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Contextualisation de la migration haïtienne au Brésil

Le Brésil, comme d’autres pays du Sud, devient une autre destination de choix pour les travailleur.se.s des pays d’Amérique du Sud et alimente la nouvelle logique de migration internationale Sud-Sud. Entre 2011 et 2019, 1 085 673 immigrant.e.s originaires des pays de l’Amérique du Sud et des Caraïbes ont migré vers le Brésil. Parmi les nationalités les plus représentées, on retrouve les Haïtien.ne.s, les Vénézuélien.ne.s et les Bolivien.ne.s (Cavalcanti et al., 2020).

Cette migration haïtienne vers le Brésil accompagne une tendance mondiale de déplacement, caractéristique des sociétés contemporaines qui sont confrontées au phénomène intense des migrations de populations. Peu de sociétés sont épargnées de ces dynamiques migratoires (Bahammou, 2010). Les raisons de ce déplacement des personnes dans le monde sont multiples et diverses. Cependant, structurellement, ce dernier est communément lié aux catastrophes environnementales, aux situations de guerres, aux persécutions politiques, ethniques ou culturelles, au travail, aux études, etc. (Organisation internationale de la migration, 2021).

Haïti est l’un des pays qui alimente cette dynamique migratoire dans un sens unilatéral comme pourvoyeur d’émigrant.e.s dans le monde depuis les premières vagues d’émigration massive dans les années 1915 vers des pays voisins, en l’occurrence Cuba et la République dominicaine (Audebert, 2011). Aujourd’hui, avec environ un quart de sa population (3 millions sur 12 millions environ) vivant à l’extérieur de son territoire, Haïti est considéré comme pays d’émigration (Audebert, 2011). Les États-Unis, la République dominicaine, le Canada et la France représentent les quatre grandes destinations des migrant.e.s haïtien.ne.s (OCDE 2017).

Après le tremblement de terre de 2010, qui a fait près de 220 000 morts et 300 000 blessé.e.s selon les données officielles du gouvernement haïtien, beaucoup de pays ont offert leur assistance au gouvernement pour faire face à cette situation. Ainsi, certains pays de l’Amérique du Sud ont adopté des politiques migratoires visant à attirer des travailleur.se.s haïtien.ne.s. Par exemple, le Brésil a créé un visa spécial, dit de « réfugié.e humanitaire », pour les Haïtien.ne.s, et c’est ainsi qu’entre 2010 à 2016, approximativement 94 000 Haïtien.ne.s se sont rendu.e.s au Brésil sous ce statut (Joseph, 2019). Cette réalité migratoire a eu des impacts sur le système scolaire, les pratiques enseignantes et l’éducation interculturelle au Brésil.

Malgré cette forte croissance de la population migrante au Brésil, des mesures juridiques spécifiques dans l’éducation nationale brésilienne prenant en compte la croissance migratoire internationale font défaut. Il n’existe pas non plus d’études, à notre connaissance, sur les nouvelles compétences que les enseignant.e.s doivent développer pour appréhender cette interculturalité (Russo et al., 2020). C’est dans ce contexte que nous avons réalisé une thèse ayant pour objectif d’analyser les incidences de la relation école-famille sur l'identité des enfants d'origine haïtienne au Brésil. Ce présent article reprend en partie les données de cette thèse[1] et se concentre spécifiquement sur les pratiques enseignantes auprès des élèves haïtien.e.s et de leurs parents en classe de primaire.

Une fois la migration haïtienne au Brésil contextualisée, le cadre théorique et la démarche méthodologique sont abordés. Les résultats sont ensuite présentés et discutés graduellement. L’article se termine avec une discussion conclusive.

Le cadre théorique

La prise en compte de la diversité des personnes immigrantes dans l’éducation demeure une question complexe et multidimensionnelle qui implique plusieurs acteur.e.s, décisions, défis dans des contextes différents (Audet et al., 2022; Potvin et al., 2016). S’il est vrai que le paradigme inclusif dans les politiques éducatives est une réalité partagée par de nombreux pays (Bauer et Borri-Anadon, 2021), il est aussi vrai de dire qu’il n’existe pas d’homogénéité dans les réflexions et les prises de décisions d’un contexte à un autre. Il existe, cependant, des disparités réelles et symboliques dans la réalité, allant des politiques publiques jusqu’à l’expertise développée par les enseignant.e.s pour améliorer leur pratique dans le milieu scolaire (Mc Andrew et Audet, 2020). De ce fait, la prise en compte de l’altérité dans le milieu scolaire repose sur des enjeux politiques, pédagogiques et administratifs liés au questionnement de la place occupée par la différence culturelle[2] dans le milieu scolaire.

Face à cette réalité, l’éducation interculturelle est de plus en plus en vue dans les sociétés postmodernes. Rares sont les professionnel.le.s de l’humain qui ne sont pas concerné.e.s par la diversité culturelle (Ogay et Edelmann, 2011). Cette réalité presque généralisée remet en question les pratiques actuelles et exige de nouvelles façons d’appréhender la diversité culturelle, d’où une nouvelle conception de l’éducation interculturelle comme « pédagogie axée sur les activités à réaliser avec les élèves, migrant.e.s … afin de développer la compréhension et le respect mutuels » (Gremion et al., 2013, p. 58). Cette pédagogie interculturelle vise à renforcer la capacité d’intervention des professionnel.le.s à agir en contexte d’interculturalité et à préparer les élèves à vivre dans un contexte multiculturel (Ogay et Edelmann, 2011), tout comme la compétence interculturelle et inclusive formalisée par Potvin et al. (2015). En effet, cette dernière vise deux finalités: la finalité de transformation sociale qui vise à préparer tous les apprenant.e.s à vivre ensemble dans une société pluraliste de manière juste et égalitaire et celle d’équité qui vise à « adopter des pratiques d’équité qui tiennent compte des expériences et réalités ethnoculturelles, religieuses, linguistiques et migratoires des apprenant.e.s, particulièrement celles des groupes minorisés » (Potvin et al., 2015, p. 12).

L’opérationnalisation de cette perspective interculturelle renvoie à une question fondamentale : comment bien appréhender la différence culturelle en milieu scolaire?

Selon Ogay et Edelmann (2011), l’école, du fait de sa caractéristique assimilationniste de départ, représente le lieu d’excellence pour analyser les réponses données aux questionnements soulevés par les défis de la différence culturelle causée par l’installation à long terme des migrant.e.s et de leur famille dans « des sociétés d’accueil ». Ainsi, ces auteures vont s’appuyer sur le travail de Allemann-Ghionda (1999, 2008) pour résumer en 4 phases les réponses interculturelles données à cette réalité dans les années 1970. La première phase s’est identifiée comme la pédagogie des étranger.e.s qui repose sur l’hypothèse que les migrant.e.s ont un déficit à combler pour intégrer le système scolaire. La deuxième phase part de l’hypothèse de la valorisation de la diversité culturelle et la reconnaissance des identités culturelles des élèves issu.e.s de familles migrantes. La troisième phase repose sur l’hypothèse de l’équité comme critique à l’éducation interculturelle à laquelle on reproche d’avoir négligé la dimension socio-économique des élèves et de leurs parents. Enfin, une dernière phase, qui part de l’hypothèse que la diversité doit comprendre les dimensions socio-économiques, de genre, d’habilités, etc.

Ces hypothèses continuent d’exister individuellement ou ensemble dans les communautés scientifiques autant que dans les pratiques scolaires; elles ont en commun une position d’ethnocentrisme « qui tend à considérer sa propre réalité comme la norme et non pas située dans un contexte particulier, donc comme également culturellement marqué » (Ogay et Edelmann 2011, p. 50). En analysant les ambiguïtés de toutes les postures existantes d’éducation interculturelle, ces auteures proposent le carré dialectique de la différence culturelle comme outil théorique afin de « rendre explicites des impensés du rapport à la différence culturelle, et notamment le fait qu’il s’agit d’un rapport qui se construit avant tout dans une relation dynamique » (Bauer et Borri-Anadon, 2021, p. 47).

Selon Ogay et Edelmann (2011) le premier impensé dans ces approches est de ne pas considérer la différence culturelle comme le résultat d’une relation entre soi et l’autre. La différence culturelle est une relation qui implique les éléments culturels des professionnel.le.s du milieu scolaire ainsi que de l’élève migrant.e. Prise dans cette dimension relationnelle, la différence culturelle exige un questionnement des deux groupes (professionnel.le.s d’une part, élèves migrant.e.s d’autre part) pour intervenir en contexte interculturel. Dans ce cas, l’élève n’est plus pointé.e du doigt comme partie prenante d’un problème à résoudre.

Le deuxième impensé de ces approches antérieures consiste au fait de ne pas voir la différence culturelle dans une approche dialectique. Le relativisme culturel et l’universalisme culturel, malgré les bonnes intentions de départ, ont toujours débouché sur des effets contre-productifs dans leurs efforts de résoudre la contradiction de manière univoque (Ogay et Edelmann, 2011). C’est ainsi que les auteures proposent le carré dialectique de la différence culturelle, non pas comme outil qui vise à résoudre les contradictions, mais plutôt comme outil réflexif sur les tensions existantes dans les démarches de l’interculturalité autour des valeurs d’égalité et de diversité, d’universalité et de particularité. La reconnaissance de cette dimension dialectique évite, selon elles, le piège de la sacralisation des cultures qui ont conduit antérieurement à des résultats contre-productifs.

Figure 1

La présentation du carré dialectique de la différence culturelle selon Ogay et Edelmann

La présentation du carré dialectique de la différence culturelle selon Ogay et Edelmann
Source : Ogay et Edelmann, 2011, p. 59

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Le carré dialectique a été inspiré des travaux précédents d’Edelmann (2007), Helwig (1967) et Schulz von Thun (1997). Il met en évidence quatre pôles correspondant à deux valeurs dans la partie supérieure (égalité/diversité) contrebalancée par leurs contre-valeurs respectives dans la partie inférieure (indifférence/culturalisation). La fonction des contre-valeurs vise à maintenir l’équilibre dans les relations, en considérant, d’une part, que l’exagération dans l’une ou l’autre « valeur positive » conduit à des situations problématiques et, d’autre part, qu’« une orientation vers l’égalité tout comme une orientation vers la diversité sont ainsi nécessaires à une gestion professionnelle de l’interculturalité » (Ogay et Edelmann, 2011, p. 59). Dans le carré dialectique de la différence culturelle, les deux lignes verticales expriment comment l’exagération d’une « valeur positive » conduit à la dérive exprimée en contre-valeur. L’exagération de l’égalité conduit à l’indifférence face à la différence, et l’exagération de la diversité conduit à sa dérive qui est la culturalisation en tant que perception rigide qui explique tout par la culture (Gremion, et al., 2013).

La ligne horizontale supérieure exprime le rapport de tension positive et de complémentarité entre les valeurs de l’égalité avec les valeurs fondées sur la diversité. Cette tension oriente la pratique pédagogique interculturelle, dans le sens que c’est en identifiant et en reconnaissant « les similitudes entre ses élèves qu’un enseignant pourra les percevoir avant tout dans leur rôle universel d’élèves et non en fonction de leurs origines particulières » (Ogay et Edelmann, 2011, p. 59).

La ligne horizontale inférieure reliant les deux contre-valeurs (indifférence vers culturalisation) exprime le chemin alternatif emprunté en situation par certains professionne.le.s, afin d’éviter de confronter la tension qu’impliquent les valeurs positives. Ce chemin aide à fuir une non-valeur par une autre non-valeur. C’est « une relation de surcompensation, indiquant une forme d’évitement de l’investissement que le rapport dialectique égalité-diversité requiert » (Bauer et Borri-Anadon, 2021, p. 48).

Les lignes diagonales, quant à elles, sont identifiées dans le carré dialectique de la différence culturelle par les auteures comme les lignes du développement. Leur fonction est de montrer par la formation, dans une démarche réflexive, le chemin à prendre pour contrebalancer les exagérations de l’une ou l’autre des valeurs par la tension positive. Ainsi,

fonder la formation interculturelle des professionnel.le.s sur le carré dialectique permet de créer les conditions pour un débat constructif qui permet de s’extraire des positions exagérées antagonistes et de concevoir l’interculturalité comme une tension positive entre les valeurs d’égalité et de diversité.

Ogay et Edelmann, 2011, p. 61

Le carré dialectique de la différence culturelle développé par Ogay et Edelmann (2011) nous sert d’outil théorique pour analyser les pratiques enseignantes que nous avons documentées auprès des élèves et de leurs parents. Il nous permet de comprendre comment la différence culturelle y est prise en compte en mettant en évidence les tensions qu’elles révèlent.

La démarche méthodologique

La collecte des données de cette thèse s’est déroulée entre avril et septembre 2021, dans une école primaire publique dans la région sud du Brésil. L’échantillon était composé de trois enseignant.e.s, qui avaient des élèves haïtien.ne.s dans leur salle de classe depuis au moins trois ans; de quatre parents d’élèves haïtien.ne.s qui ont été choisis en fonction de leur proactivité dans l’implication parentale, selon notre observation et l’orientation des enseignant.e.s, et de 13 élèves haïtien.ne.s âgé.e.s de 7 à 13 ans régulièrement inscrits à l’établissement scolaire. Parmi ces élèves, deux sont né.e.s en République dominicaine et les autres sont né.es en Haïti. Ils.elles ont émigré au Brésil avec leurs parents et ont séjourné dans d’autres pays pendant leur expérience migratoire.

Instruments de collecte des données

Trois types d’instruments ont été utilisés pour la collecte de données. Des entretiens semi-dirigés d’une durée d’environ 60 minutes ont été réalisés avec les enseignant.e.s et les parents. Les thèmes abordés dans les entretiens avec les enseignant.e.s étaient les suivants : accueil et intégration scolaire des élèves migrant.e.s, système de soutien scolaire aux élèves et aux parents, enjeux linguistiques et pédagogiques. Les thèmes des entretiens des parents étaient : l’expérience socio-migratoire, accompagnement parental, perception sur le milieu scolaire et identité culturelle.

La méthode de l’expression de l’identité par l’art (Beauregard et al., 2017) a été utilisée pour recueillir les données auprès des enfants. La création artistique constitue une ressource efficace pour travailler avec les enfants sur leur identité en contexte migratoire (Beauregard et al., 2017). En effet, les symboles de la production artistique de l'enfant sont des indications de ses identifications vécues ainsi que de ses émotions et cette dynamique est enrichissante pour comprendre le contexte interculturel dans lequel l’enfant se trouve (Beauregard et al., 2018). Nous avons réalisé un atelier de groupe de 3 heures en milieu scolaire avec les élèves. Les enfants ont réalisé des dessins sur la mémoire de leur expérience migratoire dans un premier temps. Dans un second temps, nous les avons écoutés commenter et interpréter leur production. Les catégories les plus présentes dans les productions artistiques des enfants étaient des drapeaux d’Haïti et du Brésil; des maisons colorées en bleu, rouge, vert, jaune; et des arbres. Ces catégories ressorties sont le reflet de l’expression et de la transformation identitaire en termes de parcours migratoire, l’entrejeu du pays d’accueil et d’origine que vivent ces enfants. Cet exercice a mis en évidence un besoin de se reconnecter à la culture d’origine, symbolisée par des thèmes comme maison, drapeau, etc. (Beauregard, 2019).

Des données ont aussi été recueillies par une observation participante informelle dans les milieux communautaires pendant environ 4 ans de manière non-continue parce que le chercheur, aussi originaire d’Haïti, réalise ses recherches depuis 2016 dans ce même contexte. Nous avons participé à beaucoup d’activités communautaires, religieuses et culturelles avec les familles de la région. De ce fait, notre arrivée à l’école au Brésil comme chercheur et originaire du même pays que les élèves et les parents a été accueillie à bras ouverts par les enseignant.e.s qui voulaient nous faire part de leurs défis au quotidien, afin de trouver des solutions ensemble. Ce contexte de réalisation de la recherche a débouché sur un rôle du chercheur/médiateur culturel entre l’école et les familles qui s’incarne dans la dimension d’action de la recherche collaborative « qui part du principe que c’est par l’action que l’on peut générer des connaissances scientifiques utiles pour comprendre et changer la réalité sociale des individus et des systèmes sociaux » (Roy et Prévost, 2013, p. 129).

Notre positionnalité dans la recherche comme médiateur culturel nous a permis de jeter un regard plus profond sur certaines pratiques dans le quotidien des parents et des élèves haïtien.ne.s. Nous nous inspirons de l’approche méthodologique de Gilberto Velho (2013) pour nous distancer des pratiques familières et nous familiariser avec d’autres, plus distantes de notre réalité afin de mener la recherche. Nous regardons cette posture dans la recherche autant comme une limite que comme une possibilité d’approfondir le phénomène étudié.

C’est ainsi qu’à partir d’une analyse progressive des données recueillies (Paillé, 1994) depuis les premiers entretiens avec les enseignant.e.s, nous avons élaboré et développé un portrait interculturel de l’école concernant les pratiques enseignantes. De concert avec le secrétariat de l’éducation municipale, nous avons réalisé une journée de formation pour environ 50 enseignant.e.s du réseau municipal de toutes les écoles primaires de la ville où l’étude a été réalisée. L’objectif était d’initier ces enseignant.e.s sur la pensée de la complexité dans le sens de Morin (1990) pour aborder la différence culturelle dans le milieu scolaire. Nous avons aussi recueilli des données d’analyse plus larges lors des discussions avec les enseignant.e.s sur les défis de leur pratique.

Nous avons retranscrit et codé manuellement par thème les fichiers audios. Un premier regard sur les données recueillies auprès des enseignants nous a permis de répondre aux questions suivantes : quels sont les enjeux et les défis dans les pratiques enseignantes pour prendre en compte la différence culturelle des élèves haïtien.e.s et leurs parents? Et comment les enseignant.e.s procèdent pour y faire face? Un deuxième regard a permis de documenter les stratégies des parents dans la relation école-famille et d’identifier les tensions soulevées dans cette relation. À l’appui de Kleiber (1990), nous faisons le choix de présenter dans cet article trois des catégories de notre analyse thématique que nous considérons représentatives pour comprendre les pratiques enseignantes auprès des élèves haïtien.e.s et leurs parents dans le contexte étudié. L’interprétation de ces trois catégories est faite à la lumière de notre cadre théorique.

Présentation et analyse des résultats

L’analyse du corpus d’entretiens semi-dirigés réalisés avec les enseignant.e.s et les parents nous a permis de relever trois éléments de catégorisation pour présenter les pratiques enseignantes que nous abordons successivement. Ces résultats sont présentés et analysés au fur et à mesure afin de faciliter une meilleure interprétation et une compréhension plus fine du contexte étudié.

« La bonne intention » moteur des pratiques enseignantes

D’abord, nous avons constaté que la prise en compte de l’interculturalité causée par la croissance migratoire n’est pas une priorité définie et orientée dans les politiques institutionnelles, bien qu’au moment de la réalisation de la recherche, environ 70 élèves d’origine haïtienne étaient régulièrement inscrit.e.s dans 13 écoles primaires du réseau municipal. Dans l’absence d’orientations sur l’éducation interculturelle, nous avons rencontré des enseignant.e.s sensibles à la question de la diversité, mais qui malheureusement ne savent pas comment faire :

Je suis toujours très inquiète avec cette situation, des fois je n’arrive pas à dormir. Maintenant tu viens effectuer ta recherche au bon moment. Nous avons vraiment besoin d’une stratégie pour gérer les enfants, surtout ceux qui sont déjà en deuxième et troisième année. Ceux qui sont en première année, encore en phase d’alphabétisation ne représente pas trop de problèmes … comment favoriser l’apprentissage pour les élèves haïtiens, c’est quelque chose qui nous inquiète beaucoup et tous les jours, malheureusement nous ne savons pas … Nous nous soucions de tous les élèves!

Enseignant.e 1[3]

Cet extrait traduit l’absence d’orientation institutionnelle clairement démontrée, laissant ainsi aux enseignantes la liberté d’intervenir en fonction de leur sensibilité aux enjeux interculturels en se basant sur de « bonnes intentions ». D’autres extraits ont montré la sensibilité des enseignant.e.s et leur première tentative pour intervenir sur la situation interculturelle présente :

Au début ça a eu un impact sur nous. On a téléchargé une application pour commencer à apprendre le français, puis on s’est rendu compte que ce n’était pas tout à fait ça non plus, c’était le créole leur langue maternelle … on ne savait pas quoi faire … oh Mon Dieu! Et maintenant? Qu’est-ce qu’on va faire? On commence à poser beaucoup de questions. Les élèves vont-ils.elles parler le portugais? Quand? Et comment? Finalement on a vu qu’on a besoin seulement de bien les gérer en salle de classe et les résultats s’en viennent.

Enseignant.e 2

S’il est vrai que l’intention de départ est bonne dans cet extrait, on peut aussi dire que cette « bonne intention » vise à invisibiliser la différence culturelle dans le milieu scolaire. En considérant que cette posture « de faire une bonne gestion des élèves dans la salle de classe » peut également impliquer une négligence des différences culturelles, notamment en ce qui concerne la langue maternelle des élèves qui est souvent marginalisée.

La prise en compte des langues et des cultures d’origine des élèves ainsi que des relations école-famille-communauté ont une influence importante sur la persévérance et la réussite scolaires des élèves issu.e.s de l’immigration (Mc Andrew, 2015). Cette non-reconnaissance par ces enseignant.e.s traduit une entrave pour ce processus.

Nous avons aussi constaté que certaines pratiques enseignantes dénotent une position hégémonique dans la création de frontières ethnoculturelles entre les enseignant.e.s et les élèves et leurs parents.

Marqueurs des frontières entre nous (enseignants)/eux (élèves et parents migrants)

Dans la relation enseignant.e/apprenant.e, certaines valeurs, comme le rapport au temps, au corps, les croyances religieuses, les fonctions parentales, etc., sont considérées comme des zones sensibles. Toute remise en question de ces images-guides construites peut susciter des chocs culturels (Ogay, 2017). Les résultats analysés nous ont permis de voir comment les rapports de genres et des valeurs telles que la protection de l’enfance et la conception de la famille, ont servi de marqueurs des frontières entre les enseignant.e.s et les parents d’élèves haïtien.ne.s dans le contexte étudié et alimentaient aussi des tensions entre la famille et l’école. Ces tensions sont le résultat d’une incompréhension et d’une résistance réciproques de la part des deux interlocuteur.trice.s en question avec des références culturelles différentes. L’analyse nous a permis de voir comment ces marqueurs ont été mobilisés par les enseignant.e.s dans le processus de l’altérisation des familles haïtiennes ainsi que les stratégies de résistance de ses parents qui devenaient une cible pour l’école.

La première tension était sur l’usage de la discipline sévère à l’école. L'école haïtienne accorde beaucoup d’importance à l’encadrement strict et à la discipline des enfants; l’apprentissage dans la salle de classe est lié à la discipline (Kabasele-Ntumba, 2015) et cette conception est présente chez certaines familles haïtiennes qui ont participé à cette recherche.

Depuis 2001, l’usage de la discipline sévère est interdit en Haïti par la loi interdisant les châtiments corporels. Cependant, cette interdiction légale n’a pas pour autant complètement mis fin à ces pratiques dans le milieu scolaire et familial (Louis, 2019). Les réflexions de Louis (2019) mettent en évidence la complexité qui existe dans l’usage du châtiment corporel dans les familles. Selon l'auteure, aujourd'hui le phénomène n'est pas généralisé, et certaines écoles et familles ne font pas usage du fouet pour élever les enfants. Toutefois, toujours d’après Louis (2019), ce phénomène longuement ancré ne peut pas disparaître du jour au lendemain. Ainsi, certaines familles haïtiennes ont amené cette pratique dans l’éducation de leurs enfants au Brésil et l’utilisation de cette méthode disciplinaire a servi de stéréotype pour caractériser les parents d’élèves haïtien.ne.s :

Je vois des parents traiter leurs enfants avec beaucoup de violence … les parents disent aux enfants, si vous ne faites pas telle chose je vais vous punir. Ainsi, les enfants finissent par perdre toute motivation à apprendre lorsqu’ils viennent à l’école, car ils apprennent par peur. … c’est une pratique presque générale entre toutes les familles que j’ai déjà rencontrées.

Enseignant.e 2

Cet extrait exprime une généralisation faite par l’enseignant.e qui ne tient pas compte de la diversité des expériences des familles haïtiennes. Cette généralisation constitue un stéréotype, car elle prend une expérience spécifique et l’applique à l’ensemble du groupe. Dans les entretiens réalisés avec les parents d’élèves, ils ne perçoivent pas cette méthode disciplinaire comme de la violence. On a constaté que les parents se justifient à eux-mêmes leur pratique en raison du laxisme que représente l’école dans leur représentation. Certains parents voient l’école comme une entité qui les surveille trop et qu’à la maison ce sont les règles des parents qui doivent être priorisées et non celles de l’école. Il faut dire que certaines pratiques punitives des parents ne sont acceptables ni socialement ni légalement, et qu’il faudrait beaucoup de sensibilisation auprès de ces familles pour les en convaincre.

Un autre aspect souligné qui représente un choc culturel est la conception du respect vertical entre parent/enfant, enseignant.e/élève et enseignant.e/parent. Les enseignant.e.s avaient du mal à comprendre ce qu’ils.elles appellent le respect de l’autorité que démontrent les parents envers eux.elles, et le rapport de l’enfant envers ses parents. Les propos des parents nous ont permis de confirmer un aspect fondamental dans la culture haïtienne sur la question du respect de l’autorité et du respect des personnes aînées dans la culture haïtienne. Dans les extraits analysés, nous avons constaté que la conception de l’enfance est différente pour l’école et pour les parents. En Haïti, il existe une conception populaire de l’enfance très répandue dans des proverbes, considérant l’enfant comme un être non rationnel. Un enfant doit obéir à l’autorité de ces parents. Il existe une forte relation de dépendance entre enfant et parent, tandis que le milieu scolaire était plus dans la conception libérale de l’enfant comme un être à part entière, avec sa propre rationalité, différente celle d’un adulte. Pour ces parents, un enfant qui n’obéit pas remet en question leur autorité naturelle comme parent; c’est même un échec pour leur fonction parentale.

Les enseignant.e.s sont choqué.e.s par cette relation verticale entre les élèves et leur parent, tandis que les parents sont tout autant choqué.e.s par la relation horizontale que les enseignant.e.s veulent construire avec les élèves. Les parents considèrent ces attitudes comme un handicap pour l’apprentissage et l’espace scolaire est caractérisé par son laxisme dans certains extraits. Dès lors, ces familles font preuve d’une plus grande fermeté envers leurs enfants afin de contrebalancer le laxisme qu’elles perçoivent à l’école.

Les dynamiques de genre et de parentalité ont aussi provoqué des tensions entre les écoles et les parents d’élèves haïtien.ne.s. La complexité des rôles parentaux est influencée par les circonstances migratoires de ces familles, nécessitant parfois un accord mutuel pour définir ces rôles. En revanche, dans le contexte scolaire, ces dynamiques sont perçues comme une dominance des hommes haïtiens sur les femmes :

Je vois que les hommes interagissent plus avec l’école que les femmes. Il y a peu de femmes qui viennent ici, ce sont toujours les hommes qui sont au front pour venir chercher quelque chose, dire quelque chose. Donc, je ne sais pas si c’est une question culturelle, que ces femmes ont toujours besoin d'être soumises, qu’elles jouent toujours un rôle à la maison et que le père se charge de la situation ou si elles ne viennent pas parce qu’elles ont du mal à parler portugais. C’est un aspect qu’on peut travailler avec eux, à l’école on apprend aux filles déjà des notions d’égalité de genre entre homme-femme.

Enseignant.e 3

Dans cet extrait, l’enseignant.e a tendance à généraliser une situation de soumission chez toutes les femmes haïtiennes, suggérant un besoin de protection. Dans le contexte de migration au Brésil, il est observé que certaines attitudes patriarcales persistent chez les hommes migrants haïtiens envers les femmes, reflétant la structure patriarcale de la société haïtienne (Mahotière, 2008; Toussaint, 2011). Cette situation est influencée par deux facteurs principaux. Premièrement, il y a une résistance continue de certains hommes haïtiens à l’émancipation des femmes. Deuxièmement, cette domination est étroitement liée aux conditions spécifiques de la migration haïtienne au Brésil, notamment l’historique de masculinisation de cette migration liée aux types d’emplois précaires et physiquement exigeants dans la construction et l’industrie brésilienne (Cavalcanti et al., 2015). Les conditions de migration au Brésil, notamment en matière d’emploi, limitent l’autonomie économique des femmes, essentielle à leur émancipation. Ainsi, cette présence plus fréquente des hommes dans le milieu scolaire peut s’expliquer à la fois par des facteurs personnels et par ailleurs des facteurs liés aux conditions objectives de la migration.

Les enseignant.e.s ont aussi du mal à comprendre la conception élargie de famille qu’apportent les parents d’élèves à l’école. L’implication parentale haïtienne repose sur une dimension communautaire. Durant la recherche nous avons constaté la présence de cette conception de famille élargie avec la dimension de solidarité communautaire « nous sommes une famille ici » nous a lancé un parent d’élève. En Haïti, la notion de famille est caractérisée par des liens de parenté et d’affinité : vwazinaj se fanmi (les voisins sont de notre famille) comme dit le dicton populaire haïtien. Une telle affirmation reflète le pouvoir élargi de la conception de famille en Haïti et toute la solidarité qui vient avec (Marcelin 2005; Bastien 1961). Cette représentation élargie de la famille a alimenté le choc entre la conception qu’ont les enseignant.e.s d’une famille nucléaire, où les pères et mères sont les seules autorités légitimes pour entrer en communication avec l’école. Face à cette incompréhension, certains parents ont été vus comme des parents démissionnaires par rapport à l’accompagnement scolaire de leurs enfants. Tandis que pour ces parents, c’est une question de partage de responsabilité communautaire avec ceux et celles qu’ils considèrent faisant partie de leur famille. Par exemple, beaucoup de situations ont été signalées par les enseignant.e.s à l’effet que certains parents ne viennent pas chercher les devoirs des enfants ou ne participent pas aux réunions, alors que nous avons observé que les parents se sont organisés entre eux pour faire une répartition des tâches. Nous avons pu observer aussi que la conception de la famille élargie est une stratégie d’intégration pour ces familles qui construisent des réseaux de solidarité pour se soutenir l’une l’autre. Dans ces réseaux familiaux à base communautaire, les partages d’informations sur les services publics, les emplois ou l’aide linguistique sont fréquents. Et si l’implication parentale est clairement documentée au Brésil, en Haïti la relation famille-école est pensée autrement dans les politiques d’éducation. Donc, culturellement, cette nouvelle façon pour les parents de s’impliquer activement à l'école est distante de leur réalité culturelle.

Un point important des résultats concerne la question d’un apprentissage équitable pour tous les élèves en classe. Cette approche fait en sorte que les enseignant.e.s ne tiennent pas compte du bagage antérieur des élèves d’origine haïtienne. Cette omission représente une négligence de l'expérience socio-éducative des élèves, qui inclut des facteurs scolaires, psychologiques, affectifs et sociaux liés à leur parcours scolaire (Charette et Kalubi, 2016).

Un des éléments marquants de l’expérience socio-scolaire des enfants haïtien.ne.s est leur passage bref dans divers systèmes scolaires sans avoir de référence définie. Généralement les parents haïtiens avant d’arriver au Brésil ont déjà transité par plusieurs autres pays dans les Caraïbes, ou dans l’Amérique centrale et du Sud. Ce parcours atypique représentait un défi pour les enseignant.e.s qui ne savent pas à partir de quel système de référence insérer ces enfants, puisqu’ils.elles en ont connu plusieurs, et ceci de façon provisoire. C’est ainsi que l’unique critère utilisé par les enseignant.e.s pour répartir les élèves était la question de l’âge, malgré la résistance des parents qui exigent que les enfants soient scolarisé.e.s en fonction de leur niveau d’alphabétisation et non de leur âge. Dans ce rapport de pouvoir, c’est la décision des enseignant.e.s qui s’applique puisqu’elle est institutionnelle. Ce manque de négociation a créé beaucoup de situations d’échec scolaire puisque certain.e.s élèves présentaient de grands retards. Dans leur effort d’explication, certains enseignant.e.s ont adopté une approche de culturalisation, attribuant les difficultés d’apprentissage des élèves à leur appartenance à une autre culture et à leur compréhension limitée du portugais, la langue d’apprentissage. Ce constat fait écho à des résultats québécois qui montrent que beaucoup de membres du personnel scolaire portent un regard marqué par des tensions et des préjugés sur les familles immigrantes. (Archambault et al., 2019). Malgré ces tensions, en général, les familles interrogées ont une perception positive de l'école. Les parents voient en l’école un moyen de mobilité sociale pour leurs enfants. Certains louent la patience des enseignant.e.s brésiliens qui aident leurs enfants dans leur apprentissage scolaire.

La culturalisation des élèves haïtien.ne.s et de leurs parents

Les résultats de la recherche nous ont permis de raviver l’éternel débat souligné par Ogay et Edelmann (2011) sur les risques d’une exagération d’un côté ou de l’autre dans la manière de prendre en compte les différences culturelles dans le milieu scolaire. Ainsi, d’un côté, certaines exagérations de la valeur de l’égalité mise en valeur par les enseignant.e.s ont conduit à l’indifférence des particularités des élèves migrant.e.s haïtien.ne.s. D’un autre côté, les tentatives de prendre en compte leur diversité ont conduit à un stéréotype réducteur de ces élèves à partir de leur culture d’origine. Cette dernière posture a été constatée dans les interventions qui visent à combler les retards de l’apprentissage scolaire de ces élèves. Dans cette tentative où « la culture est utilisée pour accuser ou excuser les comportements des apprenants » (Lemoine et Trémion, 2017, p. 89), les enseignant.e.s ont d’abord réduit toute la question de l’apprentissage à une question de maîtrise de langue portugaise. Ils.elles ont créé une typologie d’élèves qui réussissent mieux à l’école – ceux.celles qui parlent bien le portugais contre ceux.celles qui ne le parlent pas bien et qui sont en retard scolaire. Donc, pour les enseignant.e.s, la langue maternelle de ces élèves représente un problème pour l’apprentissage; elle est en conflit permanent avec le portugais et empêche l’apprentissage de l’enfant.

Les enseignant.e.s ont aussi en quelque sorte créé un profil de famille bénéfique pour l’accompagnement scolaire de leur enfant. Les familles dotées d’un certain capital (social, culturel, économique, symbolique) dans le sens de Bourdieu (1979), font une différence énorme pour l’apprentissage. Ces capitaux les plus fréquents sont la maîtrise de la langue portugaise, le niveau de scolarisation des familles, une meilleure interaction sociale, avoir un.e enfant plus âgé.e déjà scolarisé.e dans le système scolaire brésilien maîtrisant la langue, etc. Pour les enseignant.e.s, les élèves les plus performant.e.s à l’école sont ceux qui ont des parents qui détiennent ces capitaux.

Cette tentative des enseignant.e.s, en plus de réduire la question de l’apprentissage à une question d’intégration, ne remet pas en question leurs pratiques. D’ailleurs, il est important de souligner aussi que c’est la vision institutionnelle du secrétariat municipal de l’éducation qui, au cours des années de recherche, a institué trois programmes d’apprentissage de langue portugaise pour les élèves haïtien.ne.s et leurs parents. En revanche, nous n’avons pas repéré de formations destinées à développer des compétences interculturelles et inclusives à l’école pour le personnel scolaire.

Les élèves eux-mêmes remettent en question la formation des enseignant.e.s en interculturalité. Une enseignante a noté une caractéristique particulière des élèves d'origine haïtienne : leur curiosité en classe. Elle a observé que les élèves haïtien.ne.s aiment comparer Haïti et le Brésil lors des activités de classe. Pour nous, cette attitude constitue une affirmation de leur identité et de leurs différences, manifestant une résistance aux pratiques enseignantes assimilationnistes et revendiquant la reconnaissance de leur histoire et expérience socio-migratoire en classe[4].

Discussion conclusive

Nous avons constaté que la « bonne intention », qui est le moteur des pratiques enseignantes, a créé des situations problématiques dans la prise en compte de la différence culturelle des élèves haïtien.ne.s dans le milieu scolaire étudié. Cette bonne volonté initiale se traduit aussi par le chemin alternatif de surcompensation emprunté par les enseignant.e.s pour appréhender la différence culturelle.

Les extraits nous ont montré que la langue maternelle de ces enfants occupe une place marginale dans le contexte scolaire. Dans les premiers contacts, leur langue maternelle était ignorée et confondue avec le français par les enseignant.e.s brésilien.ne.s. On dénotait une volonté initiale des enseignant.e.s d’apprendre la langue maternelle des élèves. Cependant, en constatant que la langue maternelle est le créole et non le français, ils.elles ont abandonné ce désir d’apprendre la nouvelle langue. Nous attribuons cette attitude des enseignant.e.s à une forme de hiérarchisation des langues où le français à un poids symbolique plus important sur le marché linguistique que le créole haïtien. Cela trahit aussi une forme de négligence de la part de ces enseignant.e.s de l’expérience socio-scolaire de ces élèves et de leurs parents et une exagération dans le traitement dit égalitaire des élèves dans la salle de classe.

Ainsi, la posture de « faire la bonne gestion de la salle » développée par les enseignant.e.s révèle une position hégémonique d’assimilation pour lutter contre ce marqueur linguistique. C’est cette position de marginalisation de la langue de ces élèves qui aura des impacts sur la formation identitaire de ces enfants. En considérant que « l’institution scolaire joue un rôle fondamental dans la manière dont l’enfant immigrant façonne son identité. L’école est un lieu où il acquiert des connaissances et des compétences en vue d’intégrer le marché du travail, mais aussi un lieu où il apprend à vivre en société tout en développant sa propre identité » (Beauregard et al., 2018, p. 25), l’enfant constate très tôt dans ce contexte que sa langue est marginalisée.

Nous avons constaté que les tentatives de prendre en compte leur diversité ont aussi conduit à une sorte de culturalisation de ces élèves, surtout quand il s’agit pour les enseignant.e.s d’expliquer les retards scolaires. Le marqueur linguistique sur la langue maternelle est mis de l’avant pour accuser et s’excuser face à la réalité constatée.

Les pratiques enseignantes présentées et rencontrées dans le cadre de cette recherche nous font comprendre qu’il y a une urgence pour le changement de paradigme dans ce milieu scolaire. Cette nouvelle manière d’enseigner gagnerait à être inspirée des réflexions de Potvin et al. (2015) sur les ajustements des pratiques enseignantes pour agir de manière équitable et efficace dans un contexte de diversité, et des démarches réflexives du carré dialectique de la différence culturelle de Ogay et Edelmann (2011).

Cette urgence pour l’ajustement des pratiques enseignantes afin de mieux appréhender la différence culturelle pourrait aussi s’inspirer des trois axes proposés par Mc Andrew et collaborateurs (2015); c’est-à-dire la construction d’une représentation complexe et non ethnicisante des élèves issu.e.s de l’immigration, le développement d’une conscience aiguë du rôle des dynamiques systémiques et scolaires dans leur réussite et la reconnaissance de l’apport des langues et des cultures d’origine ainsi que des familles issues de l’immigration (p. 295).

En conclusion, l’étude révèle que, malgré les « bonnes intentions », les pratiques enseignantes tendent vers deux extrêmes : d'un côté, une exagération du principe d'égalité conduisant à ignorer les différences culturelles en matière de genre, de protection de l'enfance et de fonctions parentales et, de l'autre, une tendance à reconnaître la diversité qui mène à une culturalisation des élèves et de leurs parents. Les résultats ont ainsi soulevé plusieurs moments de tensions dans la relation école-famille découlant des incompréhensions culturelles et à des enjeux structurels du système scolaire brésilien qui est encore dans une phase embryonnaire sur la prise en compte des marqueurs de la diversité liés à la croissance migratoire du point de vue législatif.

La recherche met en lumière qu’un changement de paradigme est nécessaire dans les écoles brésiliennes pour mieux gérer la diversité culturelle. Cela nécessite un ajustement des pratiques enseignantes basées sur des compétences interculturelles et inclusives (Potvin et al. 2015).

Bien que la taille de l’échantillon nous ait permis de recueillir des données importantes pour analyser le phénomène, cette recherche ne peut cependant pas prétendre être représentative de l’ensemble de la population. À cet égard, la poursuite de recherches pour comprendre les défis et les enjeux du paradigme inclusif de l’éducation interculturelle au Brésil devient incontournable.