategies that they deploy on a daily basis. They also highlight the ability for creative autonomous action among welfare recipients and their complex relationships with social assistance and poverty. These self-representations of welfare recipients are contextualized within the framework of social assistance programs in effect in Quebec and by quantitative data on the profiles of recipients of these benefits.
Keywords:
- welfare,
- poverty,
- self-representation,
- social inequalities,
- Quebec
Article body
1. Introduction
Peu d’études québécoises interrogent les représentations que se font les personnes assistées sociales de leur situation, des programmes auxquels elles ont accès, et de la considération qu’elles estiment leur être accordée au sein de leur société. Les connaissances sur les discours portés par les personnes assistées sociales sur leurs trajectoires de vie et leurs conditions d’existence demeurent ainsi limitées et se concentrent principalement sur la thématique de leur rapport au travail (Boucher et al. , 2019; Boucher et al., 2020; Dufour, 2002; Macé et al., 2019; McAll et al., 2012; René et al., 1999).
Le faible niveau d’attention accordé par la communauté scientifique sur ces questions s’inscrit dans un contexte où les personnes assistées sociales font l’objet d’une déconsidération publique importante et où leurs récits, leurs voix et leurs perspectives sont marginalisés dans la production journalistique (Landry et al., 2021; Landry et al., 2022). Des études canadiennes-anglaises et étrangères ont démontré que la couverture médiatique de la pauvreté peut alimenter des dynamiques d’exclusion sociale, notamment par la construction d’un portrait décontextualisé et stéréotypé des personnes en situation de pauvreté, et ainsi légitimer des politiques publiques discriminatoires (Bullock, Wyche et Williams, 2001; Chauhan et Foster, 2014; Redden, 2014; Lanteigne et al., 2019; Fohrbeck et al., 2019). Au Québec, le stigmate apposé à la figure de « l’assisté social » (Ducharme, 2018; Noreau et al., 2016) se traduit par une adhésion de l’opinion publique à des seuils de prestation d’assistance sociale insuffisants pour couvrir les besoins de base des prestataires, et par des mesures contraignantes à l’employabilité (Blanchet et Landry, 2022). La construction des discours publics et scientifiques sur l’assistance sociale par des tiers s’accompagne de modes de lectures excluant généralement les personnes assistées sociales de leur propre réalité sociale ce qui a « des répercussions politiques, historiques et sociales importantes » (notre traduction : Kidd, 2016, p.10).
Dans ce contexte, cet article s’intéresse aux discours autoreprésentatifs de personnes assistées sociales. La notion d’autoreprésentation (self-representation) est utilisée pour faire référence à l’usage des histoires personnelles de personnes ordinaires afin d’offrir « des perspectives et des expressions individuelles de leurs mondes intérieurs » (notre traduction : Kidd, 2016, p.64). Les pratiques autoreprésentatives se positionnent donc fréquemment dans une logique de déconstruction des discours et narratifs dominants (Jeppeson, 2009). Pour les personnes assistées sociales résidant au Québec, la mise en visibilité de ces pratiques dans l’espace public est limitée par la persistance d’inégalités numériques et d’importantes difficultés rencontrées par les groupes de lutte à la pauvreté à accéder à la diffusion médiatique grand public (Landry et al., 2020; Landry et al., 2021).
Le présent article expose les résultats d’analyse de discours autoreprésentatifs formulés par plus d’une centaine de personnes assistées sociales. Ces résultats permettent d’identifier les motifs déclarés menant à l’assistance sociale, les difficultés vécues par les personnes assistées sociales, ainsi que les stratégies de nature économique qu’elles déploient au quotidien. Ils mettent également en lumière une capacité d’action autonome créative chez ces dernières ainsi que des rapports complexes à l’assistance sociale et à la pauvreté. Nous avons en outre contextualisé les discours autoreprésentatifs recueillis en les replaçant dans le cadre législatif des programmes d’assistance sociale en vigueur au Québec et en ayant recours à des données quantitatives issues des statistiques fournies par le Ministère québécois du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale (MTESS) au sujet des profils sociodémographiques des prestataires de ces programmes.
2. Cadre général de la recherche
Les sections qui suivent présentent successivement l’approche théorique dans laquelle s’inscrit la démarche de recherche, la méthodologie de recherche et les résultats d’analyse. Une réflexion théorique ainsi que les concepts employés à l’analyse des résultats s’intègrent, pour leur part, dans la discussion afin de faire dialoguer les données analysées ainsi que le contexte social et politique de l’assistance sociale au Québec avec la littérature scientifique.
2.1 Approche théorique
L’étude des discours autoreprésentatifs de personnes assistées sociales s’inscrit dans un contexte marqué par la persistance de représentations fortement négatives à leur endroit (Landry et al., 2022). Dans un contexte comme celui du Québec, marqué par la persistance de représentations fortement négatives de l’assistance sociale, s’intéresser aux discours des personnes assistées sociales elles-mêmes permet de jeter un regard critique sur des constructions politiques et idéologiques de l’assistance sociale circulant largement dans les discours médiatiques et politiques.
Le champ des études culturelles regroupe les outils conceptuels pour procéder à cette déconstruction. Ce dernier s’intéresse aux enjeux entourant la culture, l’idéologie et le pouvoir. Il s’est historiquement développé en prenant pour objet l'étude de manifestations et de pratiques culturelles de groupes marginalisés et négligés, notamment par les médias, les responsables politiques et universitaires (Mattelart et Neveu, 2008; Kidd, 2016). Dès sa fondation, ce champ de recherche cherchait à étudier la culture telle qu’elle se manifestait
dans des contextes démographiques autres que ceux des classes aisées. Ainsi, il a permis de décrire et faire découvrir la culture de la classe ouvrière, celle des femmes, des jeunes, des personnes homosexuelles, la culture en contexte postcolonial et celle des pays du tiers monde ainsi que la culture de la vie quotidienne (notre traduction : Hartley, 2003, p.3-4).
Comprise en son sens large comme des manières de vivre plutôt que strictement en termes de productions artistiques, la culture est abordée et comprise comme un lieu où se développent des pratiques, des discours, des identités et des subjectivités. Elle contribue ainsi à l’édification et à la reproduction d’une réalité et de valeurs communes, tout en étant institutionnalisée « sous forme de patterns d’action stable qui façonnent les structures économiques, politiques et de parenté au sein d’une société » (notre traduction : Baldwin & McCracken, 2014, p.18). En s’intéressant aux groupes traditionnellement en marge, les études culturelles portent explicitement le projet intellectuel de rendre visible et de documenter les rapports de pouvoir, les négociations ainsi que les pratiques de résistance qui s’opèrent à travers la culture au sein d’une société. Cette emphase sur les questions de pouvoir, de domination et de résistance inscrites dans le champ culturel est à l’origine de la sélection du cadre théorique. Des perspectives théoriques complémentaires peuvent toutefois également être mobilisées afin de traiter de la question de la représentation des groupes sociaux (voir Moscovici, 1961; 1976; 1989).
2.2 Méthodologie
L’approche retenue dans le cadre de ce projet est principalement exploratoire (Strauss et Corbin, 1998; Thomas, 2006). En accord avec les objectifs de la recherche, elle devait permettre l’émergence aussi libre que possible de discours autoreprésentatifs sur des thématiques présélectionnées, celles-ci étant :
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les motifs des recours à l’assistance sociale;
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les difficultés que rencontrent les personnes assistées sociales;
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les stratégies et les moyens utilisés afin de surmonter ces difficultés;
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les perceptions et préjugés dont sont l’objet les personnes assistées sociales;
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les considérations personnelles sur leurs parcours individuels et leurs conditions sociales.
Ces thématiques ont été élaborées de manière itérative afin de faire émerger des trames narratives cohérentes sur les parcours et conditions de vie des personnes assistées sociales. Un questionnaire composé de neuf questions formulées d’une manière à ouvrir largement la discussion sur ces thématiques a été composé par l’équipe de recherche. Quatorze entretiens de groupes ont eu lieu dans des organismes communautaires entre mai 2018 et novembre 2019 dans 7 régions administratives du Québec[1]. Ces entretiens ont été planifiés en collaboration avec l’organisme Collectif pour un Québec sans pauvreté. Celui-ci a identifié des organismes communautaires locaux désirant participer au projet et a coordonné avec ces organismes la tenue de rencontres et d’entretiens de groupes auxquels 105 personnes ont participé. Si le corpus ainsi constitué ne peut prétendre ni à la représentativité ni à l’exhaustivité, il a néanmoins été composé afin d’assurer l’intégration aussi grande que possible d’une diversité de profils au sein de l’étude[2]. Celle-ci a accueilli des personnes nées au Québec, des personnes immigrantes et issues de minorités visibles, en situation de monoparentalité et de handicap, et appartenant aux diverses catégories d’âge adulte. La tenue de rencontres en milieu urbain et en région est venue diversifier les profils des participant·e·s mettant en lumière des réalités influencées par différents contextes géographiques. La conduite des entretiens reposait sur quatre principes directeurs : lancer les discussions, modérer les échanges (notamment afin de s’assurer de l’intégration harmonieuse des points de vue de chaque personne), couvrir les thématiques prévues et respecter les limites de temps de l’entretien. Les discussions entre participant·e·s étaient recherchées et valorisées par l’équipe de recherche, celles-ci permettant d’aborder des questions jugées importantes par les personnes participantes elles-mêmes, de soulever ou d’approfondir des éléments précis, et de dynamiser les échanges (Baribeau, 2010). Les personnes identifiées comme « assistées sociales » étant l’objet d’une discrimination et d’une dévalorisation publique documentées au Québec, les questions éthiques ont occupé un rôle prépondérant dans la conception et l’exécution de la recherche. Les principes éthiques directeurs de la recherche ont reposé sur le consentement libre et éclairé des participant·e·s, la protection de leur bien-être, et la modulation des niveaux d’anonymats souhaités[3].
Toutes les rencontres ont été enregistrées dans leur intégralité et transcrites en préservant l’anonymat des participant·e·s. Les transcriptions ont été intégrées dans le logiciel d’analyse qualitative NVivo et ont fait l’objet d’un codage à double arbitre afin de faire émerger les principales catégories d’analyse. Ce codage a été validé régulièrement par les personnes participant au codage, et revalidé ponctuellement en équipe élargie (Blais et Martineau, 2006; Paillé, 1994).
Quatre éléments ont émergé de ce travail :
-
L’identification des principales catégories thématiques d’analyse;
-
Pour chacune de ces catégories, l’identification des catégories thématiques secondaires. Celles-ci ont permis de préciser les significations à accorder aux thématiques parentes;
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L’importance de ces catégories secondaires les unes par rapport aux autres. L’addition du nombre d’énoncés distincts classés dans chacune de ces sous-catégories a permis d’identifier les thèmes et sujets les plus fréquemment abordés, ou encore traités plus en profondeur par les participant·e·s[4];
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La nature précise des discours tenus par les participant·e·s sur chacun des thèmes et sous-thèmes identifiés.
Le tableau 1 inséré ci-dessous présente les principales catégories thématiques ayant émergé autour des thèmes auxquels se consacre le présent article. Les sous-thématiques en caractère gras sont largement prédominantes.
La méthode employée a permis d’établir l’éventail de thèmes évoqués par les participant·e·s ainsi que de rendre compte de l’importance qui leur a été accordée par les participant·e·s. De plus, chaque extrait codé a été associé à des attributs en lien avec le profil sociodémographique de la personne l’ayant formulé. Sept attributs ont ainsi été pris en considération : le genre, le statut d’immigration, la situation de handicap, l’état civil, l’âge, le lieu de résidence et la parentalité. Le croisement de ces attributs avec les catégories thématiques prédominantes nous a permis de nourrir une analyse intersectionnelle (Collins et Bilge, 2020, Crenshaw 1989, 1991) montrant d’abord quel rôle jouent ces caractéristiques dans les discours sur des thématiques précises et ensuite comment ces dernières interagissent avec le statut d’assistance sociale. Ceci s’est avéré particulièrement intéressant dans la mesure où les résultats obtenus témoignent d’expériences illustrant comment de multiples rapports de force interdépendants – par exemple ceux reliés au genre ou au handicap – façonnent la relation des participant·e·s avec l’assistance sociale et la pauvreté (Collins et Bilge, 2020, p.2). Cette analyse sera détaillée dans la section suivante.
3. Analyses et résultats
La présente section introduit les résultats d’analyse sur trois objets particuliers : les motifs conduisant à un recours à l’assistance sociale, les difficultés rencontrées par les personnes assistées sociales, et les stratégies qu’elles mobilisent afin de faire face à ces difficultés. Les analyses font état du spectre des thèmes évoqués pour chacun de ces objets, et elles témoignent du poids relatif de ces thèmes les uns par rapport aux autres, en lien avec les profils des participant-e-s. Elles mettent également en lumière les manières avec lesquelles les participant·e·s à l’étude ont construit discursivement chacun de ces thèmes.
3.1 Motifs d’un recours à l’assistance sociale
La question des motifs conduisant aux recours à l’assistance sociale est chargée politiquement et étroitement associée à la déconsidération dont sont l’objet les prestataires de ces programmes (Blanchet et Landry, 2022; Landry et al., 2021). Les personnes participant à l’étude ont estimé être ciblées par des représentations publiques extrêmement négatives, orientées principalement autour des thèmes de l’abus (en estimant largement être perçues comme « profitant » de ces programmes) et de la paresse. Elles ont également, et de manière largement prédominante, présenté leur recours à l’assistance sociale non pas comme un choix, mais plutôt comme le résultat de problèmes de santé physiques ou mentaux. Cette thématique regroupe presque la moitié des énoncés sur la question des motifs aux recours à l’assistance sociale, suivie par les difficultés de nature familiale et conjugale.
3.1.1 Les problèmes de santé
Notons que les programmes québécois d’assistance sociale se structurent autour de l’aptitude au travail. Les personnes considérées « sans contraintes sévères à l’emploi[5] » sont prestataires du Programme objectif emploi ou du Programme d’aide sociale, alors que les personnes considérées comme possédant ces contraintes sont prestataires du Programme de solidarité sociale ou du Programme de revenu de base[6], sensiblement plus généreux dans les montants de leurs prestations et moins contraignants en termes d’obligations à respecter (p.ex. en termes de montants permis en avoirs liquides, valeurs et biens permis[7]). Toute personne désirant obtenir une aide financière accordée par ces programmes est d’abord considérée sans contraintes à l’emploi : elle doit obtenir la reconnaissance de contraintes sévères pour être éligible au Programme de solidarité sociale et bénéficier de conditions plus favorables. Environ 50% des demandes d’adhésion au Programme de Solidarité sociale sont rejetées (MTESS, 2019, p.37). Plusieurs des personnes participantes à notre étude illustrent en ce sens les difficultés administratives et les longs délais associés à ce processus de reconnaissance. « J’ai arrêté de travailler vraiment pour cause médicale en 2010. J’ai été obligé de me battre 4 ans pour avoir ma contrainte sévère à l’emploi », relate un participant.
À ce titre, plusieurs personnes participantes à notre étude ont détaillé les difficultés administratives et de longs délais associés à la reconnaissance de contraintes sévères à l’emploi, tel que le mentionne un participant : « C’est que depuis 1999, je savais qu’il y avait quelque chose qui clochait dans mon corps et c’est seulement en 2016 qu’on m’a diagnostiqué ». Alors que la majorité des prestataires affirment que les problèmes de santé physiques ou mentaux constituent les raisons qui expliquent leur recours à l’aide sociale, ces personnes ont également confié peiner à accéder à ce programme et, si elles y ont accès, craindre de perdre leur éligibilité.
Le tableau 2 ci-dessous présente les principales catégories de problèmes de santé menant à l’aide sociale mentionnées par les participant·e·s à l’étude. Le tableau suivant témoigne de la grande variété des problèmes de santé relevés. Il est intéressant de noter que les participant·e·s à l’étude ont évoqué les problèmes cognitifs et de santé mentale et les problèmes de santé physique dans des proportions équivalentes comme motif de recours à l’assistance sociale.
L’expérience d’une personne ayant participé aux entrevues met en lumière le fait que plusieurs problèmes de santé ne sont pas reconnus comme pouvant justifier une inaptitude au travail : « Ça parait pas là, mais je suis nerveux. J’ai essayé de faire passer ça pour les docteurs là, pour qu’ils se mettent d’accord pour me mettre… me… me… me… mettre inapte au travail. Mais… ils veulent pas. Ils veulent pas. Parce que pour eux autres, pour eux autres, j’t’encore capable de travailler, j’capable encore de faire des affaires là ». En novembre 2019, plus de 40 % des prestataires des programmes d’assistance sociale étaient considéré·e·s détenir des contraintes sévères à l’emploi (MTESS, 2019). Dans ce contexte, les différents témoignages démontrent, d’une part, les difficultés administratives pour obtenir un diagnostic et une attestation d’un·e médecin désigné·e et, d’autre part, la présence de problèmes fréquemment non-reconnus qui freinent l’intégration au monde du travail.
3.1.2 Les problèmes familiaux
Le second motif en importance ayant été évoqué pour expliquer le recours à l’assistance sociale est celui des problèmes familiaux. Cette thématique est fortement genrée : la grande majorité des énoncés codés à cet effet sont des témoignages de femmes[8]. De plus, le tiers de tous les énoncés touchant aux problèmes familiaux concerne l’ampleur de la charge familiale que seules les femmes ont évoquée. Il s’agit là d’un constat qui ne concerne que les mères assistées sociales. Au Québec, « non seulement les femmes, peu importe leur situation d’emploi, consacrent plus de temps que les hommes aux tâches ménagères, mais, en plus, ce sont celles qui adaptent le plus leur horaire aux besoins de leurs proches » (Couturier et Posca, 2014, p.7). Cela dit, la situation d’assistance des participantes aggrave les conséquences, car leurs moyens financiers restreints réduisent considérablement leur marge de manœuvre. Ainsi que le confie une participante : « j'ai pu de famille autour de moi, faut je me reconstruise un cercle d'amis, hum... c'pas tout le monde qui va vouloir garder mes enfants pour que j'aille à l'étude, pour que [je puisse] aller travailler, quand ça prend 3-5 ans avoir une garderie... Fait que ça fait beaucoup d'isolement... Pas de soutien ». De telles inégalités de genre ressortent d’ailleurs aussi de l’analyse des données de l’Institut de la statistique du Québec, celles-ci soulignant que les familles monoparentales ayant une femme comme cheffe de famille se trouvent dans des situations généralement plus précaires que les familles monoparentales avec un père à la tête de la famille (ISQ, 2019).
Les participantes à l’étude en situation de monoparentalité ont expliqué que le recours à l’assistance sociale résulte de difficultés associées à la conciliation entre les horaires de travail, les impératifs de la vie familiale et scolaire (rendez-vous médicaux, aide au devoir, etc.) ainsi que les horaires des services de garde, dans un contexte de pleine prise en charge des responsabilités familiales. Pour les femmes immigrantes rencontrées au cours de la recherche, cette situation est exacerbée par l’absence d’un réseau social d’entraide significatif. Une participante explique à ce titre: « Je suis à l’aide sociale parce que je n’ai pas personne ici pour m’aider, et je suis avec ma fille, et, depuis que je suis venue, […] Je n’ai pas personne pour la garder pour que je puisse, travailler ».
Les discours des participantes s’inscrivent dans un contexte où les femmes monoparentales travaillent fréquemment dans des secteurs où les horaires sont souvent changeants, ce qui complique leur insertion à l’emploi (Raynault et Côté, 2014). Une répondante explique à ce titre que
L'hôpital Sainte-Justine m'ont rappelé en janvier pour travailler là. Mais, avec les heures de jour, 7 à 3 et demi, avec le CPE, hum, c'est impossible, en autobus. Fait que, même si je voudrais retravailler là, pour le... déplacement, c'est ça, j'peux pas... Pis mon enfant va passer avant, c'est sûr.
Pour plusieurs autres personnes, la pénurie de places en service de garde (Lavoie-Moore, 2021) ou l’absence d’accès – notamment pour les personnes qui ne sont pas encore résidantes permanentes au Canada – est un motif significatif qui explique le recours à l’aide sociale, comme le mentionne cette mère monoparentale récemment arrivée au Québec : « My baby, he has six months, and we are told we are not eligible for the daycare. […] So, it has been hard for me. So, that’s why I stay on welfare »[9]. À la lumière de ce qui précède, il n’est guère surprenant que les statistiques sur la situation familiale des prestataires du Programme d’aide sociale démontrent que les familles monoparentales représentent la deuxième catégorie en importance de prestataires des programmes d’assistance sociale, après les personnes vivant seules (MTESS, 2019).
3.1.3. Les problèmes conjugaux
Une deuxième catégorie de discours fortement genrés concerne la question des problèmes conjugaux. Ce thème émerge comme un motif d’importance au recours à l’assistance sociale et seules les femmes en ont fait mention. Deux éléments en sont constitutifs : la séparation et la violence conjugale. Dans les deux cas, l’adhésion à un programme d’assistance sociale peut, pour les participantes, découler d’une dépendance financière à l’égard du conjoint. Deux énoncés de participantes illustrent l’effet de cette dépendance financière : « Moi, fallait que j’parte avec mes trois enfants, puis là on m’a expliqué que bon, si je voulais… bon, j’avais pas trop trop le choix… Si j’avais pas d’emploi, que fallait que je me présente à l’aide sociale… pour aussi avoir une pension alimentaire du… du papa. Tsé. Un allait pas sans l’autre ». Dans le même ordre d’idées, une autre participante nous fait part de sa situation après la séparation du père de son enfant : « On, mon chum travaillait, fait que, quand je l’ai… quand je l’ai fichu dehors, ben, j’ai pas eu le choix. Y’a fallu que je fasse de quoi. Mais, avec un bébé, de… y’avait 18 mois, pis, y’avait pas de garderie, y’avait rien… ». Seule et sans place en service de garde, elle n’avait pas d’autres choix que demander de l’aide financière de dernier recours. Du fait que le montant de l’assistance financière est déterminé selon un calcul qui se base sur le revenu du ménage[10] plutôt que sur un revenu individuel (MTESS, 2020, p.4), cette dépendance tend à enfermer les femmes dans des situations dangereuses et peut constituer un facteur de risque de violence conjugale (Thériault et Gill, 2019). Une répondante partage à cet effet son expérience en lien avec sa séparation dans un tel contexte de violence : « on avait parti un élevage. Un élevage de lapins. Mais mon mari me payait pas de salaire, hum… Mais, un moment donné, quand la violence a augmenté, j’ai décidé de quitter. Mais en même temps qu’il me payait pas de salaire, hum, ben… en quittant, j’avais pas de revenu ».
Aux prises avec de telles situations, plusieurs femmes ont témoigné du soutien offert par le Programme d’aide sociale à une sortie de relation conjugale marquée par la violence et la toxicité. Elles ont toutefois également mis en lumière les manières avec lesquelles des obligations administratives associées à ce programme peuvent intensifier les conflits conjugaux et familiaux. Ainsi, comme une répondante le mentionne, une mère en processus de séparation désirant obtenir des prestations d’aide sociale doit entreprendre des démarches judiciaires en vue de l’obtention d’une pension alimentaire auprès de l’autre parent[11] : « Moi, on était pas marié, mais y'a fallu j'fasse une demande de pension alimentaire alors qu'on avait... tsé, j'ai été hum, ça fait un an qu'on est séparé, pis j'ai demandé l'aide sociale comme hum, au moins, peut-être, 8 mois plus tard. Mais là on me demandait d'aller chercher pension, alors qu'on avait une bonne relation. J'avais vraiment peur que ça vienne comme, briser la relation qu'on avait ». Cette situation tend à exacerber les conflits conjugaux et risque de maintenir les femmes dans de potentielles relations abusives (Thériault et Gill, 2007).
L’ensemble des constats sur les problèmes familiaux et conjugaux confirme que les inégalités de genres se présentent comme déterminantes dans le rapport qu’entretiennent les femmes à la pauvreté et à l’assistance sociale.
3.1.4 Une trame narrative qui diffère de celle construite par les statistiques gouvernementales
Dans l’ensemble, les participant·e·s ont évoqué des motifs d’un recours à l’assistance sociale dont l’importance ou la nature peuvent diverger notablement de ceux utilisés à des fins statistiques sur les « clientèles » de ces programmes[12]. Notamment, la question de la santé, prédominante dans les entretiens, n’intègre pas les catégories de motifs recensés par le MTESS[13].
Les discours autoreprésentatifs de personnes assistées sociales dressent ainsi une trame narrative sensiblement différente de celle offerte par les statistiques officielles. Ils révèlent également des motifs évacués ou occultés par les catégories employées afin de classer les nouvelles admissions aux programmes d’assistance sociale. Ainsi, près de 20 % des adultes prestataires des aides de derniers recours étaient nées hors du Canada au moment de la conduite de l’étude (MTESS, 2019). Pourtant, les difficultés économiques rencontrées par les personnes immigrantes ne constituaient pas, pour le MTESS, un motif distinct d’un recours à l’assistance sociale[14]. Les participant·e·s issu·e·s de l’immigration ont présenté les barrières culturelles, administratives et langagières comme des obstacles majeurs à l’insertion à l’emploi, tout en soulignant la faiblesse de leur réseau social et familial à leur arrivée au pays et les besoins d’une aide économique d’urgence. Une répondante illustre cette situation : « Je n’avais pas de famille, je n’avais pas d’ami·e·s. Alors toutes les économies que j’avais faites dans mon pays ils avaient fini. Alors le seul moyen que j’ai vu pour […] parvenir à payer mes affaires au bout de deux mois, c’était de m’inscrire à l’aide sociale ». Un autre prestataire affirme avoir eu recours à l’aide sociale quand il est arrivé au Canada il y maintenant presque 30 ans attestant ainsi que la situation n’a guère changé depuis : « Je suis arrivé ici en 93. Et lorsque je suis arrivé, j’ai eu le bien-être social comme… tout nouveau arrivant ».
Parmi les personnes assistées sociales adultes, celles issues de l'immigration sont proportionnellement plus nombreuses que celles nées au Canada à détenir un diplôme d'études de niveau secondaire ou universitaire, traduisant les difficultés d'intégration au marché du travail des personnes immigrantes. Comme le montrent de nombreuses études, les personnes immigrantes prestataires de l’assistance sociale et notamment celles racisées, font face à des obstacles qui s’ajoutent à ceux rencontrés par leurs homologues québécois : outre la non-reconnaissance de diplômes obtenus à l’étranger, l’on ne doit sous-estimer l’obstacle de la discrimination de la part des employeurs (Pierre, 2005, p.85). Cet obstacle s’avère encore plus prononcé pour les femmes issues de minorités visibles : en effet, le « racisme et le sexisme combinés créent des situations d’inégalités dans le domaine de l’emploi » (Ibid.). Une participante témoigne des conséquences morales de ces difficultés : « on est des professionnelles, on a réussi! Ton diplôme, ça sert à rien. Vraiment, à rien. Tu es rien en tant que professionnel, même si tu as travaillé pendant 10-12 années dans un autre pays, ça sert à rien. Donc tu te sens comme, vraiment personne ».
3.2 Les difficultés rencontrées
Les participant·e·s à l’étude ont évoqué un large spectre de difficultés découlant d’une situation d’assistance sociale, évoquant notamment des problèmes relationnels, des enjeux associés à leurs responsabilités familiales et des difficultés d’accès à des soins (médecine, dentisterie, santé oculaire). Trois catégories d’enjeux se sont fortement imposées : les difficultés économiques, les préjugés dont les participant·e·s estiment être l’objet, et les exigences des programmes d’assistance sociale. Ces trois catégories regroupent une majorité des énoncés codés.
3.2.1 Les difficultés économiques
La question des difficultés économiques est prédominante et occupe à elle seule près de la moitié de tous les énoncés. Celle-ci comporte quatre sous-catégories principales : Couvrir ses besoins de base, Être limité dans le choix de logement, S’imposer des restrictions pour les loisirs, Gérer un budget limité (voir tableau 3). La sous-catégorie Couvrir ses besoins de base comporte également sept catégories de niveau inférieur qui viennent spécifier les besoins de base évoqués par les participant·e·s, soulignant le fait que la pauvreté est une occupation à temps plein, chronophage et épuisante.
Plusieurs répondant·e·s mentionnent à ce titre être « obligés de se rabattre dans les banques alimentaires, [...] de fouiller le moindre spécial, [parcourant parfois] des kilomètres pour aller chercher à manger [pour] gagner quelques dollars, seulement quelques dollars » et qu’il s’agit d’« une job, courir ça [l’argent] à longueur de semaine… » pour arriver à se nourrir. L’absence de travail – et donc de ressources financières – implique également une limite quant au choix de logement. Un participant mentionne d’ailleurs que « les propriétaires [nous] refusent […]. Ils veulent […] des gens qui travaillent, ou y’a un revenu certain qui rentre ». Les difficultés rencontrées au niveau économique se manifestent également dans la gestion limitée du budget qui place les bénéficiaires en état de survie : « C’est très frustrant effectivement de vivre, de survivre avec peu d’argent. On dit bien survivre et non pas vivre parce que justement, on est tellement limités qu’il faut calculer ». Finalement, tel qu’indiqué plus bas, cette précarité financière impose naturellement des contraintes importantes en matière de loisir, tel que le souligne cette participante : « Exemple, même aller faire du camping, hum, dans le bois, regarder les couchers de soleil pis les levers du jour sur le fleuve, qui est une beauté incroyable… la Vallée de la Matépédia, mais j’ai pas les moyens en gaz, d’y aller ».
Les difficultés d’ordre économique ont été associées par les participant·e·s à une vulnérabilité face aux augmentations du coût de la vie, à une dépendance à l’égard d’acteur·rice·s externes, comme les organismes communautaires, les friperies, les commerçants offrant des rabais, et à des choix difficiles devant être effectués couramment. Cela s’explique en partie par les montants des prestations. À la conclusion des entretiens dont rend compte la présente étude, en 2019, les prestations mensuelles d’une personne seule bénéficiant du Programme d’aide sociale et étant considérée sans contraintes à l’emploi étaient de 669 $ (Collectif pour un Québec sans pauvreté, 2021)[15]. Même en bénéficiant des crédits d’impôts auxquels les ménages à faibles revenus sont admissibles (crédit pour la TPS et crédit d’impôt pour la solidarité), cette personne ne disposait de revenus que permettant de couvrir environ la moitié de ses besoins de base, calculés selon la Mesure du panier de consommation (Djidel et al., 2020; Landry et al., 2022; Collectif pour un Québec sans pauvreté, 2022). Notons que les personnes seules représentent, année après année, environ sept prestataires adultes sur dix du Programme d’aide sociale.
3.2.2 Le stigmate de l’assistance sociale
La question des préjugés a ensuite été évoquée comme une difficulté importante associée à l’assistance sociale, en lien avec l’estime personnelle des participant·e·s, la considération qui leur est accordée au sein de la société, ainsi que les jugements négatifs qu’elles estiment subir de la part des employeur·e·s, de leurs proches, des agent·e·s de l’assistance sociale et des propriétaires de logements. Plusieurs bénéficiaires mentionnent que ces préjugés entraînent des jugements défavorables lors d'entrevues d’embauche. Comme le souligne un répondant, « ce qui est tough, aussi, c'est quand tu te trouves un travail par la suite. Pis, ils disent "qu'est-ce que tu faisais avant". Là... tu… « j'faisais rien » [...] Pis là, t'arrive à une place, là ils te regardent comme si t'étais un paresseux ». D’autres affirment également se sentir scrutés, surveillés et jugés par des connaissances en s’adonnant à des activités de loisir. « J'ai été à un spectacle la semaine passée pis y'avait des gens qui me connaissait là. Pis ça... ça regardait. Pis moi, j't'ais là... j'avais du fun, c'était du rock. [...] Pis hum... me sens étiqueté », atteste un répondant.
Les préjugés constituent une trame commune liant des questions de santé mentale, d’insertion sociale et professionnelle, et d’accès à des ressources et à des services de base (logement, soins oculaires, dentisterie, et aide financière, notamment).
3.2.3 Les rapports aux programmes d’assistance sociale
Les participants à l’étude ont confié entretenir des rapports difficiles, voire parfois hostiles, face aux programmes d’assistance sociale. Les règles administratives de ces programmes ont été présentées comme étant fastidieuses, cumulatives et liberticides. Celles-ci concernent notamment la pénalisation financière des ménages constitués de couples[16], les restrictions imposées aux revenus d’emploi, d’héritages ou de dons autorisés[17], les contrôles et les restrictions apportées aux avoirs des prestataires[18], une pression pour retourner en emploi[19]; les restrictions à la liberté de mouvement[20]. Ils ont également soulevé la lenteur administrative pour l’obtention des aides financières et les difficultés à utiliser les programmes d’assistance sociale pour effectuer un retour aux études.
Plusieurs participant·e·s notent que ces critères sévères ont un impact dissuasif sur le travail et tendent à garder les bénéficiaires en situation de pauvreté et de vulnérabilité. Certaines personnes soulignent que les restrictions en matière d’héritage ou de dons autorisés constituent une mesure qui contribue à maintenir les personnes dans la pauvreté : « Les parents voudraient leur laisser quelque chose, pis ils peuvent pas leur laisser quelque chose pour avoir un peu de confort. Ils peuvent pas leur laisser rien. Parce que l’aide sociale va tout leur manger ». D’autres affirment plutôt que les différentes restrictions contribuent à maintenir soit un certain isolement social et amoureux, sinon une dépendance financière à un·e conjoint·e :
Donc y a beaucoup beaucoup de décisions qui nous permettent de rester sur l’aide sociale et ils sont encore plus des droits fondamentaux qui nous briment aussi, c’est qu’on ne peut pas vivre en couple quand on vit sur l’aide. Donc si ton conjoint, ta conjointe fait un salaire, tu deviens dépendant de ta conjointe et de ton conjoint pour tout, te permettre de te nourrir.
Dans tous les cas, ces différentes expériences illustrent que les diverses restrictions constituent, selon plusieurs, un certain cercle vicieux qui contribue à maintenir les prestataires dans une situation de pauvreté. Une répondante explique :
Il y a aussi quelque chose dans l’aide sociale qui est difficile à cerner et qui [...] nous condamnait à rester dans l’aide sociale. Si tu t’en vas travailler, on te déduit l’argent de ton aide sociale alors que tu n’es pas capable de travailler comme une personne normale, ce qui fait que beaucoup de personnes à l’aide sociale que j’ai rencontrées préfèrent rester là-dedans parce que le moindre effort que tu fais est comme pénalisé par le gouvernement.
Les difficultés dont les personnes assistées sociales participant à l’étude ont fait mention font l’objet de démarches autonomes, proactives et réfléchies afin d’y faire face. Dans la mesure où les revenus dont elles disposent sont insuffisants pour couvrir leurs besoins de base, il est peu surprenant que la quasi-totalité des énoncés relatifs aux stratégies qu’elles mettent en place pour répondre aux difficultés auxquelles elles sont confrontées soit de nature économique.
3.3 Les stratégies mobilisées
Les participant·e·s à l’étude ont témoigné d’un large spectre de stratégies économiques qu’ils et elles mettent en œuvre afin de mitiger les effets et les impacts de revenus insuffisants pour couvrir leurs besoins de base. Celles-ci sont les suivantes :
Réduire les dépenses; avoir un réseau d’entraide; établir des priorités budgétaires; magasinage seconde main; rechercher la gratuité; chercher des rabais dans les magasins; réduire la consommation; faire du bénévolat; réduire le gaspillage; trouver des activités lucratives; apprendre à anticiper les besoins; ne pas s’abonner au forfait internet résidentiel; chercher une formation professionnelle; utiliser des cartes de crédit pour les besoins essentiels; apprendre le français; faire des ententes de paiement; détourner les règles de l’assistance sociale; prendre part à des programmes gouvernementaux.
Notons que la réduction des dépenses constitue, de loin, le principal moyen évoqué pour boucler un budget (regroupant près de quatre énoncés sur dix), suivi par le maintien d’un réseau d’entraide et l’établissement de priorités budgétaires. Le tableau 4 ci-dessous présente les trois catégories principales de stratégies économiques, suivis de leurs catégories secondaires et d’énoncés autoreprésentatifs apparentés. Les éléments présentés en gras sont prédominants à l’intérieur de leur catégorie d’attache.
Les personnes ayant participé à l’étude ont souligné les efforts considérables qu’elles devaient déployer pour limiter les impacts et les effets de revenus insuffisants, incluant des déplacements fréquents, parfois sur de longues distances, afin d’obtenir des ressources de base (alimentation, vêtements, jouets pour enfants, etc.) : « Je m’en vais à Mission Bon Accueil, mais c’est très loin. C’est deux heures et demie là. Et puis, aller là en transport en commun, le métro, c’est pas évident non plus là. Bon, mais on le fait pareil ». Elles ont souligné le caractère chronophage de ces actions, la nécessité d’entreprendre constamment des démarches visant à générer des économies ou des revenus secondaires, et celle d’une organisation efficace en termes budgétaires. Ainsi, une participante résume les choses ainsi :
Il faut juste apprendre à anticiper, en fait. C'est comme elle disait, quand une fois, qu'on a connu une galère, par exemple, de pas avoir de nourriture chez nous, on apprend à anticiper, à remplir les placards, au moins de, de paies, de riz, de choses de base pour être sûr de pouvoir nourrir notre enfant. [...]. C'est apprendre aussi à gérer notre budget aussi, de manière à avoir de l'avance pour le mois d'après.
Dans ce contexte, les réseaux familiaux et d’entraide sont considérés essentiels par la majorité des répondant·e·s. Une participante mentionne à ce titre que « j’ai eu de l’aide aussi à, à mon père. Tsé, ma voiture, j’la paie à mon père ». Au-delà de l’aide financière ou matérielle, ils constituent des leviers centraux pour la réinsertion sociale, briser l’isolement et favoriser une implication de personnes isolées dans différents organismes. Cette participation bénévole est considérée comme atténuant les impacts d’une exclusion à la vie culturelle ou sociale.
L’établissement des priorités budgétaires passe, chez les participant·e·s à l’étude, par l’usage de méthodes de suivis serrés des dépenses (usage d’un calculateur, compilation de factures, etc.) et l’établissement de priorités (dans les dépenses encourues et les factures devant être remboursées), comme indiqué par un participant : « On n’est pas des gestionnaires, mais tout s’écrit chez nous. On garde la moindre facture, pour pouvoir sinon, à la fin tu parviens pas. Et des fois, on a aussi des difficultés par ce que les banques, quand tu es à l’aide sociale, les banques ne te donnent pas la carte de crédit ».
Les répondant·e·s ont également mentionné faire appel à des stratégies de privation en loisirs et en besoin de base, notamment en ce qui a trait à l’alimentation : « La première chose que t’apprends, en tout cas que moi j’ai appris quand j’ai tombé sur l’aide sociale c’est : “De quoi est-ce que je peux me passer” ». Dans un contexte familial marqué par la monoparentalité, la priorisation se fait souvent en tenant compte des besoins des enfants, tel que l’indique cette mère : « Si j’achète des souliers, mettons à mon garçon, c’est… moi qui me prive de quelque chose ».
En parallèle à ces démarches actives de gestion budgétaires, les participant·e·s à l’étude ont souligné entreprendre des mesures afin de se conformer aux limites imposées par leur programme d’assistance sociale en avoirs liquides autorisés sans pénalités[21]. La crainte de voir leurs prestations amputées s’est présentée avec récurrence dans les entretiens.
4. Discussion
Les discours autoreprésentatifs sont considérés dans notre analyse comme une manifestation culturelle de la réalité des personnes assistées sociales. À ce titre, ils participent à une déconstruction des narratifs dominants à propos de l'assistance sociale. Notre analyse témoigne de discours autoreprésentatifs fonctionnant « comme mode d’adhésion à ou de contestation de l’ordre social » (Moeschler, 2016, par. 12), faisant ainsi écho aux recherches fondatrices des études culturelles. Parmi ses ouvrages fondateurs figure « The Uses of Literacy » (1957). Dans cet ouvrage, Richard Hoggart, en s’intéressant à la culture populaire, rompait avec le discours critique sur la culture de masse dominant à l’époque en contestant l’idée selon laquelle les individus seraient passifs et mèneraient une vie culturellement « pauvre ». De manière similaire, les discours autoreprésentatifs sur l’assistance sociale se présentent en rupture avec les représentations populaires selon lesquelles les personnes assistées sociales seraient « paresseuses », « lâches » et « opportunistes », choisissant un « mode de vie » dont les frais seraient assumés par les travailleurs actifs. Les rapports qu’entretiennent les Québécois·e·s au travail influencent largement les perceptions et les attitudes à l’égard des individus et des groupes qui sont perçus ne pas contribuer volontairement à l’effort collectif (Blanchet et Landry, 2022). De ce fait, la présentation de discours sur les motifs conduisant à l’assistance sociale et aux difficultés vécues par leurs prestataires participe à la mise en lumière du caractère idéologique des représentations collectives sur la notion de « choix », et cela à deux niveaux : le choix de recourir « librement » à ces programmes et d’y demeurer volontairement sur de longues périodes.
Sur ce point spécifique, nous notons que la question de « l’aptitude au travail » – la capacité d’occuper et de maintenir un emploi rémunéré – structure tant les politiques que l’opinion publique à l’égard de l’assistance sociale. Au Québec, la question de l’inaptitude au travail, formulée en termes gouvernementaux par l’évocation de « contraintes sévères à l’emploi » est conceptualisée en termes strictement médicaux, excluant les parcours de vie individuels et les dynamiques de production et de reproduction de la pauvreté. Cette médicalisation de l’inaptitude au travail fait écho au courant des Dis/ability Studies. Plusieurs travaux de ce courant interrogent les constructions et conceptions communes entourant l’invalidité (disability) en soulignant notamment que la médicalisation de l’aptitude est intimement reliée à d’autres grands narratifs quant au capacitisme (ableism) et au néolibéralisme (Goodley, 2016). À ce titre, l’individualisation de l’incapacité, tout comme la marginalisation des personnes invalides, s’inscrit selon Goodley pleinement dans une tendance néolibérale, laquelle contribue à forger et reproduire cette conception méritoire du travail et de la médicalisation de l’inaptitude :
Governments seek to reduce spending, particularly around health and social care, and so redefine the category of un/deserving disability. A convenient signifier of the parasitic lumpenproletariat of contemporary global North economies is the benefit scrounger: the welfare-dependent individual passively reliant upon social security payments, draining the public coffers, unprepared to do a day’s hard work. (Goodley, 2016, p.9)
Ainsi, toujours selon l’auteur, l’individualisation de l’inaptitude au sein du système économique capitaliste sous-tend donc que « les corps et les esprits rationnels et fonctionnels doivent travailler à la production de capital et que les inaptes ne le font pas […], camouflant de fait les pratiques idéologiques au fondement de l’oppression – que nos corps sont vendus, achetés et exploités pour le bénéfice des capitalistes » (notre traduction : Goodley, 2016, p.10). Bien que notre étude ne s’inscrive pas directement dans ce courant de recherche, les Dis/ability Studies permettent de soulever un regard critique sur les mécanismes et constructions idéologiques sur lesquelles se basent la valorisation du travail. Sous cet angle, il est possible non seulement de contester et déconstruire l’image négative de prestataires que l’on juge abuser des aides publiques, mais également de porter attention aux différentes formes de travail non rémunéré et d’implications sociales et communautaires valorisées par les participant·e·s à notre étude. Il devient donc pertinent de contester les structures qui tendent à construire et reproduire une conception du travail comme étant directement liée à la création de capital et à la contribution individuelle financière à la société. Une vision alternative, préconisée par les discours autoreprésentatifs étudiés, met de l’avant et valorise le travail associé aux implications bénévoles et communautaires ainsi que le travail « invisible » associé aux tâches domestiques et parentales (Robert et Toupin, 2018). Dans ce cadre, les discours autoreprésentatifs des personnes assistées sociales peuvent contribuer au développement d’analyses de classes sociales en contexte québécois. Celles-ci se font d’ailleurs rares dans la littérature en études culturelles depuis les années 1980 (Collectif NCS, 2009; Maillé, 2015; Mattelart et Neveu, 2008).
Les outils issus des études intersectionnelles se sont avérés particulièrement intéressants pour interroger cet aspect. L’intersectionnalité est un outil analytique permettant de comprendre comment de multiples rapports de force interdépendants façonnent l’ensemble des relations sociales, et ce, tant sur le plan sociétal que sur celui des expériences individuelles au quotidien (Collins et Bilge, 2020, p.2; Crenshaw, 1989; 1991). Autrement dit, les différentes catégories d’oppression existant dans une société donnée (e.g. ceux reliés à la classe, la race, le genre ou la nation) ne sont pas mutuellement exclusives, mais imbriquées et interdépendantes (Ibid.). Les difficultés vécues par les participant·e·s à l’étude sont intrinsèquement reliées au genre (e.g la garde des enfants), à la race (e.g. employabilité) et à leur état physique et mental (e.g. capacitaire). Notre analyse illustre à ce titre que les expériences des femmes racisées prestataires d’assistance sociale sont triplement inintelligibles : parce qu’elles sont femmes, parce qu’elles sont racisées et parce qu’elles sont prestataires d’assistance sociale (et parfois également en situation de handicap). Une répondante en a d’ailleurs directement témoigné :
Donc […] l'emploi, il faut donner l'opportunité à ces gens-là. Surtout ceux qui sont voilés. Ici c'est... ne trouve pas assez d'emploi. Même s'ils ont un bon niveau d'étude. Ils ont hum, des études universitaires, mais ici, ne trouvent pas d'emploi, donc hum, c'est ça.
Le contexte de la recherche québécoise en études culturelles se caractérise non seulement par la quasi-disparition de la catégorie de « classe », mais aussi par un manque de données flagrant par rapport aux réalités des populations immigrantes et racisées (Brun 2020; Maillé, 2015). De ce fait, les résultats de cette étude empirique contribuent à remédier à des lacunes constatées dans la littérature et à ouvrir un agenda de recherche intersectionnelle sur l’assistance sociale au Québec.
5. Conclusion
La marginalisation médiatique et politique des discours portés par les personnes assistées sociales quant à leurs propres expériences, parcours et défis contribue à la reproduction des représentations négatives dont elles sont l’objet. À terme, la déconsidération de ces discours contribue au maintien de politiques publiques de lutte à la pauvreté qui intègrent les préjugés à l’égard de groupes vulnérables[22]. Par leur simple formulation, ces discours contestent des modes de lectures privilégiés à l’égard de personnes assistées sociales, et posent leurs expériences et leur réalité dans un cadre qui s’oppose à une vision intrinsèquement méritoire des aides financières qui leur sont versées. Les outils théoriques et conceptuels des études culturelles participent à une mise en évidence des processus par lesquels se naturalisent et se contestent au quotidien des relations de pouvoir. Cette étude participe conséquemment à une revalorisation scientifique et politique des discours autoreprésentatifs de groupes exclus ou marginalisés.
La méthode retenue aux fins de l’étude a contribué à une émergence des trames narratives alternatives à celles couramment utilisées dans les espaces publics et médiatiques pour nommer, définir et problématiser les expériences vécues par les personnes assistées sociales au Québec. Cette méthode est nécessairement limitée. Elle ne peut évidemment prétendre à une quelconque représentativité. Elle n’épuise également pas les perspectives, les thèmes et les argumentaires privilégiés par les personnes assistées sociales pour se nommer et rendre compte de leurs conditions d’existence. Les limites méthodologiques de l’étude et résultats de recherche appellent de fait à des travaux subséquents reposant sur un principe participatif et inclusif renforcé et privilégiant la participation de personnes assistées sociales à toutes les étapes de la recherche.
Appendices
Notes
-
[1]
Les régions sont les suivantes : Capitale-Nationale, Montréal, Estrie, Outaouais, Lanaudière, Montérégie et Bas-St-Laurent. Les entretiens ont regroupé entre 6 et 10 participant·e·s dans le cadre de rencontres d’une durée d’environ 90 minutes. Les entretiens ont généralement été conduits en français. L’usage ponctuel de l’anglais a néanmoins favorisé la participation de participant·e·s ne maitrisant pas la langue française.
-
[2]
Un court questionnaire devant être complété à la suite des entretiens a été utilisé tout au long de l’étude afin de cibler avec précision les profils sociodémographiques et familiaux des participant·e·s. Aux fins des analyses, le genre, la situation d’immigration ainsi que la situation de handicap ont fait l’objet d’un traitement détaillé. Sur les 105 participant·e·s, 70 s’identifiaient comme femmes et 30 comme hommes; 22 s’identifiaient comme immigrant·e·s, 78 comme non-immigrant·e·s et 5 comme non-assignés; 35 personnes estimaient être en situation de handicap et 70 étaient non-assignées.
-
[3]
Cette étude présentant un aspect de mise en visibilité des personnes assistées sociales – notamment à travers la photographie et la tenue subséquente d’une exposition publique –, la question de la modulation de l’anonymat a occupé une importance déterminante. Cette modulation a reposé sur le consentement ou le refus d’une séance photographique, la détermination du degré d’anonymat offert par la photographie (allant d’un anonymat complet jusqu’à l’identification visuelle des visages), et la modulation des degrés de confidentialité d’informations nominatives. L’équipe de recherche a également retiré tous les segments d’entretiens dont le dévoilement public pourrait porter préjudice aux participant·e·s.
-
[4]
L’approche retenue dans le cadre de cette étude est qualitative. L’addition des énoncés à l’intérieur de chaque catégorie ne permet pas d’établir des statistiques précises et fiables sur ces catégories, mais bien de rendre compte de tendances, fréquemment fortes, vers certaines catégories de discours qui se sont imposées chez les participant·e·s à l’étude.
-
[5]
La présence de contraintes sévères à l’emploi doit être attestée par un rapport médical et confirmer que l’état physique ou mental de la personne « affecte de façon significative » et « pour une durée permanente ou indéfinie » sa capacité de travail (MTESS, 2021, p.21).
-
[6]
Notons que le Programme de revenu de base n’était pas encore effectif au moment de la tenue de l’étude. Ce programme est entré en vigueur en janvier 2023. Pour être admissible au Programme de revenu de base, il faut avoir des contraintes sévères à l’emploi reconnues depuis au moins 66 des 70 derniers mois.
-
[7]
Selon les articles 131 et 163, 145-147 et 164 du Règlement sur l’aide aux personnes et aux familles (A-13.1.1., r.1).
-
[8]
Pour cette thématique, les femmes représentent 67% du total des personnes participantes, 33 % sont des hommes.
-
[9]
En français : « Mon bébé, il a six mois, et on nous a dit que nous ne sommes pas éligibles pour la garderie [CPE]. [...] Alors, c’était difficile pour moi. C’est pour cela que je suis sur l’assistance sociale ».
-
[10]
Le calcul effectué pour déterminer l’accessibilité à chacun des programmes d’aide financière de dernier recours se base sur le revenu du ménage, c’est-à-dire sur le montant additionné des revenus de toutes les personnes vivant sous un même toit. Cela fait en sorte que le partenaire sans revenu devient financièrement dépendant de l’autre, une situation qui peut devenir problématique en cas de violences conjugales. Pour acquérir une indépendance financière à l’aide des programmes d’assistance sociale, il faut alors d’abord prouver avoir quitté son conjoint (ou sa conjointe).
-
[11]
L’aide sociale est une aide financière de dernier recours. Dès lors, les personnes qui veulent y avoir recours doivent avoir exercé tous les recours qui pourraient leur procurer de l’argent y compris la pension alimentaire pour les enfants à charge (A-13.1.1, art. 63). Une personne en processus de séparation doit alors demander une pension alimentaire à l’autre parent avant même d’adhérer au programme d’aide sociale et ce, même si l’autre parent est absent de la vie des enfants.
-
[12]
Le terme « clientèle » est officiellement employé par le MTESS pour faire références aux prestataires des programmes d’assistance sociale québécois. Voir notamment MTESS, 2021.
-
[13]
Le MTESS mobilise ces catégories pour classer les ménages récemment admis aux programmes d’assistance sociale : fin des prestations d'assurance emploi, perte d'emploi sans d'assurance-emploi, prestations d’assurance-emploi insuffisante, perte du conjoint, fin des études à temps complet, revenus insuffisants, en attente de revenus, autres raisons (MTESS, 2021). La question des problèmes familiaux et conjugaux relevé par notre étude peut être intégrée à la catégorie « perte du conjoint » utilisée par le MTESS, bien que de manière largement insatisfaisante, car dissimulant les questions de la violence et de la vulnérabilité conjugale.
-
[14]
Il est probable que les catégories « revenus insuffisants », « en attente de revenus », ou « autres raisons » s’imposent plutôt pour classer les motifs d’un recours à l’assistance sociale chez les personnes immigrantes.
-
[15]
Pour comparaison, le montant de la prestation versée aux personnes adhérant au programme de Solidarité sociale était de 1061 $ en 2019 (Collectif pour un Québec sans pauvreté, 2021).
-
[16]
En 2019, une personne assistée sociale considérée sans contraintes à l’emploi et vivant seule recevait une prestation mensuelle de 669 $ par mois. Un ménage constitué de deux personnes adultes considérées sans contraintes à l’emploi recevait 1022 $, soit une pénalité de 34% par rapport aux prestations cumulées de deux personnes seules.
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[17]
Le Programme d’aide sociale et le Programme de solidarité sociale sanctionnent l’accumulation de revenus de travail et des prestations qu’ils versent. Toutefois, ils autorisent, sans pénalités, des revenus de travail allant jusqu’à 200 $ pour une personne seule et jusqu’à 300 $ pour un ménage composé de deux adultes (voir article 114 du Règlement sur l’aide aux personnes et aux familles, A-13.1.1, r.1).
-
[18]
Une personne adulte inscrite au Programme d’aide sociale peut, sans pénalité, posséder en tout temps dans un compte bancaire comptant au maximum 1 500 $ en liquide. Des vérifications comptables sont effectuées afin de s’assurer que les avoirs en liquide des prestataires ne dépassent pas ces montants (voir article 131 du Règlement sur l’aide aux personnes et aux familles, A-13.1.1, r.1).
-
[19]
Les nouveaux demandeurs au Programme d’aide sociale sont tenus de participer à un programme visant l’intégration personnalisée des prestataires au marché du travail et l’acquisition d’une autonomie financière. Ce programme, appelé « Objectif emploi », est orienté autour de trois démarches d’employabilité : suivre une formation, acquérir des compétences, et développer des habiletés sociales. Il s’accompagne de mesures financières incitatives à la participation des prestataires. Néanmoins, les manquements au plan d’intégration sur le marché de travail élaboré dans le cadre de ce programme conduiront à des coupures dans les prestations de base. Ces pénalités sont prévues à l’article 177.41 du Règlement sur l’aide aux personnes et aux familles (A-13.1.1, r.1).
-
[20]
Une personne qui s’absente plus de 15 jours cumulatifs dans un même mois, ou plus de 7 jours consécutifs dans ce mois n’est plus considérée résider au Québec : elle perd conséquemment son admissibilité aux aides de dernier recours (voir article 20 du Règlement sur l’aide aux personnes et aux familles, A-13.1.1, r.1).
-
[21]
Conformément au Règlement sur l’aide aux personnes et aux familles, les personnes bénéficiaires du Programme d’Aide sociale ou du Programme de Solidarité sociale voient leurs prestations coupées lorsqu’ils cessent de remplir certaines conditions liées, entre autres par rapport aux gains de travail permis (max. 200 $/mois pour une personne) (art. 114) et aux dons reçus (max. 100 $/mois) (art. 111 al. 27.1 et art. 111 al. 28°).
-
[22]
Cet état de fait semble désormais accepté au niveau gouvernemental et scientifique. En partenariat avec le ministère du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale (MTESS), le Fonds de recherche Société et culture du Québec a lancé en 2022 un appel à projet visant à identifier les préjugés intégrés au politiques publiques en matière de lutte à la pauvreté et à présenter des indicateurs quant à la représentation des personnes en situation de pauvreté dans les politiques publiques. L’appel précise que « les préjugés prennent racine dans les valeurs et les normes sociales d’une population. Or, les valeurs partagées par une majorité d’individus dans la société sont liées aux politiques publiques mises de l’avant par ses dirigeantes et dirigeants. Ce rapport est bidirectionnel : les valeurs sociales influencent les politiques publiques, lesquelles renforcent à leur tour certaines valeurs sociales. » (FRQSC, 2022, p.5).
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