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Au cours des dernières décennies, de nombreuses réformes du système de justice ont été entreprises dans le but d’améliorer l’accès à la justice. Les dispositifs mis en place, les institutions créées et les procédures modifiées devaient notamment permettre de rapprocher la justice des citoyens-justiciables. L’objectif de l’accessibilité à la justice s’est ainsi traduit par la création d’une justice de proximité. C’est du moins l’hypothèse qui sous-tend l’analyse que nous proposons de l’évolution de la justice au Québec.

Sans que cela ait toujours été expressément affirmé, l’accès à la justice serait synonyme de justice de proximité. Le lien entre les réformes favorisant l’accès à la justice et la justice de proximité a parfois été plus explicite. C’est ainsi que le législateur québécois a lui-même justifié l’existence de cours municipales par l’objectif « d’assurer une justice de proximité sur tout le territoire québécois et de favoriser ainsi l’accès à la justice pour les citoyens[1] ». En cherchant à rapprocher la justice des justiciables et des citoyens, la justice de proximité a émergé sous la forme d’une proximité de la justice[2].

De la même manière que les juristes se sont demandé comment concevoir l’accès à la justice, nous voulons réfléchir ici à ce que signifie la proximité (quelle proximité ?) pour la justice. Parler de justice de proximité peut paraître, a priori, en porte-à-faux avec les fondements du système de justice. En effet, depuis la modernité politique et juridique, le système judiciaire a été fondé sur la base de principes d’indépendance et d’impartialité en vue d’établir une distance, d’une part, entre le pouvoir judiciaire et les autres branches de l’État et, d’autre part, entre les tribunaux et les citoyens-justiciables. En ce sens, on a pu écrire que « proximité et justice ne vont pas ensemble[3] ». C’est probablement ce qui explique le malaise que des juristes ressentent parfois devant la création d’une justice de proximité, qui s’incarne dans différents phénomènes tels que des centres de justice de proximité, des tribunaux administratifs, des services d’aide juridique, des cours des petites créances, des cliniques juridiques, des cours municipales, des organismes d’information juridique, des tribunaux spécialisés ou des modes de prévention et de règlement des différends (PRD), dont la médiation judiciaire. Certains de ces phénomènes feront l’objet de notre analyse.

En dépit de cette inadéquation apparente entre justice et proximité, la création d’une justice de proximité existe depuis quelque temps déjà, et ce phénomène continue de prendre de l’ampleur, tant en Amérique du Nord[4] qu’en Europe[5]. Les transformations de la justice semblent ainsi rejeter l’idée qu’il y aurait une incompatibilité entre la justice et la proximité, comme en témoigne la création, au Québec, des centres de justice de proximité (CJP).

Diverses hypothèses peuvent être formulées pour tenter d’expliquer la raison pour laquelle des mécanismes et des institutions de justice de proximité ont été mis sur pied depuis quelques décennies. Parmi ces hypothèses, nous avons retenu celle qui consiste à associer la justice de proximité au développement de la gouvernance et nous voulons montrer la manière dont le développement de la justice de proximité s’inscrit dans la gouvernance même : l’objectif de rendre la justice plus accessible, en la rapprochant des citoyens et des autres services publics, a emprunté les voies offertes par la gouvernance pour la création de normes, de mécanismes, de dispositifs et de processus.

Au-delà de l’objectif d’accès à la justice lié aux différentes réformes, cette transformation se situe donc dans un changement de paradigme beaucoup plus large, soit le passage du gouvernement à la gouvernance qui s’exprime aussi dans le remplacement, en partie, du modèle de la pyramide par celui du réseau[6]. Les réformes de la justice ont permis de dépasser le modèle vertical de la justice associé à la métaphore de la pyramide, pour y ajouter, suivant le modèle du réseau, de nouvelles modalités et pratiques de justice. Parallèlement au système de justice se met en place un réseau de services, imaginés dans une perspective de proximité, mais dont le sens demeure encore à préciser. Alors que les fondements de la justice s’appuyaient sur la logique moderne des institutions, voilà que l’organisation judiciaire semble de plus en plus s’intégrer dans les transformations postmodernes de l’État et du droit[7], avec la montée du droit souple[8] et l’apparition de nouveaux modes de régulation et d’action publiques[9]. Dans ce contexte, le droit et la justice évoluent :

Rompant avec la dogmatique juridique inhérente à la modernité, le droit post-moderne – droit pluriel, droit négocié, droit mou, droit réflexif – présente ainsi des caractéristiques nouvelles par rapport au droit moderne : épousant la complexité du réel, il se transforme en instrument flexible de pilotage et de gouvernance ; de moyen de « gouvernement » des sociétés, il devient l’outil d’une « gouvernance » qui emprunte des voies plus sinueuses[10].

Afin de saisir le sens de ces nouveaux modes de justice de proximité qui ont été institués, nous souhaitons en faire l’étude à travers le prisme, ou le cadre d’analyse, de la gouvernance. Dans la première partie de notre texte, nous expliciterons le lien qui existe entre la justice de proximité, l’accès à la justice et la gouvernance, en définissant chacune de ces notions et en précisant l’évolution des conceptions de la justice — soit le passage d’une justice moderne à une justice postmoderne. La deuxième partie nous servira à rendre compte de la littérature relative à la justice de proximité dans le contexte de la gouvernance et à construire, sur la base de ces écrits, une typologie qui permettra, dans la troisième partie, d’analyser certains phénomènes de justice de proximité. Plus précisément, nous analyserons selon cette perspective les cours municipales, les tribunaux administratifs, les programmes d’accompagnement justice et santé mentale (PAJ-SM) ainsi que les CJP.

1 L’évolution de la justice et de l’accès à la justice vers la proximité

Elle-même issue de la problématique de l’accès à la justice, la justice de proximité s’intègre dans le contexte plus large du droit de la gouvernance, lequel est sous-tendu par des conceptions postmodernes du droit et de la justice. Nous voulons d’abord rappeler les transformations de la justice en les situant dans des conceptions de la justice moderne et postmoderne (1.1). Par la suite, nous examinerons la notion d’accès à la justice afin de comprendre son évolution à travers différentes étapes de réforme (1.2). Enfin, nous esquisserons l’arrière-plan de la gouvernance pour bien situer le développement de la justice de proximité dans cette évolution récente du droit (1.3).

1.1 Le passage à une justice postmoderne

L’évolution contemporaine de la justice et du droit est parfois conceptualisée en termes de passage de la modernité à la postmodernité[11]. Jacques Chevallier le rappelle au sujet du droit moderne : cette forme de justice s’inscrit dans « la croyance dans les vertus de la Raison, qui, comme l’a montré Max Weber, entraînera un processus général de “rationalisation” de l’organisation technique (industrialisme), économique (capitalisme), politique (construction de l’État, dans lequel l’autorité est fondée sur une légitimité légale-rationnelle, s’exerce selon des règles pré-établies et s’appuie sur une bureaucratie professionnalisée et disciplinée)[12] ». Cette description introduit bien certaines des principales caractéristiques de la justice moderne. Parmi celles-ci, on compte une association avec l’État ou la nation[13], ou les deux à la fois, un recours à la loi et au droit, plus précisément à un droit écrit, stable, prescriptif et contraignant[14] appliqué par des professionnels, dont des juges indépendants et impartiaux[15], et une valorisation des droits individuels[16].

Non seulement la justice moderne ne s’accorde pas avec la proximité, mais elle s’en éloigne. En insistant sur l’État et l’individu, la justice moderne et son droit laissent très peu de place à la communauté locale et aux liens communautaires en général[17]. Il faut dire que, surtout selon les critiques qui lui ont été adressées, la justice moderne cherche non pas à rétablir l’harmonie dans la communauté, mais à déterminer un gagnant dans un contexte de confrontation entre les parties[18], ce qui entraînerait souvent lourdeur, délais et coûts élevés[19]. C’est en quelque sorte en réponse à ces critiques qu’est apparue la justice postmoderne, laquelle s’accompagne d’une conception postmoderne du droit[20].

Ce droit laisse présager d’une justice postmoderne, ou du moins propre « à l’ère postmoderne[21] », marquée par un pluralisme des sources juridiques[22], qui peuvent être simultanément autant écrites et étatiques que coutumières et locales[23], un recours aux modes de PRD et donc à un processus souple et moins coûteux[24], une intervention accrue d’experts non juristes, qui n’empêche pas une valorisation des juges professionnels, impartiaux et indépendants[25], ainsi qu’une importance accordée aux droits de la personne même dans un contexte de société de masse où existent des collectivités[26].

La justice postmoderne renoue ainsi avec la proximité, notamment en ce qu’elle valorise la communauté locale[27], les pouvoirs et les processus participatifs locaux[28], outre qu’elle réduit « la distance entre le judiciaire et le social[29] ». Par ailleurs, dans la mesure où elle privilégie la proximité, il convient d’interroger l’effet de cette justice sur des principes hérités de la modernité juridique, tels que l’indépendance et l’impartialité. Traditionnellement, ces deux principes ont beaucoup été valorisés. L’indépendance judiciaire, ou même quasi judiciaire, réfère habituellement à la possibilité pour le tribunal de rendre ses décisions en étant libre de toute intervention ou de toute influence inappropriée, que ce soit de la part du gouvernement ou d’autres sources, dont une partie au litige, un groupe de pression ou même un autre juge[30]. Cette indépendance est une condition inhérente à l’exercice impartial de leur activité décisionnelle. Elle l’est aussi pour que le tribunal soit perçu de cette manière et pour assurer la confiance des parties et du public dans l’administration de la justice. En d’autres mots, l’indépendance n’est pas une fin en soi, ni une exigence au strict bénéfice des juges, mais un principe qui protège aussi d’autres valeurs considérées comme importantes dans notre système de justice.

Or, s’agissant de justice de proximité, la mise au point de mécanismes alternatifs appropriés à cet objectif peut nécessiter une souplesse qui s’accommode mal des contraintes d’indépendance et d’impartialité dérivées du modèle judiciaire. La conception d’outils juridiques garantissant l’intégrité du processus par des moyens autres, plus adaptés au travail quotidien du décideur, devient nécessaire. Cependant, jusqu’où la justice peut-elle se rapprocher du citoyen ?

1.2 L’accès à la justice

À l’occasion de certaines réformes de la justice, un lien a été explicitement tracé entre l’accès à la justice et la justice de proximité. C’est ce que la première ministre du Québec de l’époque, Pauline Marois, expliquait à propos des CJP : « Nous devons aussi nous rapprocher des gens, par exemple avec des centres de justice de proximité. Pour rapprocher la justice des citoyens et la rendre plus accessible, nous installerons davantage de centres de justice de proximité[31]. »

Selon notre hypothèse, l’objectif de rendre la justice plus accessible équivaut aussi à la rapprocher des citoyens-justiciables dans le contexte du développement d’une justice de proximité, et ce, même si elle n’était pas ainsi désignée au moment où elle a été élaborée. La justice de proximité est, en quelque sorte, un moyen par lequel on a tenté d’atteindre l’objectif de l’accès à la justice. La réflexion sur l’accès à la justice recèle, en arrière-plan, un débat sur le rôle de l’État, sa fonction et ses moyens d’action. D’ailleurs, avec la venue de l’État providence, le mouvement de l’accès à la justice a pris de l’ampleur[32].

Dans la problématique de l’accès à la justice, les juristes ont surtout insisté sur l’accès alors que, d’après Roderick A. Macdonald, la justice précède l’accès[33]. À défaut de définir ce qu’est la justice, il est évident que la réflexion sur l’accès demeurera incomplète dans la mesure où l’accès aux tribunaux n’équivaut pas à l’accès à la justice ou, pour le dire autrement, n’épuise pas, loin de là, la signification de l’accès à la justice. Selon Macdonald, les citoyens « renouvellent le droit en le vivant, réussissant souvent à réparer les injustices causées par un droit officiel que le législateur ne veut pas ou ne peut pas modifier[34] ».

L’approche que nous privilégions s’appuie également sur une conception proactive de la justice. La perspective de la gouvernance insiste en effet sur la participation des citoyens à la construction des normes juridiques qui les régiront : gouvernance de proximité et démocratie participative ont partie liée[35]. Au sujet de la gouvernance, Karim Benyekhlef écrit ceci :

Ce nouveau régime entend réunir les parties prenantes afin de dessiner des normes, des ententes, des stratégies qui doivent renouveler les conceptions de l’État et de ses missions. En fait, la gouvernance soustrait à la représentation nationale, dûment élue, certaines de ses prérogatives au nom de cette nouvelle approche et de l’idée de proximité qui suppose que les acteurs au premier chef concernés seront les meilleurs passeurs d’une politique et d’une normativité à établir[36].

À cet égard, dans la perspective de l’accès à la justice, c’est sur les possibilités d’une justice de proximité donnant une place aux citoyens qu’il convient de mettre l’accent. Dans cette voie citoyenne, axée sur la justice participative, la construction du droit n’est pas une action individuelle, mais collective, c’est-à-dire de coopération sociale[37], façonnée au départ du monde vécu et de l’expérience des personnes. Cette réflexivité est interpellée par la loi elle-même et, en cela, elle est juridique[38]. Au-delà des droits des individus, tels qu’ils sont conçus depuis la modernité juridique, ce sont le vivre-ensemble et les relations entre les personnes qui doivent aussi être assurés. À titre d’exemple, la médiation peut être conçue comme une nouvelle offre de justice permettant une telle structuration des relations sociales[39]. Plus encore, de telles considérations participent d’une conception proactive de la justice.

Cette conception peut être associée à une forme de justice plus avancée selon la typologie de l’accès à la justice mise au point par Macdonald. Dans son modèle, le processus d’accès est établi en cinq étapes ou vagues successives, qui se seraient réalisées à partir des années 60. Une compréhension plus actuelle ou contemporaine de cette typologie permet de concevoir lesdites étapes non plus de manière successive, mais plutôt comme des réalisations qui se superposent. En effet, l’accès à la justice combine aujourd’hui des éléments de chacune des étapes qui, bien qu’elles aient pu apparaître selon un certain ordre temporel, à la manière de strates, coexistent désormais dans un éventail de mesures d’accessibilité.

Pour rendre compte de cette stratification, Macdonald a proposé un modèle d’accès à la justice fondé sur cinq étapes, qu’il nomme « vagues », à la suite de Mauro Cappelletti et Bryan Garth qui, eux, avaient suggéré un modèle composé de trois vagues. Après avoir mené, au cours des années 70, une vaste étude sur l’accès à la justice, le « Projet de Florence », Cappelletti et Garth[40] ont précisé que l’accès à la justice signifie d’abord l’accès aux avocats, plus précisément en ce qui a trait aux moyens financiers des justiciables qui veulent avoir recours à des services juridiques. La première vague insiste donc sur la nécessité d’instituer des réformes pour permettre aux justiciables les plus pauvres d’accéder, par l’entremise de programmes d’aide juridique par exemple, à la justice. La deuxième vague concerne la préoccupation relative à la représentation des divers intérêts, notamment collectifs, ce qui exige des réformes quant à la capacité d’agir dans l’intérêt public, aux recours collectifs et à de nouvelles agences gouvernementales, telles que les protecteurs (ombudsmen) ou protectrices (ombudswomen) du citoyen, susceptibles d’assurer cette représentation de tous les intérêts. La troisième et dernière vague propose une approche fondée à la fois sur de nouvelles formes de représentation et de nouvelles institutions offrant des processus de traitement des conflits. Il s’agit notamment de créer des procédures simplifiées, plus efficaces. Par exemple, les offices de protection des consommateurs, les cours des petites créances et ce que l’on nomme aux États-Unis les centres de justice communautaire (neighborhood justice centers), participent de ce mouvement[41]. Outre qu’elle présente un lien évident avec la proximité, cette vague marque déjà un certain retrait par rapport aux idéaux de l’État providence sur la base desquels la question de l’accès à la justice avait jusque-là été pensée. Ab Currie a commenté la troisième vague dans les termes suivants :

Au cours des premières étapes de la troisième vague, on a mis l’accent sur les réformes des procédures judiciaires. Peut-être que plus récemment, la « troisième vague » s’oriente vers un renforcement de la contribution des groupes communautaires aux services d’accès à la justice. Nous nous éloignons du concept d’un accès à la justice fondé sur les avocats, et qui consiste essentiellement en une aide juridique centrée sur la représentation[42].

Macdonald, quant à lui, donne différents sens à ce concept d’accès à la justice, qu’il situe dans le temps selon cinq vagues :

  1. l’accès aux avocats et aux tribunaux (1960-1970) ;

  2. le remaniement de la conception institutionnelle (1970-1980) ;

  3. la démystification du droit (1980-1990) ;

  4. le droit préventif (1990-2000) ;

  5. l’accès proactif à la justice (2000-2010)[43].

Ces vagues sont non seulement associées à des périodes mais aussi, en arrière-plan, à des conceptions du droit.

La première vague, qui se situe entre 1960 et 1970, est caractérisée par l’accès aux avocats et aux tribunaux. Fondée sur les sempiternelles préoccupations liées aux coûts et aux délais, mais aussi eu égard à la complexité du système juridique, la pensée de l’accès à la justice s’intéresse notamment à l’implantation d’un système d’aide juridique. Plus récemment, de nouveaux services ont été offerts dans le contexte des limites du financement de la justice, caractérisé par un certain désengagement de l’État. Par exemple, la création d’un organisme tel Juripop (en 2009), qui vise à lutter concrètement pour l’accès à la justice en proposant des services juridiques à prix modique aux personnes exclues de l’aide juridique gouvernementale, mais qui sont dans l’incapacité financière de payer pour la défense de leurs droits, s’inscrit dans cette conception de l’accès à la justice. Le lien entre la justice de proximité et l’accès à la justice est explicitement établi[44]. Les services pro bono, tels que Pro Bono Québec créé en 2008 et devenu en 2019 Justice Pro Bono, offerts par des membres du Barreau du Québec, veulent aussi favoriser l’accès à la justice en contournant la très importante barrière que représentent les honoraires d’avocats. Se développe également l’assurance juridique pour garantir le paiement d’honoraires d’avocats ou de frais judiciaires.

La deuxième vague porte plus précisément sur la structure et la réforme des institutions, ce que nous nommerons ici le « remaniement de la conception institutionnelle ». Pendant les années 70 et 80, les modifications de la structure des tribunaux et l’amélioration des systèmes d’aide juridique ont fait partie des mesures mises en place pour assurer un meilleur accès à la justice institutionnelle. L’efficacité des tribunaux, leurs procédures et, plus généralement, leur organisation ont été examinées. Les études réalisées ont mené à l’amélioration des procédures d’arrestation et de détention préalables au procès, à la création des cours des petites créances, à l’autorisation des recours collectifs, à la modification des règles concernant la communication et l’interrogatoire préalable ainsi qu’à la permission des honoraires conditionnels. Ces changements apportés à la structure du système des tribunaux et de la justice en général ont alors pour objectifs d’accélérer les poursuites, de réduire leur coût ou d’accroître leur disponibilité. Dans cet esprit, la Commission des droits de la personne et la Régie du logement sont instituées. Bien souvent, on cherche à répondre au problème de l’accès à la justice par la création d’institutions et de processus.

La troisième vague d’accès à la justice, durant la période 1980-1990, a pour objet de démystifier la loi, ou le droit, par la vulgarisation des règles juridiques. L’idée est de favoriser l’accès à la justice, ou aux lois, aux règlements et aux droits, par la connaissance du droit. Dans cet esprit pédagogique, des organismes tels SOQUIJ, Éducaloi, CanLII, correspondent à une telle conception de l’accès à la justice en matière d’information juridique. Les mécanismes dont l’objet consiste à déjudiciariser la justice civile participent également de cette vague, alors qu’ils seront aussi au coeur de la suivante. Comme l’a toutefois souligné plus tard Macdonald, la vulgarisation juridique « peut être une arme à double tranchant », en ce qu’elle « finit souvent par accroître la dépendance aux avocats, aux tribunaux et au système officiel[45] ».

De 1990 à 2000, la quatrième vague, axée sur le droit préventif[46], se concentre sur les modes de PRD. Nés des insatisfactions causées par les modes de résolution de conflits du système de justice formel, ces modes se sont développés parallèlement et représentent un moyen de résolution des conflits plus approprié dans la majorité des situations. Plus de 90 p. 100 des causes inscrites se réglant autrement que par une décision du tribunal, c’est la pratique du droit elle-même qui porte cette transformation du droit et de la justice.

La participation des citoyens à des comités parlementaires ou à des audiences d’organismes administratifs, aux fins de l’élaboration des normes législatives et réglementaires, est encouragée. Précisons que, selon cette typologie, si le droit joue un rôle fondamental dans la création des conflits, il en va autrement dans leur résolution. L’une des difficultés que pose à cet égard le recours aux modes de PRD est qu’ils surviennent souvent trop tardivement, alors que le conflit est devenu un litige. Même à ce stade avancé, le recours à la médiation n’est toutefois nullement exclu, comme en témoigne le programme de médiation mis en place à la Cour d’appel du Québec. Pourtant, le conflit, qui est souvent cause de blessures et de pertes, peut aussi avoir des effets positifs, par exemple en donnant aux justiciables une perspective de croissance et de développement moral. Notamment, il « offre la possibilité d’examiner les valeurs qui sous-tendent les règlements, d’en analyser les hypothèses et de mettre leur validité à l’épreuve contre des revendications opposées[47] ».

La cinquième vague, qui touche les années 2000 à 2010, propose un accès proactif à la justice, en s’intéressant à la fois aux institutions officielles et non officielles de création et d’administration de la loi : « Dans une démocratie libérale, le véritable accès à la justice exige que chacun ait un droit égal de participer à chaque institution où le droit est débattu, créé, trouvé, organisé, administré, interprété et appliqué[48]. » Selon l’approche de Macdonald, il faut faire place au droit vivant de l’activité humaine quotidienne (living law of everyday human activity), en permettant aux citoyens de participer à l’élaboration (law-making) et à l’application du droit (law applying) afin que ce dernier soit un reflet plus fidèle de la justice résultant du droit de tous les jours[49].

Cette vague est une forme plus avancée de justice participative, en ce qu’il est ici essentiel de « donner aux citoyens la possibilité de participer davantage aux processus législatifs et administratifs de création du droit[50] ». Macdonald souligne le « désir de la population de ne plus se soumettre automatiquement aux institutions étatiques pour la définition même des différends sociaux[51] » ; il explique l’importance d’inclure les citoyens dans le processus de création, d’application et d’interprétation du droit :

En incitant à prendre cet engagement le Rapport [du Groupe de travail sur l’accessibilité à la justice du Québec] se déclare nettement en faveur d’une perspective selon laquelle tout citoyen participe non seulement à l’élaboration des choix sociaux sur l’accessibilité aux institutions juridiques mais aussi dans l’élaboration des choix sociaux quant aux circonstances pour lesquelles la justice appelle un recours au juridique[52].

Inévitablement, une telle participation citoyenne suppose de rapprocher la justice des citoyens et d’en faire, conséquemment, une justice de proximité.

1.3 De l’accès à la justice de proximité : l’arrière-plan de la gouvernance

Bien que l’accès à la justice ait été, en soi, un objectif légitime des différentes réformes, cette évolution de la justice s’inscrit, en outre, dans une transformation plus fondamentale encore : l’émergence de la gouvernance comme nouveau modèle d’organisation des pouvoirs publics[53]. Pour éclairer les usages de la justice de proximité, l’approche axée sur la gouvernance insiste sur la participation des citoyens à la construction et à l’application des normes juridiques qui les régiront. En ce sens, dans la perspective de la gouvernance, l’accès à la justice s’édifie sur les possibilités d’une justice de proximité responsabilisant les citoyens. Dans cette voie citoyenne, axée sur la justice participative, l’élaboration et l’application du droit relèvent d’une action collective de coopération sociale[54].

Notion polysémique et transdisciplinaire, la gouvernance a fait l’objet de nombreuses études au cours des dernières années[55], parfois dans des perspectives plus critiques[56]. La gouvernance a notamment été définie comme « une méthode ou un mécanisme de régulation d’une vaste série de problèmes ou conflits, par laquelle/lequel les acteurs parviennent régulièrement à des décisions mutuellement satisfaisantes ou contraignantes, à travers la négociation et la coopération[57] » ; elle se caractérise par des « formes horizontales d’interaction entre acteurs qui ont des intérêts contradictoires mais qui sont suffisamment indépendants les uns par rapport aux autres pour qu’aucun d’entre eux ne puisse imposer une solution à lui seul, tout en étant cependant suffisamment interdépendants pour qu’ils soient tous perdants si aucune solution n’était trouvée[58] ». La gouvernance peut être comprise comme « un processus expérimental visant à transformer les rôles et les formes de production normative. L’enjeu est d’expérimenter de nouveaux comportements d’acteurs eux-mêmes guidés par un usage innovant des normes[59] ». La justice de proximité offre un éventail de possibilités permettant la mise en place de plusieurs normes et processus innovants.

Les juristes qui se sont intéressés à la gouvernance afin de comprendre les mutations des normes[60] ont constaté son émergence dans plusieurs domaines du droit[61] : santé, environnement, municipalité, éducation, immigration, etc. Avec le passage du gouvernement à la gouvernance et de la réglementation à la régulation[62], les objets juridiques non identifiés[63] que constituaient ces normativités émergentes[64] ont brouillé les catégories juridiques traditionnelles[65], de telle sorte que les juristes ont été amenés à revisiter la théorie des sources du droit[66], à réinterroger la force normative[67] ou juridique[68] ou encore à rechercher le programme du reformatage de la norme juridique[69].

La gouvernance comporte de nouveaux impératifs qui tendent, en raison des liens étroits entre droit et gouvernance[70], à devenir de nouvelles exigences normatives : la légitimité, l’efficacité, l’effectivité, l’efficience, la transparence, l’imputabilité, la réflexivité, etc., deviennent de nouvelles conditions de validité de la norme[71]. De plus, la gouvernance peut également être envisagée tel un mode de participation[72] alors que les citoyens, en tant que destinataires ultimes de la norme, sont invités à participer à l’élaboration et à l’application des normes dans le contexte de différents mécanismes de délibération démocratique.

Intégrant ces nouvelles exigences normatives de la gouvernance, la proximité s’impose à l’image d’un nouveau mode d’organisation des instruments d’action publique. Avec l’impartialité et la réflexivité, elle est présentée comme l’une des conditions de la légitimité démocratique[73]. Dans le contexte de la gouvernance, « le pouvoir public, plutôt que d’imposer un ordre de l’extérieur, tente au contraire de tenir l’objet de la norme dans la plus grande proximité[74] », de le « faire venir à sa main[75] ». Daniel Mockle précise ce qui suit :

La rationalité induite par la gouvernance laisse augurer la possibilité que plusieurs auteurs, tant publics que privés, soient associés à la création de la norme. Sur ce plan, la gouvernance correspond à une logique de proximité où les destinataires de la norme sont conviés à sa formulation, ce qui rend ce type de réglementation tout aussi contraignant, à certains égards, que le modèle unilatéral avec un auteur « officiel » (ministère ou organisme public)[76].

De la même manière que la gouvernance a été appliquée au système judiciaire[77], notamment sous l’angle du « management de la justice[78] », la proximité semble être devenue l’une des caractéristiques de la justice renouvelée. La logique de proximité propre à la gouvernance a influencé l’évolution de la justice à travers les différentes réformes.

2 La justice de proximité et la gouvernance

Les travaux des juristes, en particulier les observations des sociologues du droit, n’ont pas manqué de constater les transformations de la justice en matière de proximité[79]. Pour notre part, nous concevrons et analyserons l’évolution des réformes de la justice dans la perspective de la gouvernance de proximité : afin de rendre la justice plus accessible, la solution consistait, selon certains, à la rapprocher des citoyens-justiciables et des acteurs de la société susceptibles d’intervenir sur des questions liées à la justice. Toutefois, les divers phénomènes de justice de proximité ont-ils vraiment atteint les objectifs visés et produit les effets escomptés ? Dans la troisième partie de notre texte, nous examinerons des exemples de justice de proximité afin de les analyser en ce sens. Auparavant, dans la deuxième partie, nous mettrons au point le cadre d’analyse de la justice de proximité selon la gouvernance de proximité (2.3), ce qui nécessite d’étudier d’abord la question des rapports entre la justice et la proximité (2.1) et de considérer ensuite des typologies de la justice de proximité (2.2).

2.1 La proximité et la justice

Quels sens les juristes et le droit donnent-ils à la justice de proximité ? En France et en Allemagne, de multiples méthodes ont été utilisées pour la création d’une justice de proximité. En France[80], ce développement est semblable à celui qu’a connu, au Québec, la réforme de la justice vers une justice de proximité, avec néanmoins quelques spécificités. Par exemple, les maisons de justice et du droit, créées en France par une loi de 1998, avaient pour objectifs « d’assurer dans les quartiers des grandes agglomérations une présence judiciaire de proximité, de concourir à la prévention de la délinquance et à l’aide aux victimes, de garantir aux citoyens un accès au droit, et de favoriser les modes alternatifs de règlement des litiges du quotidien[81] ».

Si la création d’une justice de proximité a d’abord passé par la création d’institutions spécifiques, elle a surtout cherché par la suite à rapprocher le droit des citoyens et à amener ces derniers à participer à l’élaboration des normes et à la résolution des conflits. Le plus souvent, la justice de proximité a été pensée de manière traditionnelle, soit en fonction du système judiciaire et des tribunaux. Cependant, la justice dépassant largement l’appareil judiciaire, il convient d’étendre les conceptions de la justice de proximité à des structures, à des processus et à des fonctions qui ne se limitent pas à la justice conçue exclusivement comme l’apanage des tribunaux.

Notion protéiforme et polysémique, la justice de proximité a été comprise en termes de proximité territoriale, institutionnelle, organisationnelle, temporelle, procédurale et culturelle[82]. À ces dimensions plus classiques de la proximité s’ajoutent des dimensions liées aux structures, aux processus et à l’effectivité de la protection juridique[83]. La proximité psychologique est un autre critère parfois invoqué pour caractériser la justice de proximité[84].

La notion de proximité est considérée, en philosophie politique, comme l’un des éléments constitutifs de la légitimité démocratique redéfinie au-delà du paradigme moderne de la démocratie représentative[85]. En fait, aucun domaine (police, justice, santé, municipalité, environnement) ne semble avoir échappé à la notion de services de proximité[86]. Ainsi que l’a révélé Pierre Rosanvallon, « trois éléments se distinguent dans cette référence à la proximité : une variable de position, une variable d’interaction et une variable d’intervention » :

Être proche définit d’abord une posture du pouvoir face à la société. La proximité signifie dans ce cas présence, attention, empathie, compassion, mêlant données physiques et éléments psychologiques ; elle renvoie au fait d’un côte-à-côte dans les différents sens du terme. En tant qu’interaction, la proximité correspond ensuite à une modalité de la relation entre gouvernés et gouvernants. Être proches, pour ces derniers, veut dire dans ce cas être accessibles, réceptifs, en situation d’écoute ; c’est aussi être réactifs, accepter de s’expliquer sans s’abriter derrière la lettre du fonctionnement institutionnel ; c’est donc s’exposer, agir de façon transparente sous le regard du public ; c’est en retour donner à la société la possibilité de faire entendre sa voix, d’être prise en considération. La proximité évoque en troisième lieu une attention à la particularité de chaque situation. Être proche veut dire là avoir le souci de chacun, agir en tenant compte de la diversité des contextes, préférer l’arrangement informel à l’application mécanique de la règle[87].

En outre, Rosanvallon trace un lien entre le recours à la proximité et les exigences de la justice et de l’équité procédurales. En ce sens, une procédure est équitable si les personnes ont « le sentiment de ne pas s’être vu appliquer mécaniquement une règle et d’avoir pu faire valoir les particularités d’une situation[88] ».

Dans la littérature portant plus précisément sur la justice de proximité, la notion de proximité comporte généralement trois dimensions, c’est-à-dire géographique ou spatiale, temporelle et relationnelle, affective ou humaine[89] : « Le concept de proximité désigne d’abord bien évidemment ce qui est proche géographiquement mais cette proximité est aussi affective — l’expression “les proches” renvoie à l’idée de parenté —, c’est aussi ce qui est “imminent”, ce qui va ou doit arriver, ce qui est rapproché dans le temps[90]. » Voici les propos d’Anne Wyvekens relativement à la justice de proximité :

La proximité temporelle résume en deux mots le paradoxe d’une justice de proximité dont le contenu se construit en définitive autour d’exigences de justice dite concentrée : instauration d’une réponse effective et rapide, inspirée d’impératifs quantitatifs plus que qualitatifs et s’avérant plus répressive que ne le laisse paraître l’étiquette « médiation » qui lui reste appliquée. Au terme d’un affrontement des logiques qui voit la victoire d’une conception gestionnaire dans laquelle la géographie n’a qu’une importance secondaire, la proximité redeviendrait centralité, par le biais de son contenu temporel et de tout ce que celui-ci représente en termes d’efficacité de l’institution[91].

L’avènement d’une justice de proximité entraîne « le renouvellement des figures de la justice qui est en jeu et, plus prosaïquement, son coût et la qualité du service rendu[92] ». À cet égard, la justice de proximité participe à la « rationalisation du fonctionnement des juridictions ou de la réorganisation des corps professionnels qui contribuent à l’oeuvre de justice[93] ». Plus fondamentalement, la création de dispositifs alternatifs de gestion des conflits constitue un aggiornamento des modèles de justice et, par là même, de la justice de proximité. Cette dynamique de proximité met en évidence la pluralité des modèles de justice et des paradigmes du droit[94]. À ce dernier chapitre, il est évident que la justice de proximité met en avant un paradigme communicationnel en vertu duquel les citoyens sont non seulement les destinataires du droit, comme dans le modèle traditionnel, mais ses auteurs[95].

Ce nouveau paradigme de la justice de proximité résulte des insuffisances du modèle d’État, de droit et de justice hérité de la modernité. En France, par exemple, c’est en fait pour répondre aux « disfonctionnements[96] » de la justice que la justice de proximité a été pensée, élaborée et mise en place. Celle-ci vient répondre à certains besoins particuliers, tels que la médiation pénale et la résolution des problèmes dans les zones urbaines difficiles[97]. Plus précisément, comme l’exprimait en 1994 le ministre de la Justice, Pierre Mehaignerie, les objectifs poursuivis étaient alors les suivants :

  • une justice plus proche du citoyen (amélioration de l’accueil, développement des procédures de conciliation et de médiation, pénale notamment, expérimentation des juges de paix dans le contexte de juridictions de proximité non spécialisées) ;

  • une justice plus rapide : augmentation des effectifs, extension des procédures de jugement à juge unique (notamment le juge pour enfants ou en cas de recours des décisions de la Commission de surendettement des particuliers) ;

  • une justice mieux armée pour lutter contre la délinquance : notamment, instauration de la transaction pénale, adoption de solutions de rechange à l’incarcération (travail d’intérêt général), individualisation des peines ;

  • une justice mieux équipée et organisée : établissement d’un schéma directeur de restructuration et réhabilitation des palais de justice, création de deux tribunaux administratifs et de deux cours d’appel, projet de création d’un service d’inspection du ministère de la Justice[98].

Ainsi entendue, la justice de proximité peut se décliner en différentes dimensions : géographique, territoriale ou spatiale, temporelle et affective ou humaine.

2.2 Les types de justice de proximité

Dans le but d’éclairer la notion de justice de proximité, l’étude de la littérature permet de comprendre où et comment la proximité intervient dans la justice. Des typologies de la justice de proximité ont été récemment élaborées, lesquelles s’inscrivent, selon notre hypothèse, dans le passage vers le paradigme de la gouvernance. Aux fins de notre texte, nous examinerons brièvement deux typologies de la justice de proximité, soit celle qui a été mise au point par Pierre Noreau et Alexandra Pasca, puis celle qu’a proposée Martin Zwickel. À l’aide de celles-ci, nous construirons ensuite une grille d’analyse de la justice de proximité dans la perspective de la gouvernance (2.3).

Esquissant une typologie des modèles de justice de proximité, Noreau et Pasca distinguent trois grands modèles, en fonction des missions et des fonctions des organismes destinés à rapprocher les citoyens de la justice. Ces modèles ont été conçus à l’intérieur d’une étude sur les CJP.

Le premier type de justice de proximité est le modèle du guichet juridique, « qui remplit un rôle préventif et référentiel, et dont l’activité est centrée sur l’information des citoyens et permet, le cas échéant, de les orienter vers des ressources plus adaptées à leurs besoins[99] ». Ce modèle offre des services d’information juridique et d’aide en matière de formulaires. Dans de nombreuses juridictions, de tels organismes d’information et d’aide ont été mis en place. Au Québec, les CJP remplissent de telles fonctions. Dans les autres provinces, ces services existent aussi : ils sont offerts par des centres d’information juridique (law information centers), des centres d’information sur le droit familial (family law information centers) et des centres d’aide (self-help centers)[100].

Le deuxième type de justice de proximité, selon cette typologie, est le modèle d’intercession, « plus orienté vers la conciliation juridique et sociale, qui favorise les modes amiables de résolution des conflits et, le cas échéant, la réhabilitation dans la communauté afin de réduire la récidive et [d’]augmenter la satisfaction des justiciables (et parfois des victimes) à l’égard du système judiciaire[101] ». Ce modèle élargit celui des cliniques juridiques, en ce qu’il favorise une approche holistique de la justice[102]. La mission de conciliation juridique et sociale des différends se réalise par des services de médiation et de modes amiables de résolution des conflits, et ce, en matière tant pénale que civile[103]. Par exemple, des rencontres détenus-victimes, dans le contexte des services de justice réparatrice[104], ainsi que des services d’analyse des dossiers afin de les diriger vers les modes de règlement des différends les plus appropriés (médiation, conciliation, arbitrage, etc.), remplissent cette fonction. Cette conception plus sociale de la justice semble davantage convenir aux situations d’ordre personnel, familial ou social, pour lesquelles le système judiciaire paraît mal adapté : « Les pratiques identifiées au modèle d’intercession prennent en considération l’ensemble des problèmes d’un individu et favorisent dans ce sens une approche globale (sinon holistique) de la justice[105]. » Les services de conseils juridiques sont offerts par des professionnels du droit.

Le troisième type est le modèle multifonctionnel, « qui englobe des pratiques de référencement et de conciliation caractéristiques des deux premiers modèles, mais qui offre également des services de conseil juridique, tout en prenant des initiatives dont le but est de réformer le système de justice et les politiques publiques dans le domaine juridique[106] ». Les organismes qui agissent en ce sens doivent remplir « une mission instrumentale à vocation préventive, référentielle et conciliatrice, mais cette mission comporte également une dimension politique et réformatrice importante. On entend par là une volonté de réformer le droit, le système de justice, voire notre conception même de la justice[107] ». Dans cette fonction « politique », les organismes et les centres associés au modèle multifonctionnel (par exemple, les maisons de justice en France) vont jusqu’à proposer des réformes législatives et judiciaires.

Une autre typologie de la justice de proximité a été proposée par Martin Zwickel, dans un article de droit comparé sur la justice de proximité[108]. Il y définit la justice de proximité selon ce qu’il considère comme ses dimensions classiques (proximité territoriale, temporelle, procédurale, culturelle) et ses dimensions essentielles (proximité structurelle, processuelle et effective). Les dimensions classiques représentent les critères subjectifs de la justice de proximité, alors que les dimensions essentielles constituent les critères objectifs de la justice de proximité. Si les aspects structurel et processuel se mesurent quantitativement, par exemple en fait d’organisation, de compétence et de recours aux modes de PRD, la protection juridique effective concerne plutôt la qualité des décisions.

La dimension structurelle a trait à l’organisation d’un tribunal. Par exemple, les règles relatives à la compétence d’une juridiction et le déroulement technique, et non juridique, d’une audience peuvent s’inscrire dans cette voie. La proximité peut aussi se matérialiser par le recours à des juges non professionnels. La présence de ces derniers ou d’assesseurs, souvent choisis pour leur expertise dans un domaine, peut soulever une autre interrogation, en matière de proximité et d’ambiguïté entre les rôles. Si la question risque moins de se poser au sein d’un tribunal, il peut néanmoins y avoir une proximité de rôles entre l’expert et le juge, surtout dans le contexte de la croissance de l’expertise dans la société, évolution encouragée et encadrée par le droit de la gouvernance[109]. L’expansion du rôle de l’expert tend à lui reconnaître un pouvoir de plus en plus important : « l’expert est le véritable “juge des questions techniques”[110] ».

La dimension processuelle relève des règles de procédure et de la pratique procédurale. Le recours aux modes de PRD s’avère le principal moyen à cet égard pour mettre en oeuvre une justice de proximité. De plus, l’aménagement de la procédure devant les tribunaux peut également contribuer à cette justice. Par exemple, un tribunal administratif spécialisé est en mesure d’appliquer des règles de preuve et de procédure qui se distinguent des règles particulières de la preuve en matière civile[111].

La proximité sera parfois atteinte par l’effectivité de la protection juridique, ce qui rendra ainsi la proximité effective. L’élément qualitatif de l’effectivité porte sur la qualité de la protection juridique, laquelle sera fixée par le législateur selon des standards minimums. À noter que cette effectivité se traduit souvent par une proximité temporelle, les délais étant réduits. La qualité des décisions rendues, notamment quant à leur motivation, sera également considérée comme un autre indice d’effectivité de la protection juridique[112].

Bien que ce soit en ce domaine qu’elle ait été davantage retenue, la notion de justice de proximité ne concerne pas uniquement l’organisation judiciaire et les tribunaux. Par exemple, le fait d’offrir des services en particulier est envisagé telle une justice de proximité. D’ailleurs, des critiques par rapport à cet aspect sont parfois émises à l’égard de la transformation du rôle de certains tribunaux[113]. Métamorphoser la justice en un service reposerait sur l’idée de placer le citoyen au centre du système[114], au risque toutefois d’en faire un client. Un tel recentrage implique de revenir aux finalités de l’institution de justice, et cela comprend le fait de « combler l’écart entre la justice civile et le citoyen en cherchant à les rapprocher, à créer les conditions nécessaires à l’avènement d’une véritable justice de proximité[115] ». C’est précisément le déplacement du « centre de gravité de l’institution vers l’individu[116] » qui « transforme la justice en un service[117] ».

2.3 La justice de proximité selon le cadre d’analyse de la gouvernance

Alors que les conditions de validité du droit avaient été définies à partir de certains critères, voilà qu’avec l’émergence de la gouvernance de nouvelles exigences sont apparues, lesquelles influent sur le droit de la gouvernance. Lon Luvois Fuller avait déjà élargi, au-delà du droit naturel et du formalisme juridique, les conditions de validité procédurale au sein de la moralité interne du droit[118] : la généralité du droit, la publication des lois, de même que leur non-rétroactivité et leur clarté, l’absence de contradiction, l’interdiction de normes prescrivant l’impossible, la stabilité du droit à travers le temps et la conformité des actes des autorités au droit[119].

À la validité formelle comprise en termes de légalité, le droit de la gouvernance ajoute des critères de validité factuelle et de validité axiologique, soit l’effectivité et la légitimité[120]. Nous additionnerons bien sûr à ces composantes sociologique et philosophique de la gouvernance l’exigence d’efficacité de la branche économique de la gouvernance, associée également depuis quelques décennies à la gestion et à son impératif de performance. Il convient même de se demander en quoi l’efficacité ne devient-elle pas en soi une condition de possibilité de la légitimité[121], tellement ces exigences tendent à se juxtaposer dans la théorie du droit de la gouvernance. Il en va pareillement pour les rapports entre l’efficacité et l’imputabilité[122], ainsi qu’entre l’effectivité et la justice :

Alors qu’autrefois la justice ne se souciait pas de rechercher l’adhésion des justiciables puisqu’elle s’autorisait de l’application de la loi commune, voici qu’elle doit se légitimer à présent par l’effectivité du service qu’elle rend aux individus. L’institution doit être orientée non seulement vers la satisfaction des besoins des justiciables, mais elle doit aussi augmenter leur capacité d’agir, leur permettre de se réaliser, d’atteindre leurs objectifs[123].

La participation[124] et la réflexivité[125] apparaissent donc comme des conditions de possibilité de la gouvernance. Dans la même voie, la nécessité d’une plus grande proximité semble découler de certaines caractéristiques de la gouvernance, qui assurent l’effectivité, l’efficacité et la légitimité. Ainsi, l’effectivité de la règle peut, en quelque sorte, être synonyme de proximité et de visibilité de celle-ci. Lorsque la règle est près du justiciable, qu’il peut en prendre connaissance et la comprendre, il est possible de constater une relation avec le comportement qu’elle génère. Des auteurs soutiennent que la proximité et la visibilité, tant d’une loi que d’une politique, sont deux variables qui influencent le comportement des individus et leur adhésion aux normes : « This supports the claim that proximity and visibility are important factors for the internalization of legal norms[126]. » Il s’ensuit que la proximité peut avoir notamment des dimensions territoriale, sociale ou géographique : « “Distance” on this dimension may be tied to geography (as with some foreign policies), the patterning of social relations (as with an income-targeted policy in a class-segregated city), or time (as with policy effects that will be felt personally but only at some remote date)[127]. » Donc, lorsque le justiciable est « près » de la loi, de façon que celle-ci l’engage et le touche plus directement, cette loi aurait, potentiellement, plus d’effet sur lui. La proximité favoriserait ainsi l’effectivité. C’est du moins l’un des effets possibles des lois à exigence de réflexivité[128].

Les caractéristiques de la gouvernance permettent de définir ce qu’est la justice de proximité lorsqu’elle est comprise dans cette perspective. En vertu de la théorie de la gouvernance, la proximité revêt des dimensions participative, réflexive, processuelle, structurelle, territoriale et temporelle. De leur côté, les exigences de la gouvernance se traduisent en différentes formes de justice de proximité. Cette dernière selon le cadre d’analyse de la gouvernance, peut être illustrée de la manière suivante :

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En interpellant les acteurs, la gouvernance et, avec elle, le droit de la gouvernance exigent que les destinataires des normes participent à leur élaboration et à leur application, afin qu’ils en soient aussi les auteurs, et que les différents contextes du monde vécu soient considérés tant au moment tant du choix normatif que de l’application des normes. La gouvernance suppose que les citoyens et justiciables ont un rôle à jouer à cet égard. Tout comme la gouvernance est participative[129], se met ainsi en place une justice de proximité participative. La gouvernance signifie le passage d’un modèle vertical du pouvoir, lié au gouvernement et à la représentation pyramidale, à la logique plus horizontale du réseau[130]. La régulation s’ajoute à la réglementation en tant que mode de production du droit : « Le commandement unilatéral, autoritaire, centralisé — souverain, en un mot — fait place à un ordonnancement assoupli, décentralisé, adaptatif et souvent négocié[131]. » La justice de proximité participative se manifeste notamment par un droit négocié entre les parties plutôt qu’imposé d’en haut[132]. Évidemment, de même que la mise en place de procédures de participation et de délibération ne permet pas de créer spontanément des capacités délibératives et argumentatives chez les individus[133], il ne faut pas croire non plus que ces procédures opéreront automatiquement les transformations requises en fait de changement des mentalités, d’adaptation des pratiques et de modification des comportements. Néanmoins, c’est là une étape nécessaire à la mise en oeuvre d’une gouvernance axée sur ces objectifs.

Par la participation et la proximité, la gouvernance interpelle la coordination et la coopération entre les acteurs visés. En sociologie politique, la gouvernance est définie « comme un processus de coordination d’acteurs, de groupes sociaux, d’institutions pour atteindre des buts propres discutés et définis collectivement dans des environnements fragmentés, incertains[134] ». La notion de proximité correspond, dès lors, à une « capacité des agents qui la partagent à se coordonner[135] » ; en ce sens, il est possible de parler de « coordination par la proximité[136] ». Si l’on mise sur la participation, la coordination et la coopération, la justice de proximité réflexive ne prend pas une forme verticale ou horizontale, mais se distingue par son mouvement circulaire de rétroaction entre les acteurs, les contextes et les normes. Lorsqu’elle se fait réflexive, la justice de proximité se rapproche de la dimension autopoïétique dont se sert la théorie des systèmes pour présenter le droit à titre de système juridique[137]. En tant que « processus expérimental visant à transformer les rôles et les formes de production normative », la gouvernance permet « d’expérimenter de nouveaux comportements d’acteurs eux-mêmes guidés par un usage innovant des normes[138] ». Cela exige une forme d’apprentissage[139].

La gouvernance se distingue également dans ses différentes approches procédurales des modes d’action collective et des dispositifs de production normative. Comme certains autres phénomènes, tels que la contractualisation et la normalisation, la procéduralisation s’avère l’un des principaux processus de la gouvernance. Il existe divers procéduralismes en matière de gouvernance, allant des modèles expérimentalistes aux modèles pragmatiques, dits contextuels et génétiques, en passant par les approches de la délibération démocratique[140]. Dans la mesure où les exigences de la gouvernance se matérialisent dans la gouvernance de proximité et, incidemment, dans la justice de proximité, on peut parler alors d’une gouvernance procédurale ou processuelle et, par conséquent, d’une justice de proximité processuelle. Les procédures et, plus largement, les processus prennent des formes multiples : mécanismes, dispositifs, institutions, organisations, outils informatiques, moyens électroniques et numériques, etc. La gouvernance met en place des procédures ou des processus de consultation, de délibération, de participation, de prévention et de règlement des différends, de réflexivité, etc.

Par ces procédures et ces processus, la gouvernance implique des transformations dans les mécanismes et les dispositifs. Les institutions et les organisations doivent comporter des structures plus souples, adaptées aux différents contextes. Les structures et les organisations se doivent de permettre la satisfaction des exigences de la gouvernance. Dans la nouvelle gouvernance étatique, la transformation de l’État et de ses institutions s’est traduite en une série de qualificatifs : l’État propulsif, réflexif, incitateur[141]. La justice de proximité structurelle suppose que, en ce qui concerne les institutions ou les organisations, une attention soit accordée à l’encadrement des processus d’apprentissage, de réflexivité et de transformation des identités d’action[142]. Afin d’y arriver, la gouvernance et la justice de proximité optent pour une décentralisation, notamment en fait de compétences, vers des organismes mieux adaptés, plus souples, souvent investis d’une légitimité fondée sur de nouvelles bases, dont un certain souci d’efficacité. Ce choix exige de développer des structures en vue d’adapter les institutions et les organisations aux exigences de la gouvernance.

Rappelons que la gouvernance et la proximité entretiennent des liens étroits, notamment en raison de l’importance des phénomènes de gouvernance territoriale et locale[143], qui ont toujours été soulignés dans les travaux sur la gouvernance dans les disciplines de l’urbanisme et de la géographie. En raison de l’importance des enjeux liés à la régulation locale et au territoire se sont développées une réflexion et une pratique relatives à la gouvernance territoriale[144], qui se traduisent en une justice de proximité territoriale. L’objectif étant de rapprocher physiquement ou géographiquement la justice des gens, il importe qu’elle soit moins centralisée, qu’elle sorte même des palais dans lesquels elle serait rendue, pour envahir de plus en plus l’espace occupé par la population.

De la même manière que la proximité territoriale renvoie à l’espace, la gouvernance se préoccupe de la dimension temporelle[145]. Bien que ce lien au temps puisse prendre différentes formes[146], l’exigence d’efficacité propre à la gouvernance s’incarne dans une proximité temporelle, avec des services, des soins, des décisions rendus ou prises rapidement, en se souciant des délais et, incidemment, des coûts. La justice de proximité temporelle se soucie de la célérité de la justice, de la résolution rapide des problèmes et des conflits ainsi que de la nécessité d’assurer l’effectivité des droits[147]. En lui-même, le temps est ici conçu tel un aspect important de l’action, de la décision, de la gouvernance. Le management de la justice axé sur la rapidité et la performance a parfois été perçu comme contraire aux fondements de la justice, laquelle « introduit de la distance et du temps, c’est-à-dire, la temporalité longue de la réflexion dans une société prise dans le tourbillon de l’émotion[148] ».

La justice de proximité temporelle peut être comprise en termes d’effectivité, où l’on met l’accent sur des valeurs d’efficacité, de transparence, d’accessibilité et de rapidité[149]. En ce sens, « le souci de réduire les délais est une contrainte légitime d’efficacité, mais ne doit pas conduire à une justice expéditive[150] », ni en compromettre la qualité. L’un des attributs de la justice est certes d’être effective, conformément aux principes reconnus de la gouvernance[151] — avec, notamment, l’efficacité, l’efficience, la transparence, la responsabilité et l’imputabilité, mais elle doit d’abord être juste quant au fond. Dans la mesure où cette justice effective peut être comprise comme un certain gage de sa qualité, cette exigence pourrait autrement être conçue, et même davantage développée, en matière de proximité réflexive. Pour notre propos, nous ne croyons pas nécessaire toutefois de distinguer plus longuement ces deux types de justice de proximité.

La gouvernance implique donc plusieurs types de justice de proximité : une justice de proximité participative, une justice de proximité réflexive, une justice de proximité processuelle, une justice de proximité structurelle, une justice de proximité territoriale et une justice de proximité temporelle. Ces types de justice de proximité peuvent servir à analyser des phénomènes de justice.

3 L’analyse des phénomènes de justice de proximité

Au cours des dernières décennies, la justice de proximité a été mise en place par des réformes menées en vue de favoriser l’accès à la justice. Il convient maintenant de considérer certains phénomènes associés à la justice de proximité, de manière à en tracer un portrait et en montrer les forces et les insuffisances par rapport à l’exigence de proximité. Notre analyse portera d’abord sur des institutions établies depuis plus longtemps, soit les cours municipales (3.1) et les tribunaux administratifs (3.2) ; puis nous nous concentrerons sur les PAJ-SM (3.3) et les CJP (3.4) qui constituent des innovations plus récentes.

3.1 Les cours municipales

Nous partons de l’hypothèse que les cours municipales s’inscrivent dans un contexte de gouvernance postmoderne et qu’elles participent à une forme de justice de proximité en vue de favoriser l’accès à la justice. Pour vérifier le bien-fondé de notre hypothèse, nous comptons étudier ces cours à la lumière du paradigme de la gouvernance et de la postmodernité, qui est lié à la proximité, et du cadre d’analyse de la justice de proximité.

3.1.1 La gouvernance, la justice postmoderne et la proximité géographique

C’est principalement à travers les structures et la création des cours municipales qu’apparaissent leurs liens avec la gouvernance et la justice postmoderne.

Il existe deux types de cours municipales, soit la cour municipale locale, qui sert exclusivement la population du territoire d’une municipalité locale[152], et la cour municipale commune, qui est au service des territoires de plusieurs municipalités locales situés dans la même municipalité régionale de comté ou de ceux de municipalités régionales de comté voisines[153]. Dans le cas de la première et, dans une moindre mesure, de la seconde, une certaine proximité géographique est donc assurée. Plus important encore, lorsque le territoire de la cour municipale correspond à celui d’une municipalité locale ou d’une municipalité régionale de comté, ce qui est très souvent le cas, cela signifie généralement qu’elle correspond au territoire d’une véritable communauté, soit une entité particulièrement valorisée par la justice postmoderne. En effet, il est bien connu que les municipalités québécoises ont été créées et ont évolué, notamment en matière territoriale, de manière à tenir compte des sentiments d’appartenance communautaire[154].

La cour municipale locale est instituée par un règlement de la municipalité locale[155]. Quant à la cour municipale commune, elle voit habituellement le jour grâce à des règlements des municipalités visées et à une entente intermunicipale[156], et donc au moyen d’un contrat qui n’est pas sans rappeler l’importance de la contractualisation au sein de la gouvernance[157]. Le règlement instaurant une cour municipale ou l’entente intermunicipale est soumis à une approbation gouvernementale[158]. Ainsi, le processus de création d’une cour municipale est en partie décentralisé, puisqu’il dépend d’une ou de plusieurs décisions émanant d’élus locaux. Cependant, il n’est pas complètement décentralisé, car il relève aussi d’une décision du gouvernement québécois. Cela est d’autant plus incontestable que ce pouvoir du gouvernement s’avère discrétionnaire[159]. Ce genre de processus de codécision a été qualifié par la doctrine de semi-décentralisation[160].

Comme la gouvernance peut être associée à la décentralisation, le processus de création d’une cour municipale semble donc pouvoir être associé à la gouvernance. Cette idée s’impose avec force : le processus de codécision à l’origine de la création de toute cour municipale contribue lui aussi à cette association, car la gouvernance en général et la gouvernance territoriale en particulier sont marquées par la coordination des acteurs[161].

La coordination et la coopération des acteurs visés sont aussi présentes dans l’administration de la cour municipale, quoique cette administration soit marquée moins par de la codécision que par un partage des fonctions, dont certaines sont décentralisées et d’autres centralisées, ce qui nécessite parfois des mécanismes de coordination. Par exemple, si le greffier de la cour est nommé par le conseil municipal et si seuls des élus des municipalités visées sont appelés à siéger au comité devant appliquer une entente intermunicipale relative à une cour municipale[162], en revanche il n’y a que le gouvernement qui nomme les juges des cours municipales[163]. Autre exemple, la rémunération des juges municipaux est fixée par la municipalité[164], mais encadrée par le gouvernement[165]. De même, en vertu de l’article 18 de la Loi sur le Directeur des poursuites criminelles et pénales[166], les directives de ce dernier s’appliquent aux procureurs municipaux devant les cours municipales « avec les adaptations nécessaires établies après avoir pris en considération le point de vue des poursuivants désignés, dont les municipalités ».

Il existe aussi une coordination et une coopération avec la Cour du Québec, car « [l]es cours municipales et les juges qui les composent relèvent de l’autorité du juge en chef adjoint de la Cour du Québec responsable des cours municipales », qui exerce ses fonctions « sous l’autorité du juge en chef de la Cour du Québec », énonce l’article 24.1 de la Loi sur les cours municipales (LCM).

Cela dit, c’est surtout le caractère décentralisé du système des cours municipales qui est mis en avant dans la littérature. Par exemple, le Rapport du Comité multipartite sur l’avenir des cours municipales mentionne que « [l]a performance des cours municipales est attribuable en partie à l’efficacité de leur structure décentralisée, de petite taille et à géométrie variable », avant d’ajouter que « [l]es cours municipales s’adaptent davantage aux besoins du milieu que les tribunaux supérieurs et sont moins bureaucratisés[167] ». Ce dernier élément nous semble particulièrement pertinent, considérant que la bureaucratisation est associée à la justice et au droit modernes[168] avec lesquels sont en tension, jusqu’à un certain point, la justice postmoderne et la gouvernance qui favorisent plus souvent les petites structures proches de la population.

3.1.2 La proximité structurelle et processuelle

Si les cours municipales ne correspondent pas parfaitement à la proximité structurelle, en ce qu’elles sont composées de juges professionnels et favorisent l’adjudication plutôt que le règlement des différends, elles y correspondent en partie par leurs compétences. Zwickel associe en effet cette dimension de la justice de proximité à des compétences relatives à des litiges « de la vie quotidienne » comme des « conflits de voisinage[169] ».

L’essentiel de la compétence des cours municipales est consacré aux articles 28 et 29 de la LCM[170]. En bref, celles-ci ont une compétence en matière civile, relative à des créances détenues par la municipalité, et une autre en matière pénale, qui concerne des infractions à des règlements de la municipalité ou à une loi régissant celle-ci. Ces compétences sont donc étroitement associées aux gouvernements de proximité que constituent les municipalités[171]. À cela s’ajoute une compétence en matière criminelle, car l’article 44 de la LCM précise ceci : « Le juge est d’office juge de paix dans le district où est situé le territoire relevant de la compétence de la cour, pour l’application des lois du Parlement du Canada qui lui confèrent compétence. » En vertu de cet article et du Code criminel[172], les cours municipales ont compétence sur les infractions que ce code déclare être de la compétence d’une cour des poursuites sommaires, soit essentiellement des infractions prévues dans sa partie XXVII[173], et elles peuvent entendre des causes relevant de cette partie lorsque les municipalités ont signé un protocole d’entente à cet effet avec le Procureur général[174].

Une grande partie des litiges devant les cours municipales concerne donc des infractions à des règlements municipaux. Or, parmi ces derniers se trouvent de nombreux règlements d’urbanisme. Traditionnellement et aujourd’hui encore dans une large mesure, les règlements d’urbanisme ont pour objet de restreindre le droit de propriété de chaque propriétaire afin de protéger les droits de propriété des propriétaires voisins. Concrètement, ils interdisent par exemple à un propriétaire de construire un immeuble de plus de deux étages afin de protéger la vue ou l’ensoleillement des immeubles situés à côté. De manière comparable, les règlements municipaux en matière de nuisance auront parfois un effet localisé par rapport au voisinage. Un règlement limitant le bruit sera souvent appliqué à la suite d’une plainte du voisin de la personne commettant une infraction à ce règlement. Ces exemples illustrent donc que la compétence des cours municipales sur des infractions à des règlements municipaux peut être associée à la proximité structurelle.

Quant à la compétence des cours municipales en matière criminelle, elle concerne des dossiers où le poursuivant a choisi une procédure plus simple, ce qui fait en sorte que l’on peut l’associer à une proximité processuelle.

De manière générale, il n’est pas évident que les cours municipales puissent être largement associées à une proximité processuelle, car les procédures applicables y sont essentiellement les mêmes que dans les autres tribunaux. Par exemple, pour le juge municipal Lalande, « [c]e n’est pas parce que la cour municipale est un tribunal de proximité, qui tient des audiences en soirée pour accommoder les justiciables, que la procédure doit être différente[175] ». Effectivement, le degré de formalité de la procédure applicable aux cours municipales est comparable à celui de la procédure applicable devant d’autres tribunaux judiciaires. Et les jugements des cours municipales sont susceptibles d’appel devant la Cour d’appel ou de révision devant la Cour supérieure, selon la valeur du litige par exemple[176]. N’empêche, l’article 34 du Règlement des cours municipales[177] contient une disposition favorisant les procédures orales, soit celles qui peuvent être associées à la proximité processuelle[178].

Au final, nous pouvons soutenir que les cours municipales correspondent en grande partie au modèle de justice de proximité, ce qui est d’autant plus logique que les concepteurs et les gestionnaires de ces cours se réclament explicitement de cette forme de justice. En témoignent de récents rapports annuels de cours municipales intitulés « Les cours municipales : un réseau, une justice de proximité[179] ». En 2002, année d’adoption de la LCM, le Rapport du Comité multipartite sur l’avenir des cours municipales affirme qu’« [a]vec son réseau actuel de cours municipales, le Québec peut prétendre offrir aux citoyens du Québec une justice de proximité ». Puis il ajoute que ce réseau « répond aux besoins des citoyens en favorisant l’accessibilité à la justice […] une justice de qualité rapide et accessible, et ce à un coût raisonnable pour les citoyens et pour les municipalités[180] ». Plus important encore, dès son deuxième alinéa, l’article premier de la LCM énonce que celle-ci « a pour objectif, par l’établissement de cours municipales, d’assurer une justice de proximité sur tout le territoire québécois et de favoriser ainsi l’accès à la justice pour les citoyens ».

3.2 Les tribunaux administratifs

En droit positif québécois, la législation encadrant les tribunaux administratifs et la jurisprudence s’y rapportant utilisent rarement ou pas du tout la notion de justice de proximité. Par exemple, aucune disposition de la Loi sur la justice administrative (LJA)[181] ne définit la justice de proximité ou n’y réfère expressément. Par contre, comme l’atteste l’article premier de la LJA[182] et le sous-tendent ses articles 9 à 13[183], ainsi que les dispositions des lois constitutives de la plupart des tribunaux administratifs[184], l’objectif d’accessibilité à la justice et les moyens déployés à cette fin y sont omniprésents.

Dans une perspective de gouvernance, notre hypothèse pose que la notion de proximité, accolée à la notion de justice, traduit une volonté de réduire les obstacles à l’accès à la justice, d’adapter les processus aux besoins du justiciable, de rapprocher ces derniers du tribunal et d’établir entre eux un rapport de confiance. Si tel est le cas, plusieurs dimensions des tribunaux administratifs confirment qu’ils peuvent être considérés comme des institutions répondant aux caractéristiques d’une justice de proximité.

Parmi les dimensions de proximité communes aux tribunaux administratifs et à la conception multiforme de la justice de proximité[185], nous en analyserons deux : 1) la dimension structurelle résultant de la décentralisation de la fonction juridictionnelle ; et 2) la dimension processuelle découlant du principe de l’autonomie de la procédure administrative et de la souplesse qui en résulte. Ces dernières s’accordent bien avec les diverses dimensions de la justice de proximité envisagées dans notre cadre d’analyse[186], plus particulièrement avec les critères de notre grille d’analyse issue de la gouvernance[187]. À la lumière de ces dimensions communes, nous examinerons en quoi les tribunaux administratifs, plus particulièrement le Tribunal administratif du Québec (TAQ) et le Tribunal administratif du travail (TAT)[188], peuvent contribuer à la réalisation d’une justice de proximité.

3.2.1 La proximité structurelle des tribunaux administratifs

Sur le plan structurel, deux aspects appuient plus particulièrement la référence à la proximité des tribunaux administratifs : d’une part, le choix d’organisation institutionnelle du législateur et, d’autre part, le mandat légal qui leur incombe. Nous traiterons distinctement chacun de ces aspects.

3.2.2 La proximité structurelle découlant de la décentralisation de la fonction juridictionnelle

Au Québec et au Canada, il est généralement admis que le choix du législateur de confier la solution de certains types de contestations à des tribunaux administratifs, plutôt qu’aux cours de justice, repose sur des considérations pragmatiques plus qu’idéologiques[189]. Intimement liée à l’avènement de l’État providence, cette option exprime à la fois un souci d’efficacité et une volonté de favoriser l’accès à la justice en adaptant les méthodes de résolution des conflits à la nature particulière et au volume des litiges découlant de l’application des régimes législatifs, à caractère social et économique, nouvellement mis en place. Dès lors, l’adaptation aux besoins d’accès, de spécialisation et d’autonomie a donné lieu à un mouvement de décentralisation de la fonction juridictionnelle en faveur d’organismes décentralisés plus accessibles, plus souples, plus rapides et moins coûteux.

Dans leur ouvrage sur l’action gouvernementale, Pierre Issalys et Denis Lemieux résument ainsi les raisons qui expliquent le choix en faveur de tribunaux administratifs spécialisés :

On a donc cherché, par décentralisation fonctionnelle à l’intérieur du Pouvoir exécutif, à créer des organismes spécialisés dans l’exercice de la fonction juridictionnelle, et ayant une meilleure aptitude à rendre la justice de manière moins formaliste et moins coûteuse, donc plus accessible […] ; plus rapidement et à plus grande échelle, donc de manière à satisfaire le besoin d’efficacité et de sécurité juridique ressenti aussi bien par les administrés que par l’administration ; et avec le bénéfice d’une connaissance approfondie, éventuellement multidisciplinaire, du contexte particulier dans lequel surviennent les différends qu’il s’agit de trancher, ainsi que des aspects techniques propres à ce contentieux[190].

De plus, cette décentralisation « paraît susceptible de rendre l’exercice de cette fonction plus perméable à une diversité de valeurs, de points de vue et d’intérêts[191] ».

Pour ces raisons, lorsque le législateur a institué de nouveaux régimes législatifs, que ces derniers visent à protéger les travailleurs non syndiqués, les logements locatifs, les terres agricoles, les marchés financiers, l’accès à l’information ou d’autres domaines, c’est le plus souvent à un tribunal administratif qu’il a confié la solution des litiges en découlant. De fait, la Cour suprême du Canada le constatait récemment dans son arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov : « Le nombre, la diversité et l’importance des affaires dont sont saisis ces délégataires font du processus décisionnel administratif l’une des principales manifestations du pouvoir de l’État dans la vie de la population canadienne[192]. » Pour cette raison, l’accès à la justice est au coeur du choix du législateur d’instaurer un système de droit administratif solide.

Parfois contestée au regard de l’article 96 de la Loi constitutionnelle de 1867[193], la validité constitutionnelle de telles délégations a été confirmée, à diverses reprises, par la Cour suprême, celle-ci jugeant que les délégations se révélaient « nécessairement inséparables de la réalisation des objectifs plus larges de la législature[194] » ou encore, nécessaires et accessoires à la mise en oeuvre des grandes politiques sociales pour lesquelles le régime a été conçu[195].

De même, comme le rappelle la Cour suprême dans son arrêt R. c. Conway[196], c’est entre autres pour rendre la justice plus accessible et éviter un fractionnement de recours que les tribunaux administratifs habilités à statuer sur les questions de droit sont dorénavant présumés compétents pour se prononcer sur les questions constitutionnelles dont ils sont saisis, notamment sur la compatibilité des dispositions législatives applicables au regard des droits fondamentaux reconnus dans les chartes[197]. Cet important jugement réitère en effet, sans équivoque, les propos du juge Gonthier qui, après avoir rappelé le principe de la primauté de la Constitution, celui-ci rendant inopérantes les dispositions incompatibles de toute autre loi[198], fait siens les avis exprimés au fil des ans par les juges McLachlin, Major, La Forest et McIntyre et confirme que « les Canadiens doivent pouvoir faire valoir les droits et libertés que leur garantit la Constitution devant le tribunal le plus accessible, sans devoir engager des procédures judiciaires parallèles ». Expliquant que ce « souci d’accessibilité » est « d’autant plus pressant qu’au départ bon nombre de tribunaux administratifs ont compétence exclusive pour trancher les différends relatifs à leur loi habilitante », le juge Gonthier conclut qu’« obliger les parties à ces différends à saisir une cour de justice de toute question liée à la Charte leur imposerait un long et coûteux détour[199] ». Selon ce dernier, un tel fractionnement aurait de plus pour effet de priver la cour de révision d’un point de vue d’expert éclairant et utile sur les questions en jeu[200].

En somme, le mouvement en faveur d’une décentralisation de la fonction juridictionnelle a donné lieu au développement d’une conception renouvelée de la justice[201] qui, sur le plan structurel, a mené à la création d’organismes souvent multidisciplinaires, plus accessibles, plus souples, plus rapides et moins coûteux. Ces derniers ont connu leur propre évolution, en parallèle des cours de justice et ils sont dorénavant reconnus comme une composante essentielle du système juridictionnel canadien tant par le législateur, qui les crée et leur délègue des pouvoirs, que par la jurisprudence, qui leur reconnaît une compétence en droit de plus en plus large[202].

3.2.3 La proximité structurelle par l’intermédiaire des compétences dévolues aux tribunaux administratifs

Ainsi que le suggère Zwickel, les compétences dévolues par la loi « peuvent également influencer la proximité structurelle de l’institution[203] ». Cette assertion vaut pour les tribunaux administratifs dont la proximité structurelle découle non seulement de la solution de rechange qu’ils présentent aux cours de justice, mais aussi des compétences spécifiques qui leur sont attribuées, lesquelles, pour la plupart, concernent des litiges proches du quotidien des justiciables. Par exemple, qu’il soit question de la contestation d’une augmentation de loyer, d’un avis d’imposition foncière, d’une plainte liée à l’emploi (congédiement, accident de travail, etc.), de la révocation d’un permis (de taxi, de camionnage, d’alcool, etc.), ou d’une plainte disciplinaire (déontologie professionnelle, policière, etc.), la cause sera portée devant un tribunal administratif. Ce sera d’ailleurs une compétence exclusive pour bon nombre d’entre eux, sous réserve du traditionnel pouvoir de révision judiciaire des cours supérieures de justice. Également rattachées à leur compétence ratione materiae, leur juridiction spécialisée et la présence, au sein des tribunaux administratifs, de juges ou d’assesseurs experts dans des domaines, autres que juridiques, liés aux compétences spécialisées du tribunal (travailleurs sociaux, médecins, psychologues, psychiatres, évaluateurs agréés, ingénieurs, etc.)[204] contribuent aussi à une plus grande proximité de la justice dans la mesure où ces tribunaux spécialisés sont susceptibles d’être plus au fait du contexte et des réalités du justiciable qui est devant eux.

Bref, sur le plan structurel, tant la décentralisation de la fonction juridictionnelle que la nature des litiges et la spécialisation des tribunaux administratifs contribuent à la réalisation d’une justice de proximité.

3.2.4 La proximité processuelle et participative des tribunaux administratifs

Pour ce qui est du plan procédural, la décentralisation de la fonction juridictionnelle a aussi mené à diverses mesures permettant de renforcer davantage la proximité de la justice. Parmi celles-ci, nous considérerons brièvement les deux suivantes : 1) le recours accru aux modes alternatifs de règlement des différends ; et 2) la souplesse du régime de procédure et de preuve administrative.

3.2.5 La proximité processuelle et participative découlant des modes alternatifs de règlement des différends

Outre le changement de structure, la décentralisation de la fonction juridictionnelle a mené à promouvoir (peut-être même à privilégier) l’utilisation de modes amiables de résolution des conflits, telles la conciliation et la médiation, dans les tribunaux administratifs. Ces mécanismes moins formels, fondés sur le dialogue, cherchent à rapprocher encore la justice des justiciables en leur permettant de participer directement à l’application du droit et de rechercher eux-mêmes une solution à leur différend[205].

Des dispositions législatives appuient d’ailleurs ces initiatives en habilitant expressément les tribunaux administratifs à proposer aux parties de se prêter à une conciliation de leur conflit et en encadrant législativement ces processus[206]. Selon les règles généralement prévues à cette fin, les parties, si elles y consentent, peuvent, dès le début ou à toutes les étapes du processus de traitement du dossier, recourir au service de conciliation du tribunal pour tenter, conformément au droit applicable, d’en arriver à un règlement à l’amiable. L’entente constatée par écrit et signée par le conciliateur lie les parties et met fin à l’instance[207]. Par ailleurs, si la conciliation échoue, l’affaire est fixée au rôle pour audition et décision devant un juge administratif. La confidentialité du processus de conciliation est alors strictement sauvegardée. Les échanges et les documents relatifs à la tentative de conciliation demeurent confidentiels et sont irrecevables en preuve[208]. En pratique, le recours à la conciliation devant certains tribunaux est fréquent et le taux de succès peut être fort élevé. Par exemple, devant la Division de la santé et de la sécurité du travail du TAT, en 2017-2018 plus de 50 p. 100 des dossiers fermés l’ont été sans décision de ce dernier (accord entre les parties, règlement ou désistement), dont un tiers à la suite d’une conciliation menée par le TAT[209]. L’importance accordée à la conciliation joue donc un rôle significatif dans la réalisation d’une justice de proximité à l’échelle des tribunaux administratifs.

3.2.6 La proximité processuelle et participative découlant de la souplesse du régime de procédure et de preuve administrative

En l’absence de dispositions contraires, le principe qui prévaut est celui de l’autonomie de la procédure quasi judiciaire par rapport à la procédure judiciaire[210]. Ainsi, même lorsque le litige est tranché d’autorité par le tribunal, la procédure d’audience se veut à la fois souple et équitable de manière à assurer à chacune des parties une occasion raisonnable de faire valoir ses moyens, avant qu’une décision soit prise[211]. Comme le reconnaît la Cour suprême dans l’arrêt Vavilov, les avantages de « la proximité des décideurs et des parties intéressées ainsi que la réceptivité envers ces dernières ; la capacité des décideurs de trancher de manière rapide, souple et efficace ; et leur faculté d’alléger et de simplifier la procédure pour favoriser ainsi l’accès à la justice[212] », comptent d’ailleurs parmi les raisons convaincantes qui justifient le choix du législateur de confier à des organismes administratifs, plutôt qu’aux cours traditionnelles de justice, le mandat de trancher les litiges découlant de régimes législatifs spécialisés[213].

La proximité processuelle se manifeste sous diverses formes. D’abord, les juges et le personnel ont un devoir d’assistance[214] en vertu duquel ils peuvent se voir tenus d’intervenir dès l’inscription de la cause ou encore au moment de l’audience (pour délimiter le débat, offrir des explications sur le déroulement de l’instance, l’attribution du droit de parole et, le cas échéant, reformuler ou vulgariser les propos tenus afin d’aider les justiciables, plus particulièrement ceux qui ne sont pas représentés, à comprendre ce qui se passe). Le pouvoir du tribunal d’accepter un acte de procédure même s’il est entaché d’un vice de forme ou d’une irrégularité[215] est un autre exemple de la souplesse de la procédure administrative.

Ensuite, en rapport avec l’équité procédurale, la proximité processuelle s’exprime d’autres façons, telles le devoir de transparence (notamment l’obligation de permettre aux parties d’être entendues oralement et le droit de recevoir communication de la preuve présentée contre elles[216]), la règle de la pertinence quant à la recevabilité de la preuve, la connaissance d’office des membres du tribunal (juristes et non-juristes qui, tout en respectant le droit d’être entendu de chacun, peuvent permettre au tribunal de faire contrepoids au déséquilibre des moyens dont dispose le justiciable par rapport à ceux de l’administration publique, particulièrement si ce dernier est non représenté)[217].

S’ajoutent enfin à ces exigences l’obligation du tribunal de motiver sa décision en des termes clairs[218] et, bien sûr, son rôle primordial d’écoute, car souvent le recours au tribunal administratif constitue l’aboutissement d’un long processus qui comporte plusieurs étapes. Le rôle qui incombe alors au tribunal, par rapport à celui des instances administratives antérieures, est, à juste titre, de permettre un débat loyal et intelligible, dans lequel le justiciable peut faire valoir son point de vue devant un forum composé de membres présentant une expertise et des garanties d’indépendance et d’impartialité plus fortes[219]. À cet égard, la souplesse des règles de procédure et de preuve est d’ailleurs un atout majeur en ce qu’elle permet au tribunal de s’adapter au contexte particulier du litige et de prendre en considération les besoins particuliers d’accès et d’égalité du justiciable qui est devant lui. En ce sens, la proximité processuelle contribue à la fois à rapprocher le justiciable de la justice et à renforcer l’effectivité de sa participation au processus décisionnel.

Prennent part en outre à l’effectivité de la justice administrative d’autres dimensions de proximité que nous n’aborderons pas précisément ici, telles la proximité territoriale (résultant de la régionalisation de certains tribunaux ou de l’affectation des membres d’un tribunal dans les diverses régions) et la proximité temporelle (découlant des délais prescrits par la loi). De fait, en complément de leurs lois constitutives ou attributives de compétence et du concept de justice comme service[220], plusieurs tribunaux administratifs québécois produisent, conformément à la Loi sur l’administration publique[221], une déclaration de services aux citoyens, qui fait généralement état de leur mission, de leurs valeurs et de leurs engagements[222]. À ces documents d’objectifs, d’orientations, d’engagements et d’information s’ajoutent bon nombre de services en ligne par lesquels le justiciable peut accéder au tribunal et se familiariser avec les pouvoirs et le fonctionnement de ce dernier (dossier personnel (création et consultation), banque de décisions, vidéos informatives sur la tenue des instances, etc.)[223].

Bref, plusieurs éléments de proximité sont en place pour réduire les obstacles qui limitent l’accès aux tribunaux administratifs, accroître la participation du justiciable au processus et renforcer son habilité à tirer profit du droit qui lui est applicable[224]. Ces formes de proximité, rattachées aux principes généraux du droit administratif et à ceux qui sont sous-jacents aux bonnes pratiques de gouvernance, se révèlent certes de nature à favoriser un meilleur accès aux tribunaux administratifs, peut-être même un meilleur vivre-ensemble. Néanmoins, on peut se demander dans quelle mesure elles permettent effectivement d’atteindre ces objectifs. En d’autres mots, répondent-elles concrètement aux besoins du plus grand nombre possible de justiciables ? Pour paraphraser Macdonald, alors qu’il était président de la Commission du droit du Canada, les moyens ainsi déployés tiennent-ils suffisamment compte des conditions personnelles à la base des inégalités devant la loi ainsi que des rapports de pouvoirs, plus particulièrement entre l’administration publique et les justiciables, pour assurer à ces derniers un accès véritable à la justice, et non seulement aux institutions chargées du règlement de leurs différends[225] ? Par exemple, les justiciables non représentés, parfois moins éduqués ou plus vulnérables, qui se présentent devant le TAQ et le TAT sont-ils aussi en mesure de se faire entendre ? Ces questions fondamentales débordent largement les limites de notre étude documentaire. Elles valent néanmoins d’être posées car, si tous sont égaux devant la loi, force nous est de constater que, dans les faits, tous n’ont pas les mêmes chances de s’en prévaloir. Le système de justice québécois, qu’il soit judiciaire ou quasi judiciaire, comporte malgré tout son lot d’obstacles pour les profanes, comme le démontre la recherche menée en 2019 par Emmanuelle Bernheim, Richard-Alexandra Laniel et Louis-Philippe Jannard au sujet des justiciables non représentés[226].

3.3 Les programmes d’accompagnement justice et santé mentale, en matière criminelle

La proximité peut également se comprendre lorsque, en matière de justice criminelle, on souhaite offrir « un traitement judiciaire adapté à la réalité des personnes aux prises avec un problème de santé mentale et qui font face à la justice[227] ». En matière criminelle, les PAJ-SM se sont grandement développés au Québec durant les dernières années. Lancé à titre de projet pilote en 2008[228] à la cour municipale de Montréal, ce PAJ-SM a donné lieu à l’implantation de « programmes similaires » maintenant proposés dans plus de dix régions du Québec[229].

Avant d’analyser les différentes dimensions de proximité des PAJ-SM, il convient d’en présenter d’abord le cadre législatif et le fonctionnement. Les PAJ-SM tentent de mettre en place une justice de proximité participative et processuelle, qui rencontre toutefois certaines limites.

3.3.1 Cadre législatif et fonctionnement des PAJ-SM au Québec : exemple classique de droit de la gouvernance

Au Québec, les PAJ-SM sont parfois appelés « tribunaux spécialisés en santé mentale[230] » et ils s’intègrent ainsi au courant des mental health courts, tendance déjà établie au Canada et depuis plus longtemps aux États-Unis[231]. Les PAJ-SM sont des initiatives locales réunissant des acteurs des réseaux de la justice et de la santé et des services sociaux. Ils visent des personnes souffrant de problèmes de santé mentale qui sont accusées d’infractions criminelles et parfois d’infractions pénales réglementaires. Ces personnes, le plus souvent, sont aptes à subir leur procès, et n’invoquent pas la défense de non-responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux. Les PAJ-SM cherchent à s’attaquer aux problèmes sous-jacents à la criminalité, de manière à éviter les récidives[232]. Bien que le Code criminel autorise la mise en place de programmes de mesures de rechange[233] ou encore de programmes de traitement[234], aucune loi-cadre ne régit l’implantation des PAJ-SM[235]. Certaines initiatives se sont toutefois donné un « cadre de référence[236] ». Cette façon de faire est totalement en phase avec la gouvernance[237].

En juin 2018, le gouvernement du Québec a publié le document intitulé Stratégie nationale de concertation en justice et santé mentale[238]. Émanant des travaux du Forum justice et santé mentale[239], la Stratégie met en avant « une vision concertée du traitement judiciaire des personnes présentant une incapacité significative aux plans cognitifs ou mental et qui sont sujettes à rencontrer des obstacles dans ce contexte[240] ». Elle énonce notamment des principes directeurs pour guider les actions des réseaux de la justice, de la santé et des services sociaux ainsi que de la sécurité publique et du milieu communautaire. Elle dit s’inspirer des notions de justice éclairée (smart justice[241]) et s’oriente vers un nouveau paradigme de la justice qu’elle veut moins répressive et davantage axée sur la résolution de problèmes. Elle interpelle directement les acteurs des réseaux visés pour susciter une volonté commune de faciliter l’accès à la justice et le traitement équitable des populations ayant des besoins particuliers en raison d’incapacités persistantes[242]. Profitant de la première année de la mise en place du PAJ-SM à Chicoutimi et soulignant le lancement de la Stratégie, la ministre de la Justice à l’époque, Stéphanie Vallée, s’exprimait d’ailleurs en ces termes dans un communiqué de presse paru le 19 juin 2018 :

Les personnes présentant des incapacités cognitives ou mentales significatives ont droit, comme tous les autres citoyens, à un traitement équitable de la part de tous les intervenants du système de justice. Ce programme contribue à réduire les obstacles que ces personnes peuvent rencontrer et à établir des interventions adaptées à leur condition particulière, et ce, tout au long du processus judiciaire. Grâce à la mobilisation d’acteurs gouvernementaux et communautaires, nous mettons en place une justice moderne et qui favorise son accessibilité[243].

Bien que la ministre ait employé le terme « moderne » pour qualifier la justice, on pourrait supposer que cette dernière est « postmoderne » au sens que lui donne la partie 1 de notre texte, puisqu’elle réfère en filigrane à des notions de processus de collaboration intersectorielle et de proximité avec le justiciable ayant des besoins particuliers. Cette proximité passe d’ailleurs par des adaptations, comme le spécifie la Stratégie :

Ces adaptations peuvent revêtir plusieurs formes comme un meilleur accompagnement et un soutien accru ou encore l’utilisation d’un langage simplifié. Cependant, pour que ces adaptations répondent efficacement aux besoins de ces personnes, mieux connues du réseau de la santé et des services sociaux, la mobilisation des partenaires gouvernementaux et communautaires est essentielle, notamment pour éclairer les acteurs du système de justice sur les impacts de leurs incapacités et les mesures à déployer pour les pallier[244].

La Stratégie est un exemple frappant de gouvernance. Les PAJ-SM qui s’inscrivent dans ce contexte mettent également en avant certaines dimensions de la justice de proximité.

Les PAJ-SM peuvent être définis comme des initiatives en matière pénale et criminelle (à la Chambre criminelle de la Cour du Québec ou dans des cours municipales) qui chercheraient à agir sur les facteurs criminogènes, « parmi lesquels figureraient notamment les problèmes de santé mentale », plutôt que de strictement punir le délinquant, tout en combinant des pratiques juridiques et thérapeutiques pour gérer le risque de récidive[245]. Les PAJ-SM transforment le droit et les acteurs sociojudiciaires en « agents thérapeutiques[246] ». Les personnes visées par ce type de programme sont aux prises avec des problèmes de santé mentale et sont accusées d’infractions mineures (méfait, menace, voie de fait simple, possession de stupéfiants, etc.)[247]. Les PAJ-SM sont alors vus telle une solution de rechange à l’incarcération et proposent plutôt le traitement par des interventions axées sur les besoins de l’individu[248].

Nous résumons ci-dessous le cheminement d’un dossier dans le contexte d’un PAJ-SM[249]. Une personne se fait arrêter par la police pour une infraction. Son dossier, contenant possiblement des notes quant à son état mental, est remis par la police à un procureur de la poursuite pour autorisation. Ce dernier, selon la preuve, autorise la poursuite de l’infraction et précise que ce dossier semble être admissible au PAJ-SM[250]. Notons que l’avocat de l’accusé peut aussi lancer la demande d’orientation vers le PAJ-SM. Si les avocats (défense et poursuite) sont d’accord pour diriger l’accusé vers le PAJ-SM et que celui-ci accepte de rencontrer un travailleur social et de recevoir de l’information sur sa potentielle participation au PAJ-SM, une première séance entre l’accusé et le travailleur social est fixée. On explique à l’accusé les implications du PAJ-SM, notamment la confection d’un plan d’action contenant des objectifs qu’il devra s’engager à poursuivre. Au stade de l’inclusion dans le PAJ-SM, l’accusé doit reconnaître les faits à la source de l’accusation, mais il ne plaide pas coupable. Si l’intervenant social confirme l’admission de la personne au PAJ-SM, celle-ci signe d’abord toute une série de formulaires de consentement et de partage de renseignements, y compris un formulaire confirmant sa volonté de participer au PAJ-SM. Le travailleur social prépare ensuite un plan d’action avec l’accusé, qui peut comporter diverses mesures : suivre une thérapie pour le traitement de la toxicomanie, se soumettre à un suivi psychiatrique et une prise régulière de médicaments, maintenir une stabilité résidentielle, s’engager dans un suivi psychosocial, développer son réseau social, rechercher un emploi, etc. Des audiences à la cour ont lieu à intervalles réguliers pour surveiller les progrès vers la réhabilitation de l’accusé et suivre la réalisation de son plan d’action. L’idée est d’utiliser la période de remise en liberté avant procès pour encourager (et surveiller) les progrès de l’accusé. À la fin du processus, après un suivi plus ou moins long (plusieurs mois en général), le procureur de la poursuite peut proposer de retirer les accusations ou bien suggérer une peine clémente (du moins plus indulgente que celle qui lui aurait été imposée dans une procédure régulière, ou offerte dans le cadre d’une négociation de plaidoyer de culpabilité). Cette suggestion commune est normalement entérinée par le juge, et c’est alors la fin du programme. Si à un quelconque moment l’accusé n’est plus volontaire ou ne se conforme plus à son plan d’action, son dossier retourne en procédure criminelle régulière.

3.3.2 Les PAJ-SM au Québec et leurs diverses dimensions de justice de proximité en contexte de gouvernance

Bien que les modalités d’opération des PAJ-SM varient selon les régions[251], quelques principes communs ressortent : une approche collaborative et un partage important de renseignements entre les acteurs visés[252]. Voilà des facteurs qui traduisent une justice de proximité participative. On dénote également le désir de parvenir à une justice adaptée[253], pointant vers une justice de proximité processuelle ou procédurale. Finalement, nous observons quelques limites à la proximité et suggérons que les PAJ-SM, malgré leur désir de proximité, ne parviennent pas à mettre effectivement le contrevenant au coeur du processus : à notre avis, sa parole, sa rétroaction et les facteurs structurels menant à sa criminalisation ne sont pas suffisamment pris au sérieux.

3.3.2.1 Justice de proximité participative

L’approche des PAJ-SM est en fait collaborative et qualifiée comme étant plus coopérative que contradictoire et accusatoire[254]. L’idée est de créer des partenariats entre les systèmes et les acteurs, ou encore d’associer le système de justice à des organismes communautaires, tout en coordonnant les interventions de manière intersectorielle auprès de la personne visée[255].

On parle aussi d’une justice adaptée à des populations d’accusés qui ont des problèmes de santé mentale sous-jacents à leur criminalité. Les PAJ-SM offrent un plan d’action et une réponse « sur mesure » pour chaque contrevenant[256]. La participation du contrevenant s’avère primordiale à l’élaboration de son plan d’action ainsi qu’aux rencontres de suivi, avec un travailleur social ou en audience à la cour, pour faire le point sur ses démarches et discuter de la suite du processus judiciaire[257]. Le volontariat se trouve donc au coeur du PAJ-SM.

Finalement, le partage de renseignements entre les acteurs du ministère de la Sécurité publique, les procureurs de la poursuite et les acteurs du milieu communautaire ou du réseau de la santé et des services sociaux représente un point important des PAJ-SM. Il permet une meilleure collecte de données sur la personne ainsi qu’un travail de collaboration et de coordination des interventions plus approfondi[258]. La justice se fait sous le signe d’une proximité des acteurs qui participent activement aux processus mis en place dans les PAJ-SM.

3.3.2.2 Justice de proximité processuelle

Les PAJ-SM font également preuve de proximité processuelle en ce sens qu’ils adoptent une procédure criminelle moins formelle. Les juges et les procureurs sont précisément affectés aux PAJ-SM ; ils sont informés et sensibilisés aux réalités des personnes marginalisées[259]. Voici ce que spécifient Véronique Fortin, Sue-Ann Macdonald et Stéphanie Houde : « Le discours des acteurs juridiques est moins formel lors du PAJ-SM, on permet parfois le tutoiement, il y a un ralentissement du rythme du traitement des dossiers, on laisse plus de place de parole aux accusés et on prend le temps d’expliquer davantage et de valider leur compréhension[260]. » À Sherbrooke notamment, les audiences se déroulent habituellement dans une salle réservée à cet effet où seuls les dossiers liés au PAJ-SM sont mis sur le rôle et où les acteurs judiciaires sont affectés précisément au PAJ-SM et ont à coeur sa réussite[261]. La procédure y est ralentie, on prend le temps d’entendre chaque personne, et la disposition des dossiers n’est pas bousculée[262].

Ainsi, c’est en étant axé sur la résolution de problème, dans une optique de bien-être, tout en voulant éviter le phénomène des « portes tournantes », que le système de justice pénale dans le contexte des PAJ-SM démontre une ouverture permettant un rapprochement réel avec le justiciable, mais qui demeure limité.

3.3.2.3 De certaines limites de la proximité

Bien que les PAJ-SM se veulent des phénomènes de justice de proximité dans leur désir d’adaptation aux particularités des justiciables ayant des problèmes de santé mentale, cette proximité n’atteint pas le niveau de justice de proximité réflexive. Les PAJ-SM ont peut-être pour ambition d’inclure la personne accusée dans le processus, mais sa voix n’est que très rarement écoutée, et son inclusion se fait sous le sceau de la responsabilisation individuelle, dans un contexte où les facteurs structurels jouent un rôle important dans la criminalité.

En effet, l’accent du PAJ-SM est mis sur la sur-responsabilisation de l’accusé par rapport à sa condition. Celui-ci doit se prendre en main pour régler les problèmes qui l’ont mené à la criminalité, et le système de justice — d’une certaine façon — l’accompagne dans cette prise en charge : « Ce mode de régulation exige de la part des individus un engagement, une participation, une mobilisation, une capacité à parler et à se raconter[263] ». L’intervention judiciaire amène ainsi l’imposition d’autorégulation et exploite des mécanismes coercitifs (la figure autoritaire et paternaliste du juge, la menace de sanction en procédure criminelle régulière, etc.) pour favoriser l’activation et la responsabilisation devant des conditions qui, bien souvent, sont beaucoup moins personnelles que structurelles (pauvreté, manque d’accès aux services de santé, etc.).

Quant à la voix des accusés, on lui accorde rarement une réelle crédibilité, et encore faut-il qu’elle soit sollicitée substantiellement[264]. L’accusé, il est vrai, a l’occasion de s’exprimer au cours des audiences de suivi, mais les avocats et le travailleur social ont souvent tout raconté à sa place ; il ne lui reste plus qu’à répondre par oui ou non à des questions fermées[265]. Quand l’accusé cherche à fournir des éléments de contexte à sa situation, on le ramène fermement à l’accusation et à ce qu’il doit faire en vertu de son plan d’action[266]. On se trouve en effet loin ici du mouvement circulaire de rétroaction entre les acteurs et les contextes. En outre, même en ce qui a trait à la proximité participative, bien que les PAJ-SM soient fondés sur le volontariat, il ne faut pas négliger l’existence de facteurs coercitifs contraignant une personne à y participer, notamment la menace de sanctions judiciaires plus lourdes en cas de refus[267].

Au final, on peut douter de la notion même de proximité en contexte de justice répressive comme la justice pénale. Habituellement, le justiciable ne revendique pas plus de proximité avec la répression étatique : il cherche à s’en tenir le plus loin possible. La proximité en contexte pénal, et notamment dans le contexte du partage de renseignements ayant cours dans les PAJ-SM, anéantit les frontières entre la vie privée et la procédure pénale publique. Ainsi, pour ce qui est de la justice de proximité en contexte pénal, nous pouvons convenir, avec Dan Kaminski, que la participation peut se révéler particulièrement perverse en ce que l’accusé prend ainsi part à la création de sa punition :

Le raffinement procède aujourd’hui, à travers les nouvelles formes négociées, consensuelles ou participatives de justice, à intégrer au coeur d’un système inchangé les intuitions abolitionnistes (sur le plan théorique) et à obtenir non plus seulement l’aveu (sur le plan pratique) mais aussi, ou à sa place, l’assentiment, l’accord ou l’adhésion du criminel au traitement pénal. Le criminel est invité à être responsable non seulement de son crime mais aussi de sa peine[268].

Or la peine de proximité de la personne ayant des problèmes de santé mentale ressemble drôlement à un élargissement du filet pénal et du contrôle social des populations marginalisées. La question de trouver la « bonne distance[269] » de la justice pénale reste donc entière.

3.4 Les Centres de justice de proximité

Les CJP ont été conçus à l’initiative du ministère de la Justice du Québec. Leur création s’est inscrite dès le départ dans la perspective de la gouvernance, en ce qu’ils sont issus d’un projet pilote mis sur pied par ce ministère en 2010. La législation expérimentale et, plus généralement, l’expérimentalisme démocratique font précisément partie des lois réflexives caractéristiques des nouveaux modes de légistique[270] et des théories de la gouvernance[271]. Lors du projet pilote, des CJP ont été implantés dans trois villes : Rimouski (septembre 2010), Québec (décembre 2010) et Montréal (mai 2011). Ce projet pilote avait été financé par le Barreau du Québec, la Chambre des notaires du Québec, le ministère de la Justice ainsi que la Société québécoise d’information juridique (SOQUIJ).

À la suite du projet pilote, une évaluation des CJP a été réalisée[272], laquelle établissait le constat qu’ailleurs, aux États-Unis notamment, les pratiques de règlement des différends sont partie intégrante de la justice de proximité et en faisait la recommandation pour le développement des CJP au Québec. Par la suite, les trois CJP ont reçu l’aval du ministre de la Justice en vue de poursuivre leurs activités de façon permanente. En octobre 2013, un appel de projets a été lancé dans le but d’en créer de nouveaux dans d’autres régions. Ainsi, des CJP ont été implantés dans la région de l’Outaouais en septembre 2014, dans la région de la Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine en novembre 2014 ainsi que dans la région du Saguenay–Lac-Saint-Jean en février 2015. En décembre 2016, le ministère de la Justice a annoncé la présence de deux nouveaux CJP, soit dans les régions de la Montérégie et du Nunavik. Le Centre de justice de proximité de la Montérégie a commencé ses opérations en octobre 2017. La même année, d’autres CJP ont été annoncés dans les régions de la Mauricie et de la Côte-Nord. Finalement, le Centre de justice de proximité de la Côte-Nord a ouvert ses portes en juillet 2018 et celui du Nunavik, en décembre 2019[273].

Ces organismes sans but lucratif reçoivent depuis 2013 leur financement du Fonds Accès Justice, qui se trouve sous la responsabilité du ministère de la Justice. Instauré le 5 avril 2012, ce fonds spécial sert à soutenir des actions améliorant la connaissance et la compréhension du droit et du système de justice québécois par les citoyens, dans le but de favoriser l’accès à la justice[274].

Pour remédier au manque de confiance des citoyens à l’égard du système, à la difficulté d’accès à la justice et à ses coûts inhérents, le ministère de la Justice a procédé à la création d’un nouveau type de services publics. La vision des CJP est ainsi définie : « Être un lieu reconnu d’information juridique et de référence, proche des citoyennes et des citoyens, visant à rendre la justice plus accessible et à accroître la confiance dans le système judiciaire[275]. » Quant à la mission des CJP, elle consiste à « [p]romouvoir l’accès à la justice en favorisant la participation des citoyennes et des citoyens, par des services d’information, de soutien et d’orientation, offerts en complémentarité avec les ressources existantes[276] ». C’est là une autre reconnaissance du lien entre la justice de proximité et l’accès à la justice.

L’expérimentation québécoise souhaite donc favoriser, à travers un instrument de justice de proximité, l’accès à l’information juridique et promouvoir ainsi une meilleure accessibilité à la justice. À remarquer que la notion de justice de proximité n’est pas exclusive au Québec, celle-ci ayant été auparavant élaborée aux États-Unis et en France[277]. Par exemple, aux États-Unis, il existe des community justice centers, des law information centers, des family law information centers, des self-help centers, ou de la neighborhood justice[278] : notons que la Ville d’Atlanta, parmi d’autres, a participé au projet pilote[279]. Dans ces cas, c’est chaque fois une intervention par un juge de proximité ou, plus exactement, un médiateur. En ce sens, les CJP québécois, qui n’offrent pas — à l’exception de celui de la Montérégie — de services de médiation, se rapprochent davantage des self-help centers canadiens et américains, qui ont été implantés pour servir un objectif d’accès à la justice. Alors qu’elle siégeait à la Cour suprême, la juge Deschamps a souligné les mérites des neighborhood justice centers :

Un autre exemple : aux États-Unis, on trouve un projet qui date de 1960. Ce sont les Neighborhood Justice Centers – expression qui pourrait se traduire par « centre de justice communautaire ». Ces centres fonctionnent sur les principes de médiation. Ils sont orientés vers la prévention et vers le règlement global des problèmes en favorisant l’amélioration des relations interpersonnelles et la découverte de moyens pour permettre aux individus de contrôler leur propre vie. Comme les groupes travaillent dans les communautés, ils ont une bonne connaissance des problèmes systémiques et peuvent aider à trouver les causes des problèmes et à stimuler les mesures préventives. L’aspect particulier de ces centres est qu’ils n’ont aucun lien avec le système officiel de justice : ils représentent une sorte de système de justice parallèle. Cela les distingue des organisations qui font de la médiation institutionnelle et qui peuvent mener au système de justice étatique[280].

La principale activité des CJP consiste à fournir de l’information juridique. Les services offerts ainsi que les orientations des CJP sont suffisamment semblables pour qu’il soit possible de faire à leur égard des observations susceptibles de valoir pour tous. Différentes composantes de la justice de proximité, issues de la perspective de la gouvernance, peuvent nous servir ici de cadre pour analyser plus en détail les CJP.

3.4.1 Les CJP et la justice de proximité territoriale : leur localisation

Dans la mise en oeuvre des CJP, le ministère de la Justice les a associés jusqu’à présent aux régions administratives du Québec, dans l’idée d’en installer un dans chacune d’entre elles. À noter que la répartition régionale des CJP semble maintenant guider leur création — alors que les trois premiers CJP étaient plutôt liés à des villes.

Plus importante encore aux fins de l’analyse de la dimension territoriale des CJP, la question de la localisation de chacun s’avère l’élément le plus déterminant pour évaluer si les exigences de la proximité territoriale sont, ou non, respectées. C’est davantage ainsi que l’objectif de rapprocher physiquement la justice des gens peut être atteint. Alors que la justice moderne avait été rendue dans des palais, souvent érigés en hauteur, au centre d’une ville ou d’une municipalité, voilà que la justice cherche à descendre de son piédestal pour se rapprocher des justiciables et joindre plus directement ainsi la population.

Afin que chaque CJP réponde mieux à l’objectif de la justice de proximité, il semble logique que le critère retenu consiste à déterminer si lesdits CJP sont situés près des populations susceptibles de faire appel à leurs services. Bien qu’il puisse y avoir un certain intérêt à ce qu’un CJP soit installé près des autres services de justice, il peut paraître étonnant que la proximité soit parfois davantage rattachée aux palais de justice et aux bureaux du Barreau plutôt qu’en fonction de la vulnérabilité des populations. En ce sens, le CJP situé dans le Vieux-Montréal est à un coin de rue du palais de justice et de l’autre côté de la rue par rapport à la Maison du Barreau du Québec. Bien que l’itinérance soit un phénomène aussi présent dans ce quartier, la population qui y habite présente généralement des revenus supérieurs. De plus, c’est un quartier très commercial, et moins résidentiel que d’autres. D’autres quartiers de Montréal auraient tout aussi bien pu accueillir le CJP.

Le Centre de justice de proximité de Montréal n’est pas le seul à se trouver à proximité du palais de justice. Ceux de Québec, de la Côte-Nord (Sept-Îles) et de la Mauricie (Trois-Rivières) sont aussi tout près du palais dans la ville correspondante. À l’inverse, le Centre de justice de proximité de la Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine a son bureau à Chandler, ville située à plus de 40 kilomètres du palais de justice le plus proche, soit Percé. Par ailleurs, il est difficile d’imaginer que les Gaspésiens qui habitent le long du fleuve Saint-Laurent et les Madelinots puissent considérer que la justice de proximité est redéfinie dans un souci de proximité territoriale. Pour les Îles-de-la-Madeleine, on juge sûrement que le palais de justice, actuellement à Havre-Aubert, suffit pour assurer les services de justice. De même, le Centre de justice de proximité de Brossard est plutôt éloigné du palais de justice de Longueuil. La palme revient toutefois au Centre de justice de proximité du Nunavik, installé à Inukjuak, donc vraiment loin du palais de justice de Kuujjuaq. La réalité de ce vaste territoire en fait toutefois un cas particulier.

Dans la présentation des centres sur le site des CJP[281], il appert que ceux-ci sont pensés et implantés dans les régions administratives du Québec : Bas-Saint-Laurent, Capitale-Nationale, Montréal, Outaouais, Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine, Saguenay–Lac-Saint-Jean, Montérégie, Côte-Nord et Nord-du-Québec (Nunavik). Selon cette logique régionale, nous voyons difficilement comment il serait possible de réfléchir en termes de proximité à si grande échelle, considérant la dimension du territoire québécois. Dans un contexte où les régions sont très vastes, l’échelle régionale se révèle peu pertinente pour mesurer la proximité. Évidemment, la situation particulière du Nunavik est incomparable mais, même dans des régions comme la Montérégie, on peut légitimement se demander en vertu de quelle logique un CJP à Brossard peut revendiquer une quelconque proximité avec les gens de Saint-Hyacinthe ou de Sorel-Tracy par exemple. De même, en contexte urbain, le Centre de justice de proximité du Grand-Montréal étant situé dans le Vieux-Montréal, il ne peut être près de certaines populations d’arrondissements ou de villes qui en auraient bien besoin. De plus, concernant ce CJP, son site Web précise que les « locaux sont situés au 4e étage d’un immeuble du Vieux-Montréal dont l’entrée principale comporte quelques marches. Si vous êtes à mobilité réduite, prière de nous téléphoner pour que nous puissions vous accommoder[282] »… L’accès au lieu même semble donc poser quelques contraintes. Enfin, des régions, dont l’Estrie, n’ont toujours pas de CJP. Peu importe les raisons qui expliquent cette réalité, c’est là une autre limite à la justice de proximité territoriale.

3.4.2 Les CJP et la justice de proximité processuelle et participative : la médiation

Les CJP, tels qu’ils existent actuellement, offrent principalement des services d’information juridique gratuits, de soutien et d’orientation. À titre d’exemple, le Centre de justice de proximité du Grand-Montréal se définit comme une « clinique d’information juridique sans rendez-vous[283] ». La principale activité des CJP consiste à fournir de l’information juridique, au sens de la troisième vague de Macdonald[284]. Leur site Web énonce ainsi les services offerts :

Les Centres de justice de proximité offrent des services gratuits et confidentiels d’information juridique à tous les citoyens, quels que soient leurs revenus ou la nature juridique du problème rencontré.

Ils offrent notamment les services suivants :

  • information juridique permettant au citoyen de comprendre les diverses réalités juridiques auxquelles il peut faire face dans sa vie quotidienne et d’y réagir de façon avisée ;

  • orientation du citoyen vers les différentes ressources juridiques disponibles, communautaires ou autres, afin qu’il puisse choisir le service correspondant à ses besoins ;

  • service de soutien au citoyen et d’accompagnement dans l’établissement de ses besoins d’ordre juridique et dans les options possibles pour y répondre ;

  • aide au citoyen pour choisir les formulaires de nature juridique appropriés et explications afin de les compléter adéquatement[285].

Bien que chaque CJP décline son offre de services distinctement, les services en question tendent à se ressembler. Le Centre de justice de proximité de la Montérégie présente une particularité en ce qu’il propose « un service de médiation pour vous aider à régler vos conflits à l’amiable, tels les conflits avec votre ex-conjoint, votre voisin, votre associé ou votre syndicat de copropriété[286] ». La plupart des CJP organisent des séances d’information sur différents thèmes (par exemple : les petites créances, les droits des conjoints de fait, les testaments et les mandats de protection).

Quant aux CJP qui proposent des services d’information juridique et d’aide en matière de formulaires, Noreau et Pasca les classent dans le modèle du guichet juridique[287]. L’information juridique peut également être associée à l’étape ou à la vague d’accès à la justice que Macdonald qualifie de démystification de la loi[288], soit la troisième vague selon sa typologie. Noreau et Pasca résument comme suit les méthodes et les pratiques utilisées pour répondre aux besoins des citoyens en matière d’information juridique : « diffusion d’information juridique sur Internet ; organisation d’ateliers d’informations et d’échanges en petits groupes ; organisation de conférences, d’ateliers ou de kiosques d’information juridique ; distribution de dépliants ou de guides sur le processus judiciaire ; ou encore orientation des citoyens vers d’autres organismes susceptibles de les aider (services sociaux, de santé, etc.)[289] ». Sur ce dernier point, les CJP précisent qu’ils orientent également les citoyens vers des organismes ou des ressources externes en mesure de les accompagner ou de les soutenir dans leurs démarches juridiques et judiciaires.

Pour passer à un stade supérieur de justice de proximité participative, les CJP ne doivent pas se limiter à un rôle de guichet juridique, mais voir à ce que les citoyens puissent réellement participer à la résolution de leurs conflits, ce qui exige la mise en place de services de médiation. Rappelons que la justice participative est intrinsèquement associée aux modes de PRD[290].

Dans la mesure où la médiation constitue un processus de règlement des différends, lorsque cette forme de justice de proximité est mise en oeuvre, on peut également parler d’une justice de proximité processuelle. La conception processuelle de la justice pourrait être énoncée ainsi : « [L]a justice a pour but (finalité) de “réparer” des conséquences choisies d’un comportement (préjudice) qui, dans une société, a été identifié comme “injuste” par la loi ou par une normativité (norme de référence) et qui met en présence des personnes et la société. Cette justice est rendue selon un processus préétabli[291]. » Plus encore, lorsqu’elle se fait transformative (par la transformation des identités d’action), la médiation peut même relever d’une justice de proximité réflexive[292]. Cependant, il ne faut pas présumer que toute médiation atteint ce stade réflexif.

Conclusion

Reposant sur l’idée de favoriser l’accès à la justice, les différentes transformations de la justice ont conduit à la mise en place d’une justice de proximité. De tels changements s’inscrivent en cela dans la perspective de la gouvernance, plus précisément de la gouvernance de proximité. À travers plusieurs initiatives ayant pour objet de favoriser l’accès à la justice, la justice de proximité s’est faite à la fois participative, processuelle, structurelle et temporelle, mais peut-être insuffisamment réflexive.

Les phénomènes que nous avons étudiés concrétisent quelques aspects de cette justice, de manière souvent imparfaite, mais néanmoins suffisante pour nous permettre de conclure à la création d’une telle justice de proximité. C’est ainsi que les cours municipales ont dessiné une justice de proximité géographique, structurelle et processuelle. Quant aux tribunaux administratifs, ils ont permis l’émergence d’une justice de proximité structurelle, processuelle et participative. Si les PAJ-SM et les CJP n’arrivent pas réellement à créer une véritable justice de proximité réflexive, ils servent néanmoins la justice de proximité : les premiers en permettant, jusqu’à un point donné, une justice de proximité participative et processuelle ; et les seconds en cherchant, tant bien que mal, à établir une justice de proximité à la fois territoriale, processuelle et participative. Comme nous l’avons vu, la proximité, déclinée de multiples façons, ne semble pas toujours remplir pleinement sa promesse d’une plus grande accessibilité à la justice.

En ancrant dans l’hypothèse de la gouvernance les différentes formes de justice de proximité, nous avons pu dégager et préciser certains sens et usages de la gouvernance de proximité. Pour pousser davantage notre étude, nous estimons que d’autres mécanismes de justice devraient encore être analysés selon notre typologie de la justice de proximité, dont les cours des petites créances. De plus, la justice n’étant pas le seul domaine où la gouvernance de proximité se matérialise, il conviendrait d’étendre cette investigation aux autres manifestations contemporaines du phénomène de la proximité.