Abstracts
Résumé
Ce texte cherche à construire scientifiquement une approche des processus de co-construction de l'action publique sous l'angle communicationnel. Pour ce faire, cette analyse est le fruit d'une recherche-action et d'une enquête ethnographique au sein d'une collectivité territoriale française. Plus précisément, nous avons étudié une politique d'économie sociale et solidaire et d'innovation sociale visant la démocratisation de l'action publique. La thèse défendue ici est que la communication doit être appréhendée non pas dans une perspective intercompréhensive mais au contraire dans une approche par l'incommunication. Dès lors, les processus de co-construction de l'action publique sont soumis à ces phénomènes d'incommunication et nécessitent l'intervention communicationnelle d'un acteur dans une posture de médiation visant à faire dialoguer deux perspectives. Tout d’abord, celle de la réduction de l’incommunication. Ensuite, celle de la construction d’une perspective partagée entre des acteurs aux univers socioculturels singuliers.
Mots-clés :
- incommunication,
- médiation,
- démocratie participative,
- ethnographie,
- innovation sociale
Abstract
This article aims to lay out a scientific approach about the public policies processes of co-construction from the standpoint of communication sciences. To that end, we report the result of an action-research and an ethnographic survey within a French territorial collectivity. This study analyzes a social economy and social innovation policy in order to democratize public policies. This paper argues that communication must be understood not from an inter-understanding perspective but, on the contrary, through an incommunication approach. Consequently, the co-construction processes of public policies are subject to these phenomena of incommunication and require a communicational intervention from a mediator: their role is to build a shared perspective between actors with very peculiar socio-cultural backgrounds.
Keywords:
- incommunication,
- mediation,
- participatory democracy,
- ethnography,
- social innovation
Article body
La co-construction de l’action publique est une forme organisationnelle particulière entendue comme « un processus institué de participation ouverte et organisée d’une pluralité d’acteurs à l’élaboration, à la mise en œuvre, au suivi, et à l’évaluation de l’action publique » (Fraisse, 2018, p.6). Mobilisant une diversité d’acteurs dans une relation de construction de sens partagé, elle n’a pourtant jusqu’alors jamais été étudiée sous l’angle communicationnel.
Notre article rend compte d’une recherche-action sous la forme d’une enquête ethnographique (Cefaï 2003) menée dans le cadre d’une thèse CIFRE[1], un statut qui nous a permis d’intégrer en 2017 une collectivité territoriale française, Clermont Auvergne Métropole, avec la mission d’étudier les pratiques communicationnelles qui traversent les différentes tentatives de co-construction de l’action publique métropolitaine d'économie sociale et solidaire (ESS). Ces dynamiques réunissant une hétérogénéité d’acteurs apparaissent particulièrement sujettes aux phénomènes d’incommunication qui correspondent au constat partagé que nous n'arrivons pas à se comprendre totalement (Dacheux, 2016). Par conséquent, à travers cet article, nous avons pour objectif d’exposer en quoi l’enquête, dans une posture de médiation-traduction, est susceptible de faciliter la réduction des distances symbolique et langagière entre les acteurs ainsi que la construction de sens partagé entre espaces socioculturels qui se méconnaissent. Pour ce faire, nous nous appuierons sur deux cas étudiés durant nos travaux[2]. En premier lieu, il s'agit de l’émergence en 2017 du centre de recherche et développement et transfert en innovations sociales Clermont Auvergne (CISCA) qui réunit pouvoirs publics, chercheurs et acteurs socioéconomiques du territoire métropolitain. En second lieu, il s'agit de la Société coopérative d’intérêt collectif (SCIC) Épicentre, qui fait vivre un tiers-lieu entrepreneurial en cœur de ville et dont la Métropole est sociétaire depuis 2017.
Ce texte se structurera en quatre temps. Premièrement, nous préciserons le cadre théorique de la démocratisation de l'action publique et de la communication politique qui mènent vers la mobilisation d’une théorie de l’incommunication pour penser la co-construction démocratique de l’action publique. Puis nous préciserons les outils de recherche mobilisés dans le cadre de notre enquête pour enfin préciser les cas de co-construction étudiés.
Dans un deuxième temps, nous exposerons les résultats de l’enquête. En premier lieu, nous proposerons d’appréhender la diversité du rapport des individus en soulignant l’existence de neuf facteurs de diversité professionnelle, contextuelle, relationnelle et individuelle. Puis nous nous attacherons à souligner en quoi les acteurs de notre enquête sont difficilement parvenus à co-construire sur la base de l'hétérogénéité de leur rapport au monde. Cela nous conduira à poser le concept d'incommunication comme phénomène inévitable des dynamiques de co-construction démocratique de l'action publique.
Dans un troisième temps, à travers une approche pragmatique (au sens de John Dewey, à savoir une résolution des problèmes par l'expérience), nous tenterons de proposer une approche qui fait de l’incommunication le moteur de l’action collective. En d'autres termes, l’action collective de co-construction de l'action publique – matérialisée dans notre enquête par les cas étudiés – serait envisageable seulement si nous parvenons à élaborer des pratiques de communication qui favorisent notre capacité à nous confronter démocratiquement à l’altérité. À cet égard, nous retiendrons particulièrement la posture de médiation-traduction pour son caractère fécond dans le processus de construction de sens partagé.
Enfin, nous reviendrons sur les résultats de l’enquête pour proposer une approche communicationnelle de la co-construction démocratique renouvelée à travers six pistes ingénieriques inhérentes à la mobilisation d’acteurs médiateurs-traducteurs. Il s'agit d'une appréhension renouvelée de la communication politique, que nous proposons de nommer : communication politique instituante.
1. Cadrage, contexte et méthodologie de l'étude
Pour mener notre enquête, nous avons intégré la Métropole clermontoise durant trois ans afin d’étudier sa relation aux acteurs de l’ESS dans des dynamiques de co-construction de son action publique. Dès lors, il s’agissait pour nous de mener une recherche dans la droite ligne des enquêtes ethnographiques guidées par une posture de chercheur engagé. Par ailleurs, cette enquête assume un idéal normatif : celui de la démocratisation de l’action publique. En ce sens, elle mobilise les cadres théoriques de la démocratie participative, de la co-construction de l’action publique et de la communication politique.
L’idéal de la démocratisation de l’action publique…
La démocratisation de l'action publique est traditionnellement rattachée à la « démocratie participative » au sens où elle implique la participation d'une multiplicité d'acteurs au déroulement d'une politique publique. Ces formes de démocratie participative sont très variées. Nous distinguons la consultation, la concertation, la coproduction et la co-construction de l’action publique comme autant de pratiques relevant graduellement du domaine de la participation citoyenne (Vaillancourt 2016). Toutefois, la co-construction de l'action publique est, de notre point de vue, l'idéal normatif le plus ambitieux à l'égard de la démocratisation de l'action publique. Plus précisément, nous retiendrons ici l'idéal normatif d'une co-construction démocratique et citoyenne[3]. Dans ces processus souvent localisés, les pouvoirs publics s’attachent à faire appel aux acteurs présents sur le territoire et acceptent la tenue de « délibérations publiques et ouvertes » auxquelles participent non seulement les acteurs de la société civile, mais également des acteurs· du secteur public (élus, fonctionnaires, chercheurs), du secteur privé (entreprises…), et des mouvements sociaux (Vaillancourt, 2014, p.14). Ainsi, le propre de la co-construction démocratique plurielle se situe dans la légitimité qu’accordent les élus aux délibérations citoyennes et dans la légitimité qui est accordée à la démocratie représentative pour sceller une décision publique à travers l’action des élus qui vont délibérer au sein de l’organe légitime (conseil municipal, métropolitain, etc.).
…étudié à l’aune d’une approche renouvelée de la communication politique
Les sciences politiques ou la sociologie analysent la co-construction de l’action publique principalement à travers les dispositifs et les pratiques, notamment l’intensité de la participation. En ce sens, les matrices déployées par Laurent Fraisse et Yves Vaillancourt s’attachent principalement à l’étude normative des cadres de la co-construction, mais ne cherchent pas à analyser les enjeux relationnels inhérents à la co-construction démocratique de l’action publique[4]. L’originalité de notre approche va donc être de nous situer au carrefour des travaux sur la co-construction de l’action publique et des travaux sur la communication démocratique.
La démocratie induit la liberté et l’égalité des individus, puis, par conséquent, révèle l’étendue des aspirations et des interprétations individuelles (Wolton, 2019). Pour le dire autrement, c’est parce que nous sommes en démocratie que nous avons la liberté d’éprouver des expériences singulières (culturelles, sociales, professionnelles, etc.) et de les matérialiser en initiatives individuelles ou collectives. Cette liberté nourrit notre diversité et notre rapport au monde. Dès lors, lorsque nous communiquons, nous nous heurtons à ce qu’Éric Dacheux (Éric Dacheux, 2019) qualifie de « donnée anthropologique » : le décalage entre la vision du monde de l’émetteur et du récepteur. Il nous faut alors négocier (Wolton, 2009) pour trouver des points d'accords et construire du sens partagé. Cette approche de la communication semble donc accorder une importance particulière à la relation intersubjective. Dans cette perspective, différents travaux s’intéressent aux phénomènes d’incommunication (Robert, 2005 ; Wolton, 2009 ; Dacheux, 2015 ; Ravault, 1986), c’est à dire une incapacité ontologique des individus à « être sur la même longueur d’ondes ». L’incommunication peut être définie comme une relation de construction de sens entre altérité libres et égales qui aboutit au « sentiment partagé de ne pas arriver à se comprendre (insatisfaction) ou sur la croyance que l’on est parvenu à se comprendre alors qu’il n’en est rien (malentendu) » (Dacheux, 2016, p.89).
En ce sens, pour penser la co-construction démocratique de l’action publique dans une approche communicationnelle, nous rejoignons Dominique Wolton dans son appel à « revaloriser le concept de communication » dans une perspective démocratique qui place au premier rang « la question de la relation avec l’autre qui n’est pas forcément en accord avec l’émetteur » (Wolton, 2017, p.14). Ainsi, l’incommunication propose une révolution copernicienne : et si la norme était l'incompréhension et non l’intercompréhension ? Dès lors, cette approche par l’incommunication s’enracine dans l’idéal d’une communication politique humaniste qui reconnait la diversité du rapport au monde des individus, leur liberté d’action, leur autonomie d’interprétation, l’une et l’autre construites par l’expérience au monde des individus. Alors que nous interprétons ce qui nous entoure avec notre propre référentiel socio-culturel, sensible (Boudon, 1989 ; Ravault, 1986 ; Dewey, 2010 ; Boutaud, 2015), notre enquête a semblé mettre à jour la difficulté des acteurs à co-construire sur la base de l’hétérogénéité de leur rapport au monde. Dès lors, il s’agit d’appréhender l’incommunication non pas comme une pathologie, mais comme le moteur de dynamiques collectives de construction de sens partagé. Dans cette perspective, le défi d’une co-construction démocratique doit embrasser la complexité des relations humaines de construction de sens, pour proposer une ingénierie communicationnelle de la co-construction de l’action publique, positionnant de façon centrale le concept de médiation-traduction, dans ses dimension symboliques et opérationnelles (Quéré, 1982 ; Six, 1990 ; Oustinoff, 2012 ; Liquète, 2019). Voilà le projet de notre enquête de terrain.
Une enquête de terrain ethnographique portée par un acteur-chercheur[5]
L'enquête ethnographique étudie l'organisation des groupes sociaux en accordant une place centrale à l'observation et à la description de situations sur lesquelles reposent les analyses (Marchive, 2012; Cefaï, 2003). Notre enquête de terrain s’est déroulée de juin 2017 à mars 2020, à raison de trois jours par semaine « d’immersion » en tant que doctorant CIFRE salarié de la Métropole. En ce sens, nous avons réalisé de multiples observations plus ou moins participantes suivant le contexte. Nous distinguons les observations participantes que nous mobilisions lorsque nous n’avions pas la légitimité pour intervenir pleinement dans la situation observée; et les participations observantes que nous pratiquions lorsqu'il était attendu de nous une participation active notamment dans le cadre de nos missions opérationnelles. Nous soulignons que les phases de participations observantes furent particulièrement utiles à la construction d'une relation de confiance partagée propice à la récolte d'information, de confidences et au dialogue. Ces observations ethnographiques nous ont conduit à tenir un journal de bord qui réunissait deux types de matériaux : des notes issues des observations participantes prises la plupart du temps en temps réel et des notes rédigées a posteriori des participations observantes afin de rendre compte de la réalité saisie au moment de ces phases de chercheur-acteur pris par la nécessité d'opérationnalité. Cet outil s’est avéré précieux pour conserver des traces écrites de nos observations et de prendre du recul sur notre terrain d'enquête. Enfin, pour compléter notre méthodologie de recherche, nous avons réalisé deux séries d'entretiens semi-directif (fin 2018, puis fin 2019), avec les individus-acteurs des processus de co-construction de l'action publique étudiés. Nous avons ainsi choisi de mobiliser cet outil pour accéder au récit produit par les acteurs sur la thématique de notre travail de recherche. Ainsi, c’est en captant le récit des acteurs (et donc leur interprétation du monde), en le comparant au point de vue des autres acteurs étudiés et à nos observations que nous avons obtenus des données pour questionner les pratiques de communication dans les dynamiques de co-construction de l’action publique étudiées.
Les deux cas analysés : la société coopérative d'intérêt collectif (SCIC) Epicentre et le Centre d'Innovations Sociales Clermont Auvergne
Afin d’analyser les dynamiques communicationnelles à l’œuvre dans un processus de co-construction démocratique de l’action publique d'ESS de Clermont Auvergne Métropole, nous avons analysé deux cas. Tout d'abord, il s'agit de la coopérative Epicentre, un tiers lieu dédié à la création d’activités économiques, composé d'un espace de coworking, d'un incubateur d'entreprises sociales et d'une association de redynamisation de quartier qui repose sur la volonté de développer des pratiques collaboratives et un cadre d'expérimentations collectives. Epicentre est constitué sous statut de société coopérative d’intérêt collectif (SCIC) dans laquelle Clermont Auvergne Métropole est sociétaire depuis 2016. Pour le chargé de mission à l'ESS de la Métropole, « l’enjeu était de poser une première pierre [à sa politique publique] pour susciter le débat : c’est quoi l'ESS ? Comment une collectivité territoriale peut faire évoluer ses relations avec les acteurs socioéconomiques privés ? »
Le deuxième cas étudié est celui de l’émergence d’un centre de R&D et de transfert en innovations sociales : le Centre d’Innovations Sociales Clermont Auvergne (CISCA). Cette dynamique s'inscrit dans une volonté partagée, publique et citoyenne, de favoriser la relation entre les acteurs du monde économique, les acteurs publics et les acteurs de la recherche au profit du développement de pratiques d'innovations sociales sur le territoire métropolitain. Plus précisément, le CISCA a été impulsé par un groupe de jeunes chercheurs clermontois provenant de différentes disciplines avec l’aspiration commune de rapprocher leurs travaux des préoccupations des acteurs socio-économiques pour les mettre au service du développement territorial.
2. L’incommunication au cœur des processus de co-construction de l’action publique
Au cœur de ces processus de co-construction de l’action publique, notre enquête nous a permis d'entrevoir des phénomènes d'incommunication. L’interprétation de nos données nous a conduit à repérer des facteurs qui hétérogénéisent le rapport au monde des individus étudiés. De fait, il semble que ce soit dans cette diversité que se fondent les phénomènes d’incommunication.
De la diversité du rapport au monde des individus aux immuables situations d’incommunication
Les recherches en sciences de la communication se sont particulièrement intéressées aux facteurs qui nourrissent l’activité interprétative (Hall et Hall, 1994 ; Boudon, 1989 ; Lepastier, 2013 ; Boutaud, 2015). Dans ses analyses sur les dysfonctionnements de politiques étatiques françaises, Arnaud Mercier (Mercier, 2001) considère ainsi que « les acteurs intervenant dans la prise en compte d’un problème social sont tous insérés dans un système de contraintes (institutionnelles, relationnelles, économiques, culturelles […][6] ) qui les fait apprécier et traiter différemment les informations qui circulent et qui les fait défendre des points de vue divergents » (Mercier, 2001, p.176).
C’est donc tout autant le rapport à l’action que notre capacité interprétative en réception qui sont construits en fonction de « différents appareillages » (Ravault, 1986) ou, pour le dire autrement, en fonction de différents facteurs de diversité. Notre enquête a semblé faire émerger plus spécifiquement quatre catégories de facteurs : les facteurs organisationnels (contraintes professionnelles, culture des organisations), les facteurs contextuels (contexte personnel, contexte sociétal), les facteurs relationnels (expériences passées, pratiques quotidiennes, relations sociales), les facteurs individuels (rapport aux émotions, personnalité).
Ces neuf facteurs sont reliés et interagissent pour nourrir le rapport au monde des individus. Alors, il s’agit d’une construction subjective (Flusser, 1978) et sociale (Watzlawick. 1988) qui n'est ni déterministe (la société s’impose aux individus) ni individualiste (l’individu s’autodétermine), mais bien le fruit d'une dynamique relationniste (Corcuff, 2011) et dialogique plurifactorielle. Le rapport au monde est bien le fruit d'une construction individuelle et sociale à travers laquelle les individus interprètent le monde et orientent leurs actions et leurs aspirations. À cela, nous l’avons exposé, doit s’ajouter des contraintes professionnelles et des effets de contexte qui influencent également le cours de la co-construction. Nous y retrouvons des individus et des organisations animés d'une volonté d'interagir, de coopérer, mais la diversité des facteurs qui façonnent leur rapport au monde complexifie la construction de sens partagé dans les processus de co-construction de l’action publique.
Plus précisément, notre enquête de terrain suggère que l'horizon de l'intercompréhension s'éloigne à mesure que la distance socio-culturelle entre les acteurs de la co-construction est grande. Or, si la communication est démocratique, alors elle s’éprouve dans « une relation humaine volontaire (elle est le fruit de la volonté des protagonistes) de partage de sens […] entre altérités radicales égales et libres » (Dacheux, 2015, p.268). Dans ces conditions, la relation apparait propice à l’incommunication. Libres et égaux, les acteurs sociaux entrent en relation pour construire du sens partagé, mieux se comprendre et projeter des actions communes. Toutefois, pris dans la diversité de leur rapport au monde dévoilée dans la relation, ils font alors le constat partagé qu’ils n’arrivent pas à se comprendre totalement. C’est, en tout cas, ce que semble démontrer l’enquête, appréhendant l’incommunication comme une donnée anthropologique fondamentale.
L'incommunication, facteur central de la co-construction de l'action publique
À présent, il nous faut rendre compte des situations d’incommunication qui apparaissent dans notre étude des deux cas de co-construction de l’action publique étudiés. Au-delà de nos observations durant l’enquête, ces phénomènes d’incommunication ont été mis en lumière par les acteurs eux-mêmes lors des deux séries d'entretiens que nous avons réalisés en septembre 2018 et septembre 2019. Dans un souci didactique, nous allons ici davantage nous appuyer sur le ressenti des acteurs de l’enquête.
Tout d'abord, partant de son vécu, l’élue à l’ESS de la Métropole remarquait lors de notre premier entretien : « on ne comprend pas les contraintes des autres, en plus de pas comprendre le langage. Comme moi je ne comprends pas forcément les contraintes des chercheurs […] » Le projet de co-construction de CISCA lui a confirmé ce ressenti : « on a des cultures différentes, quand on voit les chercheurs, on se rend compte qu’on est quand même à 12000 kilomètres quoi », avant d’ajouter « moi je ne comprenais pas ce que me racontait [le porteur du projet CISCA] ! » en évoquant leur première rencontre. Cet écart culturel, l’élue le vit également avec ses services à la Métropole: « quand on s’engueule avec [Antoine[7]] et qu’il me parle de trucmuche machin administratif de la Métropole [...] on est complètement étranger. Je me dis : mais de quoi il me parle ? »
De son coté, un agent de la Métropole missionné sur le suivi du projet CISCA constatait, lors de notre premier entretien, que les acteurs engagés « ont tous une vision qui leur est propre » en fonction de leur activité, qu’ils soient acteurs « du monde économique classique, de l’ESS, ou… universitaires » et, qu’en ce sens, « ils étaient [tous] sur une posture sur leur propre vision de… de ce que doit être l’innovation sociale. »
Pour d’autres acteurs, l'incommunication est abordée d’une façon positive. Dans son approche des processus de co-construction, la directrice de la SCIC Epicentre illustrait cette perspective lors de notre second entretien : « les temps j’trouve les plus intéressants, c’est les temps où… de crispation quoi. Ah! ça je trouve ça génial quoi. Les moments où on se comprend pas, où on s’engueule, du coup on doit y aller dix fois pour expliquer le truc… » Par rapport à la construction du projet Epicentre, elle assurait : « le premier truc qui, qui nous a sauvé, c’est de pas être compris au départ, et d’avoir à fabriquer ce discours, fabriquer cet ancrage, fabriquer cette action, montrer cette action. » Ainsi, elle considère que c'est l'incompréhension de départ qui a poussé sa coopérative à reformuler et argumenter. L'incommunication est alors un moteur : c'est parce que l'on veut se comprendre et que l'on n’y arrive pas que l'on continue à essayer (Dacheux 2015).
Ainsi, les processus de co-construction semblent sujets à des situations d'incommunication, que nous n'abordons pas comme une pathologie, mais bien comme le résultat normal de l'interaction entre altérités libres et égales au rapport au monde hétérogène. Dès lors, si l’incommunication est inhérente aux rapports sociaux, comment peut-elle être appréhendée dans une perspective de communication démocratique qui alimenterait la co-construction de l’action publique ?
3. S’emparer de l’incommunication pour penser une communication démocratique : l’enjeu de la médiation-traduction
Partant des difficultés de la communication à rencontrer l’intercompréhension, l'approche par l'incommunication propose d’inverser la logique : dans une situation de communication, le récepteur n'est finalement jamais totalement en ligne avec l'émetteur (Wolton, 2018), la réception serait même « une activité complexe de recréation du message. […] Il y a incommunication parce que la production et la réception sont deux instances différentes de création de sens » (Ravault, cité dans Dacheux, 2019, p.40). Dès lors, les situations d’incommunication émergeraient d’un terreau ontologique (subjectivité du rapport au monde) et anthropologique : « le plus souvent, les hommes ne se comprennent pas totalement » (Dacheux, 2019, p.42-43).
Si cette incommunication peut déboucher sur le rejet de l'autre[8], elle peut aussi conduire à entamer une négociation visant, non pas l'entente absolue, mais la cohabitation raisonnée (Wolton, 2009). C’est dans la capacité des acteurs à travailler dans l’altérité, sans poursuite du consensus, mais dans un souci constant d’acceptation des visions conflictuelles, que s’éprouve cette approche de la communication. L'enjeu communicationnel des processus de co-construction est alors de faire de cette incommunication un phénomène qui pousse les acteurs à co-construire démocratiquement l’action publique.
À cet égard, en intégrant à leurs réflexions que la communication n’est pas un processus qui parvient facilement à ses fins, différents travaux sur la communication politique soulignent l’enjeux d’adopter une prise de distance avec l’idéal intercompréhensif de l’agir communicationnel habermassien (Habermas, 1987) pour favoriser le partage de sens par la construction de désaccords féconds (Viveret, 2006 , Dacheux, 2019, Garlot, 2020) .
D’autres travaux soulignent les limites de la dimension discursive de la communication politique et voient en l’action collective le pilier de la construction de sens partagé (Quéré, 1991, Duracka, 2016). Louis Quéré nomme cette approche sous le vocable de « modèle praxéologique » et définit la communication comme « un processus d'organisation de perspectives partagées, sans quoi aucune action, aucune interaction n'est possible » (Quéré, 1991, p.76). La communication s’inscrit dès lors dans le « modelage mutuel d'un monde commun au moyen d'une action conjuguée », (Varela, 1988, cité dans Quéré, 1991, p.76).
Notre enquête semble confirmer l’enjeu de ces pratiques de communication politique renouvelées par la reconnaissance des phénomènes d’incommunication. L’enquête souligne même plus distinctement l’enjeu d’une communication praxéologique qui favorise la construction de liens de confiance et de convivialité. Dans un entretien auprès d’un agent de la collectivité central dans notre enquête, nous retrouvons ainsi l’enjeu de la convivialité dans la relation de co-construction : « ce qui à mon sens, est le facteur majeur, c’est le plaisir d’être ensemble […] au-delà de l’objet même, j’veux dire le fait que tu as plaisir à être avec l’autre […] à mon avis c’est ça le facteur. Le facteur déterminant. » C’est également le cas avec un acteur de l’ESS d’un des cas étudiés, qui s’attarde plus particulièrement la nécessité d’un « lien de confiance plus fort » qu’il relie à son expérience :
quand on va à la SCIC Tétris, qu’on passe du temps ensemble, on se marre, tu vois c’est quelque chose qui crée une proximité, qui a fait franchir un cap à notre relation à un moment, mais qui aurait dû être reproduit, ou qui devrait être reproduit pour pouvoir imaginer qu’à un moment ou un autre, ces temps-là permettent à [Amandine[9]] de se dire « je suis en confiance avec lui en tant qu’être humain ».
Cependant, ce qui apparait central dans notre enquête, c’est l’enjeu d’une facilitation communicationnelle, qui se situe au carrefour de ce que Louis Quéré nommerait un tiers symbolisant, c’est-à-dire un medium symbolique mis en jeu par l'interaction sociale, en position de référence pour les interlocuteur ou, pour le dire autrement,« une altérité qui permet la communication entre les sujets sociaux » (Quéré, 1982, p.116); ou de ce que Dominique Wolton nommerait un intermédiaire, à savoir un individu qui dispose d’une « compétence professionnelle et [d’]une capacité d'organiser la cohabitation entre points de vue différents » (ibid. p.97). L’acteur intermédiaire contribue ainsi à « un minimum d'intercompréhension en facilitant la négociation entre espaces culturels qui s'ignorent » (ibid., p.137). Ainsi, notre enquête questionne particulièrement l’enjeu d’une médiation-traduction pour embrasser l’incommunication dans une ingénierie communicationnelle de la co-construction de l’action publique.
L'intervention par la médiation-traduction : entre facilitateur et tiers de confiance
Face à ces situations d'incommunication que nous avons pu repérer, l’enquête semble montrer que les pratiques de communication politique précédemment mentionnées sont nécessaires mais insuffisantes si elles ne sont pas embrassées par une action de médiation capable de les mobiliser au profit de la co-construction démocratique de l’action publique.
Le terme de « médiation » repose sur deux origines étymologiques latines. Il s’agit d’une part du mot « médius » qui indique « la manière d’être au milieu, d’être "entre" et d’autre part du mot"mediare" qui renvoie à "la division, voire la séparation entre deux parties" » (Liquète, 2019, p.19). Les travaux de Vincent Liquète précisent qu’une appréhension plus contemporaine de la médiation apparaît au cours des années 1970, définissant « un mode généralisé de la gestion de la vie sociale, cherchant à anticiper les risques de conflit, voire de rupture, par l’entremise de tiers devenant progressivement des professionnels de la médiation » (Ibid., p.20). Dès lors, la médiation va particulièrement être étudiée par différentes disciplines, dans une perspective professionnelle, se présentant alors comme « un ensemble de pratiques, qui se développent dans des domaines institutionnels différents. Elle laisse une place prépondérante aux médiateurs, présents au sein de nombreuses organisations » (Gadras, 2010, p.2).
Durant l’enquête, l’importance du rôle d’un acteur médiateur traducteur est très souvent revenue dans le discours des acteurs, plusieurs d’entre eux abordant la médiation avec des approches propres à chacun : « facilitateur » pour certains, « médiateur », « personne hybride » ou encore « développeur » pour d’autres.
En premier lieu, la volonté des acteurs de faciliter la construction de sens partagé se retrouve dans leur discours, avec un vocable particulier, mais toujours marqué d’une approche réflexive sur leur rôle dans les dynamiques de co-construction.
Cet engagement, nous le retrouvons ainsi dans les propos du chargé de mission de la Métropole responsable du suivi de CISCA et de la SCIC Epicentre. Durant notre entretien de 2019, il nous livre ainsi sa vision de la médiation qu’il tente d’adopter dans sa pratique professionnelle : « c’est un exercice… c’est un métier je crois, c’est un métier. [...] j’pense que la qualité première d’un job comme le mien c’est ça c’est d’être… c’est d’emmener quoi, d’emmener les gens […] comment tu fais en sorte, tu facilites et tu… ouais tu participes à la co-construction du truc quoi. » Puis, il précise le terme de « développeur » qu’il attribue à sa fonction : « [ce sont] des gens qui sont capables de faire ce lien, cette relation entre… entre des citoyens, des politiques publiques, etc. [...] Je pense que l’art des métiers de développeur, c’est cette qualité-là [...] Voilà c’est mon job ça, c’est ce que je fais, c’est ce que je crois savoir faire un peu. »
En ce qui concerne le porteur du CISCA, il insiste principalement sur l’enjeu de l’acteur tiers de confiance dans les dynamiques de co-construction : « Le levier principal qui a vraiment fonctionné, c’est cette fonction de médiation [...] je me dis en fait toute la dentelle elle constitue à trouver les leaders d’opinion, les tiers de confiance » Par ailleurs, il précise ce qu'il entend par « tiers de confiance », à savoir un acteur « qui permette de déclencher la relation » car il constate que « sinon elle se fait pas toute seule ». Le tiers de confiance est ainsi « un tiers médiateur traducteur qui a les capacités de parler les mêmes langages et qui a à peu près la confiance partagée des acteurs pour faire le boulot. »
Enfin, la directrice de la coopérative Epicentre aborde elle aussi cet enjeu de facilitation, qu’elle semble éprouver après une année de forte dynamique de co-construction avec une hétérogénéité d’acteurs, qui a mis en lumière les difficultés à construire du sens partagé. En ce sens, elle déplore le « manque de facilitateurs » et souligne « ce besoin de facilitation […] dès que… le groupe est hétérogène et n’a pas forcément l’habitude d’aller euh… rencontrer l’altérité ». Elle évoque notamment « le nombre de réunions que l’on fait qui ne servent à rien, parce que du coup y’a de tout et y’a pas de facilitation » insistant sur le fait que « quand y’a trop de diversité c’est compliqué de faire sans [facilitation]. »
Elle semble également mettre en lumière la compétence professionnelle requise par une telle fonction, en affirmant qu’avec « des gens de cultures très différentes, des capacités à prendre la parole très différente […] faut arriver à comprendre cette différence de point de vue. Et j’pense que le facilitateur peut le… le faire, c’est son rôle, c’est son métier. »
L’importance du rôle d’acteur-médiateur, facilitateur de la co-construction, tiers de confiance est souvent revenue dans l’expérience des acteurs des cas de co-construction de l’action publique étudiés durant cette enquête. D’ailleurs, elle est la plupart du temps mise au regard des difficultés – précédemment exposées – à construire du sens partagé, alimentant l’enjeu d’une approche de la co-construction démocratique de l’action publique par la théorie de l’incommunication.
L'intervention par la médiation-traduction : favoriser le passage d’un univers langagier à un autre
L’autre volet de l’enjeu de la facilitation communicationnelle qui ressort de l’enquête correspond aux pratiques de traduction. Cet enjeu est apparu progressivement dans le discours des acteurs sous différentes terminologies, mais toujours avec la même idée d'une intervention qui facilite la relation de co-construction démocratique[10]. Il s’agit plus précisément d’un travail de traduction intralinguale mobilisé par l’acteur-médiateur afin de passer d’un système langagier à un autre (Oustinoff, 2012).
Ainsi, au cours de notre premier entretien, alors que l'association CISCA s'apprêtait à être créée, le porteur du projet constate : « 90% de mon temps va être alloué à voir untel pour lui dire "mais écoute comprend quand même que, cette vision-là, ci, ça, regarde ce serait bien, lis ça, si je te fais un résumé, de ci, de ça, et tout, tu comprends quand même que y’a d’autres manières de voir" ». Il semble conscientiser l'enjeu d'une telle facilitation communicationnelle et considère qu'il s'agit même d'une de ses missions pour parvenir à faire vivre le projet commun. Il parle également de la fonction de traduction en tant que telle : « ce fameux traducteur, je pense que l’avenir de...de...pour beaucoup, ça va être, dans un monde aussi hétérogène, aussi complexe comme le nôtre, il va exploser le nombre de traducteur, de ces intermédiaires, des gens qui vont faire cette dentelle. » Un an plus tard, au cours de notre second entretien, il démontre une prise de conscience bien plus avancée :
pour moi c’est l’avenir, c’est les traducteurs, les médiateurs, les tiers, les gens qui vont se retrouver comme nous on peut le faire, au milieu, avec des capacités à avoir des langages partagés pour reformuler et, et mettre quelque chose qui soit de l’ordre de la construction du sens commun au milieu, sans laisser les acteurs juste gratuitement s’écharper.
Au cours de notre enquête, l’élue à l’ESS de la Métropole a semblé également sensible à l'enjeu d’interagir avec des individus qui maitrisent cette technique de traduction entre différents univers culturels, langagiers, etc. Ainsi, dans un entretien préliminaire à l’enquête réalisé fin 2017, alors que nous abordions la relation de la Métropole aux acteurs de l’ESS, elle nous livrait déjà une approche intégrant cet enjeu :
Les acteurs de l’ESS et de l’innovation sociale avec lesquels j’aspire à co-construire, ils n’ont souvent pas tous les codes des collectivités, que ce soit le vocabulaire, la compréhension des contraintes, le fonctionnement interne. Mais pour co-construire, il faut savoir connaitre les autres. Et on voit bien que ceux qui ont davantage assimilé les codes sont ceux qui s’en sortent le mieux dans leur relation à la collectivité, que ce soit Epicentre ou LieU’topie par exemple.
Puis, dès le premier entretien en 2018, l’élue à l’ESS de la Métropole mettait en évidence la présence d'un acteur « hybride » comme levier de co-construction de l'action publique par sa capacité à passer d’un univers culturel et langagier à un autre : « On le voit avec le centre de transfert, je pense qu’avec [la coprésidente] c'est quelqu’un qui arrive à parler le langage de tout le monde […] Il faut trouver la personne hybride, qui arrive, qui sait manier tous les langages. [...] comment aborder le sujet, et quelles sont les contraintes des uns des autres. »
Nous soulignons enfin qu’à l’issue d’un entretien avec un directeur général de Clermont Auvergne Métropole, un échange sur la base de nos travaux s’est installé. La discussion s’engage alors sur les enjeux de médiation et de traduction qui nous semblaient apparaitre au fil de notre enquête. Cet extrait de notre journal de bord retrace l’échange que nous avions eu à ce sujet et confirme l’intérêt porté par les acteurs aux enjeux de traduction dans les dynamiques de co-construction. L’acteur semble ici s’approprier ce rôle de traducteur entre les élus de la Métropole et les acteurs de l’ESS :
Ce travail de traduction intralinguale, entre systèmes culturels et langagiers éloignés, semble ainsi apporter des réponses aux situations d’incompréhension dans les dynamiques de co-construction. À cet égard, bien que certains acteurs aient le sentiment de pouvoir assurer ce rôle, l’enquête semble néanmoins souligner que cette compétence n’est pas acquise par l’ensemble des acteurs de la co-construction, justifiant parfois l’intervention d’une tierce personne.
4. Discussion des résultats de l’enquête. De l’incommunication à la co-construction démocratique de l’action publique : l’enjeu d’une ingénierie communicationnelle de la médiation-traduction
Que faut-il retenir de l’enquête ? D’abord, que la diversité du rapport au monde des individus – dont nous proposons neuf facteurs révélés par l’enquête – semble justifier la remise en cause d’une approche intercompréhensive de la communication. Les acteurs engagés dans les cas de co-construction étudiés ont connu des difficultés à construire du sens partagé, à accepter leur radicale subjectivité. Dès lors, l’approche par la théorie de l’incommunication que nous proposons intègre ces situations d’incompréhension et de tensions à la réflexion sur les situations de co-construction démocratique. Mieux, en considérant l’incommunication comme une donnée anthropologique indépassable, une telle approche souligne l’enjeu de faire de cette incommunication le moteur d’une co-construction démocratique.
Ainsi, les pratiques de communication politique (délibérative et praxéologique) ont été éprouvées par les acteurs avec des fortunes diverses. La plupart du temps, les phases délibératives se sont heurtées à l’écart entre les présupposés normatifs des acteurs engagés, finalement en grande difficulté pour construire du sens partagé dans une situation qui focalise la communication sur sa dimension discursive. Quant aux situations de communication praxéologique, elles ont fréquemment généré une construction de confiance partagé, des situations de détente, conviviales, plus propices à la découverte de l’altérité, tout en dépassant les limites discursives de la communication délibérative. Pour autant, la dimension praxéologique de la communication ne semble pas naturellement mobilisée par les acteurs, en particulier les acteurs institutionnels, privilégiant des pratiques de communications réduites à leur dimension discursive (comité de pilotage, comité techniques, conseil d’administration, etc.).
Par conséquent, l’enquête semble souligner l’intérêt d’une intervention par des pratiques de médiation-traduction dans les dynamiques de co-construction démocratique. Nous retrouvons ainsi dans le discours des acteurs cet enjeu de médiation-traduction en réponse aux situations d’incommunication éprouvées. À cet égard, les enjeux de la confiance partagée, d’une relation interpersonnelle conviviale et du respect de l’intégrité de chaque interlocuteur semblent centraux dans le discours des acteurs recueilli durant l’enquête.
Ce rôle de médiation-traduction pourrait s’apparenter à l’approche de Paul Rasse qui voit en la médiation une pratique visant à favoriser « un processus de négociation à partir de ce que chacun est, de ses capacités cognitives, de sa propre culture, de ses aspirations, de ses angoisses, de sa propre histoire, de son statut social. » (Rasse, 2014, p.48-49)
Pourtant, cette approche par la médiation semble nécessiter une réflexion sur les approches de la traduction, qui ont été précisées par Dominique Wolton et Michael Oustinoff. Partant de ses réflexions sur l’incommunication, Dominique Wolton (2010) s’est intéressé aux enjeux de la traduction dans un contexte international de mondialisation qui a révélé « l’étendue des distances culturelles. » Avec Dominique Wolton, l’enjeu communicationnel de la traduction se trouve dans la recherche d’une « cohabitation raisonnée » inscrite dans un contexte qui nécessite « d’accepter le temps pour passer d’un système culturel à un autre » (ibid., p. 12). Au regard de l’enquête, la diversité culturelle des acteurs étudiés – bien que ces derniers partagent le même territoire et la même langue – semble révéler des situations d’incommunication et en ce sens justifier la mobilisation d’une approche de la traduction. Ces acteurs utilisent la même langue, certes, mais leurs représentations et leur rapport au monde apparaissent suffisamment éloignés pour mettre à jour leurs distances socio-culturelles (langage technique, jargon, culture d’entreprise, pratiques quotidiennes, etc.) à la base d’incommunications. À travers une traduction intralinguale, qui consiste en « l’interprétation de signes linguistiques au moyen d’autres signes de la même langue » (Oustinoff, 2012, p.66), l’acteur-médiateur va alors tenter de réduire les distances langagières entre les acteurs. Oustinoff considère ainsi que la fonction première de la traduction est d’être « la grande médiatrice de la diversité » (ibid., p. 124).
Dès lors, nous proposons de réfléchir à la mise en œuvre d'une ingénierie communicationnelle qui ne vise pas à supprimer l’incommunication, qui ne cherche pas une illusoire intercompréhension parfaite, qui ne fait pas non plus de l’incommunication une situation sans risque; mais qui vise à favoriser la relation, l’expérience partagée, pour veiller à ce que l’incommunication reste dans un cadre fertile et devienne un moteur de l’action collective de co-construction démocratique de l’action publique. Pour ce faire, nous proposons six pistes pour déployer une ingénierie de médiation-traduction au sein de processus de co-construction démocratique de l'action publique.
1. L’ingénierie de médiation-traduction s’inscrit dans une approche de la communication politique démocratique. En ce sens, tel que nous le présentions en début d’article et pour reprendre les mots de Dominique Wolton « la grande valeur philosophique et politique du concept de communication dans la démocratie » provient de ses fondements qui « reconnaissent qu’il peut y avoir plusieurs protagonistes, points de vue, valeurs, qui n’interdisent pas de dialoguer » (Wolton, 2019, p.202). La communication démocratique, c’est donc l’indépassable reconnaissance de l’altérité dans sa capacité et sa légitimité à communiquer. Chaque participant doit alors accepter que la construction de sens partagé implique la confrontation à l’Autre dans sa complexité et son rapport au monde.
2. En deuxième lieu, il s’agit de reconnaitre la subjectivité de nos interlocuteurs dans leur rapport au monde et, par conséquent, l’horizon de l’incommunication qui plane sur la communication. Communiquer, c’est donc accepter que ce que nous exprimons ne sera jamais totalement interprété avec le même sens. Ces situations d’incommunication sont exprimées avec malice par l’écrivain Bernard Werber : « Entre ce que je pense, ce que je veux dire, ce que je crois dire, ce que je dis, ce que vous voulez entendre, ce que vous entendez, ce que vous croyez en comprendre, ce que vous voulez comprendre, et ce que vous comprenez, il y a au moins neuf possibilités de ne pas se comprendre » (Werber, 2011). Dès lors, plutôt que de tenter de faire disparaitre l’incommunication, il nous semble anthropologiquement plus cohérent de l’appréhender, non pas comme une pathologie mais comme la conséquence normale d’une relation qui confronte des ontologies – rapport au monde – singulières. D’autant que, comme le souligne Éric Dacheux, l’incommunication peut être appréhendée comme le sel de la communication : c’est parce que nous ne nous comprenons pas totalement que nous continuons à interagir pour construire du sens partagé. Attention néanmoins aux situations d’acommunication, qui ressemblent à première vue à la communication puisqu’il s’agit d’une relation humaine volontaire entre altérités radicales, mais qui s’en éloignent par la non-égalité (ordre, interdiction) des participants ou la non-sincérité (manipulation) de l’un des participants (Dacheux, 2015). L’incommunication peut ainsi déboucher sur ce type de relation qui ne s’inscrit pas dans le prérequis démocratique précédemment exposé. Par conséquent, une ingénierie communicationnelle de la communication démocratique doit amener l’acteur médiateur-traducteur à favoriser des incommunications fécondes.
3. La dimension délibérative de la communication ne doit pas être évincée mais il convient de la réactualiser à l'aune de la révolution copernicienne induite par la théorie de l'incommunication. Le modèle politique de la communication habermassien s'articulait autour de la théorie de l'agir communicationnel (Habermas, 1981). Une telle approche intercompréhensive appréhendait les acteurs sociaux par le prisme de leur rationalité les amenant à construire des consensus. Dans l'approche que nous proposons, une prise de distance avec une telle approche s'avère nécessaire. À cet égard, les travaux d’Éric Dacheux qui appréhendent la communication délibérative par le conflit intégrateur (Dacheux, 2016) s'avèrent constructifs là encore. La communication délibérative viserait alors « la construction d’une culture civique à travers la confrontation des points de vue différents portés par des acteurs égaux en droit » (ibid., p. 106). Cette culture commune doit émerger en créant du « conflit intégrateur » (ibid. p. 88), c’est-à-dire en basant la délibération sur la construction des désaccords[11] (Viveret, 2006). Cela doit aboutir à l’identification « des points qui font consensus et les points qui font débat » (Dacheux, 2016, p. 105). L’acteur médiateur-traducteur aurait ici vocation à jouer le rôle de facilitateur visant à animer les débats (circulation de la parole, mise à jour des représentations de chacun, etc.).
4.Le deuxième volet de la communication politique démocratique correspond à ce que Louis Quéré nomme la communication praxéologique. Il appartient alors à l’acteur médiateur de favoriser l’expérience et l’action collective permettant de révéler pragmatiquement les points d'accords et de désaccords entre les acteurs qui ont pu émerger de façon discursive dans une phase de communication délibérative. La communication praxéologique engage en effet une pratique sociale organisante qui tend à construire la volonté collective « de construire ensemble le lieu commun à partir duquel ils vont momentanément se rapporter les uns aux autres, se rapporter au monde et organiser leurs actions réciproques » (Quéré, 1991, p. 76). Par ailleurs, la dimension praxéologique de la communication peut susciter des rapports humains, des moments de vie, favorisant l’établissement d’une relation conviviale entre les participants. En outre, elle permet de mettre des actes sur des mots, sur des pensées et sur des rapports au monde. L’enjeu de la communication praxéologique pour l’acteur médiateur se situe à la fois dans sa propension à consolider le projet collectif, le référentiel commun, par sa matérialisation; mais également dans l’élaboration d’un contexte qui favorise l’émergence de rapports basés sur la confiance, la convivialité, et l’estime de l’autre.
On retrouve chez le porteur du CISCA une expression de l'enjeu de cette communication praxéologique vis-à-vis de la construction d’une relation conviviale :
qu’est-ce qui a changé avec [l’élue à l’ESS] notamment, c’est quand on va à la SCIC Tétris, et qu’on se retrouve dans… les mains dans le cambouis […] et puis on pousse cette praxis-là jusqu’à euh… eh bien on mange ensemble, on boit un coup, on rigole, on blague, on a une praxis sociale qui est partagée qui fait qu’il se passe quelque chose.
5. Nous accordons une importance capitale à la relation interpersonnelle (traduction, désamorçage de tensions, etc.) que l’acteur médiateur-traducteur doit développer avec les autres acteurs de la co-construction de l'action publique. À ce propos, l’enquête souligne que la construction d'une relation interpersonnelle fut grandement facilitée à mesure qu’une relation de confiance partagée se nouait avec les acteurs de la co-construction. À cet égard, il apparait que les pratiques communes sont particulièrement bénéfiques à la construction de confiance partagée – impliquant un rôle d’acteur-chercheur. Nous faisons ici référence aux travaux de Florine Garlot (2020) qui développe une approche par l’enquête (au sens de John Dewey[12]) des relations interpersonnelles. Dans cette perspective, « si l’incommunication est ce décalage entre ce qu’on perçoit et les évidences sociales, alors c’est elle qui génère l’enquête » (Garlot, 2020, p.327). En d’autres termes, si l’acteur-médiateur accepte d’être lui aussi sujet aux situations d‘incommunication, alors c’est bien « l’étonnement, le paradoxe, l’incompréhension qui invitent à mener l’enquête, à s’inscrire dans une pensée réflexive. » (ibid., p.327). La posture de médiation-traduction pourrait donc s’apparenter à une posture d’enquête qui vise à identifier les leviers communicationnels à la co-construction de l’action publique, s’appuyant sur la qualité de la relation interpersonnelle et la réflexivité qu’exige une telle posture.
6. Enfin, la pratique de la médiation-traduction identifie un dernier enjeu, celui de la dimension symbolique de la communication et plus particulièrement des mediums symboliques partagés, à savoir les lieux, les individus, les événements, qui nous rassemblent et contribuent à la construction de sens partagé. En effet, tout échange social est toujours déjà médiatisé par du symbolique (Quéré, 1982; Mucchielli & Paillé, 2012). Un symbole, « c’est ce que représente un objet, une personne, un événement en résonance avec l’expérience qu’en a un sujet, dans le contexte socioculturel qui est le sien. Le symbole naît du sens construit dans l’expérience » (Paillé et Mucchielli, 2012, p. 62). Cette dimension symbolique se soucie par conséquent des représentations qui guident l’interprétation des réalités vécues par les acteurs. Pragmatiquement, elle implique tout d'abord l’identification d’individus dits « tiers de confiance », c’est à dire les acteurs qui vont, en fonction de la situation, favoriser la construction de sens partagé par les symboles, c'est à dire les représentations qu'ils incarnent. La présidente de CISCA est éclairante à cet égard quand elle aborde son rôle durant la première année de construction : « j’ai ramené tout le monde, parce que les gens me font confiance en général quand je leur demande d’être là en général ils viennent. » Le porteur initial du CISCA nous confirmait ce constat à l'issu de la première année d'existence de sa structure : « on le voit bien, depuis que [la nouvelle présidente] a pris un peu les rênes du côté des acteurs socioéconomiques pour la création du centre de R&D, ça s’accélère beaucoup, parce qu’elle est le symbole d’une forme d’innovation sociale. »
Cette réflexion sur la dimension symbolique de la communication concerne également les lieux[13] de la co-construction afin de penser des « espaces intermédiaires de socialisation, […] où peuvent se déconstruire et se reconstruire les représentations » (Tourrilhes, 2008, p. 119). Ainsi, lorsque le porteur du CISCA évoque une des phases de co-construction ayant particulièrement fonctionnée, il déclare : « les gens sont venus dans [ce] lieu parce qu’il est chargé symboliquement. » L’élue à l’ESS de la Métropole prolonge cette idée et considère que le fait de « désinstitutionnaliser les moments de rencontre » c'est à dire de rendre « les moments plus informels, où on en parle de manière plus informelle » favorise la construction de sens partagé. Elle fait notamment référence à l'émergence du CISCA et précise : « changer de lieu… ouais changer de contexte, j’pense que ça favorise un peu les relations interpersonnelles et donc la compréhension de l’autre. » Dès lors, l’acteur médiateur-traducteur doit intégrer à sa pratique une réflexion sur le choix des espaces de communication et sur le rôle d’acteurs participants, car l’un comme l’autre comporte une charge symbolique, et influent par conséquent sur le processus de construction de sens partagé dans les dynamiques de co-construction de l’action publique.
C’est enfin une réflexion sur l’univers sémantique déployé par les acteurs engagés qui doit amener l’acteur médiateur-traducteur à maitriser la dimension symbolique du langage à travers une pratique de traduction intralinguale. Le langage est un des médiums les plus couramment mobilisés pour construire du sens partagé (Habermas, 1987). Cependant, Jean Caune souligne ainsi que « le sens d’un mot est déterminé par le vécu, passé et présent, des locuteurs qui rencontrent ce mot dans des situations bien précises » (Caune, 2010, p. 6). Grosseti (2019) parle d’une « aire de pertinence » pour évoquer la non-universalité des signes communicationnels. Dès lors, si le langage ne permet pas de renvoyer les interlocuteurs à des références communes, alors il ne joue pas son rôle de médiation. Par conséquent, dans un contexte interculturel – qui réunit dans une dynamique de co-construction des acteurs pris dans leur propre monde vécu – une réflexion sur la médiation ne peut se détourner d’une réflexion sur le langage et donc d’une pratique de traduction intralinguale passant d’un univers langagier à un autre.
En conclusion
En conclusion, nous souhaitons rappeler que ce texte apporte un éclairage inédit sur les processus communicationnels de co-construction de l’action publique abordé sous l’angle théorique de l’incommunication, dans une approche ethnographique justifiant notre intervention qui s’est matérialisée par une posture de médiation-traduction. Ainsi, cette enquête expose l’existence de phénomènes d’incommunication dans les processus de co-construction et en révèle la teneur. De ce fait, nous nous sommes attachés à mettre en lumière la complexité de la construction de sens partagé entre acteurs aux univers socio-culturels hétérogènes. Dès lors, nous avons abordé la communication comme une relation de construction de sens qui débouche fréquemment sur le constat partagé d'une compréhension imparfaite de l’altérité. Incommunication et communication seraient donc les deux faces d’une même pièce. L’incommunication est une donnée anthropologique indépassable qu’il convient donc de rendre féconde. Nos travaux ont ainsi mis en lumière l’enjeu d’une ingénierie communicationnelle qui implique l’intervention dans une posture de traduction et de médiation au sein des processus de co-construction démocratique de l’action publique. Nous avons alors mis à jour les pratiques communicationnelles – délibératives, praxéologiques et relationnelles – embrassées par une posture de médiation-traduction. Cette ingénierie communicationnelle pourrait être qualifiée de « communication politique instituante », c’est-à-dire une communication politique démocratique vectrice d’actions collectives instituantes et donc de changement social. Alors, une telle proposition s’enracine dans la révolution copernicienne d’une approche par l’incommunication et propose de faire dialoguer incommunication et co-construction démocratique. I n fine, c’est parce que la communication démocratique est complexe que la co-construction démocratique de l’action publique ne peut se dispenser d’une telle ingénierie communicationnelle incarnée dans une action de médiation-traduction.
Viveret, P. (26 juin 2018). Faire un bon usage du désaccord : un enjeu de qualité démocratique. Conférence dans le cadre de l'Assemblée générale de la coordination nationale des Conseils de développement. https://www.youtube.com/watch?v=3XsOq3yZUzA
Appendices
Notes
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[1]
Convention industrielle de formation par la recherche. La CIFRE est un dispositif gouvernemental français de financement de thèse permettant le recrutement d'un doctorant au sein d'une organisation pour une durée de trois ans.
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[2]
En réalité, notre travail de thèse nous a conduit à analyser cinq cas de co-construction. Nous avons réduit à deux pour cet article dans un soucis didactique et pour nous inscrire dans le format de la revue.
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[3]
Les travaux d'Yves Vaillancourt (2016, 2019) et de Laurent Fraisse (2016, 2018) distinguent plusieurs formes de co-construction plus ou moins démocratiques : démocratique / néolibérale / corporatiste pour le premier ; citoyenne / institutionnelle / professionnelle pour le second.
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[4]
Nous questionnons ici les relations interpersonnelles et la diversité des aspirations des acteurs engagés mais aussi leurs différences sociales, culturelles, émotionnelles, bref, tout ce qui fait que la co-construction de l’action publique et donc la construction de sens partagé est une perspective nécessitant selon nous une approche communicationnelle.
-
[5]
Précisons que tous les acteurs cités durant l’enquête ont donné leur accord pour figurer dans ce travail. Ils ont pour la grande majorité, participé aux réflexions de l’enquête, des points réguliers ont été réalisés au fil de l’avancée de l’enquête jusqu’à la restitution finale des travaux et des propositions opérationnelles.
-
[6]
Nous entendons la culture au sens de Guy Michelat comme « l'ensemble des représentations, des valorisations effectives, des habitudes, des règles sociales, des codes symboliques » (Michelat, 1975, p.232)
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[7]
Prénom modifié pour préserver la confidentialité de l’enquête.
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[8]
Ce que nous nommons avec Éric Dacheux des situations d’acommunication, c’est à dire « un processus qui ressemble à la communication mais qui, en réalité, nie l’une de ses composantes essentielles. Pour le dire autrement, l’acommunication est une relation humaine de partage de sens qui s’inscrit dans une durée et dans un contexte donné entre altérités radicales, mais qui refuse l’égalité (un ordre hiérarchique dans l’armée par exemple) ou refuse la liberté de l’autre, que ce refus soit explicite (une interdiction, par exemple) ou implicite (on parle alors de manipulation » (Dacheux, 2015, p.89-90).
-
[9]
Prénom modifié pour préserver la confidentialité de l’enquête.
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[10]
C’est dans cette acception démocratique de la co-construction que nous nous éloignons des travaux sur la sociologie de la traduction (Callon, 2006; Callon, 1986). En effet, l’approche communicationnelle sociotechnique déployée par Michel Callon est issue d’un modèle dit « épistémologique », considérant d’une part qu’il est possible d’assimiler communication et persuasion, et d’autre part que si l’on communique bien, alors on se comprend bien. Il s’agit d’une dimension instrumentale de la communication qui ne nous semble pas pertinente pour envisager la co-construction démocratique.
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[11]
Lien vers la conférence de Patrick Viveret « Faire un bon usage du désaccord de qualité démocratique » https://www.youtube.com/watch?v=3XsOq3yZUzA (Viveret, P. [26 juin 2018])
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[12]
Prise au sens de John Dewey, l’enquête mobilise cinq phases : l’étonnement, l’identification des problèmes, les suggestions de solutions, le test des hypothèses, l’évaluation (Dewey, [1938], 1993).
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[13]
La réflexion sur le cadre spatial devait également concerner le cadre temporel de la communication. Il ressort du discours des acteurs de l’enquête une grande importance accordée au temps de la communication : nécessité du temps long, prendre le temps de construire les désaccords, vivre des expériences communes, mieux se connaitre. Une réflexion communicationnelle sur la co-construction démocratique de l’action publique nécessiterait probablement une attention plus poussée vis-à-vis de cet enjeu. Néanmoins, l’asymétrie des calendriers politiques / associatifs n’est pas une réflexion suffisamment appréhendée dans l’enquête. Il s’agit probablement de l’une des faiblesses de ce travail.
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