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Tout n’aurait-il été dit, écrit, et peut-être même pensé autour de la notion de développement durable ? À l’évidence, cet ouvrage montre le caractère inépuisable – à tout le moins renouvelable – du sujet.

C’est que la réflexion est ici engagée en quelque sorte à rebours d’une analyse encore trop souvent véhiculée : elle invite en effet à penser l’environnement, non comme un frein, encore moins comme un obstacle, mais comme une chance pour le développement économique et social. Le développement durable ne serait plus le fruit de cette fameuse (ou fumeuse ?) conciliation (sur quelles bases et avec quels moyens ?) entre trois piliers en tension permanente – économie, social, environnement, – mais un objectif réalisable par la grâce et les vertus du pilier environnemental. La gravité et la pérennité de la crise – ou plutôt des crises mettant en péril chacune des trois dimensions du développement durable – marquent en effet l’urgence à inventer ou réinventer des remèdes. Dans cette perspective, l’ouvrage, fruit d’une recherche collective, associe avec justesse des chercheurs de différents horizons disciplinaires et géographiques (juristes publicistes et privatistes, économistes et géographe, d’universités étrangères et françaises avec une forte représentation des chercheurs de l’Observatoire des mutations institutionnelles et juridiques (OMIJ)[1]). Il se propose de démontrer, autour d’une quinzaine de textes, que la protection de l’environnement serait « un élément clé de la solution[2] ».

Afin d’éviter (ou de différer ?) l’issue fatale prévisible dans laquelle nos sociétés sont engagées, la première partie invite alors à un ensemble de réflexions que l’on imagine générales et transversales, en prélude aux « variations thématiques » annoncées dans la seconde partie.

La première partie déroule en effet le fil de la thèse soutenue, sur le thème de la « réanimation », par le pilier environnemental, d’un développement durable aujourd’hui moribond : un défi… Revisitant le triptyque économie-social-environnement, les textes présentés ici interrogent, de manière pédagogique, la possibilité que l’environnement vienne « au soutien », respectivement, du développement économique (premier temps), des droits économiques et sociaux (second temps).

Premier temps – L’environnement au soutien de l’économie : quatre textes interrogent la question, après le rappel par Éric Naïm-Gesbert, dans un bref propos[3], que le droit de l’environnement fait sens et « en un certain sens » en forgeant des notions, des mécanismes ou des principes « en prise avec l’économie » : le droit de l’environnement « crée une logique de justice distributive qui donne égard à la dimension économique » (p. 24). En d’autres termes, environnement et économie ne seraient pas dans une logique d’opposition ou d’affrontement. Loïc Peyen aboutit à la même conclusion en revisitant le concept de développement durable : sa fonction conciliatrice et son opérationnalisation via le principe d’intégration permettent le décloisonnement des politiques publiques, l’ancrage de la protection de l’environnement dans le réel (le fait économique) au bénéfice d’une articulation « unitaire » des usages de la nature[4]. Cette analyse somme toute classique et optimiste arrive néanmoins après le constat que les rapports économie-environnement peuvent aussi (souvent ?) entretenir des rapports d’« exclusion » ou d’« assimilation » ; rapport d’« exclusion » quand le développement se place comme un frein à la protection de l’environnement – la formulation en droit français et l’application jurisprudentielle des principes de prévention et de précaution en constituent la preuve ; rapport d’« assimilation » – quand l’économie conditionne et permet la protection effective de l’environnement (à travers les principes pollueur-payeur et d’information et de participation). Prenant appui sur la notion d’économie verte, dont on rappelle qu’elle a constitué l’axe substantiel du Sommet de Rio (Rio + 20, 4-6 juin 2012), sans d’ailleurs qu’il en résulte de tangibles avancées, Thierry Tacheix explore la relation environnement-emploi, conçue, dans une perspective optimiste, comme « un couple d’avenir[5]… ». Ces points de suspension, qui ouvrent – et ferment d’ailleurs également – la contribution augurent toutefois d’un optimisme prudent : la présentation dresse un inventaire des « métiers verts et verdissants », explore les possibilités d’amélioration de l’emploi (en France), dans les secteurs les plus significatifs (énergies renouvelables, bâtiment, transports, tourisme, filière bois) et conclut que l’environnement peut secourir le développement « au moins en théorie… » (p. 55) : on ne peut du même coup que partager le point de vue, l’avenir ne pouvant en définitive que confirmer… ou infirmer celui-ci. La contribution de Christophe Verdure nous emmène sur les rivages du droit de l’Union européenne (UE). L’auteur y explore les potentialités de la Directive 2008/98/CE relative aux déchets[6], venue réviser certains des textes antérieurs sur le sujet. Au fil d’une démonstration fine et lumineuse, l’auteur nous convainc, à travers l’exemple assurément important de la gestion des déchets, de la possibilité d’une articulation harmonieuse des dimensions environnementale et économique. Il montre en particulier comment le texte, qui consacre des évolutions majeures de la définition du déchet – question classique et cruciale, s’il en est, pour le juriste environnementaliste – permet une meilleure intégration des deux perspectives et l’émergence « d’un droit économique des déchets » (p. 60) ou, dit autrement, d’un droit qui prend mieux en considération les enjeux économiques de la gestion des déchets, sans sacrifier la dimension environnementale, première des règles applicables ici. La consécration de la notion de sous-produit, l’inapplicabilité de la directive aux matières premières secondaires ou bien encore la consécration de la fin du statut de déchet illustrent la capacité de la règle environnementale à s’adapter pour mieux intégrer les enjeux économiques. Il en résulte un double bénéfice : une stimulation du marché du recyclage et, partant, un usage plus économe des ressources naturelles. Prolongeant la réflexion sur le terrain du droit de l’UE, Aurélie Fontaine, pour sa part, explore le thème suivant : « La dialectique environnement-économie à l’épreuve de la réalité : le cas des régions ultrapériphériques[7] ». L’auteure retrace alors l’évolution de la politique de cohésion économique, sociale et territoriale de l’UE à l’égard de ces territoires éloignés de l’Europe continentale, marqués par des handicaps structurels forts, liés tant à la géographie (insularité, isolement, relief, climat, superficie) qu’à une économie fortement dépendante de l’extérieur. Dans sa phase initiale, la politique de cohésion, qui s’incarne au travers de mécanismes financiers – objet d’une brève présentation – est marquée par « la prégnance des objectifs économiques » (p. 89), sans que les implications environnementales des mesures d’investissement adoptées soient véritablement envisagées. Les conséquences désastreuses de cette stratégie (mais en était-ce véritablement une ?), notamment en termes de pollution des sols et des eaux (soutien à une agriculture fortement consommatrice de pesticides) vont conduire à une révision des mécanismes financiers dans le sens d’une meilleure intégration des préoccupations environnementales. L’auteure rend compte de ce verdissement progressif « jusqu’à ce que l’objectif de protection devienne une finalité per se de la politique de solidarité » (p. 92). Mais au-delà de cette évolution, que le lecteur sait somme toute classique et commune à l’ensemble des politiques de l’UE, la contribution montre aussi comment, à partir de 2008, la stratégie vis-à-vis des régions ultrapériphériques (RUP) s’efforce de promouvoir et d’appuyer une utilisation optimale des richesses naturelles de ces territoires. L’objectif de la politique est désormais de dynamiser le développement en valorisant le potentiel environnemental, notamment dans les secteurs énergétique et de gestion de la forêt tropicale. L’auteure semble toutefois douter de l’effectivité de cette stratégie suggérant, aux termes d’un propos toutefois assez elliptique, que le chemin reste long vers le développement d’une économie verte dans les RUP.

Second temps – L’environnement au soutien des droits économiques et sociaux : de nouveau quatre contributions interrogent cette perspective. La première envisage comment le droit de l’environnement a pu être « à l’origine du renouvellement des droits économiques et sociaux ». Marta Torre-Schaub appuie ici sa réflexion sur l’exemple de la démocratie environnementale et de la gouvernance durable[8]. L’exemple choisi relève d’une thématique désormais classique mais néanmoins essentielle, dont l’ouvrage ne pouvait assurément pas faire l’économie. L’auteure déroule une démonstration en trois temps. Prenant appui sur le droit à un environnement sain, elle rappelle d’abord combien est importante l’interconnexion – droit « intrinsèquement lié » (p. 107) – entre ce droit spécifique et les autres droits économiques sociaux (liés à la qualité des conditions de vie, de travail, au logement, à la santé…). Or, la réalisation du droit à un environnement sain passe – cela est désormais bien connu – par ces garanties procédurales que sont le droit à l’information et le droit à la participation : celles-ci irriguent désormais le droit français (articles 7 et 8 de la Charte de l’environnement[9] s’agissant des normes de rang constitutionnel), dans le prolongement des grands textes internationaux que sont notamment la Déclaration de Rio de 1992[10] et la Convention d’Aarhus (1998)[11]. La mise en oeuvre de ces droits procéduraux ayant contribué à démocratiser le processus d’élaboration des normes environnementales – l’essentiel de la contribution développe cette évolution majeure de la gouvernance des questions environnementales – il en résulte, par le jeu de l’interconnexion entre les questions environnementales et les droits économiques et sociaux, une dynamisation de ces derniers. Sur ce dernier temps de la démonstration, le propos affirme et répète plus qu’il n’argumente et si le lecteur ne demande qu’à être convaincu, il reste à vrai dire un peu sur sa faim. Les divers droits économiques et sociaux « affectés » ne sont qu’effleurés, la piste de la responsabilité sociétale des entreprises (RSE) est ainsi seulement suggérée. Il est vrai que cette dernière est l’objet de la contribution suivante qui vient alors très utilement appuyer et compléter le propos de Marta Torre-Schaub. Séverine Nadaud propose en effet une réflexion sur le thème : « Protection de l’environnement et RSE au service des droits fondamentaux des salariés[12] ». Sous cet intitulé, l’auteure, qui retient en réalité une conception de la RSE si large qu’elle dépasse le cadre habituel (engagements volontaires adoptés par les entreprises dans le domaine environnemental et social), évalue la mesure dans laquelle le respect de l’environnement par les opérateurs économiques privés, consécutif à des engagements volontaires (mécanisme RSE stricto sensu) ou du fait de contraintes dictées par la loi, contribue à la protection mais aussi à la progression des droits des travailleurs. Ces droits sont entendus, ici également au sens large, comme regroupant l’ensemble des droits stricto sensu (droits garantis par la loi, individuels et collectifs, matériels et procéduraux, au bénéfice de salariés permanents ou intérimaires) ainsi que les intérêts dont les travailleurs peuvent se prévaloir (notamment l’intérêt au maintien des emplois en situation de crise). Le tableau d’ensemble est encourageant puisque la tendance générale des évolutions récentes, tant textuelles (le droit français est ici analysé) que jurisprudentielles, conforte le statut de l’homme au travail. L’auteure montre habilement comment la prise en compte de l’environnement, en imposant des obligations à la charge de l’employeur, ne limite que dans des hypothèses de risque exceptionnel les droits et intérêts des travailleurs : ainsi, l’intérêt au maintien de l’emploi ne plie pas devant le risque environnemental grave, comme semble le montrer la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). (Encore que, sur ce point, on aurait aimé une analyse plus appuyée d’une jurisprudence riche et infiniment complexe – mais le format de l’ouvrage s’y prêtait-il ?) Une présentation de la jurisprudence récente relative aux obligations liées au droit de travailler dans un environnement sain et sécurisé permet également de mesurer les progrès accomplis. Mais au-delà de cette question somme toute classique, la contribution insiste sur les nouvelles contraintes pesant sur les opérateurs économiques du fait des évolutions législatives récentes. Liés aux principes d’information et de participation en matière environnementale, l’obligation d’information sur les risques sur la santé ou l’environnement, l’obligation de suivi (reporting) sociétal, le droit d’alerte environnementale au profit du salarié de même que la consécration de compétences environnementales au profit des instances représentatives du personnel contribuent sans aucun doute à améliorer les droits des travailleurs. L’analyse suivante porte sur « La contribution du service public de l’environnement au développement économique et social[13] ». Ayant rappelé les incertitudes et les évolutions qui entourent la notion de service public environnemental, le caractère disparate des activités d’intérêt général, des structures et des modes de gestion intéressés, Caroline Boyer-Capelle interroge alors la capacité de telles activités à garantir l’effectivité du droit à un environnement sain et, au-delà, des droits qui y sont liés. Dans cette perspective, l’accent est porté sur la contribution du service public de l’environnement successivement à l’effectivité du droit à la protection de la santé de même qu’à l’amélioration des conditions matérielles de vie, du bien-être et du développement des individus. Sur le premier point, l’auteure, prenant appui sur les interactions entre environnement et santé, ainsi que sur les similitudes des « logiques d’intervention guidant la protection de ces impératifs » (p. 141), montre comment, au moyen d’exemples choisis, diverses activités du service public de l’environnement influent sur la protection de la santé : ainsi en est-il des missions de surveillance et d’information des risques de pollution confiées à des organismes agréés et qui visent à préserver la qualité de l’air ou de l’eau, des missions de recensement des sites pollués, ou bien encore de l’activité de collecte et d’élimination des déchets. Si la pertinence des exemples cités ne fait aucun doute, on regrettera néanmoins la brièveté du propos qui aurait gagné à être nourri – notamment – par les illustrations jurisprudentielles que nous offrent en abondance les décisions des juridictions nationales et européennes (Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) et CEDH). Le second point traite d’un aspect plus novateur : il met l’accent sur l’impact social du service public de l’environnement. Un tel impact est aujourd’hui d’autant plus important que la vocation sociale et la finalité de cohésion et de solidarité du service public se sont accrues, le service public de l’environnement n’échappant pas à cette évolution. Des évolutions législatives récentes montrent ainsi comment l’intervention publique a pu être ici réorientée dans le sens d’une politique de lutte contre l’exclusion et la précarité. Parmi d’autres, le service public de distribution d’eau potable figure au rang des exemples mis en avant. Les évolutions consécutives aux lois du 13 juillet 2006[14], du 5 mars 2007[15] et du 7 février 2011[16] qui visent à limiter ou à encadrer le refus de l’accès à l’eau pour des raisons économiques en témoignent. Enfin, l’ultime contribution de ce volet consacré à la contribution de l’environnement au renforcement du pilier social porte sur : « Droit à l’environnement et droit à l’alimentation », envisagés sous l’angle d’une « fécondation mutuelle[17] ». Mohamed Ali Mekouar explore ici les voies qui permettraient, dans une dynamique de complémentarité, de mieux asseoir l’effectivité du droit à l’alimentation, en harmonie avec la préservation des ressources naturelles et la gestion durable de la nature. Le propos résulte d’une analyse des textes internationaux et des réflexions menées notamment au sein des instances onusiennes compétentes dans le champ des droits de l’homme (Conseil des droits de l’homme, Comité des droits économiques et sociaux) et de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (OAA) (Food and Agriculture Organization of the United Nations ou FAO). La première partie revient sur les liens entre environnement et agriculture et les conséquences de cette interconnexion sur les questions alimentaires. La notion d’agroécologie, au coeur du rapport de 2012 sur le droit à l’alimentation[18], est explicitée : agriculture orientée vers des modes de production durables, justes et salubres, assurant ainsi l’effectivité du droit à l’alimentation, l’augmentation des revenus des petits exploitants, sans compromettre les besoins du futur. L’auteur souligne alors l’urgence à interpréter et à appliquer le droit à l’alimentation à l’aune de ce concept, de façon à « impulser des systèmes alimentaires soucieux de procurer durablement une nourriture de qualité pour tous » (p. 152). La seconde partie s’attache d’ailleurs à explorer les voies d’une approche davantage intégrée des questions environnementales et de sécurité alimentaire. L’accent est mis en particulier sur la nécessité de mieux protéger l’accès aux ressources naturelles pour les populations locales par une redéfinition des régimes fonciers, de gestion de la forêt, des res- sources halieutiques, en eau : ambitieux programme… qui sonne comme un constat d’échec des politiques actuelles et comme une urgence à les repenser dans un contexte mondialisé. Dans cette perspective, le lecteur aimerait être convaincu – mais ne l’est guère – que les règles soft adoptées dans le cadre de la FAO, habilement présentées, y suffisent (Directives volontaires pour une gouvernance responsable des régimes fonciers applicables aux terres, aux pêches et aux forêts dans le contexte de la sécurité alimentaire nationale[19], Code de conduite pour une pêche responsable[20]).

La seconde partie de l’ouvrage rassemble, sur le thème « variations thématiques », un ensemble de contributions portant sur trois sujets sectoriels d’importance : la protection de la biodiversité, l’amélioration du cadre de vie, la transition énergétique. Sans doute aurait-on apprécié être guidé dans la lecture par un propos introductif donnant cohérence et fil conducteur à cet assemblage, et justifiant que la question cruciale des changements climatiques ne figure pas au menu de ces variations (sauf à considérer que l’« oubli » était précisément impossible à justifier…).

Enjeu environnemental majeur de ce début de millénaire, la protection de la biodiversité est déclinée autour de deux contributions. La première – « Quelles valeurs monétaires pour la biodiversité[21] ? » – interroge un thème désormais régulièrement débattu dans les sphères internationale et nationale en lien avec la question controversée de « la marchandisation » de la nature : on se souvient en particulier des débats suscités par les rapports Stern[22] et Sukhdev[23]. Loin des polémiques (doit-on le regretter ?) et en amont de celles-ci, la contribution de Thierry Tacheix livre une analyse économique claire et pédagogique partant du constat de l’importance de la détermination de la valeur économique de la biodiversité, l’évaluation chiffrée des avantages devenant alors un instrument de définition et d’ajustement des politiques de conservation, comme le suggère d’ailleurs la Décision IV/10 de la Conférence des parties (Conference of Parties ou COP) à la Convention sur la diversité biologique[24]. Une première partie dresse d’abord un inventaire des différentes valeurs économiques de la biodiversité en distinguant valeurs d’usage (usages de consommation directe, usages productifs, usages récréatifs, avantages retirés des services fournis par les écosystèmes, valeur d’option), valeurs de non-usage (attachées à la biodiversité vue comme un patrimoine à transmettre ou présentant un intérêt indépendamment de toute utilité pour l’homme) et valeur économique totale (addition des valeurs précédentes). Dans une seconde partie, l’auteur expose ensuite les méthodes d’évaluation, données chiffrées à l’appui (basées sur les coûts, les préférences révélées, les préférences déclarées, la fixation de valeurs de référence – pour les plantes pharmaceutiques, les forêts, les zones humides par exemple). Que la présentation convainque ou pas (pertinence de l’intégration de la valeur monétaire de la biodiversité dans les choix des décideurs publics et privés aux fins d’une protection plus efficace : la question n’est ici pas discutée mais posée comme une évidence), le lecteur a le sentiment ici que la démonstration opère dans un registre inversé par rapport à la thèse que l’ouvrage entend explorer : il s’agit bien de montrer comment l’économie vient à l’appui de l’écologie – non l’inverse. Le propos illustre alors finalement toute la complexité des interactions entre les trois piliers du développement durable. Thomas Burelli est l’auteur du texte suivant : « De la conservation de la biodiversité à l’émergence des droits de propriété intellectuelle autochtones : la reconnaissance progressive de l’apport des savoirs autochtones et leur protection en droit international[25] ». Ce sujet important aurait pu trouver sa place dans la première partie de l’ouvrage : ne conduit-il pas l’auteur à montrer comment l’environnement (protection de la biodiversité) permet de faire progresser le pilier social (protection des droits des peuples autochtones) ? Toujours est-il qu’il permet à son auteur de livrer une présentation générale du régime juridique des droits de propriété intellectuelle autochtones dans le domaine de la biodiversité à partir d’un panorama complet des textes internationaux adoptés à partir de la Convention sur la protection de la diversité biologique (CDB). De la convention au Protocole de Nagoya sur l’accès aux ressources génétiques et le partage juste et équitable des avantages découlant de leur utilisation relatif à la Convention sur la diversité biologique[26], en passant par le Traité international sur les ressources phylogénétiques pour l’alimentation et l’agriculture[27] et les textes adoptés dans le cadre de l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (Unesco), le texte retrace l’émergence et la maturation des principes applicables en la matière. Il insiste sur le caractère fondateur de la CDB et le processus de consolidation des droits des peuples autochtones que la CDB a enclenché, pour s’interroger en conclusion sur le développement d’un régime international de protection plus global visant l’ensemble du patrimoine culturel immatériel spécifique autochtone. Le lecteur se trouve bien informé des grandes lignes et de la philosophie générale des règles adoptées jusqu’ici ; il peut regretter toutefois une présentation quelque peu désincarnée (trop près des textes ?) : plus de vingt ans après la mise en route de la CDB, ce régime a-t-il fait ses preuves ?

Deux rapports alimentent ensuite la rubrique de l’amélioration du cadre de vie. Maylis Desrousseaux livre d’abord une réflexion intitulée « L’écologisation du concept de qualité de la vie[28] ». Mettant sur un même pied, semble-t-il, « qualité de la vie », « bien-être humain », « bonheur », l’auteure s’interroge sur la question des critères et des instruments de mesure mobilisables ici. Cette question est analysée à travers le prisme étroit de l’apport de la notion de service écosystémique et le propos prend appui essentiellement sur les travaux de l’Organisation des Nations unies synthétisés dans le Millenium Ecosystem Assessment[29]. L’auteure rappelle d’abord « les liens solides » (p. 206) entre qualité des milieux naturels et bien-être humain : le recours à la notion de service écosystémique, qui suppose et engendre une évaluation des écosystèmes fondée sur l’état des données et la connaissance scientifique des milieux naturels, permet alors d’objectiver et d’universaliser les critères de définition de la qualité de la vie. La composante écologique est ainsi érigée « en socle du bien-être » : jusque-là simple élément constitutif de la qualité de la vie, elle devient « clé du bien-être humain » (p. 209). S’il relève, à vrai dire, de l’évidence que la préservation et la qualité des milieux naturels participent au bien-être de l’homme, la qualité de son environnement urbain y contribue tout autant. Le texte de Jean-Luc Pissaloux, intitulé de « La ville durable : utopie et réalité[30] », alimente le constat, en prenant comme point d’ancrage le plan stratégique présenté sur le sujet au Conseil des ministres en 2008, dans le prolongement des réflexions du Grenelle de l’environnement autour de l’urbanisme durable. Dès 1992, l’Agenda 21 invitait les États à penser le développement durable à l’échelle des territoires locaux ; les évolutions qui ont suivi ont logiquement renforcé cette vision, comme en témoignent les débats à l’occasion de la Conférence Rio + 20 ou, plus récemment, dans le cadre de la COP21 sur le climat : plus de 450 villes représentant ensemble pratiquement 1 milliard d’êtres humains s’y sont engagées à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre de plus de 50 p. 100 en 15 ans. Pour sa part, l’auteur situe son propos à l’échelle française et dessine les contours de la réalité présente comme les perspectives futures, la ville durable étant « davantage un objectif d’avenir, voire même simplement “ un discours en construction” » (p. 217). Le premier temps de la présentation est axé sur les définitions et l’objet de la réflexion : la notion d’écoquartiers – une réalité dont l’auteur montre la diversité et la complexité – annonce la notion de ville durable, dont le texte nous explique qu’elle ne doit pas seulement respecter les principes du développement durable, mais être « intelligente » (smart city) – grâce à l’utilisation des technologies de l’information et de la communication pour une gestion plus efficace – et résiliente – en s’adaptant aux crises et à leurs effets économiques, sociaux et environnementaux. Mais il y a loin de la coupe aux lèvres, et le second temps de la présentation égrène les difficultés – importantes – à surmonter pour que ce nouveau « vivre ensemble » ne reste pas dans le champ du discours : difficultés en termes de gouvernance et obstacles financiers sont ainsi évalués et conduisent à une conclusion qui n’inspire guère l’optimisme.

Le dernier volet de ces variations thématiques est enfin consacré à la transition énergétique. À l’image du texte de Jean-Luc Pissaloux, le premier texte reste à l’échelle des territoires locaux – et même d’un territoire local – tout en offrant un regard tourné vers l’avenir : ce dernier volet débute en effet par l’analyse du géographe Sylvain Le Roux, intitulée « Les ressources naturelles au service d’une énergie décentralisée : éléments de prospective pour la région Limousin[31] ». Ayant dressé un état des lieux des besoins énergétiques de la région et ayant mis en évidence la prépondérance des énergies fossiles, l’auteur s’attache à évaluer le potentiel – réel et sans doute important – offert par les énergies renouvelables (éolien, solaire, méthanisation) et les perspectives de transition énergétique. Il analyse ensuite les effets socioéconomiques de la transition – positifs – en termes d’investissement et d’emploi, rejoignant sur ce point le texte de Thierry Tacheix. Mais au-delà du cas particulier sous examen, la conclusion ramène, fort à propos, le lecteur vers la question générale qui irradie en définitive l’ensemble de l’ouvrage (p. 238) : « Est-il véritablement possible de valoriser l’environnement sans se défaire de cette idée chimérique que la croissance n’a pas de limite ? ». On sait gré à l’auteur d’achever son texte sur une remarque frappée au coin du bon sens, mais encore trop souvent oubliée des consommateurs (que nous sommes) : le passage à l’économie verte a un prix – élevé pour l’heure –, à la mesure de « la véritable valeur des ressources naturelles, dans un monde aux limites définies » (p. 240). L’ultime texte, coécrit par Olivier Clerc et Hubert Delzangles, alimente d’ailleurs excellemment le débat en répondant à la question suivante : « Quelle régulation pour les énergies renouvelables[32] ? » L’analyse part du constat que la régulation des énergies renouvelables (EnR) est traversée par deux logiques contradictoires puisque les EnR répondent à la fois à une nécessité environnementale et à une logique concurrentielle (p. 242). Ce contexte, qui situe d’emblée tout exercice de régulation dans un schéma complexe, anime les textes applicables, tant en droit français qu’en droit de l’UE. Il en résulte une régulation en tension, qui accorde néanmoins une place prépondérante à la logique du marché, comme le démontre l’analyse des pouvoirs de la Commission de régulation de l’énergie (CRE) : la prédominance de la donnée concurrentielle découle en particulier de la fixation des prix, concernant notamment le prix de rachat des EnR (premier temps de l’analyse). Par effet de symétrie, la prise en compte de l’environnement n’est que subsidiaire : dans un second temps, les auteurs le démontrent en effet, notamment à travers l’exemple des appels d’offres et en revenant sur l’exemple de la fixation des prix de rachat des EnR. Le propos s’achève alors par une série de propositions visant à rééquilibrer la régulation, parmi lesquelles : redéfinir le rôle des missions de la CRE comme une forme de conciliation entre concurrence et autres objectifs d’intérêt général (environnementaux), revaloriser le rôle de l’expert régulateur en accroissant ses pouvoirs décisionnels. Il n’est pas certain que la Loi no 2015-997 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte[33] modifie substantiellement ces analyses : elle ne comporte en définitive que peu de mesures encourageant les EnR… tout en fixant l’objectif ambitieux de porter la part de celles-ci à 32 p. 100 d’ici 2030.

Le lecteur appréciera enfin d’achever sa lecture sur les conclusions alertes de Laurent Fonbaustier[34]. Convoquant, en un pêle-mêle inattendu (mais que fallait-il attendre ?), Fred Vargas, Freud (à moins qu’il ne s’agisse de Lacan ?), Herbert von Karajan et Geneviève de Fontenay, l’auteur salue ce que l’ouvrage nous donne finalement à voir : « une sorte de miroir tendu à nos valeurs proprement humaines […] comme l’aboutissement d’un cheminement et le point de départ de nouvelles réflexions » (p. 266). Que l’on songe aux thématiques non abordées, tel le climat, aux mises en perspective absentes, telles que le point de vue du Sud ou la dimension comparatiste, et on partagera l’idée que le livre, loin de clore les débats, les a peut-être seulement ouverts.