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Il y a un peu plus de 250 ans paraissait en Italie le traité Des délits et des peines du philosophe Cesare Beccaria[1]. Aucun ouvrage n’a probablement contribué autant à jeter les bases de la conception moderne du droit pénal. Inspiré par les grands principes humanistes du Siècle des lumières, Beccaria insiste notamment sur l’importance d’un droit pénal cohérent qui se soucie d’imposer des peines proportionnelles à la gravité des infractions qu’il sanctionne : « si la géométrie pouvait s’adapter aux combinaisons infinies et obscures des actions humaines, il devrait y avoir une échelle correspondante de peines, descendant de la plus forte à la plus faible[2] ». Si le tome III du Traité de droit criminel dont nous faisons ici la recension ne se réclame pas ouvertement de Beccaria, il s’inscrit néanmoins dans son sillage. Son but est précisément de fournir aux justiciables et aux praticiens du droit cette échelle des peines dont parlait le philosophe italien, ou du moins une boussole qui permet de se retrouver dans le labyrinthe complexe des principes législatifs et jurisprudentiels qui régissent le processus de détermination de la peine au Canada, le tout avec une attention spéciale accordée aux décisions des tribunaux québécois. Il en ressort un travail de pénologie exemplaire à tous égards, qui impressionne tant par son exhaustivité que par sa clarté.
Avant de présenter en détail la structure du livre, nous tenons à situer ce dernier dans le projet plus large dans lequel il s’insère. Coécrit par les professeurs Hugues Parent (Université de Montréal) et Julie Desrosiers (Université Laval), cet ouvrage de doctrine consacré à la question de la peine constitue en fait le troisième tome d’un traité dont les deux premiers sont dus au seul professeur Parent. Au premier tome qui s’intéresse à l’imputabilité et aux moyens de défense et au deuxième qui porte sur la culpabilité et les éléments constitutifs des infractions s’ajoute donc le troisième tome, qui concerne la détermination de la peine, grâce à la collaboration fructueuse de la professeure Desrosiers. Précisons que l’ouvrage en est déjà à sa troisième édition et qu’il a été cité des centaines de fois par les tribunaux depuis sa première édition en 2012. De cette édition jusqu’à la plus récente parue en 2020, ce ne sont pas moins de 445 pages qui sont venues s’ajouter à l’édifice, ce qui témoigne du souci des auteurs de tenir compte de la moindre évolution du droit. Le résultat s’avère d’autant plus incontournable qu’il n’existe aujourd’hui aucun équivalent sur le marché, que ce soit du point de vue de son ampleur ou de son actualité.
La table des matières (p. vii-xvi) permet au lecteur de visualiser d’emblée l’architecture de l’ouvrage qui est divisée en trois grandes parties, lesquelles se subdivisent elles-mêmes en chapitres ainsi qu’en diverses sections et sous-sections. Ces trois grandes parties, que nous examinerons consécutivement, sont les suivantes : tout d’abord, une présentation du processus de détermination de la peine considéré d’après ses fondements et ses fonctions de même que ses nombreux principes d’application ; ensuite, un survol exhaustif des catégories de peines utilisées en droit pénal canadien ; enfin, un examen attentif des fourchettes de peine appliquées en ce qui concerne les principales infractions rencontrées par le système judiciaire.
Dès l’introduction, Parent et Desrosiers rappellent que la peine est « l’épilogue du processus judiciaire » (p. 6). C’est à ce moment que le droit élargit son horizon temporel pour considérer non seulement le présent de l’acte criminel, mais aussi son passé et son avenir, c’est-à-dire ses conditions d’émergence et de réapparition potentielle. Le processus de détermination de la peine cherche en effet à évaluer le criminel « dans sa globalité » (p. 1078), ce qui signifie que ce n’est plus seulement ce qu’il a fait qui importe aux yeux du droit, mais aussi ce qu’il est.
La première partie de l’ouvrage s’ouvre sur un rappel du principe juridique primordial selon lequel il ne saurait y avoir de punition sans la présence d’un acte coupable (p. 18). Le droit de punir repose en ce sens sur deux fondements : l’imputabilité, qui suppose la capacité « d’orienter intelligemment et librement sa conduite » (p. 16), et la culpabilité, qui requiert la preuve des éléments constitutifs de l’infraction (actus reus et mens rea). À l’exception des infractions de responsabilité sans faute ou absolue, ces deux fondements doivent être impérativement réunis pour justifier l’imposition par l’État d’une peine quelconque.
Après de brèves remarques traitant des fondements du droit de punir, le premier chapitre définit un à un chacun des objectifs pénologiques codifiés à l’article 718 du Code criminel[3]. Rappelons que ceux-ci sont au nombre de six : la dénonciation, la dissuasion, la neutralisation, la réhabilitation, la réparation et la responsabilisation. En s’intéressant à la manière dont ces objectifs ont été interprétés par les tribunaux, les auteurs précisent à juste titre que l’on aurait tort de vouloir associer le droit pénal canadien à une seule approche de la peine, qu’elle soit utilitariste ou rétributive. Dans les faits, les deux grandes conceptions de la peine sont en « interaction » (p. 22) dans le processus de détermination de la peine, le droit étant préoccupé à la fois par l’utilité de la peine (ses conséquences bénéfiques pour l’avenir de l’individu et de la société) et par la justification morale de la punition fondée sur le mérite (rétribution). Dans cette section qui étudie les différentes fonctions de la peine, le lecteur appréciera particulièrement le fait que les auteurs n’hésitent pas à aborder avec nuance certains des débats qu’elles soulèvent. Leur discussion de l’épineuse question de l’efficacité de la dissuasion (p. 32-38), par exemple, est d’une grande pertinence. Dans la dernière section du premier chapitre, les auteurs insistent sur l’importance cardinale du principe de proportionnalité de la peine consacré à l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés[4] et reconnu à l’article 718.1 du Code criminel. Après avoir répondu aux questions « pourquoi punir ? » et « à quelles fins ? », ces passages sur la nécessité d’une peine proportionnelle à la gravité et à la responsabilité de l’accusé viennent opportunément répondre à la question « dans quelle mesure devons-nous punir ? ».
Dans le deuxième chapitre, qui s’étend sur plus de 200 pages, les auteurs se tournent vers les principes qui régissent concrètement la détermination de la peine. Le premier principe, inclus dans l’article 718.2 (a) du Code criminel, est celui qui reçoit de loin le traitement le plus détaillé : il renvoie à la nécessité d’adapter la peine aux circonstances aggravantes ou atténuantes qui ont entouré la commission de l’infraction. Les professeurs Parent et Desrosiers passent en revue, dans un premier temps, les sept circonstances aggravantes qui sont explicitement codifiées par le législateur. Mentionnons notamment les crimes motivés par la haine ou les préjugés, ceux qui sont commis à l’encontre d’une personne mineure ou encore perpétrés dans le contexte d’une organisation criminelle ou terroriste. Dans chaque cas, les auteurs prennent soin de préciser, en s’appuyant sur la jurisprudence pertinente, la manière dont ces circonstances ont été interprétées à ce jour par les tribunaux. Dans un second temps, les auteurs déplacent leur attention sur les circonstances aggravantes ou atténuantes qui, sans être expressément prévues par la loi, découlent néanmoins de l’activité judiciaire. Ce ne sont pas moins de 25 catégories de circonstances qui se trouvent alors savamment distinguées : celles-ci vont des antécédents judiciaires de l’accusé jusqu’au risque de récidive en passant par les remords, le pardon de la victime ou encore l’enregistrement d’un plaidoyer de culpabilité. Une rubrique porte même sur le statut de l’« enfance malheureuse de l’accusé » qui, bien qu’elle ne soit pas vue généralement comme un facteur d’atténuation de la peine (p. 194), peut tout de même faire l’objet d’une certaine considération de la part des tribunaux, quoique de façon très limitée.
Après avoir présenté en détail l’ensemble des circonstances susceptibles de peser en faveur ou en défaveur de l’accusé, les auteurs exposent succinctement les autres principes qui doivent guider le processus de détermination de la peine selon le législateur. Outre le principe d’individualisation de la peine, rappelons que le Code criminel mentionne aussi le principe de l’harmonisation des peines[5], suivant lequel les infractions semblables commises dans des circonstances semblables doivent recevoir des peines semblables, l’obligation d’éviter l’excès dans l’infliction de peines consécutives[6], le principe de modération dans le recours à l’emprisonnement[7] et, finalement, l’obligation d’examiner, spécialement dans le cas des délinquants autochtones, la possibilité de sanctions substitutives[8]. Dans chaque cas, les auteurs s’assurent de dégager avec précision la portée de ces principes en s’appuyant sur la jurisprudence appropriée. Concernant la portée de l’article 718.2 (e), nous pouvons toutefois faire reproche aux auteurs d’avoir essentiellement limité leur regard à la jurisprudence de la Cour suprême du Canada et des tribunaux québécois. Bien que l’ouvrage adopte une perspective québécoise qui se justifie amplement, les auteurs n’en affirment pas moins en introduction vouloir « inscrire [leur] analyse de la peine dans une approche globale de la justice pénale au Canada » (p. 10). Or dans le cas précis de l’article 718.2 (e), il aurait été pertinent, croyons-nous, d’aborder au moins brièvement la question de savoir dans quelle mesure « les facteurs systémiques et historiques » reconnus dans l’arrêt R. c. Gladue[9] au sujet des délinquants autochtones doivent aussi s’appliquer aux délinquants d’origine non autochtone, en particulier les personnes noires. En Ontario, deux décisions récentes de la Cour supérieure ont fait couler beaucoup d’encre à ce sujet, et la Cour d’appel a d’ailleurs accepté de se pencher sur l’une d’entre elles[10]. Nous ne doutons pas que les auteurs sauront tenir compte de cette évolution jurisprudentielle récente dans la prochaine édition de leur ouvrage.
Après une première partie digne d’éloges sur les fondements, les fonctions et les principes d’application de la peine, la deuxième partie de l’ouvrage, quant à elle, procède à l’inventaire des peines utilisées au Canada. Là encore, le résultat force l’admiration aussi bien en raison de la rigueur qui s’y déploie que de l’organisation fort efficace du propos, toujours solidement étayé par la jurisprudence et les dispositions législatives visées. En sept chapitres très détaillés, les professeurs Parent et Desrosiers présentent tour à tour l’état du droit en matière d’absolution, de probation, d’amende, de dédommagement, d’emprisonnement, d’emprisonnement avec sursis et d’emprisonnement à durée indéterminée (lequel suppose la déclaration de l’accusé comme délinquant dangereux ou à contrôler). Le fait que chaque chapitre débute par de brèves remarques sur l’origine des différentes peines confère une indéniable profondeur historique au propos. Dans ce genre d’ouvrage, il est inévitable que certaines parties vieillissent plus vite que d’autres en raison de l’évolution rapide du droit. Bien entendu, il ne saurait assurément être question d’en tenir rigueur aux auteurs : nous nous contenterons de signaler au passage que leur sous-section consacrée à la distinction entre peine concurrente et peine consécutive n’a malheureusement pas pu tenir compte de l’invalidation de l’article 745.51 du Code criminel par la Cour d’appel du Québec en 2020, laquelle a déclaré inconstitutionnelles les peines de prison consécutives en matière de meurtres multiples[11].
Dans la troisième et dernière partie de l’ouvrage, les professeurs Parent et Desrosiers s’attaquent à une tâche colossale en s’efforçant de dégager les fourchettes de peines des principales infractions prévues dans le Code criminel. Comme il est reconnu que les juges bénéficient d’un vaste pouvoir discrétionnaire en la matière, les auteurs précisent que les fourchettes ont d’abord pour fonction de fournir des repères aux tribunaux, c’est-à-dire qu’elles « ne sont pas de nature prescriptive, mais descriptive » (p. 699). En ce sens, les fourchettes de peines n’ont rien d’immuable, d’autant qu’elles « fluctuent en fonction des valeurs, des principes et des tendances qui animent la société à l’égard de certaines conduites répréhensibles » (p. 700). Par exemple, en raison de l’intensification du mouvement de dénonciation des violences sexuelles au cours des dernières années, les fourchettes de peines en matière d’agression sexuelle se déplaceront probablement vers le haut. Il arrive néanmoins que certaines peines s’écartent de façon si marquée des fourchettes couramment suivies qu’elles peuvent se révéler déraisonnables, ce qui ouvre ainsi la porte à une révision en appel. Tout au long de cette partie, les auteurs veillent d’ailleurs avec une grande précision à rendre compte du dialogue constant qui se noue entre les tribunaux de première instance et les tribunaux d’appel. C’est bien souvent ce dialogue qui contribue à l’émergence d’une certaine cohérence dans cette « science inexacte » qu’est la distribution des peines. À elle seule, la troisième partie, relative au registre des peines, permet de comprendre l’impressionnante popularité de ce traité auprès des juges. En donnant accès d’une manière claire et structurée à un échantillon représentatif des peines les plus indiquées pour telle ou telle infraction, les auteurs fournissent une carte pour se repérer dans un territoire qui se distingue souvent par son obscurité. Notons d’ailleurs au passage que la table analytique et la table de la jurisprudence placées à la fin de l’ouvrage permettent au praticien du droit de trouver rapidement ce qu’il cherche. L’absence d’une table de la législation, toutefois, constitue une lacune qui mériterait d’être comblée à l’occasion de la prochaine édition.
Nous terminerons notre propos moins par une critique que par une suggestion. La perspective québécoise retenue par les auteurs comprend plusieurs avantages, et il va sans dire qu’une comparaison systématique de la jurisprudence québécoise avec celle du reste du Canada aurait largement dépassé le cadre de l’ouvrage, en plus de l’alourdir inutilement. Cela dit, les professeurs Parent et Desrosiers n’hésitent pas, dans certains passages, à faire les remarques comparatives qui s’imposent. Ainsi, dans une sous-section sur les peines d’emprisonnement maximales et minimales, ils rappellent que, en l’absence de peine minimale prévue par la loi, des cours d’appel provinciales ont choisi d’encadrer le pouvoir discrétionnaire des tribunaux en établissant des « points de départ » (p. 507). La Cour d’appel de l’Alberta propose notamment un minimum de trois ans de détention dans les cas d’agression sexuelle grave[12]. La Cour d’appel du Québec, pour sa part, a rejeté cette approche et privilégie une libre application du principe de l’individualisation de la peine. Ce simple exemple illustre avec beaucoup d’éloquence le fait que les fourchettes de peines ne sont pas transposables d’une province à l’autre au Canada.
Dans leur introduction, les auteurs soulignent à juste titre qu’il faut « envisager le discours juridique sur la peine, non seulement comme un processus vertical d’émission et d’édiction de la norme, mais comme le produit de facteurs extrajuridiques provenant du champ culturel dans lequel s’inscrivent ces opérations » (p. 12). Cette remarque nous amène à formuler notre suggestion : forts de leur connaissance approfondie du droit pénal canadien, les professeurs Parent et Desrosiers gagneraient à réserver au moins une brève section de leur ouvrage aux traits distinctifs de la jurisprudence québécoise en matière de peine. Y a-t-il de grandes tendances qui la distinguent significativement de la jurisprudence des autres provinces canadiennes et, si oui, quels peuvent être les facteurs extrajuridiques susceptibles d’expliquer ces différences ? Nous ne pensons pas qu’il soit utile de se livrer à un travail exhaustif de droit comparé, mais nous estimons qu’un tel ajout ne pourrait que profiter à cet ouvrage qui, répétons-le, force déjà l’admiration sous sa forme actuelle.
Appendices
Notes
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[1]
Cesare Beccaria, Des délits et des peines, Paris, Flammarion, 1965 [1re éd. : 1764].
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[2]
Id., p. 73.
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[3]
Code criminel, L.R.C. 1985, c. C-46 (ci-après « C.cr. »).
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[4]
Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982 [annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, c. 11 (R.-U.)].
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[5]
Art. 718.2 (b) C.cr.
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[6]
Art. 718.2 (c) C.cr.
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[7]
Art. 718.2 (d) C.cr.
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[8 ]
Art. 718.2 (e) C.cr.
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[9 ]
R. c. Gladue, [1999] 1 R.C.S. 688, par. 67-69.
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[10]
Voir en particulier les affaires R. v. Jackson, 2018 ONSC 2527, et R. v. Morris, 2018 ONSC 5186 (demande d’autorisation d’appel acceptée).
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[11]
Bissonnette c. R., 2020 QCCA 1585 (demande d’autorisation d’appel accueillie : Procureur général du Québec, et al. c. Alexandre Bissonnette, 2021 CanLII 44585 (CSC)).
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[12]
R. v. Sandercock, [1985] A.J. no 818 (C.A.) (ln/ql).