Article body
Si les recherches sur le temps vécu, les rythmes de vie, les temps de travail et de loisir ne sont pas nouvelles, elles bénéficient depuis quelques années, principalement en Europe, d’un regain d’intérêt. L’ouvrage de Soumagne, Desse, Gasnier, Guillemot et Pujol s’inscrit dans cette lignée de travaux qui cherchent à saisir la façon dont le temps et l’espace dialoguent au quotidien dans les villes contemporaines. Issue d’une vaste enquête européenne associant des chercheurs suédois, portugais, espagnols et français (Urban Net Chronotope), cette recherche part du postulat suivant : économiser l’espace va de pair avec économiser le temps (p. 17). La réflexion qui s’ensuit a pour objectif de réfléchir à un aménagement durable où les temporalités (la synchronicité) et les spatialités (la synchoricité) pourraient s’accorder, ou du moins s’harmoniser, dans l’objectif de réduire les conséquences tant sociales qu’environnementales de nos modes de vie consuméristes. Pour les auteurs, la coordination des services et des modes de déplacement permettrait de mieux arrimer synchronisation et synchorisation.
L’ouvrage se focalise uniquement sur le cas français, et plus précisément sur quatre villes : Toulouse, Angers, Brest et Le Mans. Il se divise en six chapitres. Le premier dresse un portrait des écrits sur les temporalités depuis une dizaine d’années et établit un tableau des politiques publiques mises en place en Europe pour favoriser cet agencement des temporalités et des lieux. Ce texte met bien en perspective l’inégale fortune de ces politiques publiques et de leur suivi.
Propos très actuel au moment où plusieurs enquêtes ont montré que l’ouverture dominicale des magasins n’est pas toujours signe de rentabilité pour certains commerçants. Le deuxième chapitre détaille les résultats d’une recherche menée dans les quatre villes quant à l’influence de l’offre marchande sur les temps sociaux. De façon complémentaire, le troisième chapitre aborde la question de l’accès à un certain type de services, comme les services de garde de la petite enfance, qui affectent grandement la vie des citadins et leurs rythmes de vie. Ce chapitre montre bien le décalage existant entre les besoins et les services et offre un témoignage sur la nécessité de renouveler l’offre horaire pour certains types de services.
Les chapitres quatre et cinq s’intéressent aux flux de personnes au sein des espaces publics et privés. Le quatrième présente des observations réalisées dans les villes citées auparavant et montre la diversité des usages des espaces publics en fonction de temporalités, elles aussi très variées. Le cinquième chapitre se focalise sur les déplacements nocturnes de la population estudiantine. Ce chapitre prend d’ailleurs des allures de monographie sur la consommation d’alcool des jeunes Bretons. En dépit de son caractère très intéressant, cette portion du chapitre s’insère moins bien que les autres dans l’ensemble de l’ouvrage. Le dernier chapitre, quant à lui, place la question de la mobilité au coeur du couple « synchoricité-synchronicité », revenant également sur le rôle de la dimension aménagiste dans cette relation.
Essentiellement descriptif, l’ouvrage dispose d’une qualité qui constitue également son plus grand défaut : il s’apparente à un rapport de recherche, ce que précise d’ailleurs Arnaud Gasnier en conclusion. La multitude de données qu’il offre au lecteur est dans ce sens un grand avantage : trop peu de recherches offrent autant de données. Néanmoins, l’ouvrage est trop descriptif et les liens avec l’état de l’art exposés dans le premier chapitre sont trop peu présents. Ainsi, bien que présentant des données fort intéressantes, il peine à répondre aux questions qu’il pose au départ. Cette impression est notamment due au fait que la conclusion générale de l’ouvrage est séparée en parties : si chacune offre une synthèse conclusive de chaque chapitre, ces différentes sections n’ouvrent pas la porte à une réflexion plus large. Il convient également de mentionner que la concentration des illustrations à la fin des deuxième et troisième chapitres est un choix étrange. Ces illustrations auraient été mieux mises en valeur si elles avaient été intégrées dans le texte.
En dépit de ces limites, le livre pique la curiosité du lecteur, qui espère que les résultats du cas français seront, à court terme, mis en perspective avec les cas suédois, portugais et espagnols, permettant des apports tant théoriques qu’empiriques sur la relation entre le temps et l’espace.