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Bien que l’idée d’explorer l’espace circum-terrestre et le système solaire soit très ancienne, les premières activités concrètes d’occupation de l’espace au-delà de la stratosphère datent de moins de 50 ans, succédant aux premiers essais de fusées dans les années 1920, 1930 et 1940. Ces activités se sont accélérées durant les dernières décennies : de la fin des années 1950 à l’an 2000, 5200 satellites ont été lancés, dont près de 2500 étaient encore en orbite en 2000. Par ailleurs, l’objectif d’assurer une présence humaine – même temporaire – dans l’espace, s’est traduit par la mise en orbite de plus de 900 cosmonautes ou astronautes de 1961 à 2001; ceux-ci ont effectué des séjours allant de quelques heures à plusieurs jours à bord de vaisseaux spatiaux ou de navettes, et jusqu’à plusieurs mois à bord d’une station spatiale, le record (russe) étant de 438 jours en 1995. Les budgets annuels totaux consacrés à ces activités atteignaient environ 50 milliards de dollars (des États-Unis) au début des années 1990, dont plus de 90 % provenaient des budgets spatiaux des États-Unis et de l’ex-URSS. Ces quelques faits et chiffres, qui donnent une idée sommaire de l’ampleur des activités spatiales, sont extraits de la masse imposante de données que contient l’ouvrage L’espace, nouveau territoire. Atlas des satellites et des politiques spatiales.
Ce livre se présente comme une encyclopédie des activités spatiales mondiales (et des connaissances qui y sont rattachées) durant la seconde moitié du XXe siècle, avec des données compilées jusqu’aux années 2000-2002. En treize chapitres, F. Verger et ses trois collaborateurs développent les composantes des activités spatiales : caractéristiques physiques des grandes divisions de l’espace circumterrestre; éléments de mécanique céleste permettant de caractériser les paramètres orbitaux de la trajectoire des lanceurs, satellites et sondes spatiales; caractéristiques et cartographie de la trace au sol de l’orbite des satellites; bilan de l’exploration et de l’occupation des différentes zones de l’espace; budgets et politiques concernant l’espace et leur évolution dans le temps; inventaire historique des bases spatiales, lanceurs et navettes par pays; apport scientifique des missions spatiales; géographie de l’exploration de la Lune et du système solaire; fonctions des différents types de satellites et capteurs : météorologie, observation de la Terre, télé-communications, navigation et localisation; utilisation de l’espace à des fins militaires; le chapitre final dresse un bilan de l’occupation humaine de l’espace.
L’espace, nouveau territoire associe étroitement texte et illustrations dans une proportion à peu près égale. Les figures, au nombre de plus de 350, comprennent des cartes, schémas, dessins, photographies, images satellitaires, organigrammes, graphiques et tableaux. Leur conception et leur qualité graphique sont remarquables, ce qui facilite la compréhension de sujets parfois complexes comme les trajectoires des satellites ou des sondes spatiales. Leur contenu est aussi, la plupart du temps, très riche en informations. On peut signaler, comme exemples parmi d’autres, le tableau (graphique) synoptique des principaux événements de l’histoire spatiale de 1957 à 2000 (figure 4.2), le planisphère localisant les bases de lancement de satellites et les zones défavorables à leur localisation (figure 6.3), les mosaïques d’images satellitaires du site des principales bases de lancement et leurs croquis d’interprétation (chapitre 6), le schéma de la chronologie des vols habités (figure 13.2), dont le dessin évoque un jeu de l’oie. Par l’abondance des données qu’il contient, L’espace, nouveau territoire peut être considéré comme un atlas au sens de « somme de connaissances » sur l’espace, dans lequel les cartes et images spatiales ne constituent toutefois qu’une partie de la riche documentation iconographique.
Le thème des politiques spatiales des États fait l’objet d’un chapitre distinct, mais il est aussi traité à travers plusieurs autres chapitres, dans une perspective historique et comparative. Le nombre de pays impliqués dans les activités spatiales est limité en raison du haut niveau de connaissances technologiques et de l’ampleur des ressources budgétaires qu’elles exigent. L’occupation de l’espace circumterrestre a débuté dans le contexte géopolitique de la Guerre froide entre l’Union soviétique et les États-Unis. Les objectifs scientifiques des premières tentatives de cette occupation servaient secrètement les fins de l’appareil militaire des deux grandes puissances et la conquête de l’espace était un élément de prestige et de fierté nationale pour chacune d’elles. Durant cette période de tension politique et militaire, les deux superpuissances ont maintenu une certaine parité dans les ressources consacrées à l’espace. Mais après le démantèlement de l’URSS en 1991, la Russie, héritière de 80 % du potentiel spatial soviétique, a dû réduire considérablement son niveau de financement des industries et projets spatiaux. Les pays d’Europe de l’Ouest, quant à eux, se sont impliqués dès les années 1960 dans la recherche spatiale; l’Agence spatiale européenne (ESA) a été fondée en 1975, avec la France, l’Allemagne, l’Italie et le Royaume-Uni comme chefs de file et la contribution d’une dizaine d’autres pays. En 2001, le Japon était le troisième acteur le plus important (budget spatial de 2,5 milliards de dollars) après les États-Unis (28 milliards de dollars) et l’Europe (6 milliards); il était suivi par la Chine et l’Inde, la Russie étant reléguée en 6e position (400 millions). Le Canada, le Brésil, Israël, l’Australie et l’Ukraine, avec des budgets beaucoup plus modestes (environ 350 millions de dollars pour le Canada), complétaient le club des puissances spatiales. Les coûts considérables des activités spatiales et la détente qui a suivi la fin de la Guerre froide ont amené les puissances spatiales à rechercher la coopération plutôt que la concurrence. Cela s’est traduit par l’exploitation de créneaux spécifiques, la location de services sur des infrastructures nationales existantes (bases spatiales, lanceurs, navettes) ou encore par des projets conjoints comme la Station spatiale internationale. C’est cette coopération qui a permis à la Russie de conserver et de rentabiliser ses infrastructures et ses compétences, et à des pays autres que ceux du « club spatial » de mettre en orbite des satellites à vocation civile (télécommunications notamment). Le secteur privé est aussi mis de plus en plus à contribution dans plusieurs pays par des contrats de sous-traitance et par l’implication de compagnies privées comme opérateurs de satellites.
Les auteurs font ressortir les grandes lignes de la géopolitique de l’espace qui se dessine au début du XXIe siècle. Elle est caractérisée par une hégémonie de plus en plus grande des États-Unis et des puissances occidentales en matière de maîtrise des technologies spatiales et de contrôle de la diffusion de l’information recueillie à partir des satellites qui survolent la Terre. Depuis une décennie, on assiste aussi à une militarisation croissante de l’espace, malgré les traités internationaux qui établissent l’obligation de l’utiliser à des fins pacifiques et le fait que les lancements de satellites militaires ont diminué depuis 1994-95. Mais la distinction entre les fonctions civiles et militaires des satellites est de plus en plus difficile à établir. Les États-Unis sont devenus, de très loin, la principale puissance spatiale militaire et la première sur le marché des applications civiles où les sociétés américaines exercent une écrasante domination. Cette hégémonie remet en cause la souveraineté des autres États sur leur propre territoire.
Cet ouvrage s’adresse aux spécialistes et aux étudiants oeuvrant dans les multiples champs de connaissances reliés à l’espace; les géographes y trouveront les bases d’une géographie de l’occupation de l’espace et des objets spatiaux, comme le proposent les auteurs. L’information qu’il contient est assez vulgarisée pour intéresser également les élèves et les citoyens curieux de s’informer sur le fonctionnement des activités spatiales qui ont des incidences dans leur vie quotidienne et dans divers secteurs de l’économie ou de la politique : télé-communications par satellite, localisation sur le terrain ou en mer, images satellitaires pour la météorologie, la gestion des ressources ou la surveillance militaire, etc.; elle leur permettra aussi de mieux saisir les enjeux de l’occupation humaine de l’espace et de l’exploration du système solaire et de ses planètes. L’espace, nouveau territoire est un ouvrage essentiel pour comprendre comment la maîtrise des activités spatiales et des informations qu’elles génèrent est devenue un élément très important de la géopolitique mondiale.