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1. Introduction

Au cours des 25 dernières années, la collaboration avec des collègues internationaux·ales se remarque de plus en plus au Canada, surtout en raison de la présence accrue des communautés étudiantes et professorales étrangères en recherche (Bond et Lemasson, 1999; Link, 2019). Cette collaboration a longtemps été le résultat du réseautage entre chercheur·euse·s lors de congrès, de colloques ou de tout autre événement à caractère scientifique. Aujourd’hui, ce travail collaboratif se multiplie compte tenu de la reconnaissance croissante des perspectives mondiales et du désir de contribuer au développement des connaissances à l’échelle internationale (Association of Universities and Colleges of Canada [AUCC], 2014; Witze, 2016). Dans le cadre de cette recherche, nous tentons de comprendre les éléments qui mènent les professeur·e·s universitaires canadien·ne·s à établir des collaborations avec des collègues internationaux·ales et à matérialiser ces collaborations au moyen de publications coécrites avec celles et ceux-ci. Ces chercheur·euse·s qui collaborent à l’échelle mondiale sont ceux et celles qui ont le plus de chances de concrétiser ces collaborations par la coécriture de publications avec des collègues internationaux·ales, ce qui a un impact positif sur la production de recherche (Antelo, 2012; Frølich, 2008; Mohrman et al., 2008). Or, il est suggéré que leurs caractéristiques sociodémographiques pourraient exercer une influence à la fois sur leur propension à collaborer internationalement et sur la proportion de publications coécrites avec des collègues internationaux·ales (Kwiek, 2018). Dans le texte qui suit, nous discutons du contexte ayant mené à ces hypothèses. D’abord, nous présentons quelques éléments historiques concernant le projet de recherche sur la Profession universitaire dans la société du savoir (ou Academic Profession in the Knowledge Society – APIKS) duquel sont tirés les résultats. Ensuite, nous décrivons les tests statistiques que nous avons utilisés afin d’examiner l’effet des caractéristiques sociodémographiques sur la collaboration et la coécriture de publications avec des collègues internationaux·ales. Finalement, nous discutons des résultats obtenus et des analyses que nous désirons effectuer ultérieurement afin de mieux comprendre la coécriture de publications avec des collègues internationaux·ales.

1.1 Collaboration avec des collègues internationaux·ales

Le concept de collaboration est polysémique dans les écrits scientifiques. Katz et Martin (1997) illustrent l’absence de consensus quant aux modalités régissant ce travail collaboratif dans les communautés de recherche de différents états, disciplines et établissements (Link, 2019). Pour certains chercheur·euse·s, la coécriture avec des collègues internationaux·ales est synonyme de collaboration (Link, 2019). Bien que la contribution varie selon l’auteur ou l’autrice, la coécriture serait le témoignage d’une collaboration entre chercheur·euse·s. Katz et Martin (1997) font l’hypothèse qu’une personne est incluse comme auteur ou autrice d’un article si la collaboration : (1) a eu lieu pour une grande partie de la recherche, (2) est spécifiée lors de la proposition de recherche originale et (3) implique la conception d’un ou plusieurs éléments de la recherche, ce qui a été vérifié quelques années plus tard (Laudel, 2002). Au sein de la communauté scientifique, il n’existe donc pas de consensus clair quant à la définition du concept de collaboration. Le terme utilisé varie selon la situation dans laquelle la collaboration est réalisée, notamment dans les contextes européens et canadiens.

En Europe, la collaboration avec des collègues internationaux·ales est fréquente dans la communauté scientifique depuis plusieurs décennies. Elle est pratiquée chez 63,8 % des professeur·e·s universitaires européen·ne·s, ce qui est plus élevé que la moyenne mondiale (Kwiek, 2018). Pour Kwiek (2018), ce travail collaboratif à l’international semble être influencé par plusieurs caractéristiques sociodémographiques, dont l’âge, la citoyenneté, le genre et la langue des chercheur·euse·s (Georghiou, 1998; Luukkonen et al., 1992). Concernant l’âge, Bozeman et Boardman (2014) écrivent que celles et ceux de moins de 45 ans collaboreraient 40 % plus en recherche que les personnes de 45 ans et plus. Cet écart peut s’expliquer par la nécessité croissante de collaborer afin d’établir sa carrière universitaire et, ultimement, l’obtention de la titularisation (Bozeman et Boardman, 2014). Concernant la citoyenneté, des études suggèrent que les professeur·e·s qui sont originaires d’autres pays que celui de résidence ont plus tendance à collaborer à l’échelle planétaire (Melkers et Kiopa, 2010; Scellato et al., 2015). En lien avec le genre, Rostan et al. (2014) indiquent que les chercheurs semblent significativement plus contribuer à l’international que les chercheuses, surtout en raison des attentes familiales et sociétales envers les femmes. Cependant, peu d’études similaires, sauf celle de Metcalfe (2008), ont été effectuées au Canada et encore moins de chercheur.euse.s ont étudié la correspondance entre la province, les caractéristiques sociodémographiques, la collaboration et la coécriture de publications avec des collègues internationaux·ales. D’autres variables restent à considérer, notamment le contexte fédératif canadien et la diversité des expériences interprovinciales (Eastman et al., 2019). Ajoutons à cela les contextes disciplinaires qui exercent une influence sur la propension et les motivations à collaborer, de même que sur les formes que peut prendre cette collaboration (Larivière et Sugimoto, 2018).

L’une des particularités du Canada réside dans l’organisation du financement de la recherche universitaire. L’un des critères communs à la majorité des universités canadiennes, à l’exception de celles qui sont privées, est qu’elles sont largement soutenues par les fonds publics (Nentwich, 2016). C’est le gouvernement fédéral qui contribue en plus grande partie au financement de la recherche dans les institutions universitaires canadiennes (Fisher et Rubenson, 2010; Gingras, 2016). À diverses proportions, les gouvernements provinciaux et municipaux participent au financement des institutions universitaires sur leur territoire, en particulier pour le financement du fonctionnement, des immobilisations et des frais indirects engendrés par la recherche universitaire (Pakravan, 2006). Conséquemment, les expériences des professeur·e·s universitaires varient considérablement d’une province à l’autre (Sá, 2010). Alors qu’en Europe, ce type d’études est plus fréquent, peu d’écrits scientifiques au Canada se sont penchés sur les liens entre les perceptions des professeur·e·s par rapport à leurs activités de recherche et d’enseignement ainsi que leurs caractéristiques sociodémographiques, telles que l’âge, la citoyenneté, le genre, la langue et la scolarité de leurs parents. Selon Gopaul et ses collègues (2016), les disparités interprovinciales peuvent être la raison pour laquelle l’accent est davantage mis sur les expériences institutionnelles et provinciales plutôt qu’individuelles dans la recherche.

1.2 Objectifs de recherche

À la lumière de cette recension d’écrits, il est pertinent d’analyser l’effet des caractéristiques sociodémographiques des professeur·e·s universitaires canadien·ne·s sur la collaboration et la coécriture de publications avec des collègues internationaux·ales. Puisque ces variables n’ont pas été étudiées dans un contexte canadien, particulièrement en prenant les disparités interprovinciales en compte, nos objectifs de recherche sont d’observer :

  1. La correspondance entre des caractéristiques sociodémographiques (âge, genre, citoyenneté, scolarité des parents, langue et province) et la coécriture de publications avec des collègues internationaux·ales, et;

  2. La correspondance entre la propension à collaborer avec des collègues internationaux·ales et la proportion de publications coécrites avec celles et ceux-ci.

2. Méthodologie

Le présent article, qui s’inscrit dans le cadre de la section canadienne du projet APIKS, fait suite au projet sur l’évolution de la profession universitaire (Changing Academic Profession – CAP). En plus d’inclure des questions relatives aux portraits sociodémographiques des participant·e·s, ces deux projets s’intéressent aux perceptions des professeur·e·s universitaires quant à leurs tâches professorales, leurs conditions de travail, leur niveau de satisfaction professionnelle et leurs activités de recherche et d’enseignement. D’abord administrée en 2007 dans 18 pays afin de comprendre les expériences et les perspectives de la communauté professorale universitaire à travers le monde (Stephenson et al., 2018), l’étude CAP avait pour objectif de collecter des données en lien avec les systèmes d’enseignement supérieur et ses membres. Les données obtenues à partir du projet CAP ont donné lieu à plus d’une douzaine de publications (p. ex., Stephenson et al., 2017; Weinrib et al., 2014), permettant l’avancement des connaissances scientifiques concernant les expériences professionnelles et les influences du financement universitaire sur les membres facultaires à l’échelle nationale et internationale (Gopaul et al., 2016).

2.1 Academic Profession in the Knowledge Society (APIKS)

Depuis l’étude CAP, plusieurs changements dans les établissements universitaires ont pu être observés, notamment en ce qui concerne l’internationalisation (Link, 2019) et la prévalence croissante de membres émergents dans la communauté scientifique (p. ex., femmes, personnes issues de minorités visibles) (Kwiek, 2018). Cette évolution a mené à la création du projet APIKS dans lequel cette étude s’inscrit. APIKS a pour but d’explorer les divers changements à la profession professorale ainsi que les contributions de ses membres dans le développement de la société du savoir (Jacob et al., 2020). Ce projet d’envergure internationale compte plus de 30 pays participants, dont le Canada, et traite des principaux enjeux suivants : (1) carrière et situation professionnelle, (2) situation générale au travail et activité, (3) enseignement, (4) recherche, (5) activités externes, (6) gouvernance et gestion, (7) universitaires en début de carrière et (8) informations personnelles. Ces enjeux forment l’essentiel des sections des questionnaires de 51 items distribués par voie électronique dans les universités canadiennes.

Dans le cadre de cet article, nous utilisons les données recueillies par le projet APIKS afin d’analyser la collaboration et la coécriture de publications avec des collègues internationaux·ales de professeur·e·s universitaires canadien·ne·s. Nous mettons l’accent sur les enjeux associés à la recherche et les informations personnelles, plus particulièrement sur les caractéristiques sociodémographiques. Elles comprennent : l’âge (calculée à partir de l’année de naissance déclarée), la citoyenneté (canadienne ou non), le genre (homme ou femme), la langue dans laquelle le questionnaire a été répondu (anglais ou français), la province (déterminée lors de la réception du questionnaire) et le plus haut niveau de scolarité atteint par le père et la mère. Entre octobre 2017 et juin 2018, 2968 professeur·e·s francophones et anglophones dans 64 universités canadiennes ont rempli le questionnaire, pour un taux de réponse de 9,25 % (Stephenson et al., 2018).

2.2 Questions de recherche et tests statistiques

Afin d’atteindre nos objectifs, nous proposons plusieurs questions de recherche. Au moyen de ces questions, nous désirons déterminer la force et la direction de l’effet des caractéristiques sociodémographiques sur le pourcentage des publications scientifiques qu’un·e professeur·e coécrit avec des collègues internationaux·ales.

Découlant de notre premier objectif, les deux questions de recherche sont :

1.1

Existe-t-il une correspondance entre la citoyenneté, le genre et la langue et la coécriture de publications avec des collègues internationaux·ales chez les professeur·e·s?

1.2

Existe-t-il une correspondance entre les moyennes des caractéristiques sociodémographiques et la coécriture de publications avec des collègues internationaux·ales pour les professeur·e·s?

Nous répondrons à la question 1.1 au moyen d’un test t à échantillons indépendants dans l’intention d’explorer les différences entre les moyennes des citoyen·ne·s canadien·ne·s ou non, des répondants et des répondantes francophones ou anglophones et ceux et celles ayant exprimé avoir coécrit des publications avec des collègues internationaux·ales au cours des trois dernières années. Nous répondrons à la question 1.2 au moyen du test statistique ANOVA à analyse univariée pour les variables de la province et la scolarité des parents afin d’observer la présence de différences entre les moyennes des répondant·e·s ayant indiqué qu’iels ont coécrit des publications avec des collègues internationaux·ales au cours des trois dernières années. Pour la variable de l’âge, nous répondrons à la question 1.2 au moyen d’une régression linéaire.

Pour le deuxième objectif en lien avec la correspondance entre la collaboration avec des collègues internationaux·ales et la coécriture de publications avec des collègues internationaux·ales, la question est :

  1. Existe-t-il une correspondance entre la variable de collaboration avec des collègues internationaux·ales et la variable de coécriture de publications avec des collègues internationaux·ales ?

Nous répondrons à la question a au moyen d’un test t à échantillons indépendants afin d’explorer les différences entre les moyennes des pourcentages de publications coécrites avec des collègues internationaux·ales au cours des trois dernières années par les répondant·e·s ayant noté qu’iels collaborent avec des collègues internationaux·ales et ceux et celles ayant indiqué qu’iels ne collaborent pas avec des collègues internationaux·ales. Nous observerons aussi la taille d’effet de la collaboration sur la coécriture de publications avec des collègues internationaux·ales.

2.3 Valeurs manquantes

Avant de procéder aux tests statistiques, nous avons identifié les variables pour lesquelles les données manquantes excédaient 5 %. Les caractéristiques « âge » et « coécriture avec des collègues internationaux·ales » avaient 23,40 % et 27,70 % de données manquantes. Nous avons inféré que la nature des données manquantes pour ces deux variables était due hasard suite au test de Little qui avait une valeur 0,047, ce qui est suffisant près de 0,05. Par conséquent, nous avons accepté l’hypothèse nulle selon laquelle les données manquent au hasard (“Missing At Random”; MAR). Une imputation multiple de cinq itérations a été effectuée pour ces deux variables. Les moyennes et les écarts-types de chacune de ces variables avant et après l’imputation ont été examinés et aucune différence n’a été notée. Bien qu’un test omnibus non paramétrique d’hypothèse MAR ne soit pas idéal en utilisant uniquement les données observées (Rhoads, 2012), cette méthode présente plus d’avantages que d’inconvénients comparativement à l’absence de traitement des données manquantes.

3. Résultats

Nous tentons d’observer l’effet des variables sociodémographiques sur la collaboration et la coécriture de publications avec des collègues internationaux·ales des professeur·e·s canadien·ne·s. Les deux variables dépendantes sont celles de la collaboration et de la coécriture de publications avec des collègues internationaux·ales. Les variables indépendantes sont celles de la citoyenneté, du genre, de la langue, de la province et du plus haut niveau de scolarité atteints par le père et la mère des répondant·e·s. Tel qu’illustré dans les tableaux 1 et 2 ci-dessous, un peu plus de la moitié des participant·e·s (52,10 %) collaborent et seulement 17 % ont coécrit avec des collègues internationaux·ales. Une majorité des répondant·e·s a répondu en anglais au questionnaire (59,0 %) et la plupart possèdent la citoyenneté canadienne (70,30 %). La proportion des genres dans notre échantillon est répartie de manière presque égale pour les hommes (38,80 %) et les femmes (39,00 %). Les répondant·e·s travaillaient, pour la plupart, en Ontario (25,00 %), au Québec (15,40 %) et en Alberta (11,80 %). Les répondant·e·s étaient moins nombreux à travailler à l’Île-du-Prince-Édouard (0,30 %), à Terre-Neuve-et-Labrador (0,60 %), en Saskatchewan (2,00 %) et en Nouvelle-Écosse (4,10 %). Les plus hauts niveaux de scolarité atteints par les parents des répondant·e·s sont principalement ceux de l’enseignement secondaire (pères à 23,20 %; mères à 31,60 %) et de l’enseignement supérieur (pères à 30,50 %; mères à 29,60 %).

Tableau 1

Statistiques descriptives des variables sociodémographiques catégorielles

Statistiques descriptives des variables sociodémographiques catégorielles

Tableau 1 (continuation)

Statistiques descriptives des variables sociodémographiques catégorielles

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Tableau 2

Statistiques descriptives des variables sociodémographiques continues

Statistiques descriptives des variables sociodémographiques continues

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3.1 Correspondance entre les caractéristiques sociodémographiques et la coécriture de publications avec des collègues internationaux·ales

Nous voulons savoir si une correspondance existe entre les caractéristiques sociodémographiques et la coécriture de publications avec des collègues internationaux·ales, nous réalisons des test t. Nous observons une différence significative entre les moyennes des répondantes (M = 12,80; SD = 24,22) et celles des répondants (M = 20,52; SD = 29,32) ayant indiqué le pourcentage de publications qu’iels ont coécrites avec des collègues internationaux·ales, t(1, N = 2724) = 7,74; p < 0,01. Nous rejetons donc l’hypothèse nulle selon laquelle les moyennes entre les groupes sont équivalentes. Toutefois, la taille d’effet du genre des répondant·e·s sur le pourcentage de publications coécrites avec des collègues internationaux·ales est de faible ampleur (η2 = 0,02), selon l’échelle proposée par Lakens (2013). Nous observons ainsi une différence significative et un effet du genre sur le pourcentage de publications coécrites avec des collègues internationaux·ales de faible ampleur.

Nous observons une différence significative entre les participant·e·s ayant répondu en français (M = 13,85; SD = 23,39) et ceux ayant répondu en anglais (M = 17,54; SD = 28,14), t(1, N = 2724) = - 3,50; p < 0,01. Nous rejetons ainsi l’hypothèse nulle selon laquelle les moyennes entre les groupes sont équivalentes. Toutefois, la taille d’effet de la langue des répondant·e·s sur le pourcentage de publications coécrites avec des collègues internationaux·ales est de très faible ampleur (η2 = 0,004) (Lakens, 2013). En ce sens, malgré que la différence soit significative, dans les faits, cette différence est de 3,69 points de pourcentage. Nous identifions une différence significative entre les moyennes des répondant·e·s canadien·ne·s (M = 15,74; SD = 26,53) et celles des non canadien·ne·s (M = 24,83; SD = 31,53) ayant indiqué le pourcentage de publications qu’iels ont coécrites avec des collègues internationaux·ales, t(1, N = 2724) = - 4,66; p < 0,01. Nous rejetons donc l’hypothèse nulle selon laquelle les moyennes entre les groupes sont équivalentes. La taille d’effet de la citoyenneté des répondant·e·s sur le pourcentage de publications coécrites avec des collègues internationaux·ales est cependant de très faible ampleur (η2 = 0,007) (Lakens, 2013). En ce sens, malgré que la différence soit statistiquement significative, dans les faits, cette différence est de 9 points de pourcentage.

Nous voulons également savoir s’il y a une correspondance entre les moyennes de chacun des groupes de la province et la scolarité des parents avec le pourcentage de coécriture de publications avec des collègues internationaux·ales. Nous avons donc réalisé une analyse de variance de type ANOVA, soit le test non-paramétrique de Kruskal-Wallis[1].

Concernant la variable « province », ce test montre une différence statistiquement significative dans le pourcentage de publications coécrites avec des collègues internationaux·ales entre les différentes provinces, χ2 (9, N = 17 326) = 123,49, p < 0,01. Les professeur·e·s de la Colombie-Britannique, de l’Île-du-Prince-Édouard, de Terre-Neuve et du Labrador, de la Nouvelle-Écosse et de la Saskatchewan ont déclaré un pourcentage plus faible de publications coécrites avec des collègues internationaux·ales (Md[2] = 0,00) comparativement aux professeur·e·s du Manitoba (Md = 1,00), du Nouveau-Brunswick (Md = 1,00), du Québec (Md = 1,74), de l’Alberta (Md = 2,00) et de l’Ontario (Md = 4,00). De plus, la taille d’effet de la province sur le pourcentage de publications coécrites avec des collègues internationaux·ales est d’ampleur moyenne (ε2 = 0,08) (Lakens, 2013). Nous observons ainsi une différence significative et un effet de la province sur le pourcentage de publications coécrites avec des collègues internationaux·ales de moyenne ampleur.

Concernant la variable de la scolarité du père, le test de Kruskal-Wallis montre une différence statistiquement significative dans le pourcentage de publications coécrites avec des collègues internationaux·ales entre les différents niveaux de scolarité des pères, χ2 (3, N = 17 755) = 65,50, p < 0,01. Les professeur·e·s issus dont le père ont atteint un niveau de scolarité primaire (Md = 0,00) ont déclaré un pourcentage plus faible de publications coécrites avec des collègues internationaux·ales (Md = 0,00) comparativement aux professeur·e·s dont le père ont atteint un niveau de scolarité secondaire (Md = 1,00), universitaire (Md = 2,00) et doctoral (Md = 5,00). De plus, la taille d’effet de la scolarité du père sur le pourcentage de publications coécrites avec des collègues internationaux·ales est de moyenne ampleur (ε2 = 0,10) (Lakens, 2013). Nous observons ainsi une différence significative et l’effet de la scolarité du père sur le pourcentage de publications coécrites avec des collègues internationaux·ales de moyenne ampleur.

Concernant la variable de la scolarité de la mère, le test de Kruskal-Wallis montre une différence statistiquement significative dans le pourcentage de publications coécrites avec des collègues internationaux·ales entre les différents niveaux de scolarité des mères, χ2 (3, N = 17 737) = 28,31, p < 0,01. Les professeur·e·s dont la mère a atteint un niveau de scolarité primaire, secondaire et universitaire (Md = 0,00) ont déclaré un pourcentage plus faible de publications coécrites avec des collègues internationaux·ales (Md = 1,00) comparativement aux professeur·e·s dont la mère a atteint un niveau de scolarité doctoral (Md = 5,14). De plus, la taille d’effet de la scolarité de la mère sur le pourcentage de publications coécrites avec des collègues internationaux·ales est de moyenne ampleur (ε2 = 0,10) (Lakens, 2013). Nous observons ainsi une différence significative et l’effet de la scolarité de la mère sur le pourcentage de publications coécrites avec des collègues internationaux·ales de moyenne ampleur.

Nous avons effectué une régression linéaire simple[3] entre l’âge et la coécriture de publications avec des collègues internationaux·ales. Le test ANOVA révèle une relation significative, F(1, 17460) = 40,52; p < 0,01, avec un R2 de 0,002, et une taille d’effet de très faible ampleur (Lakens, 2013). Le pourcentage prédit de publications coécrites avec des collègues internationaux·ales est de 53,33 – 0,018 (pourcentage de publications) * âge lorsque l’âge des professeur·e·s est mesuré en années. Malgré une très petite taille d’effet, nous constatons que l’âge n’expliquerait que 0,2 % de la proportion d’articles coécrits avec des collègues internationaux·ales, cela entre l’âge des participant·e·s et le pourcentage de publications coécrites avec des collègues internationaux·ales.

3.2 Correspondance entre la collaboration et la coécriture de publications avec des collègues internationaux·ales

Nous constatons une différence significative entre les moyennes de coécriture de publications des participant·e·s collaborant (M = 22,74; SD = 23,39) et ceux et celles ne collaborant pas avec des collègues internationaux·ales (M = 3,37; SD = 28,14), t(2739, N = 2764) = 23,95; p < 0,01. Nous rejetons donc l’hypothèse nulle selon laquelle les moyennes entre les groupes sont équivalentes. La taille d’effet de la collaboration des répondant·e·s sur le pourcentage de publications coécrites avec des collègues internationaux·ales est de forte ampleur (η2 = 0,172) (Lakens, 2013).

4. Discussion et conclusion

Cette recherche permet d’approfondir les connaissances concernant différentes caractéristiques sociodémographiques, soit l’âge, la citoyenneté, le genre, la langue, la province, et la scolarité des parents (père et mère), ainsi que la collaboration et la coécriture avec des collègues internationaux·ales. Deux objectifs principaux ont été visés. Le premier avait pour but d’étudier la correspondance entre les caractéristiques sociodémographiques et la coécriture avec des collègues internationaux·ales. Le deuxième visait à déterminer la correspondance entre les variables de collaboration et de coécriture de publications avec des collègues internationaux·ales.

Selon notre échantillon, les professeur·e·s ayant la citoyenneté canadienne collaborent moins, malgré une très petite taille d’effet, avec des collègues internationaux·ales que ceux·celles n’ayant pas la citoyenneté canadienne. Les professeurs ayant une citoyenneté autre que canadienne sont plus susceptibles de participer à un effet de diaspora (Scellato et al., 2015) et de collaborer avec des collègues de l’endroit où ils ont été formés (Melkers et Kiopa, 2010). Certains pays (tel que le Canada) ont d’ailleurs développé des programmes de financement (tel le programme des Chaires d’excellence en recherche du Canada) pour attirer d’éminents chercheurs et chercheuses d’autres pays (Tamtik et Sá, 2020).

Il importe néanmoins de rappeler que certains écrits suggèrent que les professeur·e·s appartenant à des minorités visibles, spécifiquement les personnes noires et hispaniques, sont sous- représentées dans les collaborations de recherche avec des collègues internationaux·ales (Kwiek et Roszka, 2020). Ces groupes marginalisés font face à une disparité de conditions et de trajectoires professionnelles en comparaison à la majorité (Kwiek et Roszka, 2020; Larivière et al., 2013), généralement blanche (84,2 %) et canadienne (86,8 %) (Gopaul et al., 2016). Notons toutefois que les écrits mettent souvent l’accent sur l’ethnicité plutôt que la citoyenneté. Nous devons donc rester prudentes quant à l’interprétation de nos résultats. Cette confusion entre l’origine ethnique et le statut canadien peut expliquer la présence d’une différence significative, mais de très petite taille d’effet entre ces variables. Gopaul et ses collègues (2016) distinguent les personnes ayant acquis la citoyenneté à la naissance (59,00 %) de celles l’ayant obtenu au cours de leur vie (29,80 %). La citoyenneté et l’ethnicité sont deux concepts qui ne sont pas mutuellement exclusifs, c’est-à-dire qu’une personne canadienne peut appartenir à une origine ethnique non blanche, noire, autochtone, hispanique, asiatique, etc. (Gosselin, 2001). Il existe donc une ambiguïté conceptuelle dans notre échantillon concernant l’ethnicité des participant·e·s. Dans de futurs écrits, il sera pertinent d’approfondir l’impact de l’ethnicité sur la collaboration et la coécriture avec des collègues internationaux·ales.

Nous observons aussi une différence significative, mais de petite taille d’effet, entre le genre et le pourcentage de publications coécrites avec des collèges internationaux. Kwiek et Roszka (2020) avaient démontré que, en Pologne, les hommes avaient 12,40 % plus de chance de collaborer avec des collègues internationaux·ales que les femmes. Selon Thelwall et Maflahi (2019), les femmes sont plus enclines à collaborer avec des collègues des niveaux institutionnels, provinciaux et nationaux, comparativement aux hommes. Cela peut s’expliquer par la représentation des femmes dans les différentes disciplines. Elles sont, en effet, plus nombreuses dans les sciences sociales et humaines que dans les sciences naturelles et de la santé (Li et Koedel, 2017; Thelwall et Maflahi, 2019). Or ce sont dans ces dernières que les collaborations internationales sont les plus fréquentes (Gopaul et al., 2016). La revue de la documentation de Leahey (2016) rapporte que si les taux de collaboration ont augmenté pour toutes les disciplines, ils restent plus élevés dans les sciences naturelles et de la santé. Dans notre échantillon, nous n’avons toutefois pas identifié les disciplines auxquelles appartiennent les professeur·e·s canadien·ne·s répondant·e·s. Il sera nécessaire de considérer cette variable professionnelle dans de futurs écrits.

Les professeur·e·s provenant de l’Île-du-Prince-Édouard, de Terre-Neuve-et-Labrador, de la Nouvelle-Écosse et de la Saskatchewan collaborent moins avec des collègues internationaux·ales que ceux et celles des autres provinces canadiennes. D’une part, cela peut s’expliquer par la répartition de notre échantillon, dans lequel les répondant·e·s venant de ces provinces étaient moins nombreux·euses. D’autre part, ce constat fait échos aux écrits actuels soulignant la disparité de production de recherche à travers les différentes provinces. Autant avec des collègues canadien·ne·s qu’internationaux·ales, Gopaul et ses collègues (2016) montrent que certaines provinces produisent moins de recherche en raison de leur communauté de recherche plus limitée. Une prochaine étude pourrait utiliser des regroupements afin d’éviter ce biais lié à des échantillons de petite taille (Marien et Béaud, 2003). Le Québec, quant à lui, est défini comme l’un des plus grands producteurs de recherche relativement à ces deux autres provinces (Gopaul et al., 2016; Larivière et al., 2006). Les professeur·e·s québécois·e·s publient en français et en anglais, ce qui peut influencer la collaboration avec les collègues internationaux·ales majoritairement anglophones (Larivière, 2007) parce que les publications non anglophones y sont moins fréquentes (Finardi, 2015). Toutefois, nous n’avons relevé qu’un effet de très faible ampleur, bien que significatif, de la langue dans nos analyses. Cela peut s’expliquer par le fait que la variable de la langue a été déterminée au moyen de la langue sélectionnée pour répondre au questionnaire. La variable de la langue ne représente donc pas la langue de travail des professeur·e·s, ni leur langue maternelle.

Les professeur·e·s dont les parents sont davantage scolarisés sont enclin·e·s à collaborer davantage avec des collègues internationaux·ales. Dans les écrits, la scolarité des parents est fréquemment mise en lumière de manière parallèle à leur statut socioéconomique. Pfeffer (2008) discute de l’inégalité éducationnelle pour caractériser les impacts à long terme sur les opportunités auxquelles n’ont pas accès les personnes issues de famille moins scolarisée, ce qui se transmet en contexte académique (Williams et al., 2019). En d’autres termes, les personnes issues de familles moins scolarisées ont accès à moins d’occasion de progression dans la sphère professionnelle, soit le milieu universitaire dans notre cas. De plus, selon l’âge et le rang maintenant occupé par ces professeur·e·s (p. ex. adjoint·e, agrégé·e ou titulaire) (Kwiek et Roszka, 2020), il se peut que les impacts du statut socioéconomique des parents aient un effet, toujours actuel, sur les opportunités auxquelles iels ont accès, en raison des dettes d’études. Dans notre cas, les professeur·e·s issu·e·s de familles moins scolarisées pourraient avoir moins d’occasions de rencontrer et de s’associer à des collègues internationaux·ales s’iels n’ont pas les moyens financiers de participer à des événements sociaux avec ceux et celles-ci. Afin de préciser l’impact de la scolarité des parents à long terme sur la collaboration et la coécriture de publications avec des collègues internationaux·ales, il serait pertinent de mobiliser des variables professionnelles, telles que le rang occupé, le nombre d’années écoulées depuis l’obtention du doctorat et depuis l’obtention d’un poste de professeur·e·s universitaires.

Selon les résultats obtenus, les professeur·e·s qui collaborent avec des collègues internationaux·ales ont plus tendance à coécrire des publications que les professeur·e·s ne collaborant pas avec des collègues internationaux·ales, même si cette relation n’est pas parfaite. En effet, nous observons qu’un peu plus de la moitié des participant·e·s (52,10 %) collaborent, mais que seulement 17 % ont coécrit avec des collègues internationaux·ales. Les relations sociales établies préalablement avec des collègues internationaux·ales peuvent expliquer en partie ces résultats, mais il est toutefois pertinent de rappeler que la collaboration tend à être interprétée subjectivement. Certain·e·s conçoivent la coécriture de publications comme le seul produit quantifiable d’une collaboration, ce qui ne prend pas en considération l’aspect informel de la collaboration, incluant l’implication dans la conception et l’élaboration du projet, tous des éléments difficilement mesurables (Katz et Martin, 1997). De plus, la coécriture de publications avec des collègues internationaux·ales n’est pas toujours possible. Vitanov (2016) précise qu’un peu moins de 50 % des professeur·e·s ne détiennent pas de publications, surtout dans les disciplines associées aux sciences humaines et sociales. Ainsi, la coécriture de publications n’est pas considérée comme un indice fiable de production scientifique selon Vitanov (2016). Tout comme nous l’observons avec l’effet du genre, il pourrait être pertinent de considérer la variable professionnelle de la discipline dans de futurs écrits pour mieux comprendre la collaboration avec des collègues internationaux·ales.

À la lumière de cette recherche et au-delà de ses limites, nous pouvons conclure que la correspondance entre la collaboration et la coécriture de publications avec des collègues internationaux·ales mériterait d’être davantage étudiée dans le contexte canadien. Certaines variables, telles que le genre et la province, semblent avoir un effet sur les publications écrites avec des collègues internationaux·ales. D’autres variables, comme la citoyenneté et l’âge, ne sont pas liées à des différences importantes dans le pourcentage de publications coécrites avec des collègues internationaux·ales. En ce sens, d’autres variables pourraient être incluses dans de prochaines études afin de mieux comprendre ce phénomène multifactoriel des collaborations de recherche internationales et de la coécriture de publications. Des variables liées aux caractéristiques professionnelles des professeur·e·s universitaires canadien·ne·s, telles que les années d’expérience et la discipline (Kwiek et Roska, 2020) pourraient, en effet, rendre le portrait du phénomène plus riche et plus complet.