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L’expression « aménagement du territoire » est non seulement difficile à traduire en anglais, mais elle a aussi un sens bien spécifique en France depuis 50 ans. Elle traduit essentiellement, dans ce pays à tradition centralisatrice, « un projet de l’État pour le territoire, une intervention volontariste de l’État dans la répartition géogra-phique des activités » (p. 37). Cet ouvrage, qui résulte d’un colloque tenu à Nantes en 2000, rappelle d’abord les trois présupposés à la base de ce « projet de l’État français » mis de l’avant pendant la reconstruction d’après-guerre : 1) il est préférable de déplacer les activités vers la population que d’obliger celle-ci à se déplacer vers les activités; 2) l’État est mieux placé que le marché pour façonner une géographie économique conforme à l’intérêt général; 3) l’aménagement du territoire est foncièrement redistributif. La période de 1945 à 1975 représente l’âge d’or de cette conception. Elle est suivie d’un repli qui résulte de l’échec du référendum de 1969 sur la restructuration régionale et du choc pétrolier de 1973-1974, qui ouvre une crise des finances publiques rendant dorénavant difficile la politique de redistribution spatiale amorcée précédemment.
L’ouvrage montre ensuite qu’il y a « retour d’une ambition pour le territoire » au tournant des années 1980-1990. Les principaux facteurs à l’origine du renouveau seraient l’internationalisation, la décentralisation et la montée des préoccupations environnementales. L’internationalisation prend avant tout, ici, le visage de l’Union européenne. L’ouvrage montre la tension entre la diversité des modèles nationaux et les tendances communes en matière d’aménagement du territoire au sein de l’Europe. Il illustre aussi comment la question environnementale appelle une nouvelle philosophie aménagiste, celle de l’aménagement durable du territoire. Enfin, il montre comment la décentralisation introduit une nouvelle stratégie aménagiste, qui prend la forme d’une politique cogérée et contractualisée, dont l’outil principal est le contrat de plan État-région. Les principales lois (Pasqua, Voynet) sont discutées. Plusieurs pages sont consacrées aux instruments de l’aménagement du territoire : les divers schémas de services collectifs, les modalités de négociation des contrats de plan État-région, les mécanismes financiers. Des chapitres abordent également l’aménagement du territoire culturel; le pouvoir mobilisateur de la région, thème illustré par le cas des Pays de la Loire; l’expérience régionale de la « démocratie sanitaire » ou, en d’autres termes, la territorialisation des politiques de santé.
En somme, ce recueil, malgré les innombrables coquilles qu’on y trouve, soutient l’intérêt du lecteur. Le panorama qu’on y brosse de l’aménagement du territoire « à la française » convainc qu’il y a effectivement « renouveau ». C’est probablement la construction européenne qui constitue le principal facteur à la source de ce renouveau. L’ouvrage fait état de la diversité des démarches, d’un pays européen à l’autre, et montre comment la notion de développement durable sert à rapprocher ces démarches et à indiquer que l’aménagement du territoire touche toute une série de dimensions plus larges que la stricte politique territoriale. Au moment où on veut faire évoluer le « modèle québécois », inspiré dans une certaine mesure de l’interventionisme français, cet ouvrage fournit assez d’informations sur les évolutions récentes en Europe pour piquer la curiosité et inciter à en apprendre davantage.