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Avec Des îles en partage, Marie Redon nous propose une réflexion ambitieuse sur le croisement original de deux thématiques fortes en géographie que sont l’insularité et la frontière. Il s’agit donc, en utilisant une approche comparative, de s’intéresser à des îles divisées par une frontière internationale afin d’y déceler les caractéristiques et les implications d’une telle division territoriale dans le cadre spatial spécifique et circonscrit de l’île. Pour ce faire, trois îles font l’objet de l’analyse, soit Quisqueya [1] (partagée entre Haïti et République dominicaine), Timor (partagée entre Indonésie et Timor-Leste) et Saint-Martin (partagée entre Pays-Bas et France [2]) ; ce qui est un choix judicieux étant donné les situations différentes et fort intéressantes de ces trois cas singuliers.
Publié en 2010, cet ouvrage est la version révisée et réduite d’une thèse de doctorat en géographie, soutenue en décembre 2007 par l’auteure (Université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne). La recherche et le terrain ayant été effectués il y a déjà quelques années, les situations décrites sont d’abord celles qui prévalaient entre 2004 et 2007. Cependant, le livre fait brièvement mention de certains événements ultérieurs et propose quelques références plus récentes (2008-2009). Cela ne diminue pas pour autant la qualité de la réflexion et de la démonstration qui font de ces trois îles des espaces-prismes des enjeux et des effets de frontières qui trouvent des résonnances tout autant dans le champ du politique que dans ceux du social, de l’économie et de l’environnement. On regrettera toutefois que l’analyse conceptuelle des frontières et limites maritimes ne soit pas aussi étoffée que celle des frontières terrestres. Néanmoins, sur le plan de la situation et des enjeux, le contexte maritime particulier du Timor-Leste fait l’objet d’une analyse plus approfondie.
L’ouvrage débute par une introduction qui prend la forme d’une exploration conceptuelle puis se divise en trois parties qui, successivement, approchent les frontières étudiées, abordent les îles à l’étude et proposent une synthèse sur les relations entre espace, identité, territoires nationaux et frontières, en comparant les situations de Quisqueya, Timor et Saint-Martin. Tout au long des neuf chapitres qui composent ces différentes parties, nous pénétrons dans l’intimité de chacune des îles, notamment de leurs espaces frontaliers (pour les deux plus grandes alors que l’île de Saint-Martin tout entière peut être assimilée à un espace frontalier) où se superposent des enjeux locaux, nationaux, insulaires (c’est-à-dire propres à l’île tout entière) de même que régionaux et internationaux (notamment les trafics illégaux et les flux migratoires). Finalement, dans un très intéressant dernier chapitre considérant les îles étudiées comme des espaces-prismes à l’intersection entre le local et le mondial, l’analyse permet de réfléchir aux phénomènes concomitants de « balkanisation » et de régionalisation de la scène internationale, à la viabilité des micro-États, à l’évolution du rôle des frontières dans un espace réticulé, ainsi qu’aux trois phases de la notion d’État[3]. Le tout est accompagné de 17 figures (cartes et modèles) d’intérêt mais dont la lisibilité est trop souvent fort médiocre (problème d’édition et non de conception). Synthèses réussies de l’organisation des trois systèmes insulaires étudiés, les figues 15 (Timor), 16 (Quisqueya) et 17 (Saint-Martin) auraient mérité un petit développement à part entière dans la conclusion à la fin de laquelle elles apparaissent sans qu’aucune référence n’y soit faite dans le texte.
Enfin, « à chaque île son histoire et donc sa frontière », nous dit Redon (p. 73) : frontière de sang pour Quisqueya, frontière de papier pour Saint-Martin et frontière encore floue pour Timor. Mais dans le même temps, la comparaison de ces trois cas particuliers est fertile, notamment en ce qui concerne la frontière barrière ou interface, la notion d’altérité, les effets de frontière, le capital spatial ainsi que le jeu des échelles allant du local au global. Portant sur trois terrains d’étude, dont l’un est grossièrement à l’antipode des deux autres, pour un total de six territoires (quatre États et deux territoires non souverains), la recherche était d’emblée ambitieuse et le résultat est tout à l’honneur de l’auteure. Cet ouvrage est aussi d’intérêt et d’actualité par le fait qu’il traite d’Haïti et du Timor-Leste, deux États insulaires les plus pauvres de leur région respective (Caraïbe et Asie du Sud-Est) et qui sont, chacun à sa manière, des tests pour la communauté internationale, laquelle s’est beaucoup investie au cours des dernières années dans leur (re)construction[4]. Dans ce contexte, les relations des Haïtiens et des Est-Timorais avec leurs voisins immédiats (respectivement Dominicains et Indonésiens), ceux avec qui ils partagent le même espace insulaire, s’avère également un enjeu déterminant dans leur quête d’un avenir meilleur.
Appendices
Notes
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[1]
Nom donné à Hispaniola par l’auteure puisque, nous dit-elle, le nom d’Hispaniola n’est pas usité par les habitants de l’île (p. 13).
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[2]
Localement entre l’État de Sint Maarten (Pays-Bas) et la Collectivité d’outre-mer de Saint-Martin (France).
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[3]
En référence ici à Roland Pourtier (2005) Les âges de la territorialisation. Dans Benoît Antheaume et Frédéric Giraud (dir.) Le territoire est mort, Vive les territoires ! Paris, IRD Éditions, p. 39-46.
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[4]
D’intérêt et d’actualité sont également les cas de Sint Maarten et Saint-Martin, deux territoires qui viennent de connaître des changements statutaires importants afin de leur permettre de mieux s’adapter aux contextes insulaire (à l’échelle de l’île toute entière), régional et international dans lesquels ils sont immergés, contextes bien circonscrits par Redon. L’analyse se termine avec la création de la Collectivité de Saint-Martin (15 juillet 2007) alors que la création de l’État de Sint Maarten est toute récente (10 octobre 2010).