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Me Guy Sarault, avocat du cabinet Heenan Blaikie et professeur invité en droit de la construction à l’Université de Montréal, vient de publier un ouvrage qui arrive à point. Alors que le plus grand nombre d’articles dans le domaine du droit de la construction traitent principalement de la responsabilité des entrepreneurs pour vices de construction, l’ouvrage de Me Sarault est consacré aux incidents survenant au moment de l’exécution des travaux, qui donnent lieu à des réclamations monétaires : changements, retards, situations imprévues. C’est la première fois qu’un volume complet et d’une telle envergure aborde à fond la question des réclamations des entrepreneurs dans ces circonstances. La matière est complexe, et il s’y mêle des faits et des questions de droit, chaque situation constituant un cas d’espèce. Le sujet se complexifie en raison de l’augmentation du nombre d’intervenants impliqués dans la réalisation des projets, que ce soit à titre de clients, de donneurs d’ordre d’entrepreneurs ou de sous-entrepreneurs. D’autre part, un grand nombre de spécialistes, experts dans les spécialités les plus diverses, participent eux aussi à la réalisation des projets. Leurs actions doivent être bien coordonnées, car les manquements ou défaillances de l’un d’eux peuvent avoir des conséquences sur l’accomplissement du travail et le respect des délais par les autres.
Avec ses 20 années d’expérience comme praticien représentant des propriétaires, des professionnels et des entrepreneurs, et son expertise comme professeur, médiateur et arbitre, Me Sarault était la personne toute désignée pour exposer les principes des incidents donnant lieu à des réclamations et des extras. Ses compétences en font un auteur particulièrement crédible.
Affirmer sans nuancer que le contrat à forfait pour un prix déterminé constitue la loi immuable des parties est une vision très théorique de la réalité. L’idée d’un contrat de construction sans extra est une utopie. Il est possible bien sûr de minimiser les changements, les retards et les frais additionnels qu’ils occasionnent en préparant plus soigneusement les plans et les projets eux-mêmes, mais il est impossible, dans un chantier, d’éviter tout changement, tout retard ou tout événement qui pourrait avoir une incidence financière sur le coût de la réalisation d’un projet. Malheureusement, les promoteurs manquent souvent de temps pour mettre totalement au point leur programme de construction, et ils doivent fréquemment, aux prises avec une situation d’urgence, entreprendre la réalisation alors que plusieurs décisions sont encore en suspens. Dans les faits, les circonstances peuvent elles-mêmes évoluer au cours de la réalisation du projet.
Les extras peuvent résulter des conditions imprévues du sol, de l’impossibilité de réaliser pour la date prévue les travaux tels qu’ils ont été conçus, des changements d’idée du propriétaire ou de ses interventions intempestives. Si, par ailleurs, le propriétaire ne respecte pas ses engagements envers l’entrepreneur, engagement qui doivent lui permettre de réaliser ses travaux, en fournissant à ce dernier, par exemple, les plans, en obtenant les permis et les emplacements de chantier à temps pour le début des travaux, il s’agira, en ce qui concerne le propriétaire, d’une inexécution contractuelle, occasionnant des frais additionnels susceptibles de donner lieu à des réclamations justifiées de la part de l’entrepreneur. L’entrepreneur peut même les qualifier de dommages.
Tous ces incidents peuvent constituer des accidents de parcours à l’occasion de la réalisation d’un contrat de construction à forfait. Comme ces incidents sont souvent inévitables et que le droit du propriétaire de demander des changements est reconnu en doctrine et en jurisprudence, parce que nul ne peut imposer à quiconque de construire un ouvrage immobilier qui ne satisfera pas ses besoins, il est important de déterminer des règles pour établir la manière de gérer ces changements et les coûts qui en découlent.
Les modalités de réclamation des entrepreneurs au Québec sont, bien sûr, exposées dans les documents contractuels, tels que ceux qui sont préparés par l’Association canadienne de la construction et mis à la disposition des entrepreneurs, notamment la section 6 pour les contrats à forfait[1]. Le contrat stipule que les changements doivent avoir lieu après le consentement du propriétaire ou des professionnels, architectes ou ingénieurs, mandatés par lui, et, idéalement, après entente sur le prix, même si ces changements sont souhaités par le propriétaire. La raison en est bien simple : c’est que souvent, informé des conséquences financières du changement, le propriétaire pourra tout simplement décider d’y renoncer. Toutefois, il n’est pas toujours possible de s’entendre sans suspendre les activités du chantier, surtout quand les changements sont absolument nécessaires. Cela serait désastreux et pourrait entraîner de lourdes pertes financières, à la fois au client et à l’entrepreneur. Dans ce cas, des directives de corrections sont prévues, quitte à ce que l’entrepreneur et le client s’entendent ultérieurement en calculant les frais du changement, et les coûts d’impacts selon un processus établi dans le contrat. Tout ce processus, qui est généralement d’application obligatoire, se révèle complexe pour un non-initié et méritait qu’un ouvrage exhaustif y soit consacré, non seulement pour permettre aux divers acteurs d’éviter les litiges, mais aussi pour arriver à résoudre les solutions rapidement et efficacement quand ils se présentent. Cet ouvrage, Me Sarault le fournit maintenant.
Le volume de Me Sarault se divise en cinq chapitres. Outre l’introduction, l’auteur aborde dans les trois premiers chapitres :
les causes des travaux supplémentaires, notamment le droit du propriétaire d’apporter des modifications au projet en cours de réalisation, la nécessité du consentement préalable du propriétaire, les conditions imprévues et les risques que doit subir l’entrepreneur, modulés par un manquement dans l’obligation de renseignement du propriétaire ;
les retards, les compensations financières et les prolongations de délais que pourrait devoir consentir le propriétaire qui en est responsable et le traitement des retards excusables, résultant de la force majeure ou de situations sur lesquelles ni le propriétaire ni l’entrepreneur n’ont de pouvoir. Il y a aussi l’utilisation des clauses pénales.
Dans les deux derniers chapitres de son ouvrage, Me Sarault explique l’évaluation des dommages que peut subir l’entrepreneur, à la suite d’un changement ou d’un retard, et il termine en abordant les questions de prescription des réclamations.
Tous les principes des réclamations dans un contrat à forfait sont clairement expliquées en se référant judicieusement à la jurisprudence, à la législation et aux règlements pertinents, applicables. Des reproductions en annexe du contrat à forfait (CCDC-2)[2] et du contrat à prix coutant majoré aident à mieux comprendre le fonctionnement du régime de réclamations au moment de l’exécution des contrats, à la suite des changements d’exécution et des changements de circonstance. L’application de ces modalités étant obligatoire dans la plupart des contrats de construction, l’entrepreneur se doit de bien les connaître pour ne pas perdre ses droits.
L’ouvrage est complété par une table de législation, une table de jurisprudence et un index analytique.
Très bien rédigé, selon un plan rigoureux mais simple et éclairant, l’ouvrage de Me Sarault présente une brillante synthèse du droit des obligations et du contrat d’entreprise, appliqués à un aspect particulier du droit de la construction. Son ouvrage sera d’un grand soutien à ceux qui, à titre d’avocats ou de médiateurs, représentent les intérêts des professionnels de la construction, architectes ou ingénieurs, des entrepreneurs et des donneurs d’ouvrage. Il les aidera à trouver des solutions rapides et précises aux litiges naissant sur un chantier de construction. C’est pourquoi nous tenons à souhaiter une large diffusion à cette publication.