Abstracts
Résumé
L’hostilité envers les « délits d’opinion » est un lieu commun du discours juridique français en matière de liberté d’expression. Une analyse des écrits doctrinaux montre que les auteurs, s’ils se dispensent en général d’une définition explicite, entendent désigner de la sorte les restrictions de la liberté d’expression qui définissent les propos visés essentiellement par leur signification, et indépendamment de leurs possibles conséquences.
L’interdiction des délits d’opinion constitue-t-elle une exigence juridique ou simplement un argument de philosophie politique ? Les régimes de la liberté d’expression en vigueur en Allemagne et aux États-Unis, beaucoup plus élaborés que le système français, permettent d’éclairer toutes les subtilités d’une telle exigence. Les délits d’opinion sont interdits, selon des modalités différentes, en Allemagne et aux États-Unis, mais pas en France. Ainsi, l’incrimination du négationnisme, si elle constitue un « délit d’opinion » dont il est possible de débattre du bien-fondé politique, ne pose pas à cet égard un problème de constitutionnalité en droit français.
Abstract
French legal scholars share a hostility toward « crimes of opinion » (délits d’opinion). They rarely define this concept, but one can establish that it designates the restrictions of freedom of speech that forbid the expression of a specific meaning, regardless of the possible consequences that expression might provoke.
Is it legally forbidden to edict such crimes of opinion, or is this prohibition only a philosophical claim ? A study of the German, American and French legal systems leads to various answers. In Germany and in the United States, crimes of opinions are forbidden, though in different ways. In France, however, there is no constitutional norm prohibiting the legislator from edicting a crime of opinion, such as the criminalization of Holocaust denial.
Article body
Le récent débat occasionné en France par le vote d’une loi contre la négation du génocide arménien[1] l’a montré une nouvelle fois : toute limitation de la liberté d’expression est désormais accueillie avec suspicion. La dénonciation d’une atteinte à ce droit est fréquemment effectuée au moyen de deux accusations : la « censure[2] » et le « délit d’opinion ». Ainsi, les écrits doctrinaux francophones consacrés à la liberté d’expression semblent partager une aversion pour un certain type de limite à ce droit, désigné par la locution de « délit d’opinion ». Celui-ci serait inacceptable dans une démocratie, et la Constitution[3] s’opposerait à son édiction. En France, cette conviction paraît répandue depuis l’adoption de la Loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse[4], présentée par les commentateurs de l’époque[5] et d’aujourd’hui[6], comme une abolition de l’ensemble des « délits d’opinion ». Si ces derniers font l’objet d’une aversion partout dans l’ère francophone[7], l’appellation « délit d’opinion » semble moins courante au Québec et au Canada[8].
Nous nous proposons d’examiner si, comme le soutiennent de nombreux auteurs, les « délits d’opinion » sont interdits en droit français (3). À cette fin, nous croyons nécessaire d’établir d’abord précisément ce que désigne l’expression « délit d’opinion » (1), pour étudier ensuite la manière dont ce type de limite est traité dans d’autres ordres juridiques (2).
1 Une limite particulière de la liberté d’expression : le délit d’opinion
La définition du délit d’opinion (1.1) permet d’établir à quelles conditions ce type de restriction de la liberté d’expression est permis dans un système juridique (1.2).
1.1 Une définition du délit d’opinion
En dépit de son emploi fréquent, le concept de « délit d’opinion » est rarement défini[9]. Il semble bien constituer un « spectre[10] », une apparition aux contours flous mentionnée pour effrayer les enfants ! Il nous paraît donc indiqué de déterminer avec précision ce qu’englobe cette expression.
Il convient d’abord d’écarter quelques définitions qui ont été proposées de manière isolée, et qui ne paraissent guère correspondre à l’usage le plus répandu du concept. Selon certains auteurs, un « délit d’opinion » vise l’expression d’une opinion, par opposition à une affirmation factuelle[11]. Ce n’est cependant certainement pas en ce sens qu’il est ordinairement fait référence au « délit d’opinion ». D’ailleurs, les auteurs qui proposent cette définition l’abandonnent souvent en cours de route[12]. Un autre auteur semble opposer le délit d’opinion aux restrictions qui visent l’expression : le « délit d’opinion » serait une norme qui permettrait de sanctionner de simples pensées non exprimées[13]. Un dernier emploi accessoire du concept consiste à désigner une limitation de la liberté d’expression avec laquelle l’auteur est en désaccord[14]. La qualification de « délit d’opinion » revêt en effet une connotation négative[15] : sa mention est systématiquement associée à sa désapprobation. Cependant, il ne s’agit là que d’un élément de la définition qui semble la plus répandue, bien qu’elle soit rarement énoncée.
En effet, le contenu essentiel du concept de « délit d’opinion » s’attache à la manière dont est définie une expression à laquelle une norme juridique associe une sanction. L’hostilité aux délits d’opinion correspond à la thèse selon laquelle une expression ne peut faire l’objet d’une sanction que si elle provoque un préjudice. Plus précisément, les restrictions de la liberté d’expression ne sauraient être prévues que par des normes qui exigent de leur organe d’application qu’il vérifie la conséquence néfaste produite par les propos. Un juge de la Cour européenne des droits de l’homme a récemment formulé très clairement cette idée : « Sauf à accepter que les “délits d’opinion” sont compatibles avec l’ordre démocratique, il s’impose de constater l’existence d’une action (illégale) punissable qui découle directement du discours ou est pour le moins sensiblement et véritablement favorisée par celui-ci[16]. » Comme l’explique l’auteur d’un travail très approfondi sur le sujet, « la question se ramène […] à la nature du lien entre l’idée exprimée et l’acte répréhensible […] Tout tient, autrement dit, dans l’analyse du caractère directement dangereux ou non d’une parole exprimée publiquement[17]. » Selon la définition proposée par un autre auteur, les délits d’opinion « pénalisent l’expression d’une opinion pour des raisons idéologiques sans qu’il soit besoin de démontrer objectivement la mise en cause de l’ordre public ou une atteinte aux droits d’autrui[18] ».
Ainsi, le « délit d’opinion » est l’appellation dyslogistique d’une restriction de la liberté d’expression qui permet de réprimer une expression définie par sa signification et indépendamment de ses conséquences. Le terme « dyslogistique », introduit par Jeremy Bentham, s’applique aux mots colorés d’une connotation péjorative[19]. Pour désigner de manière neutre ce type de normes juridiques, nous parlerons ci-dessous de limites substantielles de la liberté d’expression. Elles se distinguent des limites conséquentielles, qui exigent de leur organe d’application qu’il vérifie la probable production de certaines conséquences. Ainsi, l’interdiction de nier les crimes nazis est une limite substantielle, tandis que les normes qui visent les atteintes à la réputation ou la provocation à la violence sont des limites conséquentielles. Ces quelques définitions permettent d’examiner si, dans un ordre juridique, il est permis ou interdit au législateur d’édicter un délit d’opinion.
1.2 Une restriction interdite par la Constitution ?
L’hostilité aux délits d’opinion est une thèse politique ou morale qui repose sur une conception des justes limites de la liberté d’expression. Pour les tenants de cette thèse, il est inacceptable dans une démocratie de permettre la sanction de certains propos sans exiger que soit vérifiée dans chaque cas la production d’une conséquence préjudiciable. Une conviction voisine s’exprime dans le slogan selon lequel une certaine signification, par exemple l’éloge du nazisme, « n’est pas une opinion, mais un crime[20] ». Cette formule opère une distinction exclusive entre l’opinion, qui ne peut être un crime, et le crime, qui ne peut être une opinion. Ceci revient à considérer que le caractère délictueux d’un comportement lui est intrinsèque, qu’il relève de sa nature et non d’une décision du législateur pénal. Ainsi, selon Nathalie Mallet-Poujol, le Parlement doit veiller à respecter « la subtile frontière entre des propos constitutifs d’une infraction et ceux qui restent une opinion[21] ». Cette auteure critique sur ce fondement l’incrimination de la contestation de l’existence des crimes nazis : « le négationnisme est une opinion, à la différence du racisme, même si elle est abjecte[22] ». Cette dichotomie entre l’opinion, d’un côté, et l’infraction pénale, de l’autre, fait du « délit d’opinion » un oxymore, et permet de comprendre l’hostilité qui lui est vouée.
Sans nous prononcer sur le caractère souhaitable ou non des limites substantielles de la liberté d’expression, nous aimerions examiner si la thèse de leur interdiction correspond au droit positif dans différents systèmes juridiques. Cette entreprise présuppose une distinction entre le droit et la morale : nous ne vérifierons pas si certaines limites législatives de la liberté d’expression sont légitimes en fonction de certaines conceptions de la démocratie ou du rôle attribué à la liberté d’expression, mais plutôt si elles sont permises par la norme supérieure, c’est-à-dire la Constitution. Juridiquement, la liberté du législateur est encadrée par cette norme, et non par des théories philosophiques, morales ou politiques. Cela ne veut pas dire que le juge constitutionnel ne se référera pas à de telles données, et cela n’enlève rien, il faut le répéter, à l’intérêt de telles réflexions. Il est en revanche contestable de présenter ces analyses comme une description du droit positif. Or, il semble qu’un tel pas soit parfois franchi dans les écrits qui font la promotion d’une interdiction des délits d’opinion.
La thèse de la prohibition des délits d’opinion correspond au droit positif si la Constitution défend au législateur d’édicter des limites substantielles de la liberté d’expression. Si, au contraire, elle le lui permet, alors l’hostilité aux délits d’opinion est une conviction morale ou politique qui n’a pas trouvé de traduction juridique. Pour notre part, nous entendons que le système français illustre la seconde alternative.
Les délits d’opinion peuvent d’abord être permis par la Constitution si elle contient elle-même une limite substantielle de la liberté d’expression. Dans une telle situation, une loi pourra concrétiser cette norme en prévoyant la répression de l’expression d’une certaine signification, indépendamment de ses éventuelles conséquences. Soient :
-
la catégorie de signification S, comprenant notamment la signification plus étroite S1 ;
-
la norme constitutionnelle selon laquelle l’expression de S est interdite, ou peut être interdite par le législateur ;
-
la loi L1 soumettant à sanction l’expression de S1, sans prévoir la moindre condition relative aux conséquences de cette expression.
L1 est conforme à la Constitution, bien que le comportement qu’elle vise ne soit aucunement défini en termes de conséquence, d’atteinte à un autre droit ou intérêt. Si la Constitution comprend une limite substantielle de la liberté d’expression, certains délits d’opinion sont permis. Par exemple, si une norme supérieure prévoit l’interdiction des propos favorables au national-socialisme, elle permet de pénaliser l’apologie d’Hitler indépendamment des conséquences préjudiciables de tels propos. Peu de constitutions contiennent de telles limites substantielles, mais il ne s’agit pas d’une simple vue de l’esprit. Ainsi, la Constitution du Rwanda garantit la liberté d’expression en ses articles 33 et 34, mais elle précise ceci : « Le révisionnisme, le négationnisme et la banalisation du génocide sont punis par la loi[23]. » Certaines constitutions contiennent même des limites substantielles directement applicables contre des propos concrets : tel est le cas de l’interdiction des expressions favorables au national-socialisme en Autriche[24]. Une précision s’impose : il est certain qu’une réflexion sur le but de ces dispositions indiquerait que leur auteur cherche de la sorte à éviter la commission de certains actes ou la formation de certains mouvements hostiles à la démocratie. Cependant, il n’en demeure pas moins que l’établissement de ces conséquences n’est pas une condition de l’application de ces normes. Il s’agit bien de limites substantielles, qui permettent de réprimer l’expression de certaines significations, indépendamment de leurs effets préjudiciables.
En pratique, cependant, ces limites substantielles de rang constitutionnel sont rares. La plupart des constitutions ne contiennent pas de limite substantielle, mais uniquement des limites conséquentielles de la liberté d’expression : elles permettent de limiter l’exercice de ce droit lorsqu’il porte atteinte à certains intérêts. Ainsi, l’article V de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, qui fait partie de la Constitution française, précise que « [l]a Loi n’a le droit de défendre que les actions nuisibles à la Société[25] ». De même, l’article premier de la Charte canadienne des droits et libertés[26], tel qu’il est lu par la Cour suprême du Canada, ne permet de restreindre un droit que lorsque son exercice risque de provoquer certaines conséquences, lorsqu’il est susceptible d’empêcher « d’atteindre des objectifs sociaux fondamentalement importants[27] ».
Toutefois, le caractère conséquentiel des possibilités de limitation de la liberté d’expression prévues dans la Constitution ne clôt pas l’enquête. Une telle norme peut en effet parfaitement être concrétisée par une limite législative substantielle. L’exigence que la liberté d’expression ne soit limitée que si elle entre en conflit avec d’autres droits ou intérêts ne signifie pas forcément que la restriction législative doit requérir de son organe d’application qu’il vérifie l’atteinte à cet « intérêt ».
Soient :
-
la limite constitutionnelle conséquentielle selon laquelle une expression peut être sanctionnée si elle produit la conséquence C ;
-
la limite législative substantielle L2 soumettant à une sanction l’expression de S2 sans prévoir la moindre condition relative aux conséquences de cette expression.
L2 peut parfaitement être une concrétisation conforme de la limite constitutionnelle conséquentielle. Il suffit que le législateur, sous le contrôle éventuel du juge, considère que S2 est susceptible de provoquer C. Cette situation peut être illustrée par le contrôle que les tribunaux français ont opéré pour établir si l’interdiction du négationnisme était conforme à la Convention européenne des droits de l’homme[28]. L’article 24 bis de la Loi française du 29 juillet 1881[29] vise une signification (la négation de la Shoah), indépendamment de ses conséquences éventuelles. L’article 10 de la Convention européenne, de son côté, ne permet de limiter la liberté d’expression que si son usage est susceptible de provoquer certains préjudices. Les juges français ont toujours considéré que la première norme était conforme à la seconde, en assurant que les propos incriminés portaient atteinte à la sécurité publique, à la réputation ou aux droits d’autrui[30].
La propagande haineuse réprimée par l’article 319 (2) du Code criminel canadien[31] fournit un autre exemple. Contrairement au premier paragraphe de l’article 319, cette disposition vise la fomentation volontaire à la haine, sans qu’il soit requis d’examiner si les propos sont susceptibles d’entraîner une violation de la paix. Il s’agit donc d’une limite substantielle de la liberté d’expression[32]. Or, la Cour suprême a considéré que cette expression était susceptible d’entraîner des préjudices importants à l’égard des membres du groupe visé, et plus largement contre les valeurs de respect mutuel et d’égalité au sein de la société[33].
Par conséquent, l’absence de limite substantielle dans la Constitution ne permet pas de conclure que les restrictions législatives substantielles sont interdites. Soutenir que les délits d’opinion sont bannis revient donc à affirmer qu’il existe dans la Constitution une norme qui défend au législateur d’édicter une limite substantielle de la liberté d’expression. Avant d’examiner si tel est le cas en France, nous aimerions montrer que cette question a beaucoup préoccupé les juges et les auteurs allemands et américains[34].
2 L’interdiction du délit d’opinion aux États-Unis et en Allemagne
Si un auteur allemand a pu employer, en français dans le texte, les termes « délit d’opinion[35] », cette dénomination est très rare en dehors des écrits francophones. Le terme Meinungsdelikt apparaît parfois de manière polémique dans les journaux de langue allemande, mais il n’est guère présent au sein d’analyses doctrinales. Aux États-Unis, le concept de thought crime, issu du roman 1984 de George Orwell[36], a connu une certaine popularité au cours des années 90. Il était employé par les auteurs qui entendaient critiquer l’arrêt dans lequel la Cour suprême des États-Unis a permis de punir plus sévèrement les infractions motivées par la haine raciale[37]. Ce « crime de pensée », qui sanctionnerait des idées non exprimées, correspond à l’une des définitions peu répandues du délit d’opinion. Cependant, la question de savoir si les limites substantielles de la liberté d’expression sont permises joue depuis longtemps, indépendamment de sa formulation en termes de « délit d’opinion », un rôle fondamental en Allemagne et aux États-Unis.
2.1 La situation aux États-Unis : du bad tendency test au clear and present danger
Dans la doctrine américaine, ce problème est davantage connu à travers la question du bad tendency test, qui évoque le « délit de tendance », parfois employé en France comme synonyme du délit d’opinion[38]. Jusqu’en 1919 au moins, il ne faisait en effet aucun doute aux États-Unis qu’une expression pouvait être réprimée en raison de son caractère tendancieux, de sa « mauvaise tendance » (notre traduction), c’est-à-dire de la vague probabilité d’un effet préjudiciable qui pouvait être déduite de la seule signification des propos[39]. En 1903, pour confirmer l’expulsion d’un anarchiste anglais, la Cour suprême avait jugé qu’il était permis de sanctionner l’expression d’opinions qui tendaient à être dangereuses pour le bien public[40]. En 1907, la haute juridiction considérait, sous la plume du juge Holmes, qu’une expression pouvait faire l’objet d’une sanction si elle était considérée comme contraire au bien commun, notamment si elle tendait à entraver l’exercice de la justice[41]. Il convient de noter que la célèbre exigence d’un danger « manifeste et imminent » (notre traduction de clear and present danger[42]), lorsqu’elle est apparue dans la jurisprudence de la Cour suprême, ne posait pas de condition supplémentaire à la restriction de l’expression[43]. Comme l’a souligné dans un article important le professeur Gunther, le juge Holmes employait comme des synonymes les termes « danger imminent » et « tendance »[44].
Selon cette conception, une vérification concrète du risque de production d’un préjudice n’était pas nécessaire : il suffisait de pouvoir établir une tendance abstraite des propos à provoquer une conséquence néfaste. Ainsi, la Constitution ne posait aucun obstacle aux limites substantielles. Comme la Cour suprême l’a expliqué dans l’arrêt Gitlow rendu en 1925, le législateur était libre d’estimer que certaines significations impliquaient de manière générale un danger, et de permettre la répression de leur expression, sans exiger que la probabilité de la production des conséquences néfastes soit vérifiée dans chaque cas par le juge[45].
Progressivement, cependant, la jurisprudence de la Cour suprême a évolué pour exiger que le risque imminent de conséquences préjudiciables soit établi de manière circonstanciée dans chaque cas particulier[46]. Le régime actuel de la liberté d’expression aux États-Unis correspond davantage à celui qui est préconisé par le juge Brandeis dans l’opinion dissidente jointe à l’arrêt Whitney : le législateur ne peut « attribuer » certaines conséquences à une signification, et permettre aux juges de condamner les propos qui la véhiculent, sans devoir vérifier dans chaque espèce si les conséquences qui justifient la restriction sont susceptibles de se produire. Le locuteur poursuivi doit toujours pouvoir contester qu’il existait un danger manifeste et imminent dans les circonstances de l’espèce[47]. Ainsi, les limites substantielles sont désormais interdites dans le régime américain de la liberté d’expression. Lorsque la doctrine se réfère aujourd’hui au bad tendency test, c’est pour décrire un passé qu’elle estime heureusement révolu, où la liberté d’expression était insuffisamment garantie[48].
2.2 La situation en Allemagne : « généralité » de la loi et Sonderrechtslehre
À l’époque où les juges Holmes et Brandeis commençaient à développer une nouvelle conception de la garantie de la liberté d’expression, des réflexions très similaires avaient lieu en Allemagne. Elles portaient en particulier sur un élément de la Constitution de Weimar[49] : l’exigence, à l’article 118, que la liberté d’expression ne soit limitée que par des « lois générales » (innerhalb der Schranken der allgemeinen Gesetze). L’article 5 de la Loi fondamentale, qui garantit aujourd’hui ce droit, contient la même condition[50]. La doctrine contemporaine accorde donc beaucoup d’importance aux débats des années 20, d’autant plus que la Cour constitutionnelle leur a fait référence dans l’arrêt Lüth[51] et plus récemment dans l’arrêt Wunsiedel[52], deux décisions essentielles pour le régime allemand de la liberté d’expression. Rudolf Smend défendait une théorie dite de la « balance » (Abwägungslehre) : une loi était « générale » si elle défendait une valeur supérieure à la liberté d’expression. Pour d’autres auteurs, en particulier Kurt Häntzschel et Karl Rothenbücher, la généralité de la loi impliquait qu’elle ne contienne pas un « droit spécial » contre la liberté d’opinion, qu’elle limite ce droit non pas pour réprimer le « contenu d’une expression », mais sur la base de raisons générales, non dirigées contre le « contenu de pensée »[53]. Bien que la doctrine contemporaine soit unanime à considérer que la Cour constitutionnelle a combiné ces deux théories, c’est en réalité la seconde, dite « théorie du droit spécial » (Sonderrechtslehre), qui a obtenu à juste titre les faveurs de cette cour[54].
Or, les réflexions présentées par les partisans de cette doctrine coïncident parfaitement avec celles des auteurs français opposés aux délits d’opinion. Pour comprendre cette pensée, il convient d’effectuer un léger voyage dans le temps jusqu’au xixe siècle, à l’époque où la presse a connu son essor. De façon concomitante s’est développée, en France et dans les États qui forment aujourd’hui l’Allemagne, l’exigence que la presse soit soumise à des « lois générales », c’est-à-dire aux restrictions qui sont également valables pour d’autres formes de l’expression d’opinion[55]. « Quiconque fait usage de la presse est responsable, selon la loi commune, de tous les actes auxquels elle peut s’appliquer », expliquait le Garde des Sceaux français en 1819 : « La presse rentre, comme tout autre instrument d’action, dans le droit commun, et en y rentrant, elle n’obtient aucune faveur qui lui soit propre, elle ne rencontre aucune hostilité qui lui soit particulière[56]. » La presse n’est qu’un nouveau moyen de commettre des infractions existantes, et un régime spécifique à son égard ne se justifie pas davantage qu’une disposition spéciale pour le sabre ou la hache en matière d’assassinat, expliquaient juristes et hommes politiques en Allemagne comme en France[57].
Au cours du xixe siècle, cependant, la « généralité » de la loi va être exigée pour la limitation de l’ensemble des libertés de communication, et plus seulement pour la presse[58]. En France, une confusion va s’installer entre le délit spécifique de presse et le « délit d’opinion[59] ». À la suite de ce glissement, il serait logique de considérer que sont désormais visés les « délits spécifiques d’expression », et non plus seulement les « délits spécifiques de presse ». En réalité, ni les auteurs ni les législateurs ne sont hostiles aux limites qui concernent uniquement la liberté d’expression : ils considèrent seulement que de telles lois doivent être semblables aux « délits de droit commun ». Or, dans leur esprit, un tel délit est une norme qui définit par son effet préjudiciable le comportement auquel elle s’applique. Comme l’expliquait le rapporteur de la Loi française du 29 juillet 1881, il ne s’agit pas d’édicter des délits d’opinion, mais de réprimer « des faits qu’incrimine le droit commun ; c’est-à-dire qui portent atteinte à l’intérêt public ou à l’intérêt privé[60] ». De même, Kurt Häntzschel soulignait qu’une expression pouvait faire l’objet d’une restriction, « comme tout autre comportement », dès lors qu’elle portait atteinte à un « bien juridique protégé[61] ». La loi est « générale » dès lors qu’elle ne se contente pas d’interdire une expression, mais organise la protection d’un intérêt : l’expression n’est pas limitée « en tant que telle », mais parce qu’elle porte atteinte à un intérêt.
Telle était la signification de l’exigence de « généralité » de la loi, lorsqu’elle a été introduite dans la Loi fondamentale en 1949. La Cour constitutionnelle allemande a adopté cette conception de la généralité des limites législatives de la liberté d’expression : « une loi est générale si elle vise non pas une certaine opinion, mais la protection de certains intérêts juridiques[62] ». Les limites substantielles sont donc interdites en Allemagne : le législateur doit introduire dans la définition du comportement interdit un élément relatif à sa conséquence préjudiciable[63]. Si l’exigence de la généralité de la loi repose sur des considérations analogues à celles qui animent la doctrine française hostile au délit d’opinion, une différence de taille ne doit cependant pas être occultée. En Allemagne, ces thèses s’appuient sur le texte de la Constitution. Tel n’est pas le cas en France.
3 L’interdiction des délits d’opinion en France : la trompeuse description doctrinale du droit positif
Les adversaires français du délit d’opinion prétendent décrire un régime juridique, mais en réalité ils décrètent une interdiction des limites substantielles de la liberté d’expression, et ils s’efforcent de deviner les conséquences susceptibles d’être provoquées par certains propos.
3.1 L’absence d’interdiction des délits d’opinion dans la Constitution française
Dans le régime juridique français, la liberté d’expression est garantie aux articles 10 et 11 de la Déclaration des droits de l’homme[64]. Or, ces dispositions encadrent très faiblement la liberté du législateur, et il n’est guère possible de percevoir en leur sein une exigence de « conséquentialité » des limites de la liberté d’expression. Nul ne saurait considérer qu’il « convient […] d’interpréter l’article 11 de la Déclaration de 1789 comme interdisant de manière absolue tout délit d’opinion[65] ». Jeremy Bentham, qui défendait une conception de la liberté d’expression proche de la Sonderrechtslehre, c’est-à-dire hostile aux délits d’opinion[66], ne s’y était pas trompé et avait bien perçu que la Déclaration des droits de l’homme ne posait aucun obstacle à de telles restrictions :
Qu’est-ce qu’un abus de liberté ? C’est l’exercice même de la liberté, quelle qu’elle soit, que celui qui la baptise de ce nom n’approuve pas. Tout abus de cette branche de liberté s’expose au châtiment ; et on laisse aux législatures à venir le soin de déterminer ce qui doit être considéré comme un abus ! Quelle sécurité digne de ce nom donne-t-on ainsi à l’individu contre les exactions d’un gouvernement ? À quoi revient la barrière que l’on prétend élever contre le gouvernement ? Une barrière que le gouvernement est expressément appelé à établir quand il lui plaît[67] ?
La Déclaration des droits de l’homme ne restreint guère la compétence du législateur : le cadre des limitations juridiquement permises est plus large que celui des restrictions considérées comme justes ou raisonnables selon diverses théories. Aussi existe-t-il un intérêt certain à proposer au législateur une ligne de conduite fondée sur d’autres considérations. Une telle démarche est d’autant plus justifiée en France à l’égard de la liberté d’expression que la jurisprudence constitutionnelle en la matière demeure jusqu’à présent très peu élaborée. Telle est, par exemple, la tâche que s’assigne explicitement la doctrine pénaliste allemande : préciser les contours d’une politique criminelle rationnelle[68]. De même, aux États-Unis, les constitutionnalistes assument ouvertement la visée prescriptive de leurs travaux, l’élaboration de lignes directives pour protéger de la meilleure façon les valeurs qu’ils assignent à la liberté d’expression[69].
En France, ce même objectif est souvent poursuivi sous l’apparence d’une description du régime existant : les auteurs assurent décrire le droit tel qu’il est, mais ils exposent en réalité le droit tel qu’ils pensent qu’il devrait être. Ainsi, la thèse morale de l’interdiction des délits d’opinion est présentée comme une exigence constitutionnelle, laquelle ne se vérifie pas dans le droit positif. Cependant, la confusion entre la prescription et la description n’est pas le seul reproche qui peut être adressé à de nombreux écrits consacrés à la liberté d’expression.
3.2 L’estimation personnelle des conséquences d’une expression
La tendance à présenter une vue personnelle comme une exposition du droit apparaît sous une autre forme dans les écrits hostiles aux délits d’opinion. En effet, loin de se contenter d’observer l’existence de limites substantielles de la liberté d’expression, certains auteurs entendent se prononcer sur la conséquence de la signification visée. S’ils perçoivent des effets néfastes, ils excluent la qualification de délit d’opinion, pour la réserver aux expressions qui leur paraissent inoffensives. Le délit d’opinion devient alors un concept purement subjectif. Combiné avec la thèse de son interdiction, il conduit ces auteurs à décrire un régime juridique où le cadre des restrictions permises dépend de leur appréciation personnelle. Ainsi, après avoir critiqué les délits d’opinion, le professeur Oberdorff les distingue des limites substantielles qui protègent des valeurs « fondamentales ». L’interdiction du port d’uniformes ou d’insignes nazis n’est pas un délit d’opinion, explique-t-il, parce que ce comportement viole le respect de la « dignité humaine[70] ».
Ce type de raisonnement est particulièrement fréquent à l’égard du négationnisme, entendu comme une expression qui conteste l’existence d’un crime contre l’humanité. En France, la norme qui permet de sanctionner la négation de la Shoah est une limite substantielle : elle vise une signification, indépendamment de ses éventuelles conséquences. Pourtant, selon une auteure, cette disposition échappe à la qualification de délit d’opinion, parce que de tels propos incitent à la haine à l’égard des Juifs, les rendent responsables du conflit israélo-arabe, et favorisent la commission d’actes antisémites[71]. La même auteure fait en revanche part de son opposition à l’incrimination de la négation du génocide arménien, car de tels propos ne provoquent pas, selon elle, de conséquences similaires[72].
Il ne fait aucun doute que les effets préjudiciciables d’une expression jouent un rôle essentiel pour l’examen de la légitimité d’une restriction. La question de leur existence et de leur nature est même pertinente pour la constitutionnalité d’une restriction législative, puisque la Déclaration des droits de l’homme ne contient que des possibilités conséquentielles de limiter l’expression. Toutefois, la doctrine ne peut proposer à cet égard qu’une opinion parmi d’autres, et non émettre des vérités scientifiques.
En effet, les conséquences susceptibles d’être causées par une expression ne sont pas identifiables avec certitude. Il peut s’agir de préjudices qui, telle l’atteinte à l’« honneur », se manifestent dans les sentiments des victimes, et ne sont donc pas observables empiriquement. Il peut également s’agir du risque qu’un acte violent ou illégal soit provoqué par l’expression, et l’établissement d’un tel danger relève du pronostic[73]. Dans tous les cas, les effets susceptibles d’être causés par une expression sont incertains et se prêtent à une multitude d’appréciations[74].
L’estimation et la prévision de ces préjudices jouent un rôle essentiel dans le débat politique sur l’adoption d’une restriction[75]. En supposant une interdiction du délit d’opinion et en liant cette qualification à une appréciation des conséquences attribuées à certains propos, la doctrine participe au débat sur les justes limites de la liberté d’expression. Il s’agit évidemment d’une mission importante, mais il est regrettable qu’elle s’accomplisse sous l’apparence d’une description objective du droit positif.
Appendices
Notes
-
[1]
Loi visant à réprimer la contestation de l’existence des génocides reconnus par la loi, proposition de loi no 52 (adoptée par le Sénat − 23 janvier 2012), [En ligne], [www.senat.fr/leg/tas11-052.html] (16 juillet 2012). Le Conseil constitutionnel a jugé cette loi contraire à la Constitution dans une décision à la motivation très obscure, voire contradictoire : décision no 2012-647 DC du 28 février 2012. Cf. Laurent Pech, « Lois mémorielles et liberté d’expression : de la controverse à l’ambiguïté. Note sous la décision du Conseil constitutionnel no 2012-647 DC du 28 février 2012 », Rev. fr. dr. constl. (à paraître), [En ligne], [nuigalway.academia.edu/LaurentPech/Papers/1600986/Lois_memorielles _et_liberte_dexpression_De_la_controverse_a_lambiguite] (16 juillet 2012) ; Thomas Hochmann, « La question mémorielle de constitutionnalité (à propos de la décision du 28 février 2012 du conseil constitutionnel) », (2013) 3 Annuaire de l’Institut Michel Villey (à paraître).
-
[2 ]
Cf. Pascal Mbongo, « La banalisation du concept de “censure” », Pouvoirs, vol. 130, no 3, p. 17.
-
[3 ]
Constitution du 4 octobre 1958, J.O. 5 octobre 1958, p. 9151 (ci-après « Constitution »).
-
[4 ]
Loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, [En ligne], [www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=LEGITEXT000006070722&dateTexte=vig] (16 juillet 2012).
-
[5 ]
Polydore-Jean-Étienne Fabreguettes, Traité des infractions de la parole de l’écriture et de la presse, t. 1, Paris, A. Chevalier-Marescq, 1884, p. xxxiv ; « Presse-Outrage-Publication », dans Gaston Griolet et Charles Vergé (dir.), Répertoire pratique de législation de doctrine et de jurisprudence, t. 9, Paris, Dalloz, 1922, p. 226, aux pages 252 et suiv, no 319 et suiv. Le Garde des Sceaux présentait explicitement la loi de cette manière, dans une circulaire où étaient énumérés les « délits d’opinion » supprimés. Cf. Georges Burdeau, Les libertés publiques, 4e éd., Paris, L.G.D.J., 1972, p. 277.
-
[6 ]
G. Burdeau, préc., note 5, p. 276 et suiv. ; France Jeannin, Le révisionnisme. Contribution à l’étude du régime juridique de la liberté d’opinion en France, thèse de doctorat, Paris, Université de Paris II, 1995, p. 42 ; Patrice Rolland, « Du délit d’opinion dans la démocratie française », dans Pouvoir et liberté. Études offertes à Jacques Mourgeon, Bruxelles, Bruylant, 1998, p. 645 ; Laurent Pech, « Fondement du droit de la presse et des médias », dans Bernard Beignier, Bertrand de Lamy et Emmanuel Dreyer (dir.), Traité de droit de la presse et des médias, Paris, LexisNexis, 2009, p. 69, à la page 94 ; Nathalie Droin, Les limitations à la liberté d’expression dans la loi sur la presse du 29 juillet 1881. Disparition, permanence et résurgence du délit d’opinion, Paris, L.G.D.J., 2010, p. 8.
-
[7 ]
Cf., par exemple en Belgique, François Dubuisson, « L’incrimination générique du négationnisme est-elle conciliable avec le droit à la libre expression ? », (2007) 35 Rev. dr. l’U.L.B. 135, 136.
-
[8 ]
Cf., cependant, Robert Pichette, « Les juges et les médias », (2001) 50 R.D. U.N.-B. 285, 288 : « le délit d’opinion qui, comme chacun sait, n’existe pas dans une démocratie ». Les termes « délits d’opinion » paraissent plus rarement employés, mais il ne faut évidemment pas en déduire que le Canada ne connaît pas de controverses relatives à la liberté d’expression. Cf. par exemple : R. c. Keegstra, [1990] 3 R.C.S. 697 ; R. c. Butler, [1992] 1 R.C.S. 452 ; R c. Zundel, [1992] 2 R.C.S. 731. Le lecteur consultera en particulier la belle étude de Leonard Wayne Sumner, The Hateful and the Obscene. Studies in the Limits of Free Expression, Toronto, University of Toronto Press, 2004.
-
[9 ]
Ainsi, au sujet de deux propositions de loi en vue d’interdire « les propos et les actes injurieux contre toutes les religions », d’une part, et la négation du génocide arménien, d’autre part, Diane de Bellescize, « Délits d’opinion et liberté d’expression », D. 2006.1476, s’interrogeait de la manière suivante, sans précision supplémentaire : « Est-il opportun de multiplier les “délits d’opinion” – c’est bien de cela dont il s’agit » ?
-
[10]
Cf. France, Assemblée nationale, Rapport d’information fait en application de l’article 145 du Règlement au nom de la mission d’information sur les questions mémorielles, par Bernard Accoyer, rapport no 1262 (18 novembre 2008), à la page 95 (l’italique est de nous) : « En multipliant des lois qui qualifient l’histoire à travers des concepts du droit pénal, le législateur risque de donner corps au spectre du délit d’opinion. »
-
[11]
Cf. Martin Imbleau, La négation du génocide nazi. Liberté d’expression ou crime raciste ? Le négationnisme de la Shoah en droit international et comparé, Paris, Harmattan, 2003, p. 238 et suiv.
-
[12]
N. Droin, préc. note 6, p. 258 et 260 et suiv., n’adopte qu’occasionnellement cette définition dans son ouvrage. Le professeur Beignier défend le même point de vue en un passage de son article sur le négationnisme : Bernard Beignier, « “De la langue perfide, délivre-moi…”, Réflexions sur la loi du 13 juillet 1990 dite “loi Gayssot” », dans Pouvoir et liberté. Études offertes à Jacques Mourgeon, préc., note 6, p. 497, à la page 509. Cet auteur semble cependant adopter, plus loin dans le même texte (id., p. 513), la conception la plus répandue du « délit d’opinion ».
-
[13]
Amélie Robitaille-Froidure, La liberté d’expression face au racisme : étude de droit comparé franco-américain, Paris, Harmattan, 2011, p. 15. Cf. aussi Gilles Lebreton, Libertés publiques et droits de l’Homme, 8e éd., Paris, Dalloz, 2009, p. 407. Sur cette problématique, cf. John Barrell, Imagining the King’s Death. Figurative Treason, Fantasies of Regicide. 1793-1796, Oxford, Oxford University Press, 2000.
-
[14]
Cf. en particulier Anne-Marie Le Pourhiet, « Délits d’opinion et tentation totalitaire : la dangereuse dérive du droit français », Politeia 2006.10.219.
-
[15]
Le doyen Hauriou semble être le seul auteur qui emploie cette expression de manière neutre. Ainsi, il s’oppose à un « délit général d’opinion », sanctionnant toute « opinion mauvaise », pour des raisons relatives à la prévisibilité de la loi, mais il considère comme parfaitement acceptable les « délits d’opinion spéciaux », « suffisamment circonstanciés » : Maurice Hauriou, Précis de droit constitutionnel, Paris, Sirey, 1929, p. 662.
-
[16]
Féret c. Belgique, no 15615/07, 16 juillet 2009 (j. Sajó, motifs diss.).
-
[17]
P. Rolland, préc. note 6, p. 657 et suiv. Nathalie Droin retient la même définition, en lui ajoutant un critère d’imprécision de l’expression visée : Cf. N. Droin, préc., note 6, p. 20 et suiv., par exemple p. 30 : « un intérêt juridique lésé […] empêche la qualification de délit d’opinion ».
-
[18]
L. Pech, préc. note 6, à la page 95.
-
[19]
Jeremy Bentham, Sophismes parlementaires, Paris, Pagnerre, 1840, p. 139. La graphie « dislogistique » existe également et, selon les éditions, les termes « péjoratif » ou « désapprobatif » sont employés. Cf., notamment l’édition de référence, Jeremy Bentham, Fragment sur le gouvernement. Manuel de sophismes politiques, traduit par Jean-Pierre Cléro, Bruxelles, Bruylant, 1996, p. 288. Cf. aussi les explications d’Étienne Dumont dans Jérémie Bentham et Étienne Dumont, Tactique des assemblées législatives, suivie d’un traité des sophismes politiques, 2e éd., t. 2, Paris, Bossange frères, 1822, p. 164 : « Dans la première édition, j’avais hasardé, d’après mon auteur, deux termes nouveaux, eulogistique et dyslogistique, synonymes d’approbatif et désapprobatif. On m’a objecté qu’ils n’étaient pas assez nécessaires pour justifier le néologisme. » Nous ne sommes pas loin de partager cette remarque, et c’est peut-être la seule pédanterie qui nous pousse à conserver ce terme.
-
[20]
Cf., récemment, l’intervention du sénateur Vaugrenard lors du débat sur l’incrimination de la négation du génocide arménien en France : « Le négationnisme, à l’instar du racisme, ne peut et ne doit pas être considéré comme une opinion. Ce sont l’un et l’autre des délits, condamnables par les lois de notre République. » France, J.O., Sénat, Débats parlementaires, Compte rendu intégral, séance du 23 janvier 2012 (Yannick Vaugrenard), [En ligne], [www.senat.fr/seances/s201201/s20120123/s20120123_mono.html] (16 juillet 2012).
-
[21]
France, Assemblée nationale, préc., note 10, à la page 401 (Nathalie Mallet-Poujol).
-
[22]
Id.
-
[23]
Constitution de la République du Rwanda, 4 juin 2003, [En ligne], [www.democratie.francophonie.org/ IMG/pdf/Rwanda.pdf] (16 juillet 2012), art. 13, al. 2. Cette limite supérieure substantielle impérative a été concrétisée par l’article 4 de la Loi no 33 bis/2003 du 6 septembre 2003 réprimant le crime de génocide, les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre, [En ligne], [www.vertic.org/media/National %20Legislation/ Rwanda/RW_Loi_33bis_2003_Genocide_FR.pdf] (16 juillet 2012), qui punit d’un emprisonnement de 10 à 20 ans celui qui a « nié le génocide survenu, l’a minimisé grossièrement, cherché à le justifier ou à approuver son fondement ou celui qui en aura dissimulé ou détruit les preuves ». L’article 3 (2) de la Loi no 18/2008 du 23 juillet 2008 portant répression du crime d’idéologie du génocide, [En ligne], [www.unhcr.org/refworld/ docid/4acc99952.html] (16 juillet 2012), concerne par contre beaucoup plus largement le fait de « marginaliser, proférer des sarcasmes, dénigrer, outrager, offenser, créer la confusion visant à nier le génocide qui est survenu, semer la zizanie, se venger, altérer le témoignage ou les preuves sur le génocide qui est survenu ». Cf. Sheri Rosenberg, Healing the Wounds : Speech, Identity, & Reconciliation in Rwanda and Beyond, New York, décembre 2010, notamment p. 38, [En ligne], [migs.concordia.ca/links/documents/Rwanda FinalHealingtheWoundspdf.pdf] (16 juillet 2012).
-
[24]
Cf. Felix Müller, Das Verbotsgesetz im Spannungsverhältnis zur Meinungsfreiheit, thèse de doctorat, Vienne, Verlag Österreich, 2005.
-
[25]
Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, [En ligne], [www.assemblee-nationale.fr/histoire/dudh/1789.asp] (16 juillet 2012 ; ci-après « Déclaration des droits de l’homme »).
-
[26]
Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, [annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, c. 11 (R.-U.)], art. 1 : « La Charte canadienne des droits et libertés garantit les droits et libertés qui y sont énoncés. Ils ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique. »
-
[27]
R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103, par. 65.
-
[28]
Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, 4 novembre 1950, (1955) 213 R.T.N.U. 221, S.T.E. no 5 (entrée en vigueur le 3 septembre 1953).
-
[29]
Loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, préc., note 4.
-
[30]
Cf. par exemple : Paris, 9 déc. 1992, Légipresse 1993.III.90, note Korman ; Crim. 20 décembre 1994, Bull. crim., no 424 ; Trib. gr. inst. Paris, 10 juin 1993, cité dans Gérard Cohen-Jonathan, « Négationnisme et droits de l’homme. Droit européen et international (la sentence du Comité des droits de l’homme – Faurisson c. France) », (1997) 32 Rev. trim. dr. h. 571, 575.
-
[31]
Code criminel, L.R.C. 1985, c. C-46.
-
[32]
Certains auteurs considèrent que l’incitation à la haine est une limite conséquentielle, dès lors que la haine est une opinion qui « appelle presqu’immédiatement des actes » (P. Rolland, préc., note 6, p. 654). Cependant, l’application de l’article 319 (2) du Code criminel canadien ne nécessite pas d’établir un tel danger. Il suffit que les propos soient susceptibles de convaincre le récepteur de la justesse de l’opinion haineuse exprimée. Or, une telle « conséquence » est intrinsèque relativement à toute expression sérieuse : il n’existe aucune différence entre défendre l’opinion x et s’efforcer de convaincre autrui du bien-fondé de x.
-
[33]
R. c. Keegstra, [1990] 3 R.C.S. 697.
-
[34]
Conformément à un usage peut-être répréhensible, nous employons le terme « américain » pour nous référer aux États-Unis, à l’exception du reste du continent.
-
[35]
Karl Rothenbücher, « Das Recht der freien Meinungsäusserung », dans Veröffentlichungen der Vereinigung der Deutschen Staatsrechtslehrer, Berlin, Walter de Gruyter, 1928, p. 6, à la page 13 : « Es gibt kein “délit d’opinion” mehr ».
-
[36]
George Orwell, 1984, Paris, Gallimard, 1974.
-
[37]
Cf. Susan Gellman, « Hate Crime Laws are Thought Crime Laws », (1992-1993) 509 Ann. Surv. Am. L. 509 ; Adam Candeub, « Motive Crimes and Other Minds », (1994) 142 U. Pa. L. Rev. 2071, 2116 ; Mark R. Arbuckle, A First Amendment Analysis of Sentence Enhancements for Bias Motivated Crimes : The United States Supreme Court Did Not Utilize the Proper Constitutional Tests in Wisconsin v. Mitchell, mémoire de maîtrise, Ann Arbor, Université du Michigan, 1997, p. 2. L’arrêt de la Cour suprême est le suivant : Wisconsin v. Mitchell, 508 U.S. 476 (1993).
-
[38]
Cf. l’ouvrage de Polydore-Jean-Étienne Fabreguettes, Traité des délits politiques et des infractions par la parole, l’écriture et la presse, 2e éd., t. 1, Paris, Chevalier-Marescq, 1901, p. cxxxix (« procès de tendance »), et le rapport de M. Lisbonne sur la loi du 29 juillet 1881, cité dans G. Griolet et C. Vergé (dir.), préc., note 5, par. 319 : « plus de délit d’opinion, de doctrine, de tendance ». Cf. aussi en allemand Kurt Häntzschel, « Das Recht der freien Meinungsäusserung », dans Gerhard Anschütz et Richard Thoma (dir.), Handbuch des Deutschen Staatsrechts, t. 2, Tübingen, Mohr, 1930, p. 65, aux pages 660 et suiv. : une loi limitant l’expression ne doit pas viser sa simple « tendance » (Tendenz).
-
[39]
Pour une analyse détaillée de cette question, cf. David M. Rabban, Free Speech in Its Forgotten Years, Cambridge, Cambridge University Press, 1997, p. 132 et suiv.
-
[40]
Turner v. Williams, 194 U.S. 279, 294 (1904).
-
[41]
Patterson v. Colorado, 205 U.S. 454, 462 (1907) : « such constitutional provisions […] do not prevent the subsequent punishment of such as may be deemed contrary to the public welfare […] A publication likely to reach the eyes of a jury declaring a witness in a pending cause a perjurer […] would tend to obstruct the administration of justice. »
-
[42]
Schenck v. United States, 149 U.S. 47, 52 (1919) : « The question in every case is whether the words used are used in such circumstances and are of such a nature as to create a clear and present danger that they will bring about the substantive evils that Congress has a right to prevent. »
-
[43]
Cf. id., p. 52 (la traduction est de nous) : « Si l’acte (parler, ou diffuser un document), sa tendance, et l’intention dans laquelle il est effectué sont les mêmes, nous ne percevons aucune raison pour conclure que seul son succès justifie de faire de l’acte un crime. »
-
[44]
Gerald Gunther, « Learned Hand and the Origins of Modern First Amendment Doctrine : Some Fragments of History », (1975) 27 Stan. L. Rev. 719, 737.
-
[45]
Gitlow v. People, 268 U.S. 652, 668 et suiv. (1925). Cette position a été confirmée dans l’affaire Whitney v. California, 274 U.S. 357 (1927).
-
[46]
Cette évolution débute avec les opinions dissidentes des juges Holmes et Brandeis à partir de l’arrêt Abrams v. United States, 250 U.S. 616 (1919), et trouve sa consécration dans l’arrêt Brandenburg v. Ohio, 395 U.S. 444, 447 (1969).
-
[47]
Whitney v. California, préc., note 45, 378 et suiv. (j. Brandeis, motifs diss.).
-
[48]
Cf. par exemple : Isaac Molnar, « Resurrecting the Bad Tendency Test to Combat Instructional Speech : Militias Beware », (1998) 59 Ohio St. L.J. 1333 ; Geoffrey Stone, « The Origins of the “Bad Tendency” Test : Free Speech in Wartime », (2002) 2002 Sup. Ct. Rev. 411.
-
[49]
Constitution du Reich allemand, 11 août 1919.
-
[50]
Loi fondamentale pour la République fédérale d’Allemagne, 8 mai 1949, [En ligne], [www.bundestag.de/htdocs_f/documents/cadre/loi_fondamentale.pdf] (16 juillet 2012).
-
[51]
BVerfGE 7, 198, Lüth (1958), p. 209 et suiv.
-
[52]
BVerfGE 124, 300, Wunsiedel (2009), p. 327 et 332.
-
[53]
Cf. : Kurt Häntzschel, « Das Grundrecht der freien Meinungsäusserung und die Schranken der allgemeinen Gesetze des Artikels 118 I der Reichsverfassung », (1926) 10 Archiv des öffentlichen Rechts 228 ; K. Rothenbücher, préc., note 35, aux pages 6-43 ; Rudolf Smend, « Das Recht der freien Meinungsäusserung », dans Veröffentlichungen der Vereinigung der Deutschen Staatsrechtslehrer, préc., note 35, p. 44 ; K. Häntzschel, préc., note 38. Pour une présentation en français de ce débat, cf. Olivier Jouanjan, « La liberté d’expression en République fédérale d’Allemagne », dans Elizabeth Zoller (dir.), La liberté d’expression aux États-Unis et en Europe, Paris, Dalloz, 2008, p. 137, aux pages 145 et suiv.
-
[54]
Si la Cour de Karlsruhe réalise bien une « balance » entre la liberté d’expression et l’intérêt protégé par une limite, cet examen intervient uniquement dans un second temps, après avoir établi que la restriction litigieuse est bien une « loi générale ».
-
[55]
Cf. Christian Starck, « Herkunft und Entwicklung der Klausel “allgemeine Gesetze” als Schranke der Kommunikationsfreiheiten in Artikel 5 Abs. 2 des Grundgesetzes », dans Hans Schneider et Volkmar Götz (dir.), Im Dienst an Recht und Staat, Festschrift für Werner Weber zum 70. Geburtstag, Berlin, Duncker & Humblot, 1974, p. 189, aux pages 192 et suiv. (la traduction est de nous).
-
[56]
P.-J.-É. Fabreguettes, préc. note 5, p. xxxii.
-
[57]
Comparer les citations rapportées par P.-J.-É. Fabreguettes, préc., note 5, p. xxviii, et C. Starck, préc., note 55, à la page 194.
-
[58]
Ce tournant intervient avec la Constitution de Prusse de 1850. Cf. C. Starck, préc., note 55, à la page 202.
-
[59]
Ainsi, dans la seconde édition de son traité, P.-J.-É. Fabreguettes, préc., note 38, p. 181, écrit ce qui suit, sous le titre « Disparition du délit d’opinion. Classification des délits » : « Partant de ce principe, qu’il n’y a de véritable liberté que là où toutes les opinions peuvent s’exprimer, se communiquer et se défendre, la loi a effacé de nos codes tous les délits de presse proprement dits, pour ne retenir que la violation de la sécurité matérielle de l’État et des droits légitimes de l’individu. »
-
[60]
Rapport de M. Lisbonne, cité dans « Presse-Outrage-Publication », dans G. Griolet et C. Vergé (dir.), préc. note 5, p. 252, no 319.
-
[61]
K. Häntzschel, préc., note 38, à la page 660 (la traduction est de nous).
-
[62]
BVerfGE 124, 300, Wunsiedel, (2009), p. 322 (la traduction est de nous).
-
[63]
Cette exigence perd cependant beaucoup de sa vigueur, dès lors qu’elle est satisfaite par l’introduction dans la loi d’une simple condition relative à l’« aptitude à troubler la paix publique ». Or, cette condition est automatiquement remplie avec la consommation des autres éléments de l’infraction. Cf. Thomas Fischer, « Die Eignung, den öffentlichen Frieden zu stören – Zur Beseitigung eines “restriktiven” Phantoms », (1988) Neue Zeitschrift für Strafrecht 159.
-
[64]
Déclaration des droits de l’homme, préc., note 25, art. 10 : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la Loi » ; id., art. 11 : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté, dans les cas déterminés par la Loi. »
-
[65]
L. Pech, préc., note 6, à la page 95. Il n’est pas davantage permis de voir dans l’interdiction des délits d’opinion un principe fondamental reconnu par les lois de la République, comme le suggère P. Rolland, préc., note 6, p. 655. En particulier, une telle qualification nécessite une absence de discontinuité dans la législation antérieure à 1946 (Cons. const. 20 juillet 1988, Rec.Cons.const., p. 119). Or, des limites substantielles de la liberté d’expression ont constamment été édictées par le législateur républicain. Cf., soulignant la « permanence du délit d’opinion » dans le droit français après 1881, N. Droin, préc., note 6, p. 319 et suiv.
-
[66]
Jeremy Bentham, « L’absurdité sur des échasses ou la boîte de Pandore ouverte ou la déclaration française des droits en préambule de la Constitution de 1791 soumise à la critique et à l’exposition avec une esquisse comparative de ce qui a été fait sur le même sujet dans la Constitution de 1795, et un échantillon du citoyen Sieyès », dans Bertrand Binoche et Jean-Pierre Cléro (dir.), Bentham contre les droits de l’homme, Paris, Presses universitaires de France, 2007, p. 17, aux pages 70 et suiv.
-
[67]
Id., aux pages 73 et 74. Cf. aussi id., p. 69 : « Troubler l’ordre public : qu’est-ce que cela veut dire ? Louis XIV n’aurait pas hésité à admettre un article ainsi formulé dans son code. »
-
[68]
Cf. en particulier : Roland Hefendehl, Andrew von Hirsch et Wolfgang Wohlers (dir.), Die Rechtsgutstheorie. Legitimationsbasis des Strafrechts oder dogmatisches Glasperlenspiel ?, Baden-Baden, Nomos Verlagsgesellschaft, 2003 ; Tatjana Hörnle, Grob anstössiges Verhalten. Strafrechtlicher Schutz von Moral, Gefühlen und Tabus, Franfurt am Main, Vittorio Klostermann, 2005, p. 34 et 42 et suiv.
-
[69]
Cf., par exemple, Thomas I. Emerson, « Toward a General Theory of the First Amendment », (1963) 72 Yale L.J. 877, 878 ; de manière plus générale, Robert C. Post, « Constitutional Scholarship in the United States », (2009) 7 International Journal of Constitutional Law 416, 422.
-
[70]
Henri Oberdorff, Droits de l’homme et libertés fondamentales, 3e éd., Paris, L.G.D.J., 2011, p. 533 et suiv.
-
[71]
N. Droin, préc., note 6, p. 270 et suiv.
-
[72]
Id., p. 307.
-
[73]
Même la vérification du danger « manifeste et imminent » exigé aux États-Unis, si elle requiert un contrôle relativement concret, se traduit en fin de compte par une estimation de conséquences possibles. Cela n’avait pas échappé aux critiques de cette exigence. Cf. : T.I. Emerson, préc., note 69, 912 ; G. Gunther, préc., note 44, 740.
-
[74]
Cf. Jean Morange, La liberté d’expression, Bruxelles, Bruylant, 2009, p. 225 : « [l]es effets négatifs [de l’usage de la liberté d’expression] sont le plus souvent indirects et difficiles à prouver de façon certaine ». Cf. aussi : Guillaume Lécuyer, Liberté d’expression et responsabilité. Étude de droit privé, Paris, Dalloz, 2006, p. 179 et suiv. ; Frederick Schauer, « Is It Better to Be Safe than Sorry ? Free Speech and the Precautionary Principle », (2009) 36 Pepp. L. Rev. 301, 303 et suiv.
-
[75]
Comparer, lors du débat au Sénat français sur la pénalisation de la négation du génocide arménien, les interventions de Jean-Pierre Sueur (« heureusement, aucun discours de nature comparable à l’antisémitisme ne paraît viser aujourd’hui, en France et de façon massive, nos compatriotes d’origine arménienne ») et de Philippe Kaltenbach (« Nos concitoyens d’origine arménienne ont le droit d’être protégés contre ces propos et ces actes négationnistes, qui sont autant de coups de poignard dans leurs coeurs ») : France, préc., note 20.