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Dans une ère de globalisation, les étudiantes et étudiants internationaux dans les établissements d’enseignement supérieur peuvent apporter une contribution précieuse sur les plans éducatif et économique (McClure, 2007). Nombre de pays occidentaux ont ainsi élaboré des priorités nationales et des stratégies globales pour attirer un plus grand nombre d’étudiantes et étudiants internationaux (Andrade, 2006). Or, des recherches antérieures soulignent la vulnérabilité des étudiantes et étudiants internationaux en raison de nombreux défis. Des problèmes pourraient survenir lorsqu’ils ont à s’adapter à une nouvelle culture, à faire face à des différences académiques ou à subir des difficultés financières, émotionnelles et interpersonnelles (Houshmand et al., 2014; Sherry et al., 2010; Yeh et Inose, 2003).

Le Canada est l’une des principales destinations mondiales pour les étudiantes et étudiants internationaux, notamment au niveau postsecondaire (Bureau canadien de l’éducation internationale, 2018). En 2020, le Canada a accueilli 530 540 étudiantes et étudiants internationaux dont presque le quart (22%) proviennent de la Chine (Bureau canadien de l’éducation internationale, 2021). Au Québec, le nombre d’étudiantes et étudiants chinois a triplé dans les dix dernières années. Ils constituaient, en 2019, la deuxième cohorte d’étudiantes et étudiants internationaux (12%) derrière les Français (34%) (Ministère de l’Enseignement supérieur, 2021). Ainsi, le nombre d’étudiantes et étudiants chinois poursuivant leurs études supérieures à l’étranger n’a pas cessé d’augmenter dans les dernières années (Chao, 2015; Ge et al., 2019). Compte tenu de la présence de plus en plus importante d’étudiantes et étudiants internationaux chinois sur les campus, de nombreuses chercheuses et de nombreux chercheurs ont réalisé des recherches au sujet des différentes dimensions de leurs expériences dans les universités canadiennes, dont leurs difficultés linguistiques (Xing et al., 2020) et académiques (Ge et al., 2019), leurs ajustements psychologiques et sociaux (Zhang et Goodson, 2011) ainsi que leur vécu de discriminations raciales ressenties (Grayson, 2014; Houshmand et al., 2014).

À partir de 2019, la pandémie mondiale liée à la COVID-19 a attiré davantage l’attention des chercheuses et chercheurs sur les discriminations dont sont victimes les étudiantes et étudiants internationaux en provenance de pays asiatiques, suite à une montée du racisme et de la xénophobie à l’égard des Asiatiques, en particulier ceux d’origine chinoise (Guo et Guo, 2021). Lorsque le virus s’est propagé globalement, un vaste sentiment anti-Chine s’est exacerbé (Ma et Zhan, 2020). Les études ont souligné que les étudiantes et étudiants chinois à l’étranger ont montré une plus grande anxiété pendant la pandémie de COVID-19, ayant tendance à être considérés comme des porteurs potentiels du virus dans certains pays (Wang et Zhao, 2020; Zhai et Du, 2020). Ainsi, les étudiantes et étudiants internationaux chinois, vivant déjà des difficultés académiques et linguistiques dans de nouvelles institutions universitaires, ont subi des oppressions supplémentaires liées à la situation pandémique.

Dans cet article, nous nous concentrons sur les expériences vécues par des étudiantes et étudiants internationaux chinois dans les universités francophones à Montréal. Nous avons utilisé la notion de frontière (Juteau, 2015), soulignant les rapports sociaux entre groupes majoritaires et minorisés – des groupes de moindre pouvoir dans la société en raison de rapports de domination (Guillaumin, 2016). Nous avons analysé la frontière vis-à-vis du groupe majoritaire francophone québécois, une frontière construite autour de marqueurs linguistiques et raciaux, à travers les récits d’expériences de racisme ordinaire et de microagressions relatées par les étudiantes et étudiants. Cette recherche qualitative vise à mieux comprendre l’expérience universitaire de ces étudiantes et étudiants à l’aide de l’analyse d’entretiens qualitatifs. Nous concluons avec des pistes afin d’améliorer leurs expériences à l’université dans une perspective d’équité et de justice sociale.

Expériences vécues par les étudiantes et étudiants internationaux chinois

Les études au Canada sur les expériences des étudiantes et étudiants chinois s’alignent largement avec celles observées dans d’autres pays occidentaux. Ces recherches mettent en exergue que les étudiantes et étudiants chinois sont confrontés à une myriade de défis académiques et de discriminations lorsqu’ils s’adaptent aux nouveaux systèmes éducatifs à l’étranger (Liu et al., 2016; Lu et Han, 2010; Wu, 2015). En Amérique du Nord, les obstacles linguistiques liés à l’anglais semblent constituer le principal défi pour les étudiantes et étudiants internationaux chinois (Ge et al., 2019). Les études soulignent que les étudiantes et étudiants chinois sont plus susceptibles de subir un stress d’acculturation que les autres étudiantes et étudiants étrangers en raison d’une maîtrise limitée de la langue anglaise qui est la langue principale de la scolarité. Les barrières linguistiques posent non seulement des difficultés académiques en classe, mais semblent constituer un obstacle majeur à leur intégration et adaptation sociale (Xing et al., 2020). Les étudiantes et étudiants chinois racontent être discriminés en raison de leur accent ou de leur niveau de maîtrise de l’anglais (Houshmand et al., 2014). Aussi, parfois dû à une méconnaissance des conventions linguistiques appropriées en matière de politesse, de tabous et de distance sociale, des étudiantes et étudiants chinois racontent vivre de grandes difficultés à socialiser avec les étudiantes et étudiants locaux et les professeures et professeurs (J. Ma, 2017; Straker, 2016). Ainsi, les étudiantes et étudiants chinois ont davantage tendance à communiquer avec leurs amis nés en Chine plutôt qu’avec des étudiantes et étudiants nés dans d’autres pays ou qu’avec des étudiantes et étudiants locaux (Ge et al., 2019; Lu et Han, 2010).

Les discriminations linguistiques ne sont pas les seuls problèmes pour lesquels les étudiants chinois ont tendance à être exclus dans le campus. Les études relatent que les étudiantes et étudiants chinois sont victimes de préjugés et de discriminations raciales (Houshmand et al., 2014). De nombreux étudiantes et étudiants chinois ont le sentiment de subir le stigmate d’une étiquette négative. Par exemple, le préjugé suivant est relevé : les étudiantes et étudiants chinois n’auraient pas les compétences linguistiques et académiques suffisantes pour rivaliser avec leurs homologues locaux (Guo et Guo, 2017; Martinez et Colaner, 2017). Ajoutons qu’en classe, les étudiantes et étudiants internationaux chinois perçoivent souvent qu’ils ont moins d’opportunité pour poser des questions et pour y répondre, comparativement aux étudiantes et étudiants locaux. Ils peuvent ainsi se sentir exclus ou ignorés par les collègues et les professeures et professeurs, ce qui leur donne l’impression d’être des « étrangers » (Ge et al., 2019; Lee et Rice, 2007). Hors classe, les étudiantes et étudiants racontent subir de l’ignorance passive jusqu’à l’exclusion délibérée sur le campus (Ge et al., 2019). Des recherches ont souligné que les étudiantes et étudiants locaux ont tendance à considérer les étudiantes et étudiants chinois comme timides et peu sociables, ce qui pose encore plus de défis pour les étudiantes et étudiants chinois en ce qui a trait au maintien de relations avec leurs collègues locaux (Heng, 2017).

Parmi les études au Canada portant sur les expériences vécues par des étudiantes et étudiants internationaux chinois, peu traitent du contexte québécois spécifiquement. Or, au Québec, les étudiantes et étudiants chinois pourraient aussi rencontrer des difficultés spécifiques en termes d’adaptation académique, socioculturelle et psychologique. En effet, la maîtrise insuffisante de la langue française, la langue principale de scolarité, pourrait empêcher les étudiantes et étudiants chinois de communiquer avec les autres et d’obtenir de l’aide nécessaire à la réussite de leurs études. Deux principaux problèmes pourraient être liés à cette situation, à savoir l’isolement et l’indifférence institutionnelle, ce qui pourrait entraîner des problèmes psychologiques divers (Dong et Aubin, 2012). Ainsi, davantage de recherches sont nécessaires au Québec pour mieux comprendre les expériences vécues, notamment dans le contexte d’une majorité francophone fragile en Amérique du Nord. Cet article se propose de creuser, à l’aide d’un cadrage théorique inspiré des théories critiques en sociologie et en éducation, les expériences raciales et linguistiques vécues par les étudiantes et étudiants internationaux dans des universités francophones à Montréal. Avant d’entrer au coeur de notre étude, il est important de la situer d’abord dans le contexte des rapports de pouvoir au Québec entre le groupe majoritaire francophone et les groupes minorisés.

Contexte linguistique au Québec

Au Québec, de 1960 à 1980, on observe un mouvement d’affirmation nationale du groupe francophone, accompagné notamment de l’adoption de la Charte de la langue française (Loi 101) en 1977, qui fait du français la langue officielle de la province. Dans cette période souvent associée à la Révolution tranquille, les francophones québécois passent d’un statut de groupe minorisé à un statut de groupe majoritaire vis-à-vis des anglophones vivant au Québec; ils prennent graduellement les rênes du pouvoir économique, politique et symbolique dans la province (Mc Andrew, 2010). En effet, les francophones du Québec, bien que majoritaires en nombre, ont été minorisés historiquement par le groupe anglophone de la Conquête britannique de 1760 jusqu’aux années 1960, moment où ils se sont définis comme groupe « majoritaire » (Potvin et Pilote, 2021). Dans ce contexte, à partir des années 1970, la majorité francophone du Québec se préoccupe désormais d’intégrer les immigrants afin d’assurer sa survie linguistique dans un Canada majoritairement anglophone. La Commission royale d’enquête sur l’enseignement confirme que la majorité des nouveaux arrivants s’orientent vers la culture canadienne d’expression anglaise et suggère de définir la communauté francophone comme une communauté d’accueil (Proulx, 2018). Cette nouvelle préoccupation pousse le Québec à définir sa position en matière d’intégration des immigrants et de leurs descendants afin de « survivre au plan linguistique ». La majorité francophone prône alors une communauté linguistique unilingue et ethniquement pluraliste (Lamarre, 2002). À mi-chemin entre un modèle d’intégration assimilationniste (jacobiniste) et un modèle multiculturaliste à la canadienne, l’approche interculturelle adoptée au Québec reconnaît l’apport des groupes minoritaires tout en souhaitant la préservation du français comme langue commune de la vie publique. Cette approche reflète, sur le plan du discours officiel, le souhait de la majorité francophone de rester fidèle à ses origines et à son projet culturel collectif tout en intégrant l’ensemble de la société dans une optique de rapprochement interculturel, en français – une vision qui reflète un mode de conciliation entre les aspirations de la majorité et les demandes de reconnaissances des minorités (Bouchard, 2011).

L’interculturalisme québécois s’est imposé graduellement, faisant notamment suite à l’adoption de la politique du multiculturalisme par le gouvernement canadien en 1971 et à l’indignation qu’elle a suscitée chez certaines élites au Québec; en effet, elle était vue par celles- ci comme un moyen d’occulter la réalité nationale du Québec, reléguant les francophones du Québec à un groupe « ethnique comme les autres » (Potvin, 2018). L’interculturalisme s’est donc développé au Québec comme modèle d’immigration et d’intégration, dans un contexte où la province cherchait à se distancier du multiculturalisme canadien, où le projet collectif de la majorité francophone s’affirmait et où un besoin accru d’immigration, notamment francophone, émergeait (Rocher et White, 2014).

Contrairement au multiculturalisme canadien, qui fait l’objet d’une politique (1971), d’une loi (1988) et dont le principe est enchâssé dans la Charte canadienne des droits et libertés (1982), l’interculturalisme n’a pas de statut officiel au Québec. Divers politiques, plans d’action et documents gouvernementaux y renvoient néanmoins à partir des années 1980. Ainsi, même si l’interculturalisme n’est pas institutionnalisé sur le plan politique, ses orientations se retrouvent dans le milieu de l’éducation depuis la fin des années 1990. La Politique d’intégration scolaire et d’éducation interculturelle (MEQ, 1998) et son plan d’action consacre l’éducation interculturelle comme cadre normatif d’adaptation du système scolaire québécois à la diversité ethnoculturelle à partir de trois principes généraux : l’égalité des chances; la maîtrise du français, langue commune de la vie publique; l’éducation à la citoyenneté démocratique dans un contexte pluraliste. Ceux-ci se traduisent par deux grandes finalités visant d’une part les élèves issus de l’immigration et d’autre part tous les élèves fréquentant l’école québécoise : « guider l’action de la communauté éducative pour favoriser l’intégration scolaire des élèves immigrants et immigrantes et préparer l’ensemble des élèves à participer à la construction d’un Québec démocratique, francophone et pluraliste » (MEQ, 1998, p. iv).

Malgré l’accueil de la diversité ethnoculturelle dans ses institutions scolaires et un processus de majorisation vécu par les francophones du Québec depuis les années 1970 au Québec vis-à-vis des anglophones, il reste que les francophones se perçoivent comme une « majorité fragile » (Mc Andrew, 2010), ressentant un sentiment d’injustice et d’anxiété en tant que minorité linguistique au Canada et en Amérique du Nord (Gérin-Lajoie, 2016). Cette « majorité fragile » craint de voir réduits ses privilèges linguistiques, acquis depuis les années 1960 au Québec. Ce sentiment d’insécurité linguistique pourrait expliquer en partie son incapacité ou son refus de reconnaître le racisme ou le linguicisme envers les minorités au Québec (Magnan et al., 2021) – une incapacité qui a été réitérée récemment en contexte pandémique lorsque le premier ministre a affirmé que le racisme systémique n’existait pas au Québec (Loewen, 2020) de même que dans le cadre de la Loi sur la langue officielle et commune du Québec, le français (Loi 96) adoptée en mai 2022 visant la protection du « déclin » de la langue française. Dans ce contexte, des rapports de pouvoir tendus, des rapports de domination, entre la majorité et les groupes minorisés encadrent les interactions sociales dans les institutions éducatives au Québec.

Cadrage théorique

Nous envisageons le système éducatif et, plus spécifiquement, l’université comme le lieu pouvant contribuer à produire des inégalités entre les groupes majoritaires et les groupes minorisés. Nos analyses visent à mettre en exergue le rôle de l’université dans la reproduction de la frontière entre groupes majoritaires et minorisés, dans la réification des rapports sociaux de domination dans les interactions quotidiennes sur les campus (Magnan et al., 2021).

Nous focalisons notre analyse de la frontière et des rapports de pouvoir entre le groupe majoritaire et les groupes minorisés dans les institutions éducatives autour des catégories « Eux/Nous » (Guillaumin, 2016; Juteau, 2015). Dans cet article, nous axons notre analyse sur la « face externe »[1] de la frontière, créée au sein même des rapports sociaux inégaux. Elle se constitue dans le rapport à l’Autre, dans ce rapport d’altérité entre le « Nous » et le « Eux ». C’est au sein des rapports sociaux que sont choisies les marqueurs qui servent à délimiter la frontière. Les rapports sociaux s’avèrent indissociables des rapports de domination en cours dans la société étudiée, et ces derniers sont donc fondamentaux dans la compréhension de la frontière. Il est aussi important de rappeler que lorsque Juteau (1999) utilise les termes « dominés », elle se réfère en fait « aux groupes dont l’histoire et la culture ne sont pas celles que reproduisent dans une société les institutions comme l’école et les médias » (Juteau, 1999, p. 191). Les groupes minorisés sont souvent renvoyés à des différences instituées dans leur rapport au groupe majoritaire – une spécificité se traduisant par un ou des marqueurs les essentialisant, voire les infériorisant. Ce marquage sert à rendre opérationnel le pouvoir du groupe majoritaire sur les groupes racisés (Guillaumin, 1972). Dans cet article, la face externe de la frontière étudiée se fonde dans des rapports de pouvoir qui s’opèrent au travers d’un processus de hiérarchisation racial et linguistique. Nous analysons ainsi la dynamique conduisant à la concrétisation des rapports sociaux inégaux en contexte universitaire en repérant les modalités par lesquelles la frontière se matérialise autour de marqueurs linguistiques et raciaux, autour de situations de racisme ordinaire et de microagressions. Nous avons ainsi retenu le concept de racisme pour analyser la « face externe » de cette frontière. Le racisme peut franchir différents paliers, passant du « racisme ordinaire » au « racisme élaboré » (Taguieff, 1991). Nous retiendrons principalement la notion de racisme ordinaire. Le racisme ordinaire est un ensemble de « pratiques routinières ou familières » de rejet basé sur la race[2] : « Le racisme ordinaire, diffus et non doctrinal renvoie à des représentations plus ou moins conscientes, fondées sur la différenciation ethnocentrique Nous-Eux » (Potvin, 2017, p. 53). Ce racisme, aussi dit moderne, remplacerait le racisme « traditionnel » où les actes discriminatoires sont exprimés directement. Dans cette forme moderne du racisme, une forme subtile et indirecte, les préjugés, les stéréotypes et les croyances racistes passent généralement inaperçus pour le groupe majoritaire. Dans ce racisme, les victimes peinent à le détecter (Bobo et al., 1997; Clair et Denis, 2015; Quillian, 2006; Sydell et Nelson, 2000). Le racisme ordinaire se traduit durant les interactions, à travers des microagressions. Ces microagressions ne sont pas flagrantes et directes, elles ont généralement un aspect insaisissable, ordinaire et banal (Delgado et Stefancic, 2000). Dans les contextes éducatifs, ce sont notamment les immigrants qui sont le sujet de ces microagressions dans l’évaluation ou encore dans les interactions sur le campus. C’est dans les institutions éducatives que les étudiantes et étudiants vivent le racisme et la hiérarchie sociale, linguistique, ethnique et raciale (Dhume, 2019). Les victimes peuvent se trouver dans le déni; elles peuvent choisir de garder le silence et de ne pas réagir vis-à-vis de ces microagressions. Ainsi, les personnes ont parfois de la difficulté à expliquer ces agressions floues, inconcevables, et même, parfois, inécoutables et incomprises (Hamisultane, 2020; Pestre, 2014). Par effet de cumul, ces microagressions peuvent contribuer à l’exclusion sociale.

Tableau 1

Portrait détaillé des personnes interrogées

Portrait détaillé des personnes interrogées

Tableau 1 (continuation)

Portrait détaillé des personnes interrogées

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Ainsi, cet article présentera, à travers les récits d’étudiantes et d’étudiants internationaux chinois, la concrétisation de la frontière Nous versus Eux (Québécois francophones versus étudiantes et étudiants internationaux chinois) autour de marqueurs raciaux et linguistiques et, plus spécifiquement, la matérialisation de la « face externe » de cette frontière par du racisme ordinaire et par un cumul de microagressions liées à la pandémie et au fait de se sentir exclu en contexte universitaire dû à la non-maîtrise perçue du français et au fait d’être étiqueté comme « la Chinoise » ou « le Chinois ». L’article montrera comment le cumul des marqueurs linguistiques et raciaux mène à un sentiment d’exclusion chez les étudiantes et étudiants interrogés, à un sentiment de ne pas faire partie du « Nous » (le groupe majoritaire francophone québécois).

Méthodologie

Les résultats présentés dans cet article sont issus d’une étude qualitative dans laquelle des entretiens ont été menés auprès d’étudiantes et étudiants internationaux chinois fréquentant des universités francophones montréalaises. Les participants ont été recrutés selon les critères d’inclusion suivants : être un.e étudiant.e international.e chinois.e dans une université francophone à Montréal. Diverses techniques de recrutement ont été utilisées, comme l’utilisation de la plateforme Facebook via des groupes d’étudiantes et étudiants et la technique boule de neige.

Au total, 14 répondantes et répondants ont été interrogés. Nous avons choisi de prendre en considération spécifiquement l’expérience d’étudiantes et étudiants internationaux suivant des programmes dans des universités francophones à Montréal, dont cinq dans un baccalauréat, sept en maîtrise et deux au doctorat. Même si les étudiantes et étudiants suivent des programmes de premier, deuxième et troisième cycle, leur niveau d’étude n’a pas semblé influer sur le récit de leurs expériences des frontières linguistiques et raciales en contexte universitaire. Quant aux régions de provenance, les 14 jeunes adultes sont nés en Chine. Six d’entre eux ont commencé leurs études avant le début de la pandémie au Canada et huit ont commencé leurs études pendant la pandémie. Ces 14 étudiantes et étudiants ont commencé leurs études à Montréal entre l’automne 2016 et l’hiver 2022. Le corpus comprend huit femmes, six hommes. De plus, un d’entre eux avait au moins un parent détenant un diplôme secondaire, quatre avaient au moins un parent détenant un baccalauréat, cinq avaient au moins un parent détenant une maîtrise et quatre n’ont pas divulgué cette information. Les programmes d’études universitaires choisis par les étudiantes et étudiants sont diversifiés. Le tableau 1 ci-dessous présente les informations sociodémographiques des participantes et participants. Pour des raisons de confidentialité et conformément aux exigences du Comité plurifacultaire d’éthique de la recherche de l’Université de Montréal, les participants mentionnés dans cet article sont identifiés par des pseudonymes. Ajoutons que le nombre de participants (14) constitue une limite de l’étude; davantage de recherches devraient être conduites en ce sens, tant qualitatives que quantitatives pour documenter les thématiques abordées dans cet article. Quoiqu’il en soit, la richesse des entretiens recueillis permet de présenter et d’analyser, dans cet article, les témoignages des étudiantes et étudiants de manière approfondie et interprétative.

Des entretiens semi-dirigés en profondeur, d’environ une heure, ont été effectués sur Zoom pendant la pandémie de la COVID-19. Cette méthode de recherche permet de prendre en considération le point de vue des étudiantes et étudiants sur leurs expériences universitaires. Lors des entretiens, les participants ont été invités à raconter leurs expériences depuis le début de leurs études universitaires et depuis leur arrivée dans la ville de Montréal. Des questions ont été posées sur leurs expériences avant la pandémie de la COVID-19 (pour ceux étant arrivés à Montréal avant la pandémie) et pendant la pandémie ainsi que sur les défis rencontrés de façon générale en contexte universitaire. Plus spécifiquement, le guide d’entretien comporte des questions permettant de creuser les motifs derrière du choix du Canada et de l’université choisie; des questions sur les expériences universitaires en tant qu’étudiant international avant et pendant la pandémie concernant l’apprentissage universitaire, le soutien offert, la vie sociale universitaire, les interactions avec des pairs et le personnel scolaire; et finalement, des questions sur les expériences vécues dans la ville d’accueil avant et pendant la pandémie. De manière inductive et inattendue, ils ont rapporté des expériences de discrimination linguistique et de racisme. Les étudiantes et étudiants ont eu le choix de répondre aux questions en français ou en anglais. Les entretiens ont été enregistrés et retranscrits intégralement. Nous avons ensuite procédé à une analyse thématique inductive (Paillé et Mucchielli, 2012) basée sur une procédure permettant de faire ressortir les thèmes émergents, à l’aide du logiciel QDAMiner. Ainsi, dans une approche inductive, nous avons délimité l’analyse autour des thèmes qui sont ressortis des récits que les répondants du corpus faisaient de leurs expériences universitaires.

Il est important de souligner qu’une partie des étudiantes et étudiants interrogés ont eu une expérience universitaire avant et après le début de la pandémie et qu’une autre partie est arrivée en sol québécois après le début de la pandémie. Ces différences au sein de notre corpus ont eu un impact sur les récits d’expériences universitaires autorapportées. En effet, pour ceux et celles qui étaient à Montréal au tout début de la pandémie, cela semble les avoir exposés à davantage de situations de racisme. Toutefois, leur récit d’expériences en termes de discrimination linguistique ne différait pas du récit de ceux et celles arrivés en sol québécois après le début de la pandémie.

Finalement, étant donné le contexte pandémique, la recherche a dû être réalisée à distance (sur Zoom). Cette modalité d’entretiens en ligne ne semble pas avoir impacté le recrutement ni la richesse des récits recueillis. Les étudiantes et étudiants en question avaient accès à la technologie nécessaire pour réaliser les entretiens. De plus, ils nous ont rapporté se sentir plus à l’aise dû à la possibilité de pouvoir fermer leur caméra pendant l’entretien; ils nous ont indiqué que le fait de ne pas être filmé a facilité leur prise de parole. Bien entendu, si nous avions eu la possibilité de mener des entretiens en personne, le lien établi avec les paticipantes et participants aurait été tout autre.

Expériences de frontières dans l’espace urbain et à l’université

À partir d’une analyse inductive des entretiens, nous avons constaté les thèmes émergents suivants : (1) la frontière liée à la pandémie de la COVID-19 dans la ville et à l’université; et (2) la frontière à l’université. Après cette analyse inductive, nous avons procédé à une analyse détaillée des entretiens selon ces thèmes en lien avec notre cadrage théorique.

Frontière raciale : racisme et microagressions liées à la pandémie de la COVID-19 dans la ville et à l’université

En considérant la pandémie de la COVID-19, une partie des étudiantes et étudiants interrogés relatent avoir subi du racisme, notamment des microagressions liées à la pandémie à la fois en dehors de l’université, dans les espaces urbains, et à l’université. Ces interactions leur rappellent la « face externe » ou leur sentiment de ne pas faire partie du groupe majoritaire, d’être étrangers. Ils rapportent des mots ou des gestes proférés à leur endroits par des citadins. Par exemple, Fang rapporte une situation de racisme flagrant dans la rue : « when the pandemic started, […] there was a bunch of guys, they were white, and they just gave me like the middle finger saying the F- word to me. But yeah, I didn’t really care. I just passed by » (Fang). Selon elle, il s’agit de la haine envers les Chinois, un groupe qui serait jugé coupable de l’origine et de la propagation de la pandémie : « I feel like it’s more like hate towards Chinese. Cause the cause of the pandemic, the COVID-19 stuff. The virus, because the origin is from China » (Fang). Dû à ces situations marquant l’espace urbain, Wei raconte qu’au début de la pandémie, il évitait sortir de chez lui : « pendant la pandémie […] je n’avais pas beaucoup d’occasions de sortir, ce n’est pas beaucoup d’occasions c’est que, parce que j’avais peur, j’avais peur [du racisme direct et de la violence physique], donc je ne sortais pas, pas souvent » (Wei).

À l’université, les étudiantes et étudiants relatent davantage des situations de racisme moderne[3], une forme de racisme plus subtil, indirect et difficile à détecter, mais s’avérant très actif dans la vie quotidienne des étudiantes et étudiants universitaires (Bailey, 2016). Ils relatent des situations de racisme ordinaire à l’université, leur rappelant constamment leur appartenance à un groupe associé à la propagation de la COVID-19. Jing rapporte en ce sens qu’une professeure lui a demandé si ses parents en Chine étaient en santé, un commentaire qui révèle une microagression basée sur des stéréotypes envers les Chinois :

c’est relié à la pandémie, à la COVID […]. Ça pourrait être une mini-discrimination parce que ça fait preuve que l’on généralise les stéréotypes. C’est un peu comme tu es chinois alors tu es certainement ou ta famille est certainement heu … dérangée par la COVID. Ça c’est une tendance de généralisation des choses donc certaines personnes pensent aussi que ça, c’est une mini discrimination.

Jing

S’ajoute au racisme direct dans la ville et aux microagressions à l’université, un sentiment d’exclusion, un sentiment de ne pas être bienvenu sur le campus et notamment dans les résidences universitaires :

C’est une expérience pas très agréable que j’ai eue aux résidences de l’UdeM. Parce que … Il y a pas mal d’étudiants locaux aux résidences de l’UdeM aussi et donc quand les étudiants chinois, quand on voit les étudiants chinois porter le masque aux résidences, certaines personnes, je ne sais pas comment décrire, on se croise dans la rue et cette personne contourne. Et puis avec un regard, donc ce n’est pas hostile, mais c’est un peu comme très bizarre. C’est un peu comme regarder des aliens.

Jing

Frontière linguistique et raciale à l’université

Les étudiantes et étudiants, tous inscrits dans des programmes d’universités francophones à Montréal, rapportent ressentir une frontière à l’université vis-à-vis du groupe majoritaire francophone québécois. Les participants mentionnent ainsi ressentir la « face externe » de la frontière de la part de leurs pairs francophones québécois, principalement autour du marqueur linguistique (ne pas maîtriser le français selon les standards établis par les « francophones québécois ») : « Je trouve il est un peu difficile de “become French with my classmates here” parce qu'il y a des différences culturelles » (Shaohong). Pour sa part, Ran raconte que son amie vit de la discrimination dû à sa non-maîtrise du français : « one of my friends … yeah, she gets the discrimination from others because she didn’t speak French. She just speaks English, but her … the people who she wants to join, her class, her group, they say that because she didn’t speak French, so they don’t want her to join their group, so she needs to find others to do that » (Ran).

Jingbo relate aussi ressentir la frontière en salle de classe, de la part des francophones québécois :

la plupart [de mes amis] sont des étudiants internationaux parce que c'est aussi à cause de mon programme, je pense, mon programme professionnel. Tout le monde est très occupé parce qu'ils ont du travail à faire … de travail comme enseignant. Ils n'ont pas beaucoup de temps pour faire leur travail, donc ils ont plus envie de chercher les pairs qui sont capables en langue et en enseignement, je pense. Est-ce que tu comprends ce que je veux dire? Ils veulent plutôt chercher les pairs qui sont similaires comme eux. Par exemple, si mon niveau du français n’est pas assez bon et j’ai pas beaucoup d’expérience en enseignement comme eux, je ne suis pas un bon coéquipier, un idéal coéquipier pour eux. J’imagine. Donc pour faire le travail en groupe, on préfère choisir … c’est pas moi qu’ils préfèrent choisir.

Jingbo

Vivant la même situation, Ziqi préfère alors ne pas dépasser la « face externe » de cette frontière :

je préfère être seule, sinon je ne peux pas trouver d’autres nouveaux amis. […] Je pense que la plupart des étudiants qui ne sont pas des habitants d’ici préfèrent rester dans une petite communauté plutôt restreinte et donc la plupart … dans laquelle la plupart des étudiants sont d'une même nationalité, qui partagent la même culture et la même langue.

Ziqi

Quant à Tiange, elle raconte une situation où un pair lui dit qu’elle ne parle pas bien le français. Toutefois, ce qui la dérange le plus est le fait que la personne ne l’a pas appelée par son nom, mais l’a plutôt appelée « la Chinoise »; l’extrait suivant de Tiange montre comment le racisme et le linguicisme se conjuguent, se cumulent dans une même interaction – une interaction se révélant être une microagression autour de frontières linguistiques et raciales :

I heard one student said that the Chinese girl […] doesn’t speak French very well. So the idea is that la Chinoise […] ne parle pas bien le français. I know that I cannot speak foreign languages very well. I don’t have any talent on language. But I just felt disappointed that she didn’t remember my name. […] Because we spent almost one year together.

Tiange

Tiange raconte que cette collègue qui a fait ce commentaire ne voulait pas être dans le même groupe de travail qu’elle : « she didn’t want to talk with me. She didn’t want to be in the same talking group with me » (Tiange). À la suite de ces situations, Tiange décide de ne plus étudier le français pour s’améliorer dans cette langue seconde : « I just think that’s true because I cannot speak French very well. And now I gave up studying French » (Tiange). De la même façon, Heng décrit l’expérience d’être sans cesse corrigé par des francophones dans les travaux de groupe : « Ils ne cessent pas d’indiquer des erreurs grammaticales ou orthographiques; pour certains étudiantes et étudiants chinois, ils pourraient ne pas être très à l’aise de travailler en groupe dans ces conditions » (Heng).

De même, certains participants mentionnent une pression à participer dans les cours, ce qui devient un problème en raison d’une perception d’un manque de maîtrise de la langue et des microagressions pouvant survenir lorsqu’ils s’expriment en français devant les autres. Par exemple, Wei mentionne s’être senti gêné par rapport à son français quand les professeures et professeurs l’interrogeaient dans les cours :

Dans ce cours-là, le prof il m’a beaucoup interrogé et j’ai vraiment, j’étais vraiment gêné à ce moment parce qu’il n’y avait pas vraiment beaucoup de chinois dans cette classe-là. Donc, je me considérais comme la seule personne qui ne parlait pas bien le français et en plus il fallait que je parle français devant tous les étudiants en classe donc ça me gênait un peu.

Wei

Ainsi, la frontière Eux versus Nous se construit dans l’interaction principalement autour du marqueur linguistique; la face « externe » se construit autour du fait que l’étudiante ou l’étudiant international chinois ne possèderait pas le statut de locuteur du français langue maternelle selon les francophones québécois.

Il est toutefois intéressant de souligner que parmi les francophones québécois, semblent également les altériser lorsqu’ils les entendent parler en anglais. Dans les programmes offerts en anglais dans les universités francophones, une partie des étudiantes et étudiants rapportent ressentir la « face externe » de la frontière en raison du stéréotype perçu suivant : les Chinois ne parleraient pas bien l’anglais. Par exemple, Fang a senti qu’elle devait s’auto-exclure des interactions verbales quand elle est arrivée à l’université à Montréal; elle craignait être jugée par son possible manque de maîtrise de l’anglais. Fang perçoit que certains étudiantes et étudiants ne veulent pas travailler avec elle en équipe dans les cours : « I feel like, uh, some, some students they’re, they’re like, they don't usually like look for, for Chinese students to team up ». Quand on lui demande son opinion concernant les possibles raisons de ce comportement, elle répond : « I feel like maybe one of the reasons it's like, uh, maybe because they ha they think like, uh, Chinese people’s English is not that good » (Fang). Mengyi relate ressentir une frontière linguistique et raciale en classe, de la part des Québécois :

Je me souviens dans un cours, j’avais mal prononcé quelque chose, mais c’était en anglais en plus, puis une fille riait. Peut-être, ça, c’était quelque chose de discrimination […]. Dans mon programme, 99 % de la classe, de la masse étudiante est d’origine québécoise […] puis, en plus, je suis la seule personne d’origine chinoise dans mon année.

Mengyi

Discussion et conclusion

Les données présentées dans cet article informent sur l’existence d’une frontière linguistique et raciale vis-à-vis du groupe majoritaire francophone québécois. Les étudiantes et étudiants du corpus relatent subir du racisme dans leur quotidien en ville ou du racisme ordinaire (microagressions) à l’université autour du marqueur racial, le tout en lien avec la pandémie de la COVID-19. Même si ces étudiantes et étudiants n’utilisent pas le terme « racisme » ou « microagressions », ils relatent un sentiment de « haine » envers les Chinois et cela spécifiquement de la part du groupe majoritaire francophone à Montréal. Ils décrivent des mots et des gestes « hostiles » envers eux, des situations qui génèrent chez eux un sentiment de peur. De plus, les étudiantes et étudiants racontent également vivre des situations de microagressions en lien avec des stéréotypes raciaux envers les Chinois (liés à la pandémie) dans leurs interactions avec des professeures et professeurs d’université. Encore une fois, le terme « racisme ordinaire » ou « microagressions » n’est pas utilisé par les étudiantes et étudiants, mais d’autres termes comme « stéréotypes » ou « mini discrimination » sont utilisés. Par ces choix de mots, nous remarquons que les étudiantes et étudiants du corpus minimiseraient leurs expériences vécues du racisme (Hamisultane, 2020); cela pourrait s’expliquer par une tendance à choisir le silence, à ne pas vouloir critiquer ouvertement le pays d’accueuil, étant en partie reconnaissants de leur trajectoire; ou par une difficulté à expliquer ou identifier ces agressions floues. Nous avons également constaté, dans le corpus, que le racisme ordinaire ou les microagressions vécues peuvent mener les étudiantes et étudiants à l’auto-exclusion (Chapman et al., 2013; Delgado et Stefancic, 2000; Solorzano, 1998).

Cette frontière raciale se cumule à une frontière linguistique. Cette frontière, vis-à-vis du groupe majoritaire québécois francophone, se construit autour d’une « face externe » où les marqueurs linguistiques et raciaux se conjugent : « One student said that the Chinese girl doesn’t speak French very well ». Cette face externe de la frontière pourrait être associée à des inégalités de traitement quotidiennes (Takahashi, 2012). En effet, en ce qui a trait au marqueur linguistique, les étudiantes et étudiants peuvent se sentir traités différemment, voire injustement, autant dans les travaux en équipe ou lors d’interactions en classe avec les professeures et professeurs québécois francophones (Skutnabb-Kangas, 2000). Ce sentiment de ne pas faire partie du groupe majoritaire francophone, du « Nous », peut aussi générer des comportements d’auto-exclusion. Par exemple, Tiange décide d’interagir le moins possible dans les interactions verbales à l’université et elle choisit d’abandonner son projet d’apprendre la langue française; en ce sens, elle abdique puisqu’elle se sent incapable de répondre aux attentes et standards linguistiques vis-à-vis du français des Québécoises et Québécois francophones (Dewaele et Sevinç, 2017).

Quoiqu’il en soit, le marquage de la frontière Eux/Nous se module dans un contexte québécois où l’on observe des formes de repli identitaire du groupe francophone majoritaire et de ses élites politiques qui tendent à nier le racisme systémique[4], inquiet pour sa survie linguistique (projet de Loi 96) et démontrant des types de mécanismes discursifs populistes et racistes se durcissant au fil des débats (Potvin, 2016). L’identité québécoise hypercentrée sur la protection de la langue française semble posséder des forces plus exclusives qu’inclusives (Breton, 2015), du moins dans les interactions et frontières négociées au quotidien. Car, en comparaison avec les anglophones canadiens, certaines études soulignent que les québécois francophones du groupe majoritaire démontrent davantage d’attitudes négatives envers la population immigrante (Berry, 2006; Montreuil et Bourhis, 2001). Ces crispations identitaires s’avèrent dissonantes avec plusieurs rhétoriques institutionnelles et avec plusieurs politiques en immigration et en éducation au Québec valorisant l’interculturalisme, le vivre-ensemble et l’inclusion. Ce contexte sociopolitique plus large permet de mieux comprendre la face « externe » de la frontière Nous versus Eux rapportée par les étudiantes et étudiants, s’articulant autour de marqueurs linguistiques et raciaux – ceux-ci transigeant avec des employés et des pairs de l’université faisant majoritairement partie du groupe majoritaire francophone. Notre étude met en exergue le caractère particulier que prend l’expérience des étudiantes et étudiants internationaux chinois dans le contexte local montréalais et, plus spécifiquement, de la ville de Montréal où le marqueur linguistique contribue à altériser de manière plus aiguë les Autres qui ne sont pas des francophones québécois, qui n’ont pas le français comme langue maternelle et qui, de plus, sont nés dans un autre pays. Dans le contexte québécois, la valorisation des bases normatives de l’identité québécoise (fondée notamment sur la langue française langue commune de la vie publique, Loi 101) contribue à l’intensification des hiérarchisations linguistiques et raciales (Darchinian et Magnan, 2020). De même, se retrouver au sein d’une majorité linguistique ayant vécu un processus relativement récent de majorisation (étant passé, symboliquement et économiquement, d’un groupe minoritaire à un groupe majoritaire vis-à-vis des anglophones du Québec) vient colorer les interactions dans les universités. Le personnel et les étudiantes et étudiants francophones québécois dans les universités demandent à être davantage conscientisés et formés à l’existence des microagressions raciales et linguistiques; ces enjeux pouvant être invisibilisés à la fois dans la communauté universitaire et dans la société québécoise de manière générale.