Abstracts
Résumé
Cet article examine l’impact de la France et des relations franco-québécoises sur le renforcement des capacités de l’État québécois au moment de la Révolution tranquille. Cette contribution a été particulièrement importante au chapitre des capacités financières de l’État du Québec, notamment avec la création de la Caisse de dépôt, de la capacité du Québec à conduire une action autonome surtout en matière de relations internationales et d’action culturelle et en matière d’administration et de gestion, pour ce qui concerne la professionnalisation de la fonction publique. En matière de sécurité et de planification, cette contribution a été moins marquée. Certaines greffes (aménagement du territoire, planification) ont eu du mal à se concrétiser.
Mots-clés :
- Relations franco-québécoises,
- Québec (État),
- capacités étatiques,
- Révolution tranquille,
- France
Article body
Jusqu’ici, l’impact de la France et des relations franco-québécoises sur les transformations qu’a connues le Québec durant la Révolution tranquille n’a guère retenu l’attention[2]. On se contente le plus souvent d’en décrire les péripéties politiques et d’en rappeler les antécédents, sans compter les regrets voulant que les choses ne soient plus comme avant. C’est aussi le constat de Sylvain Simard qui, lors d’un colloque sur les 50 ans des relations France-Québec, avait souligné qu’en plus de favoriser l’ouverture au monde du Québec, ces relations avaient permis de libérer les institutions québécoises de « l’emprise et de la domination anglo-saxonne[3] ». L’ancien ministre des Relations internationales ne mentionne pas directement l’État québécois, mais on peut penser que c’est ce qu’il a en tête lorsqu’il parle de libération de nos institutions. Malheureusement, il ne pousse pas plus loin la réflexion.
Nous nous intéressons ici aux relations bilatérales entre la France et le Québec, principalement entre 1960 et 1975, et à leur impact sur le Québec « en voie de modernisation » accélérée. La perspective est celle de l’État et non pas de la société.
D’emblée, la question se pose : peut-on parler d’État dans le cas du Québec ou s’agit-il là d’une « appellation contrôlée » réservée aux seules entités disposant du monopole des instruments de violence, de la capacité de lever des impôts et de signer des traités ? Bref, dans la lignée de Max Weber et du Traité de Westphalie, ne devrait-on pas réserver le label étatique aux seuls pays souverains ?
Pourtant, sur bien des aspects, l’organisation et le mode opératoire de ces entités étatiques non souveraines – le Québec, la Wallonie, l’Écosse, la Californie, le Bade-Wurtemberg, pour ne nommer que celles-là – ressemblent à ceux des entités étatiques pleinement souveraines. Elles passent des lois et élaborent des politiques publiques. Elles ont des chambres d’assemblée, des systèmes juridiques, des « gouvernements ». Certaines ont même des constitutions et toutes, à des degrés divers, produisent de l’étaticité (« stateness ») sous la forme de décisions d’autorité. Un État est un État est un État, dirons-nous[4]. Nous faisons l’hypothèse que ce statut de non-souveraineté n’empêche aucunement d’utiliser la grille étatique pour comprendre le fonctionnement de l’entité « Québec » et les enjeux de pouvoir qui s’y manifestent.
Reste à préciser cette grille d’analyse. D’une part, la littérature sur la « construction étatique » des entités non souveraines peine à s’établir. On a beaucoup écrit sur leurs relations paradiplomatiques et leur impact croissant en matière de relations commerciales internationales, de politiques sociales et de lutte aux changements climatiques. Mais les travaux sur leur organisation demeurent rares, pour ne pas dire inexistants. Apparemment, l’appel aux armes de Theda Skocpol, Bring the State Back in, n’a guère été entendu lorsqu’il s’agit des entités infranationales[5]. Les analyses historiques qui ont documenté ce retour de l’État ne font pas mention de ces entités étatiques d’un genre nouveau. De toute évidence, le paradigme de l’État westphalien demeure bien en place. C’est donc à la littérature sur la construction étatique et la formation des États à laquelle nous emprunterons l’essentiel de notre approche. Nous retiendrons de ces nombreux travaux qu’un État se distingue par sa capabilité de formuler et de mettre en oeuvre des politiques à la grandeur du territoire où il exerce son autorité et son contrôle[6]. Cette capabilité s’appuie sur un certain nombre de capacités. Elle tient selon nous à cinq capacités que l’État québécois a su mobiliser :
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la capacité de mobilisation de ressources financières ;
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la capacité de conduite d’une action autonome et redevable ;
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la capacité de commandement, de coordination et de communication ;
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la capacité d’administration et de gestion ;
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la capacité de contrôle et de sécurité[7].
La suite de cet article entend faire ressortir la contribution de la France au renforcement de ces capacités. Ce choix nous amène pour l’instant à ne couvrir que la face la plus institutionnelle de la réalité étatique québécoise. Le monde des idées, celles de Nation et d’État par exemple, reste à explorer. Pour qu’un État puisse prétendre à la longévité, il lui faut une Société et même une Nation sur lesquelles s’appuyer. Il faudra y revenir[8].
La France et le renforcement des capacités financières de l’État québécois : le cas de la Caisse de dépôt et placement (CDPQ)
Créée en 1965 pour gérer les sommes accumulées par le Régime de rentes du Québec et les fonds de plusieurs autres régies gouvernementales, la Caisse constitue un cas à part dans le processus de modernisation de l’État québécois. Cinquante ans après sa création, c’est surtout son interventionnisme économique qui a retenu l’attention. En matière de finances publiques, le rôle de la Régie des rentes et de la Caisse de dépôt et placement est double : d’une part, la Régie agit comme un « collecteur » de fonds auprès des contribuables québécois, du moins ceux qui participent au marché du travail et d’autre part, la Caisse contribue au financement de l’État québécois, notamment par l’achat d’obligations.
La régie des rentes n’ayant commencé à recevoir des cotisations qu’en 1966, sa part dans l’ensemble des recettes des administrations publiques au Québec a pris un certain temps pour atteindre un seuil significatif. En 1999, cette part atteignait 5,2 % (5,53 milliards $) des recettes des administrations publiques collectées au Québec, contre 33,1 % pour la part du gouvernement canadien, 48,2 % pour celle du gouvernement du Québec et 13,6 % pour les Administrations locales (commissions scolaires et municipalités)[9].
Quant au financement direct de l’État québécois par la Caisse, il a été considérable, particulièrement durant les trente premières années de l’existence de la Caisse. Le 31 décembre 1975, elle détenait 1,8 milliard $ d’obligations du gouvernement du Québec, 126,7 millions $ d’obligations garanties par octroi provincial et 243,2 millions $ d’obligations scolaires et municipales[10]. À cette date, ces investissements représentaient 60 % des investissements de la Caisse[11].
En ce qui concerne le rôle de la France dans la mise sur pied de la Caisse, les anecdotes ne manquent pas. Selon Roger Barrette, qui fait état des propos tenus à l’époque par le conseiller économique de la Délégation du Québec à Paris, M. Patrick Hyndman, si la Caisse québécoise existe, c’est ni plus ni moins grâce à la délégation[12]. En effet, écrit-il, lors du deuxième voyage de Jean Lesage à Paris en 1963, le délégué du Québec d’alors aurait fait en sorte que, lors d’un déjeuner réunissant plusieurs personnalités du monde des affaires parisien, « le flamboyant numéro 2 de la Caisse de dépôt et consignations de France, M. Pleskoff, soit assis à droite de Jean Lesage et qu’il puisse lui expliquer les miracles que cette caisse publique a réalisés en France depuis 1816 ». Apparemment, la conversion fut instantanée puisque l’après-midi même, le premier ministre du Québec aurait répondu à un journaliste qu’après avoir consulté les financiers français, il avait décidé de présenter au Conseil des ministres un projet de création d’une Caisse de dépôt[13].
Si on se fie à des comptes rendus plus détaillés des événements, la création de la CDPQ, comme on peut s’en douter, ne tient pas à quelques conversations ou à « l’air du temps », comme on a pu le dire. Lorsqu’il prend le pouvoir en juin 1960, le gouvernement libéral hérite inévitablement du budget provincial de l’année financière en cours, un budget présenté prématurément par l’ancien premier ministre Paul Sauvé en décembre 1959 afin de permettre à l’Union nationale de se présenter devant l’électorat avec un portrait financier particulièrement positif[14]. Ce ne fut pas le cas. Pour la période se terminant le 31 mars 1960, le budget unioniste prévoyait un léger déficit, mais un surplus de 0,5 million de dollars sur un budget de 617 millions $ pour l’année suivante. Cependant, les dépenses accélérées du gouvernement Barrette arrivé au pouvoir dans la foulée de la mort de Paul Sauvé firent en sorte que le déficit budgétaire pour l’année en cours (1960-61) atteignait déjà 78 millions $ et que le surplus prévu pour l’année suivante avait en fait complètement disparu.
Au moment de son arrivée au pouvoir, la priorité du nouveau gouvernement n’est pas tant de résorber un déficit que l’on pouvait alors facilement mettre sur le dos du gouvernement précédent que de mettre en oeuvre un programme de réformes et de remplir ses promesses électorales, particulièrement au chapitre des mesures sociales. Ainsi, en septembre 1960, le nouveau premier ministre charge le ministre du Travail de rassembler une documentation générale sur les régimes privés de retraite. Quelques mois plus tard, le Conseil des ministres confie à Wheeler Dupont, l’ancien surintendant adjoint du Bureau des assurances du Québec, le mandat d’étudier les régimes de retraite existants afin d’en identifier les forces et les faiblesses et de les comparer avec ce qui existe en Ontario et dans les pays occidentaux, dont la France et la Grande-Bretagne. Au départ, ce qui intéresse surtout le premier ministre, c’est la dimension sociale des régimes de retraite et leur capacité à assurer un revenu décent pour les retraités.
À l’automne 1961, la question du financement du gouvernement était devenue d’autant plus urgente : tout doit alors être mis en oeuvre pour réduire les dépenses inutiles afin de pouvoir financer les nombreuses promesses libérales, dont celles de réformer l’éducation, la gratuité scolaire, l’assurance hospitalisation, les accidents de travail et de prévoir un régime d’allocations familiales. Au Conseil des ministres et sur la place publique, chaque réforme a ses promoteurs. On cherche à faire plusieurs coups d’une même pierre. Ainsi, en décembre 1961, le gouvernement met sur pied le Comité d’étude sur l’assistance publique (Commission Boucher) dont le mandat est de proposer une réforme d’ensemble de l’aide sociale qui va permettre d’intégrer les nombreuses promesses faites au chapitre des pensions de vieillesse, des allocations aux aveugles et aux invalides. L’un des mandats du Comité est de mieux « contrôler » l’aide sociale qui, en 1960, coûtait déjà 2 millions $ par mois au Trésor public, une facture qui grimpe à 5 millions $ un an plus tard. Pour le premier ministre, qui est aussi ministre des Finances, une facture aussi élevée ne pouvait qu’être le résultat de la multiplication du nombre de fraudeurs et de paresseux parmi les assistés sociaux[15].
Dès le lendemain de l’élection de 1962, le gouvernement pose un premier geste concret en matière de retraite et met sur pied le Comité d’étude sur les caisses de retraite obligatoires et transférables dont le mandat est d’étudier l’applicabilité du régime ontarien au Québec et de permettre aux employés de transférer leurs cotisations et leurs droits au moment de la retraite d’une entreprise à l’autre. Un jeune économiste, André Marier, qui jusqu’alors avait travaillé au dossier d’Hydro-Québec, est chargé de réfléchir à la dimension plus strictement économique de la mise sur pied d’un fonds de pension public.
En quelques mois, beaucoup de choses ont alors changé dans l’environnement politique et économique du Québec. Premièrement, le principe de la nationalisation de l’électricité a été accepté par la population. Il faut maintenant aller de l’avant, ce qui nécessite de trouver le financement et ramène à la surface les relations difficiles avec la Banque de Montréal et Ames Securities, les deux groupes financiers responsables des emprunts gouvernementaux[16]. En contrepartie, la facilité manifeste avec laquelle le gouvernement a pu financer la nationalisation sur les marchés américains laisse présager que la question du financement des réformes n’était peut-être pas le problème insurmontable que l’on craignait. Deuxièmement, en juin 1963 paraît le rapport Boucher sur l’assistance publique, un rapport qui recommandait une transformation complète du système d’aide sociale en intégrant, entre autres, un volet « vieillesse », ce qui ouvrait toute grande la porte d’un débat sur les « pensions » et le financement de programmes sociaux. Alors que le débat semblait vouloir s’enliser et qu’il était devenu évident que les espoirs du premier ministre de voir les « fraudeurs » et les « paresseux » mis au pas ne suffiraient pas, un événement allait tout changer.
Quelques jours avant la remise du rapport Boucher, le gouvernement fédéral annonce en effet son intention de créer un régime de pensions universel et contributif. Pour éviter d’être accusé d’augmenter les taxes et les impôts, le gouvernement canadien insiste cependant sur les dimensions modestes, du moins au début, de son initiative avec des contributions fixées à un niveau tel qu’elles suffisaient à payer les sorties d’argent, pas plus[17]. Pour Ottawa, la décision d’aller de l’avant avec un projet ainsi défini était tout à fait conforme à l’esprit et à la lettre de ce pouvoir de dépenser qui lui permettait d’utiliser les revenus comme bon lui semblait, même dans les secteurs qui n’étaient pas de sa compétence, à condition qu’ils soient alors considérés comme des « dons ».
On peut comprendre que cette façon de voir les choses n’enchantait guère le Québec, pas plus que l’idée voulant que les fonds ainsi réunis soient limités aux seuls paiements requis pour couvrir les paiements annuels. L’idée d’un régime des rentes permettant de collecter les cotisations des travailleurs québécois et servant à alimenter une Caisse proprement québécoise passe alors au statut d’obligation politique. Il ne s’agit plus seulement de s’acquitter des obligations financières du gouvernement, mais aussi de lui permettre de remplir sa promesse d’une plus grande justice sociale et de résister à l’envahisseur fédéral. C’est toute la légitimité du « nouvel » État qui s’en trouvera alors renforcée. S’installe alors la conviction qu’il faut non seulement que le Québec puisse contrôler son propre système de pension, mais que ce dernier doive aussi permettre une accumulation significative des cotisations et une marge de manoeuvre suffisante, peu importe ce que faisait le reste du Canada.
C’est à ce moment que le Conseil d’orientation économique (voir plus loin), créé en 1943 par Adélard Godbout et ressuscité au début du mandat libéral, choisit d’intervenir officiellement sur la place publique. Lors de ses premières interventions, le Conseil a suggéré qu’un fonds de pension provincial permettrait de financer les grandes innovations économiques, Hydro-Québec, SIDBEC et la Société Générale de financement, dont le Québec allait avoir besoin pour aller de l’avant avec son émancipation économique. Dans un rapport en date du 21 juin 1963, le Conseil suggère formellement au gouvernement de mettre sur pied son propre régime universel dont le capital accumulé pourrait servir à financer son programme économique[18].
Un mois plus tard, en juillet 1963, le Comité d’étude sur les caisses de retraite obligatoires remet à son tour son rapport qui conclut que la loi ontarienne ne permet pas d’implanter un régime véritablement universel et transférable. Il apparaît impensable d’y accumuler les sommes nécessaires pour réaliser les objectifs sociaux et économiques du Québec. Le comité propose donc à la fois un régime de pension public, universel et transférable doublé d’une Caisse distincte pour gérer les fonds accumulés.
Afin de donner forme à toutes ces exigences, le gouvernement Jean Lesage crée dans ce même mois de juillet 1963 un autre comité, au niveau du Conseil des ministres cette fois, le Comité interministériel d’étude sur le Régime des rentes qui reçoit le mandat de créer une caisse de retraite publique et universelle sur la base de calculs actuariels qui démontreraient hors de tout doute la légitimité, sinon la supériorité, du modèle québécois. Dirigé cette fois encore par Wheeler Dupont, le comité s’adjoint un jeune actuaire-conseil, M. Claude Castonguay, dont le mandat est d’établir sur une base actuarielle les différents scénarios devant guider le choix des politiques à la fois du Régime des rentes et de la Caisse de dépôt et placement.
Pour l’une des premières fois, il s’agit pour l’État québécois, indépendamment de ses gouvernements, de se projeter dans l’avenir et d’envisager ce que pourraient être sa population et ses besoins dans 10 ou 20 ans. C’est aussi Claude Castonguay qui assume les nouvelles études sur les régimes de retraite qui correspondent le plus à celui qu’on veut mettre en place au Québec. Fini l’Ontario, on se tourne cette fois vers les régimes tels qu’on les trouve en Suède (Caisse nationale de prévoyance pour les retraites), en Belgique (Caisse générale d’épargne et de retraite) et évidemment en France (Caisse des dépôts et consignations). En parallèle au Comité interministériel, dont fait partie Claude Castonguay, mais aussi Claude Morin, Douglas Fullerton, Jacques Parizeau et André Marier, un groupe de travail est chargé de s’assurer d’une articulation étroite entre la Caisse et le Régime des rentes, mais sans que le fonctionnement de l’une puisse affecter l’indépendance de l’autre.
En quelques mois, le dossier de la Caisse est devenu le dossier de tous les enjeux, politiques, sociaux, constitutionnels, économiques. Fort de sa victoire à l’élection de 1962, avec en face de lui un autre gouvernement minoritaire qui cherche à faire ses preuves en vue d’une prochaine élection, le gouvernement québécois n’est pas tant en position de force – ses finances ne le permettent pas – que dans une situation où il peut réalistement envisager de faire avancer l’ensemble de ses réformes, à condition que le dossier de la Caisse soit réglé selon les paramètres qu’il a fixés.
Les négociations qui s’ensuivent marquent un tournant décisif dans les relations entre Québec et Ottawa. Lors de la rencontre fédérale-provinciale de juillet 1963, le Québec fait savoir son intention de refuser tout plan fédéral et d’aller de l’avant avec son propre projet de caisse. Au retour de la rencontre, l’Assemblée législative du Québec adopte une résolution en faveur de la création d’une caisse de retraite publique et universelle, et à la conférence fédérale-provinciale subséquente en novembre 1963, le premier ministre Lesage confirme de nouveau que le Québec entend utiliser son droit d’option pour mettre en oeuvre une caisse québécoise. Lors de la conférence subséquente en avril 1964, le Québec annonce qu’il n’hésitera pas à aller devant les tribunaux, tout en déposant devant ses collègues un document de plus de 500 pages détaillant le projet québécois. Une entente intervint dans les mois qui suivirent[19]. Finalement, le gouvernement fédéral « achète » le programme québécois, en retour de quoi Québec s’engage à créer son propre programme – rarement une concession n’aura été plus facile à faire – avec quelques modifications concernant la période de mise en oeuvre et l’interchangeabilité avec celui d’Ottawa. La loi sanctionnant la création de la Caisse de dépôt et placement du Québec intervint finalement le 15 juillet 1965, et le premier dépôt en provenance de la Régie des rentes est enregistré le 16 février suivant.
Ce détour sur les événements entourant la naissance de la Caisse de dépôt et placement peut donner l’impression que la coopération franco-québécoise n’y est pour rien, ou au mieux pour pas grand-chose : quelques anecdotes, tout au plus, qui servent surtout à confirmer l’importance de la Délégation de Paris et l’utilité des voyages en France. Dans le même sens, on peut ajouter que l’idée d’une caisse de retraite et d’investissement n’est pas exclusivement française et qu’on ne trouve pas à l’origine de la CDPQ un « passeur », comme ce fut le cas pour Georges-Émile Lapalme et le ministère des Affaires culturelles. De plus, même s’il reconnaît que l’expérience de la Caisse française était connue et avait « impressionné plusieurs hommes politiques et fonctionnaires québécois », Claude Morin rappelle que c’est la combinaison de plusieurs facteurs qui poussa le Québec à envisager la création d’une Caisse de dépôt. La décision du gouvernement canadien de mettre en place un tel instrument pour aider au financement des retraites fut sans aucun doute l’élément déclencheur. Sans cette initiative, il est difficile de penser que le Québec aurait eu les reins politiques et financiers assez solides pour aller de l’avant avec un projet qui aurait alors peut-être ressemblé davantage au modèle français, mais qui aurait aussi grandement « détonné » dans l’environnement financier nord-américain[20]. Il aurait aussi très bien pu se retrouver avec un régime de pensions tel que l’envisageait alors Ottawa à l’origine, soit un outil principalement conçu pour assurer le financement d’un système pancanadien et universel de « pensions de vieillesse », un objectif certes louable, mais qui n’atteint pas les objectifs économiques du gouvernement du Québec.[21]
On pourrait dire que la CDPQ n’est rien d’autre que la création d’un comité et même de plusieurs comités, pire encore, de comités de fonctionnaires et d’experts. La caisse a certes une genèse très québéco-canadienne, mais il y a aussi eu une influence française. Il y avait un modèle français qui correspondait à ce dont le Québec avait besoin, qui fonctionnait bien et qui pouvait remplir diverses missions d’intérêt général, et ce, depuis le début du siècle précédent. C’est un réservoir financier public ; or Jean Lesage n’était pas convaincu que la Caisse dût être publique avant de changer d’idée à Paris[22]. Ses interlocuteurs français le convainquirent que la Caisse des dépôts française était à la fois publique et efficace. La Caisse française avait aussi un rôle important sur les marchés financiers, ce qui sera repris au Québec. Ce n’est cependant qu’en 1989 que les deux institutions commenceront à travailler ensemble[23].
La France et la capacité d’action de l’État québécois
La France et la capacité d’action internationale du Québec
Dans les années 1950, l’idée d’une présence permanente du Québec à l’étranger refait surface à plusieurs reprises. C’est une idée largement partagée. Jean Désy et Pierre Dupuy, deux ambassadeurs du Canada à Paris, et le consul général de France à Québec, M. René Chabon, plaident auprès du premier ministre Duplessis pour l’ouverture d’un bureau du Québec à Paris. Georges-Émile Lapalme, alors Chef de l’Opposition, revient à la charge à de nombreuses reprises pour demander tantôt un Québec House à Londres (comme l’Ontario), tantôt une agence commerciale doublée d’un volet culturel à Paris ou même une « Maison de la Province de Québec ». Antonio Barette, qui deviendra premier ministre au début de 1960, fera même la promesse que si l’Union nationale est reportée au pouvoir, le Québec ouvrira des bureaux à la fois à Londres et à Paris.
C’est une chose d’être présent sur la scène internationale et une autre d’entretenir des relations économiques, culturelles, intellectuelles ou touristiques avec d’autres entités étatiques, et encore une autre d’avoir la capacité d’institutionnaliser ces relations comme a pu le faire le Québec dans les années 1960. C’est une démarche forcément complexe, dans la mesure où les autres États sont nécessairement partie prenante. Dans le cas d’un État infranational, les contraintes sont encore plus lourdes et sans l’accord au moins tacite de l’État « national » et la participation active d’au moins un autre État, le processus risque de ne pas aboutir.
Cette présence institutionnalisée du Québec sur la scène internationale a été abondamment étudiée. Nous nous contenterons de souligner que si initialement la France a été l’objet privilégié de la présence internationale du Québec, elle a aussi joué un rôle important, essentiel diront certains, dans le processus d’institutionnalisation d’une présence qui n’allait pas de soi à ses débuts. On peut identifier plusieurs événements qui ont jalonné cette institutionnalisation :
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L’ouverture de la Maison du Québec à Paris en 1961 ;
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Son élévation au rang de Délégation générale en 1964 et l’obtention de privilèges diplomatiques limités, mais réels ;
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La conclusion d’une première entente en éducation entre la France et le Québec (1965) ;
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La signature d’une deuxième entente en culture avec le gouvernement français (1965) ;
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L’énonciation de la « doctrine » Gérin-Lajoie (1965) ;
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La création de la Commission permanente de coopération franco-québécoise (1965) ;
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La création du ministère des Affaires intergouvernementales (1967) ;
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L’invitation directe au Président de Gaulle à venir au Québec pour l’exposition internationale (1967) ;
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L’établissement d’un « protocole » international et la nomination d’un chef du protocole qui agira aussi comme conseiller spécial auprès du premier ministre (1967) ;
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La participation du Québec à la Conférence des ministres de l’Éducation d’Afrique et de Madagascar (Libreville, 1967) ;
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La création de l’Office franco-québécois pour la jeunesse (1968) ;
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La participation du Québec aux conférences préparatoires à la mise sur pied de l’Agence de coopération culturelle et technique (ACCT) (Niamey I et II, 1969 et 1970) ;
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L’admission comme « gouvernement participant » à la Conférence de l’Agence de coopération culturelle et technique (ACCT), (Montréal ; 1971) ;
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L’adoption de la formule des rencontres alternées des premiers ministres (1977) ;
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La création de la Commission interparlementaire franco-québécoise (1979) ;
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La création du ministère des Relations internationales, maintenant distinct du ministère des Affaires intergouvernementales (1984) ;
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La publication du premier énoncé systématique de la politique internationale du Québec (Le Québec dans le monde : le défi de l’interdépendance, 1985) ;
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La participation du Québec au Sommet de la Francophonie (Paris, 1986) ;
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La création de la Commission franco-québécoise des lieux de mémoire communs (1997).
Cette liste est forcément incomplète. Plusieurs ententes et initiatives subséquentes ont aussi impliqué directement la France. Mais l’objectif n’est pas ici de préciser tous les jalons de cette institutionnalisation, plutôt de souligner le caractère cumulatif d’une démarche où les précédents se transforment en normes et les exceptions en pratiques, ainsi que le rôle déterminant de la France tout au long de l’entreprise. Que ce pays n’occupe plus aujourd’hui tout l’horizon des relations internationales du Québec et n’en soit plus l’alpha et l’oméga n’est aucunement l’aveu d’un échec, mais plutôt le signe d’une réussite et la confirmation que l’État québécois, toute entité infranationale soit-il, se comporte sur la scène internationale comme un État. Il s’est donné la capacité de le faire. Que la France ait agi de la sorte pour promouvoir ses propres intérêts importe finalement assez peu. Il faut plutôt se réjouir que l’État québécois ait pu sortir grandi de l’expérience et surtout qu’il ait été capable – le mot est bien choisi – de sauter sur les occasions lorsqu’elles se présentaient.
Une dernière caractéristique des débuts des relations privilégiées avec la France mérite d’être signalée : son caractère très diffus dans l’appareil gouvernemental. Dans son analyse détaillée des trente premières années de ces relations, Louis Bélanger rappelle qu’entre 1960 et 1966, le premier ministre de l’époque n’a pas été le principal porteur des relations internationales du Québec et encore moins des relations avec la France[24]. Son rôle a souvent été de confirmer les « initiatives solitaires » de ses ministres alors que la majorité de ses interventions concernant la présence internationale du Québec et les « objectifs » qui en découlaient concernaient, et de loin, les États-Unis et non la France.
Dans la lignée de cette dernière remarque, on ne peut manquer de constater les liens étroits entre la démarche du Québec pour asseoir sa capacité internationale et les nombreux dossiers de relations fédérales-provinciales qui s’accumulèrent à partir de 1962. Le fait que le premier ministre conservait le haut de la main sur ces deux champs d’action et qu’il était appuyé dans cette tâche par Claude Morin et son équipe des Affaires intergouvernementales facilita sans aucun doute les transferts d’expertise. Lorsqu’on lit les nombreux travaux sur les négociations entre Ottawa et les provinces durant les années 1960, on est frappé par la montée en puissance des capacités de l’État québécois non seulement à défendre ses dossiers, mais aussi à « négocier » avec Ottawa et les autres provinces une sortie satisfaisante pour tous[25].
La France et l’émergence d’une capacité d’action culturelle pour l’État québécois
Sans la France (et Georges-Émile Lapalme), il n’y aurait pas eu de ministère des Affaires culturelles en 1961 (le ministère est créé le 24 mars). Il s’agit sans aucun doute de la contribution la plus directe et la plus immédiate de la France à la construction étatique québécoise. Cette contribution précède de plusieurs années les premiers accords de coopération avec ce pays. Avec la création de ce ministère, c’est toute la capacité d’une action autonome, efficace et redevable de l’État québécois qui se trouve renforcée, et cela dans un secteur névralgique, celui de la culture. C’est aussi sa capacité d’agir comme un État, c’est-à-dire de se préoccuper de la sécurité de ses citoyens, dans ce cas-ci leur sécurité culturelle et linguistique. Ici aussi, la contribution de la France aura été déterminante.
En 1959, lorsqu’il se met à l’ouvrage pour rédiger le programme politique du Parti libéral du Québec, Georges-Émile Lapalme est l’un des rares, sinon le seul acteur politique, à prôner la création d’un tel ministère. On n’en trouve aucune mention dans les débats publics des années 1950. Le ministère sera « sa » création et il ne manquera jamais une occasion de souligner qu’il emprunta l’idée à la France. Le fait qu’André Malraux a été le premier ministre français des Affaires culturelles, un écrivain devenu ministre, et que Lapalme tenait en haute estime, a sans doute facilité l’emprunt[26].
Alors qu’en Europe l’idée d’un ministère entièrement consacré à la culture suscitait une certaine méfiance, surtout en Allemagne et en Italie, où une telle initiative était associée aux gouvernements fascistes des années 1930, personne au Québec ne semble avoir soulevé d’inquiétudes à ce sujet, pas plus que de voir l’État s’occuper de culture. D’ailleurs, l’idée de plutôt créer un Conseil des arts, comme venaient de le faire le gouvernement fédéral et le maire de Montréal en 1956, ne semble pas avoir été prise en considération. Il ne semble pas non plus que les initiatives du gouvernement fédéral en matière de culture (la nouvelle loi de l’Office national du film en 1950, le rapport de la Commission Massey, la création du Conseil des arts fédéral) aient joué un rôle décisif dans la décision québécoise. Lorsqu’on suit le chemin tracé par la France, a-t-on vraiment besoin de se préoccuper de celui emprunté par le Canada ?
La mise en place du ministère ne devait pas causer de problèmes. Il était prévu dans le programme électoral de 1960 de faire passer sous la compétence du ministère cinq organismes : l’Office de la langue française, le Département du Canada français d’outre-frontière, le Conseil provincial des arts, le Bureau provincial d’Urbanisme et la Commission des monuments historiques. Sauf ce dernier, aucun de ces organismes n’existait alors.
Il faudra attendre le 24 mars 1961, soit neuf mois après la victoire libérale, pour que le ministère soit effectivement créé. On en profite aussi pour transférer au nouveau ministère les organismes à caractère culturel jusque-là sous la compétence du Secrétariat de la Province et qui ont l’avantage de déjà exister, soit les Archives, la Bibliothèque Saint-Sulpice, les Concours littéraires et scientifiques, l’Inventaire des oeuvres d’art, le Service d’astronomie, le Musée de la Province et le Service des bibliothèques publiques. Sauf ce dernier cas, toutes ces institutions ont été créées dans les années 1920 par Athanase David, l’influent et très actif Secrétaire de la Province. Cependant, deux morceaux importants, les Écoles des Beaux-Arts de Montréal et de Québec, demeureront au ministère de la Jeunesse en attendant d’être transférés au futur ministère de l’Éducation.
Il est difficile de croire que le futur ministre des Affaires culturelles n’a jamais eu en tête autre chose que le modèle français pour son ministère. En effet, on imagine mal Georges-Émile Lapalme interrogeant André Malraux à ce sujet et encore moins ce dernier suggérant la possibilité pour le Québec d’adopter le modèle anglais des Arts Council, tel que développé par John Maynard Keynes, qui fut d’ailleurs le premier président de l’Arts Council of Great Britain en 1946. Même s’il ne fut jamais vraiment envisagé de procéder autrement, l’importation du modèle français « pur et dur » apparaît comme un choix judicieux compte tenu de la situation du Québec en 1960 et de l’analyse qu’on pouvait faire alors de la situation culturelle. Nous sommes aussi en pleine période de « fatigue culturelle » et nombreuses sont les voies qui déplorent les dangers que court la culture québécoise, dont son américanisation, mais aussi son incapacité de projeter sa différence dans les arts et la création, afin d’en faire une force de changement. Dans ce contexte, la création du ministère des Affaires culturelles est considérée comme un geste fort appelé ni plus ni moins qu’à sauver la civilisation canadienne- française. Non seulement doit-il avoir les moyens d’un grand ministère, mais il doit aussi en avoir l’allure.
Cette façon de procéder qui suivait en tout point l’approche retenue en France fut la source de difficultés importantes par la suite. En même temps qu’on se mettait à la recherche d’un édifice susceptible d’abriter dignement le ministère, toujours une entreprise délicate même dans les meilleures des circonstances, il fallait mettre de l’ordre dans les relations avec les anciens « clients » tout en s’assurant d’accueillir de nouveaux partenaires. C’est à cela que devait répondre la création en 1962 du Conseil des arts du Québec. Dirigé par le sociologue Jean-Charles Falardeau, le Conseil se retrouva rapidement à couteaux tirés avec son ministère de tutelle quant à la nature même de son mandat. Le conseil fut aboli en 1968 et ne revient que dans les années 1990.
Pendant que la dizaine de fonctionnaires affectés au nouveau ministère s’affairent à établir une présence effective de l’État dans le secteur de la culture, le milieu culturel québécois, particulièrement à Montréal, est en pleine effervescence. Occupé à s’installer, le ministère n’a guère le temps ou les moyens, financiers ou autres, pour accompagner ou même suivre ce mouvement. Certains services sont à créer de toutes pièces non sans difficulté : Jean-Marc Léger est nommé directeur de l’Office de la langue française le 1er avril 1962, il démissionnera quelques semaines plus tard. G.H. Dagneau, quant à lui, devra attendre 14 mois pour voir sa nomination à la tête du Service du Canada français d’outre-frontière confirmée par le Conseil de la Trésorerie. On peut facilement imaginer les tractations entourant la nomination des premiers fonctionnaires québécois au nouveau Bureau devenu par la suite le Service culturel de la Délégation du Québec à Paris.
Très rapidement, on réalise que les structures (quand elles existent) de tous les organismes transférés au ministère doivent être revues. Ce sera le cas pour les conservatoires, les concours, la Bibliothèque Saint-Sulpice, le Musée du Québec, les archives. Dès mars 1961, on crée un Service de l’archéologie qui précédera la Commission des monuments historiques. En janvier de l’année suivante, on lance les travaux de ce qui allait devenir l’un des principaux chantiers de mise en valeur du patrimoine historique, celui de la place Royale à Québec. La Loi sur la protection et la mise en valeur des monuments historiques suivra.
On pourra discuter longuement sur la contribution effective des premières années du ministère des Affaires culturelles au développement de la culture au Québec. Il appert que la transposition intégrale d’un ministère à la française, même en tenant compte des particularités du milieu d’accueil, fut loin d’être une tâche facile. Peut-on penser que si le ministère avait effectivement obtenu les ressources financières et humaines nécessaires, l’opération aurait été plus facile ? On peut en douter.
Mais la contribution du nouveau ministère est ailleurs, sur un plan davantage stratégique. Premièrement, la création d’un ministère dit des « Affaires culturelles » implique que l’État peut s’occuper de ce secteur, mais qu’il doit effectivement le faire tant le retard culturel québécois infiltre tous les secteurs et appelle à une action d’ensemble immédiate. « L’État est un phénomène culturel », a proclamé Lapalme. Il aurait sans doute ajouté aussi qu’il doit s’occuper d’économie, d’électricité et de chômage, mais aussi des « vraies affaires », entre autres celles de la culture et de la langue. Deuxièmement, non seulement ce ministère doit intervenir en son nom propre, mais il a la responsabilité de voir à ce que les autres ministères travaillent dans le même sens. Que cette conviction ait été l’une des raisons de l’éventuelle « chute » du ministre Lapalme ne change rien à sa pertinence. Certes, il faudra attendre le Livre blanc du ministre Camille Laurin et surtout la politique culturelle de la ministre Liza Frulla pour que des gestes concrets soient posés dans ce sens, mais le ministre Lapalme avait bien compris que l’avenir du ministère (et le sien) dépendait des appuis sur lesquels il pouvait compter au Conseil des ministres. Troisièmement, un ministère « à construire », comme l’était le ministère des Affaires culturelles (et comme il le sera longtemps), offre un tremplin approprié à tout acteur politique qui se cherche une plateforme pour établir sa marque et appuyer ses ambitions[27]. C’est ce que Pierre Laporte avait compris. Ce ministère fut aussi une « pépinière » d’une catégorie particulière de fonctionnaires, les « grands commis de l’État ». On pense alors à Guy Frégault et à Roland Arpin.
Finalement, sans un ministère des Affaires culturelles « à la française », on peut se demander si les relations avec la France auraient pris l’envergure qu’elles ont connue. Avec un pendant québécois au ministère français, la France était nécessairement en terrain connu, principalement en ce qui concerne la vision du rôle de l’État et de la place de la culture qu’un tel ministère supposait. C’était aussi une façon de reconnaître qu’en matière de culture, la France avait nécessairement tracé la voie, une reconnaissance à laquelle le ministre Malraux était particulièrement sensible. Cette reconnaissance d’une vision commune et de la prééminence française allait ouvrir la porte à une approche conjointe en matière de francophonie institutionnelle et de protection de la diversité culturelle.
Une « mention spéciale » doit être faite ici de l’intervention de l’État québécois en matière linguistique. La Loi instituant le ministère des Affaires culturelles prévoit la création de l’Office de la langue française qui sera dès le début une direction du nouveau ministère. Jusqu’à l’adoption de la Charte de la langue française en 1977, ce sera le seul organisme québécois chargé de la politique linguistique. Son unique mission est de veiller à la correction et à l’enrichissement de la langue parlée et écrite au Québec. Cela correspondait d’ailleurs à la vision du ministre Lapalme.
Même si l’entente sur la coopération culturelle entre la France et le Québec (1965) accorde une place importante à la langue, soit les cinq premiers articles sur les vingt que comprend l’entente, elle se contente de simplement préciser que l’Office pourra collaborer avec ses équivalents français pour favoriser les échanges sur les questions de terminologie et d’enseignement. En 1969, la Loi pour promouvoir la langue française au Québec confiera à l’Office de nouvelles responsabilités en matière du français comme langue de travail et fera prendre à la coopération linguistique franco-québécoise, jusque-là surtout terminologique, un virage important, celui des missions de francisation pour les entreprises.
Comme le souligne Gaston Cholette, il n’est pas facile d’apprécier à sa juste valeur la contribution de la France à la transformation de l’État québécois, d’autant plus que très rapidement cette contribution se fera à double sens et que l’action linguistique du Québec débordera très rapidement le seul cadre des relations franco-québécoises[28]. Nous retiendrons cependant une tout autre contribution, plus déterminante pour la suite du projet étatique québécois. Nous parlons ici de ce qui a constitué la première décision, peut-être la plus importante, de l’Office de la langue française, soit celle d’aligner la langue française en usage au Québec sur ce qu’on appelait à l’époque le « français international ». On peut imaginer ce qu’aurait été la suite de l’histoire étatique québécoise si la décision contraire avait été prise. Très rapidement le Québec se serait retrouvé isolé linguistiquement dans une situation qui ne serait pas sans rappeler celle d’Haïti. Même si personne n’est vraiment dupe du fait qu’en adoptant le soi-disant « français international », le Québec a contribué à « décoloniser » l’appartenance à une aire politico-linguistique jusque-là dominée par la France, pour le Québec, les avantages de cette décision seront considérables. Ce sera aussi le cas pour la France et bon nombre des anciennes « colonies » françaises.
La France et la capacité d’action du Québec en éducation
C’est la réforme phare de la Révolution tranquille. Comme dans le cas des « affaires culturelles », la réforme s’est d’abord concrétisée par la création d’un ministère en bonne et due forme, avec à sa tête un ministre poids lourd, Paul Gérin-Lajoie, puis par une durée qui ne s’est pas démentie. Mais là s’arrêtent les similitudes. Dans le cas de l’éducation, on est en présence d’un véritable « débat de société » autour de la création de ce ministère et de l’orientation qu’il devrait prendre. Une commission d’enquête a patiemment balisé le chemin du futur ministère. La contribution de la France est aussi fort différente.
À première vue, il est difficile de déceler une quelconque influence française : l’utilisation d’une commission d’enquête, les polyvalentes et l’enseignement secondaire, les CÉGEPS, la régionalisation, l’Université du Québec, le régime des prêts-bourses, la fin des écoles normales, la réforme de l’enseignement professionnel. En 1975, alors que le nouveau système d’éducation est bien lancé, il n’y a guère que le nom qui est partagé par les deux ministères et même là, il n’a jamais été question au Québec d’utiliser l’appellation de ministère de l’Éducation nationale. Lorsqu’on relit soixante ans plus tard les débats souvent acrimonieux entourant la mise en place de cette réforme, on reste surpris de l’absence à peu près totale de la France comme modèle ou même comme repoussoir à la réforme québécoise.
Cette affirmation doit cependant être tempérée surtout si on prend en compte la perspective anglo-québécoise sur la réforme de l’éducation et la création du ministère de l’Éducation. Selon Roger Magnuson, alors professeur à la Faculté d’éducation de McGill, les Québécois d’origine française seraient les héritiers d’une tradition de rationalisme, de droit écrit et codifié et de centralisation alors que ceux d’origine anglo-saxonne « s’inspirent d’un passé d’empirisme, de droit coutumier et de pouvoir local[29] ». Pendant longtemps, la place dominante occupée par la religion et l’Église dans la société francophone a contribué à éloigner le Québec de la France. Le rapprochement des années 1960 a tout changé : du jour au lendemain, l’éducation québécoise n’est plus perçue par la France laïque comme étant dominée par le clergé ; au Québec, la France n’est plus quant à elle condamnée par le milieu de l’éducation comme le foyer d’une école sans Dieu[30]. Il en ressort qu’en 1965, écrit Magnuson, les autorités du Québec regardaient la France comme une source d’idées en éducation qui pourraient être appliquées à son système scolaire en voie de modernisation. Ce qui les intéressait particulièrement, c’était la pédagogie. Or il s’avéra que le régime pédagogique français était inapplicable au Québec et qu’il reposait sur une vision différente de l’instruction et de l’enfance.
Mais les fonctionnaires, administrateurs scolaires et autres experts envoyés en France pour prospecter les possibilités de coopération n’en sont pas revenus les mains vides. Toujours selon Magnuson, ils ont ramené avec eux « une théorie de gouvernement qui pouvait être appliquée à une société en voie de modernisation politique et éducationnelle. Cette théorie s’appelle l’étatisme[31] ». Il s’est ensuivi, conclut-il, deux décennies de pénétration d’idées et de pratiques françaises non pas en ce qui concerne la pédagogie, mais tout ce qui touche l’administration. « Bref, la France a enseigné au Québec comment organiser l’instruction des enfants d’âge scolaire et non pas comment les instruire[32] ».
Si le constat d’une centralisation grandissante autour du ministère de l’Éducation ne fait aucun doute, on peut cependant s’interroger sur l’idée que les nouvelles autorités québécoises auraient simplement suivi le modèle français en matière d’organisation de l’enseignement tout en négligeant de s’inspirer du contenu pédagogique. Nous voulons plutôt soumettre l’hypothèse que ce soit précisément cette plus grande familiarité avec certaines des « forces » pédagogiques du système français tel qu’il existait dans les années 1960 qui a facilité la centralisation dans un système où le mouvement de réforme – on a tendance à l’oublier – venait d’en haut.
Entre 1960 et 1964, si les consensus sont rares quant à la direction que doit prendre la réforme du système d’éducation au Québec, il en est un qui ne fait aucun doute, soit la nécessité pour le Québec de disposer d’un plus grand nombre d’enseignants vu la croissance attendue des effectifs, mais surtout que ces derniers soient suffisamment qualifiés. Sans aller jusqu’à les rendre responsables de la faillite du système d’éducation québécois alors en place, on ne manque pas de les pointer du doigt pour la pauvreté de leur formation et la piètre qualité de la langue parlée en même temps qu’on accuse les rédacteurs de manuels scolaires, souvent d’anciens enseignants eux-mêmes, de participer à l’abrutissement des enfants. C’est dans ce contexte que le modèle de l’instituteur français revient à l’avant-scène.
Dans son livre de 1959, qui allait servir de base au programme du Parti libéral pour l’élection de 1960, Lapalme écrit qu’en France l’instituteur occupe dans sa localité le premier rang[33]. Former un instituteur en France, n’a-t-il de cesse de le rappeler, prend autant de temps que former un avocat au Québec. Jusqu’à sa démission comme ministre, il n’hésita pas à rappeler à ses collègues que l’éducation était au service de la langue et de la culture, non l’inverse. Pour cela, il fallait donner au nouveau ministère des moyens financiers, administratifs et réglementaires suffisants pour lui permettre de remplir son rôle de maître d’oeuvre de la modernisation du Québec. Cela voulait dire, entre autres, avoir un droit de regard sur les manuels scolaires et la formation des enseignants.
Chez les artisans de la réforme de l’éducation alors en marche au Québec, on partageait de grands pans du diagnostic du ministre Lapalme, et les défenseurs des écoles normales telles qu’elles existaient alors au Québec étaient rares. En contrepartie, le mythe de l’instituteur français n’avait guère de partisans. Quant à l’idée de s’assurer que le ministère des Affaires culturelles allait avoir son mot à dire dans l’organisation du français au Québec, la fin de non-recevoir fut totale.
Dès la première rencontre en novembre 1964 entre les représentants du Québec et de la France sur le contenu de l’éventuelle coopération en éducation, les discussions s’orientent vers les questions de programmes et de pédagogie. Lorsque l’on consulte les procès-verbaux de ces rencontres qui se déroulent sur plusieurs semaines, on est frappé par l’étendue des thèmes traités et par le caractère éminemment « concret » des discussions. De toute évidence, le Québec sait ce qu’il veut et la France ce qu’elle peut offrir. On est loin des échanges entre ministres. À ce niveau, la question du nom qu’il faudra donner au document final ou de sa place dans le triangle Ottawa-Paris-Québec n’est guère évoquée. À aucun moment les représentants français ou ceux du Québec n’évoquent, du moins officiellement, ce qu’Ottawa va dire ou peut dire. Le fait qu’il n’existe pas d’accord de cette nature entre Ottawa et Québec facilite les choses. L’éducation est un domaine de juridiction provinciale et le Québec applique dans ce domaine la doctrine de son ministre Gérin-Lajoie du prolongement externe de ses compétences.
On s’entend en priorité sur les stages que la France compte offrir aux professeurs d’écoles normales du Québec ainsi qu’à la dizaine de professeurs qui pourraient aussi enseigner dans les écoles normales québécoises et qui pourront aussi « animer des entretiens et des rencontres portant sur les questions pédagogiques[34] ». Le deuxième thème abordé est celui de l’élaboration et de la mise en place des programmes. Pour le Québec, la question des programmes-pilotes ressort avec importance, car on veut bien se lancer dans de grandes réformes pédagogiques, mais on voudrait au préalable se familiariser avec les obstacles qui risquent de se présenter. L’enseignement technique constitue, surtout pour le Québec, un troisième thème jugé prioritaire. En effet, pour montrer qu’il est sérieux avec sa proposition de revaloriser le volet technique de l’enseignement, et cela à tous les niveaux, le ministère crée en mai 1964 à Montréal l’École normale d’enseignement technique du Québec. On a cependant de forts doutes quant à la possibilité d’y transposer le modèle traditionnel de l’enseignement dans les écoles normales. Finalement, la coopération universitaire est aussi abordée, mais de manière périphérique. Elle n’interviendra que beaucoup plus tard.
Le fait que cet accord intervient dans le cadre du triangle Ottawa-Paris-Québec, avons-nous dit, n’a pas ralenti ou compliqué outre mesure les discussions, du moins sur le fond. Ce serait plutôt le contraire. En effet, très rapidement, les deux parties, conscientes du contexte « délicat » de la situation, s’entendent sur la meilleure façon de donner forme à l’idée sur laquelle de Gaulle et Lesage s’étaient entendus, soit celle d’un procès-verbal unique signé par des représentants québécois et français. Le procès-verbal, estime-t-on, permet plus de flexibilité pour ce qui est des interprétations, facilitant ainsi les ajustements en fin de parcours.
Il a souvent été dit que le recours à ce simple procès-verbal pour fonder une relation que l’on voulait diplomatique enlevait passablement de panache et de sérieux à la démarche, qu’il s’agissait tout simplement d’un texte issu d’une réunion de fonctionnaires et qu’un tel amateurisme ne saurait résister à l’épreuve du temps. Pour les négociateurs des deux parties, ces critiques étaient en fait les bienvenues dans la mesure où elles confirmaient leurs capacités respectives à faire preuve de pragmatisme et d’ouverture et surtout d’une volonté commune de « faire dans le concret », sur le long terme. Est-il besoin de préciser que la France n’avait ainsi aucune objection à montrer une autre image d’elle-même, et qu’elle pouvait tout à fait s’adapter aux pratiques empiriques des cultures nord-américaines, celles-là mêmes que vante le professeur Magnusson ?
Dès l’automne 1965, 22 enseignants d’écoles normales du Québec et 19 du secteur de l’éducation partent pour des stages d’une année dans l’Hexagone. En même temps, 28 jeunes enseignants français sont affectés dans les écoles normales et des instituts de technologie à titre de coopérants militaires. Un nouvel élan sera donné à la coopération pédagogique et à la coopération en enseignement technique avec la création, conformément aux accords Peyreffite-Johnson de 1967, du Centre franco-québécois de développement pédagogique (CÉDEP) et du Centre franco-québécois de l’enseignement technologique qui en seront des rouages importants jusqu’à la mise en place des mécanismes qui les remplaceront. La liste des secteurs et des initiatives pédagogiques ou concernant des populations particulières est impressionnante :
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Enseignement préscolaire
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Enfance exceptionnelle
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Enseignement du français
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Éducation physique
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Éducation active
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Sport scolaire
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Activités culturelles et « physiques » en maternelle
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Enseignement des mathématiques
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Programmes pour enfants handicapés
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Mise sur pied de services d’aide psychopédagogiques
En matière d’enseignement technique, les rencontres ont été fréquentes, tant sous forme de stages que de missions, et ont porté sur des problématiques propres à ce secteur : pédagogie et développement de la culture générale, rapports entre l’enseignement et l’industrie, formation des maîtres en réponse à l’automatisation grandissante, perfectionnement des cadres du secteur et des écoles techniques, stages en entreprise.
La France et l’action de l’État québécois en santé et bien-être
Nous passerons brièvement sur ce domaine tant l’impact institutionnel de la France et des relations franco-québécoises apparaît relativement faible, pour ne pas dire inexistant. Dans le cas du Québec, la réforme du système de santé et de bien-être devient l’objet d’une politique publique en janvier 1961 avec l’adoption de la Loi sur les services hospitaliers et la création de la Régie d’assurance hospitalisation qui concrétisent la décision de Québec de participer au programme fédéral qui offrait de payer 50 % d’un tel régime, à condition qu’il réponde aux « normes » définies par Ottawa.
On a surtout retenu de cette adoption qu’elle s’était faite de manière quasi instantanée, sans débat et sans discussion, une impression appuyée par l’engagement pris par le Parti libéral dans son programme de « l’institution immédiate d’un système d’assurance hospitalisation ». Ce faisant, le gouvernement se privait de recevoir le rapport d’une commission d’enquête mis sur pied par l’Union nationale et dont la remise était prévue pour le mois de septembre. La commission dont il est question est la Commission d’enquête sur l’assurance hospitalisation créée en mars 1960 et dissoute dès le début du mois de juillet, quelques semaines après la victoire du Parti libéral. On ne sait pas ce qu’aurait recommandé ledit rapport, mais en tenant compte de l’attachement du Directeur de la recherche, M. Roland Parenteau, pour la France et son système de planification, on peut penser que l’exemple français aurait au moins été étudié.
Le contraste avec une autre commission québécoise, la Commission des assurances sociales du Québec créée en 1931, présidée par Édouard Montpetit, a de quoi surprendre[35]. Pour la rédaction de leur rapport, les membres de la Commission visitèrent huit pays, s’arrêtant longuement en France où ils purent se rendre compte des résultats d’une réforme ayant conduit à « un type complet et nouveau d’assurances sociales, réalisé après dix années d’études et d’expérience[36] ».
En 1964, le ministère de la Santé du Québec renoue avec la tradition des comités d’études en dépêchant une équipe du ministère pour visiter pas moins de dix pays européens, dont la France. Il s’agit d’identifier ce qu’on appellerait aujourd’hui les « bonnes pratiques » des pays visités et qui permettrait au Québec d’élargir le système de protection mis en place avec l’assurance hospitalisation en 1961. Une nouvelle commission est mise sur pied en 1966, la Commission d’enquête sur la santé et le bien-être social. Celle-ci verra son mandat modifié avec l’arrivée de l’Union nationale en 1966 et surtout avec l’adoption, la même année, de la loi fédérale instituant l’assurance-maladie. Faute de temps, on ne se réfère guère aux expériences françaises ou européennes sauf pour souligner la nécessité de remplacer le modèle médical alors en place par un modèle plus social comme il existe en Suède et en Grande-Bretagne.
Par la suite, la multiplication des comités et commissions d’étude a tendance à réduire encore plus ces emprunts tant est forte la tentation de s’en tenir aux réformes précédentes, soit pour les mettre en application ou encore pour les contrer. Tout se passe comme si avec chaque réforme, le « modèle québécois » du système de santé était amené à s’éloigner de plus en plus du « modèle » français. C’est la thèse défendue par Valéry Ridde en ce qui concerne ce qu’on qualifie d’approche globale de la santé, une approche qui reconnaît l’existence de déterminants non médicaux de la santé, par opposition à une approche qui privilégie, comme en France, une perspective biomédicale et comportementale de la santé des populations[37]. Il est vrai qu’au Québec, les autorités politiques ont été amenées à prendre conscience de la nécessité de passer à l’action au regard des inégalités face à la santé. Dans les faits, cette prise de conscience n’est tout simplement pas arrivée à se traduire en objectifs et en actions spécifiques. Ridde mentionne à cet effet le programme québécois de santé publique dans sa formulation de 2003-2012 qui fait de la réduction des inégalités en santé un des quatre défis de la santé publique, mais sans qu’aucun des 87 objectifs de ce programme ne concerne directement cette réduction. Certes, il s’agit, selon elle, d’un progrès par rapport à la France où les décideurs n’ont toujours pas mesuré l’ampleur d’un problème « caractérisé par la permanence de son invisibilité dans l’espace politique », mais c’est un progrès sans lendemain puisque les gouvernements choisissent finalement de se cantonner « dans la sphère du déni et de l’indifférence ». Le résultat est paradoxal : plus le Québec a cherché à s’éloigner du modèle français sur le plan des principes, plus dans les faits il a fini par lui ressembler.
La France et le déploiement de l’action économique de l’État québécois
Le rôle accru de l’État dans le secteur économique est à juste titre considéré comme le quatrième pilier (avec la culture, l’éducation et la santé) de la Révolution tranquille. C’est ce quatrième pilier que nous considérons ici pour tenter d’y déceler l’influence de la France.
Contrairement à une idée reçue, le Parti libéral n’est pas arrivé au pouvoir avec un programme économique bien établi. On reprend pour l’essentiel les mesures proposées dans le programme de 1956 avec des propositions sur la colonisation, les pêcheries, la voirie et le chômage. On revient aussi à la charge avec la proposition d’un ministère des Richesses naturelles et surtout avec le développement de l’agriculture, d’habitude le parent pauvre des programmes libéraux, mais qui cette fois est particulièrement choyé avec 19 propositions particulières.
La principale nouveauté économique du programme libéral de 1960 se trouve dans la proposition (article 10) de créer le Conseil d’orientation économique, une proposition d’autant plus insolite que ce conseil existe déjà, ayant été créé en 1943 par le gouvernement libéral de l’époque. Il faut chercher ailleurs que dans le programme électoral de ce qui deviendra « l’équipe du tonnerre » l’idée que l’État s’implique activement dans le développement économique du Québec et soit responsable de s’assurer que les francophones obtiennent leur part du gâteau.
La Société générale de financement
En juillet 1962, alors que le gouvernement est toujours en pleine discussion sur le projet de nationalisation des compagnies privées d’électricité, il est devenu évident que cette dernière ne suffira pas à enclencher un processus de développement industriel dans les régions du Québec. On décide donc de mettre en place une agence de développement économique, la Société générale de financement (SGF), qui deviendra rapidement le symbole de l’étatisme économique du Québec. L’institution est entièrement nouvelle dans le paysage économique et politique du Québec et est empruntée à des initiatives du même genre qui existent à l’époque en France, mais aussi ailleurs en Europe, en Belgique notamment. L’objectif est de recueillir des fonds afin de soutenir les investissements majeurs dont le Québec a besoin et de s’assurer que les entreprises francophones y trouvent aussi leur compte.
Consciente que le financement de départ en provenance du gouvernement (on n’utilise que très rarement le vocable État) sera très limité, la SGF se tourne initialement vers d’autres partenaires locaux, dont le Mouvement Desjardins. Très rapidement, on réalise qu’il faudra aussi des partenaires financiers étrangers. Au même moment, le Conseil national du patronat français (CNPF) accepte – sans trop en voir l’utilité – l’idée mise de l’avant par l’Élysée d’une grande exposition technique française à Montréal en 1963, et surtout d’en assurer la préparation. Une mission dirigée par Wilfrid Baugmarter, un ancien ministre des Finances et alors président de Rhône-Poulnec, est envoyée au Québec au début d’octobre 1962. De nombreux financiers font partie de la délégation et sont à même de constater – au coeur de la campagne électorale sur la nationalisation de l’électricité – les possibilités d’investissements qui s’offrent au Québec. Très rapidement, la Caisse des dépôts et consignations, la Banque Nationale de Paris et le Crédit lyonnais choisissent d’entrer au capital de la SGF[38].
Il ne fait aucun doute que la SGF a constitué une porte d’entrée privilégiée pour les capitaux français. Sans ces derniers, les premiers pas de la SGF auraient été certainement plus laborieux et il est difficile d’imaginer que l’on aurait assisté à l’éclosion d’aussi nombreux partenariats entre les entreprises québécoises et françaises. Ainsi, en 1964, Marine Industries, l’une des premières entreprises à bénéficier de l’appui de la SGF, conclut un accord avec la firme française Neyrpic pour la fabrication sous licence de turbines. Deux ans plus tard, un autre accord intervient, cette fois avec Alsthom, pour la fabrication, toujours sous licence, d’alternateurs hydrauliques. La majorité de ces investissements croisés avec des partenaires français se sont avérés des succès, sans qu’il soit possible cependant d’affirmer que la formule retenue a constitué un facteur décisif, pas plus d’ailleurs qu’elle explique entièrement les nombreux échecs rencontrés par la SGF, dont celui en 1965 de la Société de montage automobile (SOMA). Dans ce dernier cas, les partenaires français du projet, principalement Renault, posèrent des conditions strictes pour assurer leur participation, dont celle de voir la SGF assumer entièrement les coûts de construction et d’opération de l’usine. Sans son accord l’usine n’aurait certes pas vu le jour, mais elle n’aurait pas non plus fermé ses portes en 1972.
La France joue aussi un rôle important dans la sidérurgie (SIDBEC), mais pas nécessairement celui qu’on imagine. Lorsque René Lévesque se rend en France en octobre 1961 pour accompagner le premier ministre Lesage lors de l’ouverture officielle de la Délégation générale du Québec à Paris, il rencontre des membres de la direction de l’Institut de recherches de la sidérurgie (IRSID) pour discuter du dossier d’une sidérurgie québécoise, un dossier alors suivi par un comité qui comprend Michel Bélanger, Paul-Émile Tremblay, le sous-ministre du nouveau ministère des Ressources naturelles et Alphonse Riverin. Un mandat est confié à l’IRSID, qui conclut qu’il existait bel et bien un marché pour 500 000 tonnes de lingots ferreux. Fort de cette conclusion, une étude de rentabilité est entreprise sous la direction d’un cadre prêté par SOGEMINES, une filiale de la Société Générale de Belgique, celle-là même qui avait servi de modèle à la SGF. Trois firmes d’ingénieurs-conseils, l’une belge, l’autre française et la troisième canadienne-française, sont retenues pour l’appuyer. Pendant que ce groupe travaillait, René Lévesque en profite pour visiter des installations sidérurgiques en France, en Allemagne et évidemment en Belgique. Il en revint plus convaincu que jamais que le modèle d’une entreprise entièrement contrôlée par l’État s’imposait, une idée qui était loin de faire l’unanimité au Conseil des ministres.
Il aura fallu sept années pour que le dossier de SIDBEC aboutisse et ce n’est qu’après le refus de la France en 1966 d’avancer les 20 millions $ requis pour lancer le projet en partenariat avec le gouvernement du Québec que l’on s’est mis à considérer sérieusement l’idée d’une entente avec DOSCO, qui venait de terminer la construction d’une aciérie à Contrecoeur[39]. En décembre 1968, SIDBEC achetait les installations de Contrecoeur tout en assumant la dette de 37 millions $ de l’entreprise. Ce n’est qu’à partir de cette date que SIDBEC-DOSCO put lancer ses opérations. Malgré des investissements totalisant plus d’un milliard de dollars, l’entreprise n’accuse un profit qu’une seule fois en 14 années d’opération.
SOQUIP et SOQUEM
La Société d’initiatives pétrolières (SOQUIP) est créée en novembre 1969. Le rôle de la France y fut déterminant non seulement pour ce qui est de la recherche et éventuellement de la découverte de pétrole dans les bassins sédimentaires québécois, mais aussi pour ce qui est de l’implantation d’un plan d’affaires (« business plan ») permettant au Québec de devenir, comme la France, un acteur dans le domaine du gaz et du pétrole. La coopération très étroite entre SOQUIP et de multiples partenaires français et autres (dont la Caisse de dépôt du Québec) sous tous les gouvernements québécois entre 1969 et 1990 n’a certes pas permis de trouver du pétrole, mais elle aura permis au Québec de devenir un acteur dans le domaine du gaz naturel dans le nord-est de l’Amérique du Nord.
La Société québécoise d’exploration minière (SOQUEM) est créée le 15 juillet 1965 par le gouvernement du Québec qui réalise ainsi, mais avec un retard de cinq ans, l’une des promesses clés de son programme de 1960. Les mines, qui occupaient pourtant une place importante dans le programme de 1960, s’étaient vues par la suite poussées plus loin dans la liste des priorités, derrière la forêt et même les pêcheries. Plutôt que de terminer la réforme de la législation minière entreprise en 1956 par l’administration unioniste, René Lévesque choisit plutôt de procéder à un examen des concessions minières déjà octroyées. Une fois l’élection de 1962 passée, il confie à André Marier la tâche de formuler une politique d’ensemble sur le secteur minier qui ne fut finalisée qu’en janvier 1965, le jeune économiste ayant eu entre-temps à s’occuper du dossier du régime des rentes.
Avant la création de la SOQUEM, les relations avec la France se limitaient à des échanges de nature technique entre la Direction générale des mines du nouveau ministère des Richesses naturelles et son pendant français, le Bureau de recherches géologiques et minières. Les premières rencontres portent surtout sur la géologie et les techniques d’exploration puisque ce sont alors les priorités du gouvernement du Québec. Lors des discussions entourant la nature du mandat qui devait être confié à la SOQUEM, exploration, exploitation ou les deux à la fois, l’exemple de la France et surtout celui des pays scandinaves revient occasionnellement sur la table, particulièrement dans les arguments du ministre Lévesque qui insiste sur la double nécessité, celle d’une exploration plus systématique, mais aussi sur celle de passer rapidement à la phase d’extraction. C’est finalement cette option qui l’emporte au grand désarroi de ceux qui, à l’intérieur du Conseil des ministres, s’étaient déjà opposés à la nationalisation de l’électricité et à celle de la sidérurgie (SIDBEC). De 1965 à 1975, une vingtaine des quelque 225 projets d’exploration minière entrepris par la SOQUEM ont impliqué des partenaires français[40].
Hydro-Québec et la nationalisation de l’hydro-électricité
Le dossier de la nationalisation de l’électricité ne fera vraiment surface qu’à la fin 1959 alors que le Parti libéral est à recruter de nouveaux candidats et que l’on s’active à transformer le « testament » politique de Georges-Émile Lapalme en programme électoral. Si on s’entend facilement sur la promesse de créer un ministère des Richesses naturelles, la forêt et les mines sont considérées comme des thèmes électoraux plus porteurs. Lorsque René Lévesque est approché par le Président de la Fédération libérale, M. Maurice Sauvé, pour se présenter sur les listes libérales, il doit insister pour qu’on mentionne l’hydro-électricité dans le programme. Finalement, celui-ci ne fera qu’une brève mention de la nécessité de réserver à Hydro-Québec « la propriété et l’exploitation de toute énergie hydro-électrique non concédée[41] ».
Lors du voyage du premier ministre Lesage en France en 1961, il n’est nullement question du projet de nationaliser les entreprises d’hydro-électricité. Cependant, il sera souvent fait mention de la France dans les débats publics entourant cette nationalisation, surtout pour mentionner qu’en France, la nationalisation n’a pas fait sombrer le pays dans le communisme comme on l’entendait souvent. Mais il est encore plus souvent fait mention de l’Ontario, du Nouveau-Brunswick et de la Saskatchewan qui avaient déjà pris cette voie. Tout comme lors de la « première nationalisation » avec la création d’Hydro-Québec en 1944, l’exemple américain de la Tennessee Valley Authority qui avait tellement impressionné le premier ministre Godbout revient lui aussi très souvent dans les débats.
S’il faut chercher une influence française dans la décision gouvernementale qui vise à nationaliser les entreprises d’électricité, c’est du côté du Conseil d’orientation économique qu’il faut regarder, plus particulièrement en ce qui concerne son adhésion sans réserve au concept de la planification à la française. Dans le rapport commandé par le Conseil des ministres à un comité mixte entre le ministère des Richesses naturelles et Hydro-Québec, les deux rédacteurs, Michel Bélanger et Raymond Latreille, font largement référence à l’expérience française, non seulement pour ce qui est du principe de la nationalisation d’un secteur aussi névralgique, mais aussi pour identifier les régions à développer en priorité, ce qui était l’un des arguments souvent utilisés par les défenseurs de la nationalisation, René Lévesque en tête[42].
La capacité de commandement et de coordination : la planification et l’aménagement
Les institutions centrales
Au chapitre des structures et des institutions politiques comme telles, celles qui concernent la prise de décision et l’organisation du pouvoir exécutif et législatif, l’influence française sur les réformes introduites par la Révolution tranquille est difficile à documenter. Il ne semble pas que le cri du coeur du ministre Simard, cité au début de cet article lorsqu’il parle de la contribution de la France à la libération des institutions québécoises de l’emprise et de la domination anglo-saxonne, soit conforme à la réalité. En ce qui concerne les institutions politiques, il y eut bien une influence française dans l’introduction du référendum, la revalorisation du rôle de Président de l’Assemblée et le changement de son nom pour celui d’Assemblée nationale, mais ce n’est pas le cas pour ce qui est des grandes réformes démocratiques des années 1960, celles concernant la conduite des élections (procédures de votes, composition des listes électorales, financement, campagnes électorales) et la vie des partis politiques. Pendant quelque temps, on évoque la possibilité de transformer le Conseil Législatif en un Conseil économique et social à la française. On choisit plutôt de l’abolir. Quant aux nombreuses suggestions de transformer le mode de scrutin pour un scrutin à deux tours avec ou sans une composante proportionnelle, elles n’eurent pas de suite non plus[43]. À part les quelques défenseurs du système républicain, rares sont les analystes qui s’accommodent mal des institutions à la britannique ou, mieux encore, qui ne les trouvent pas davantage appropriées au contexte québécois.
La coordination des relations internationales du Québec
« Gouverner, c’est choisir. Dans un État moderne, c’est aussi en grande partie coordonner ». La phrase est de M. Louis Bernard, secrétaire général du Gouvernement du Québec de 1978 à 1985 et auparavant directeur de cabinet du premier ministre Lévesque[44].
Elle résume assez bien l’idée voulant que la coordination, même si elle n’a pas le « glamour » de la décision politique, surtout la décision au plus haut niveau (« la solitude du pouvoir »), demeure un prérequis à toute action politique moindrement réfléchie et efficace. La suite de la citation de Louis Bernard illustre bien le contexte particulier dans lequel cette fonction de coordination s’est exercée dans le Québec de la Révolution tranquille : « Comment éviter que la main gauche ne défasse ce que vient de faire la main droite et faire en sorte que les deux mains collaborent à la même action ? Problème d’autant plus aigu qu’au sein de l’appareil de l’État, il n’y a pas que deux mains à synchroniser mais plusieurs centaines ».
L’apprentissage ne fut pas facile et une fois encore, la France y joue un rôle aussi important qu’indirect.
En mars 1961, l’Assemblée législative crée officiellement le ministère des Relations fédérales-provinciales, responsable, comme son nom l’indique, des relations avec le gouvernement central. Dès l’arrivée au pouvoir du gouvernement libéral, il est devenu évident que même s’il a l’intention de continuer à s’occuper personnellement des relations avec Ottawa, le premier ministre Lesage doit pouvoir compter sur l’appui d’une sorte de secrétariat particulier pour l’épauler dans cette tâche. Il faut sortir, jugeait-il, de la façon de faire des gouvernements unionistes, soit de réagir à coups de commissions d’enquête (Commission Tremblay) ou de slogans improvisés, comme la nécessité pour le Québec de « récupérer son butin ». À cela s’ajoute la volonté affirmée du premier ministre de renforcer les liens politiques avec les autres provinces canadiennes. Pour Jean Lesage, il s’agissait de profiter de toutes les occasions possibles, au point de les susciter si nécessaire, pour tenter d’infléchir les positions nettement centralisatrices du gouvernement conservateur à Ottawa. La tenue le 1er décembre 1960 de la première de ce qui va devenir la Conférence annuelle des premiers ministres des provinces justifiait d’autant plus la nécessité d’un tel ministère que lors de cette première réunion, les premiers ministres décident du format plus ou moins informel de ces rencontres et les limitent à l’échange de points de vue, à huis clos et sans décision exécutoire. Il est important dans un tel contexte que le Québec parle d’une seule voix, celle du premier ministre qui avait, on l’apprendra rapidement, une vision assez particulière de la coordination.
Dans un premier temps, les initiatives du Québec en matière de relations internationales ont davantage contribué à renforcer les capacités de coordination de l’État québécois dans ses relations avec l’État canadien qu’en matière de relations avec la France et les autres États où le Québec avait choisi d’ouvrir ou de tenter d’ouvrir des délégations. Lorsque Claude Morin, jusqu’alors professeur à l’Université Laval, mais aussi conseiller économique et surtout rédacteur de discours du premier ministre, accepte enfin le poste de sous-ministre des Affaires fédérales-provinciales en juin 1963, il constate que le ministère n’existe en fait que sur papier et que tout est à construire. Comme il le décrit dans ses mémoires, ce processus de création ministérielle ne répond à aucune règle précise, sauf celle d’avoir un comptable et un constitutionnaliste, deux postes particulièrement importants dans un ministère où les voyages et les questions de constitution étaient appelés à être nombreux. Jusqu’à la fin du mandat libéral, l’équipe réduite du ministère – une douzaine de personnes au maximum – fut surtout constituée de professionnels capables d’intervenir dans les nombreux dossiers impliquant le gouvernement central et les relations fédérales-provinciales. C’est ainsi que Louis Bernard, formé à Londres, entre au ministère comme juriste et spécialiste du droit international.
Jusqu’en 1966, le ministère des Affaires fédérales-provinciales, le premier ministère horizontal de l’administration québécoise, eut amplement affaire au dossier canadien, surtout après l’arrivée au pouvoir des libéraux de Lester Pearson dont le discours du trône de 1963 annonçait une offensive tous azimuts pour une plus grande intervention de l’État fédéral, ce qui risquait de freiner les initiatives québécoises et de menacer ses prérogatives constitutionnelles.
À l’été 1965, quelques semaines après la formulation de la Doctrine Gérin-Lajoie, Pierre Laporte, le nouveau ministre des Affaires culturelles (en remplacement de Georges-Émile Lapalme, démissionnaire), fait part au premier ministre de sa volonté de signer une deuxième entente avec la France, portant cette fois spécifiquement sur la culture. Vu le contenu largement culturel de la première entente, le premier ministre ne voyait guère l’utilité d’un nouveau drame existentiel avec Ottawa tandis que le ministère de l’Éducation qui estimait détenir, selon les mots de Claude Morin, « une vocation transcendante » était volontaire pour continuer à gérer ce dossier et éviter l’éparpillement[45]. Plus habile politiquement que son prédécesseur Georges-Émile Lapalme et usant de sa proximité avec le premier ministre, non seulement le ministre Laporte obtint « son » entente avec Paris, mais il y mit une telle énergie que cette entente comprenait sur le plan diplomatique des « avancées » jugées importantes et qui ramenaient le ministère des Affaires culturelles dans le jeu.
Durant la période entourant la signature de la première entente franco- québécoise en éducation, le besoin ne se manifesta guère de mettre en place une autorité ministérielle distincte chapeautant cette nouvelle initiative ainsi que les diverses manifestations de la présence du Québec à l’étranger (la Délégation générale de Paris, les « bureaux » de New York et de « Londres »). En fait, l’idée même d’une entente sur l’éducation provenait entièrement du ministre de l’Éducation de l’époque, M. Paul Gérin-Lajoie, qui fort de l’appui du premier ministre et d’une autorisation du Conseil des ministres, prit contact avec l’ambassadeur de France au Canada dès juillet 1964. Apparemment, la Délégation du Québec à Paris ne fut guère impliquée dans la préparation de ce qui allait devenir le coup d’envoi d’une diplomatie québécoise.
Au même moment, le gouvernement canadien avait déjà entrepris des démarches auprès du même ambassadeur français, en l’occurrence M. Raymond Bousquet, pour la signature d’un accord général sur la culture et dont l’intention était claire : démontrer hors de tout doute que le Canada s’occupait de culture et était le seul responsable in fine des relations avec la France. Nous sommes à l’époque en pleine période de la Commission Laurendeau-Dunton et les relations entre Québec et Ottawa connaissent un épisode de grande tension avec la proposition de Québec de se doter de sa propre Caisse de dépôt. Les choses auraient probablement continué d’évoluer en parallèle si le premier ministre n’avait pas été obligé de s’impliquer dans une question importante, celle des immunités et privilèges diplomatiques dont devraient jouir les membres de la Délégation du Québec.
À partir de ce moment, la gestion administrative et politique de la Délégation de Paris fut l’occasion de querelles souvent byzantines alors que les fonctionnaires impliqués ne manquaient jamais une occasion de rappeler qu’il y allait de la grandeur du Québec (aux yeux de la France) et de la légitimité de l’action internationale du Québec. Comment opérer une délégation dont les privilèges diplomatiques demeurent fragiles, alors que le délégué général dépend du ministère de l’Industrie et du Commerce à Québec, que le conseiller culturel et le conseiller en éducation, qui l’un et l’autre ne dédaignent pas à l’occasion de se faire appeler délégué culturel ou délégué à l’éducation, continuent de dépendre de leurs ministères propres et que le délégué économique, lui, dépend aussi du ministère de l’Industrie et du Commerce ? Il y avait bien une Commission interministérielle sur les relations extérieures du Québec chargée de coordonner les initiatives québécoises à l’étranger (essentiellement, Paris, Londres, New York et depuis peu Milan), mais c’était le dernier endroit où régler des questions d’ego et de privilèges ministériels, les sous-ministres qui en faisaient partie cherchant par tous les moyens à éviter de s’impliquer dans ce genre de disputes. Entre 1964 et 1967, c’est le ministère des Affaires fédérales-provinciales, et plus particulièrement son sous-ministre (Claude Morin) et son ministre (Jean Lesage), qui fut amené à régler, le plus souvent a posteriori, les problèmes posés par la présence internationale du Québec.
Il faut attendre 1967 pour que le gouvernement Johnson décide de la transformation du ministère des Affaires fédérales-provinciales en un ministère des Affaires intergouvernementales. Cette loi confie au ministre et à son ministère la tâche de coordonner toutes les activités du gouvernement du Québec à l’extérieur de ses frontières et de favoriser son rayonnement. Dans le discours fort élaboré qu’il prononce lors du dépôt de la loi créant le nouveau ministère, le premier ministre Johnson prend bien soin de mentionner que les ministères de l’Éducation et des Affaires culturelles continueront, par l’entremise de leurs services de coopération réciproques, à gérer leurs ententes avec la France et que le nouveau ministère continuera, avec plus de moyens cependant, à s’occuper de la politique générale de même que des relations avec Ottawa, qui découlent du fonctionnement des ententes et des contacts divers qui peuvent se produire entre le Québec, certains pays et certains organismes publics et privés de l’étranger[46]. Précisant sa pensée, le premier ministre indique que le nouveau ministère n’aura de responsabilités administratives directes « que dans la mesure où celles-ci seront jugées indispensables à l’exécution officielle de sa tâche de coordination et de négociation que lui confiera le parlement[47] » et qu’il ne « s’agit pas de donner au Québec des droits qu’il n’aurait pas, mais à lui permettre d’exercer encore plus pleinement ceux qu’il a[48] ». En ce qui concerne le volet international des activités du ministère, M. Johnson en identifie pas moins de sept : (1) prendre en charge les délégations et agences du Québec à l’étranger, (2) administrer, en collaboration avec les ministères concernés, les ententes signées avec la France, (3) conduire à bon terme les négociations qui s’imposeront lorsque le Québec jugera opportun d’établir dans les domaines de sa compétence des relations plus étendues avec l’étranger, (4) coopérer avec le Bureau de l’aide extérieure du Canada pour l’envoi de spécialistes québécois dans les pays en voie de développement, (5) s’intéresser aux travaux de certains organismes internationaux, (6) faire étudier par les ministères québécois les nombreux projets de convention internationale que le Canada ne peut mettre à exécution sans l’assentiment des provinces et (7) participer à d’éventuelles consultations avec le gouvernement fédéral sur des traités internationaux portant sur des matières de compétence provinciale.
Le discours de Paul Gérin-Lajoie lors du débat sur le bill 33 ne laisse aucun doute quant à l’appui donné par l’auteur de la Doctrine Gérin-Lajoie à l’initiative du nouveau gouvernement. De toute évidence, il a été consulté par l’équipe gouvernementale. Certains éléments du texte lui permettent de conclure qu’en matière internationale, l’arrivée de l’Union nationale confirme que c’est l’État québécois qui agit. Ainsi, un passage clé de la loi de 1961 créant le ministère des Affaires fédérales-provinciales n’apparaît tout simplement plus dans le texte de 1967, soit la référence au fait qu’en « matière fédérale-provinciale le Québec oeuvre dans le respect de la Constitution ». De plus, on a éliminé les références au statut provincial du Québec. On parle plutôt du « gouvernement du Québec » tandis que l’on met dans le même panier l’ensemble des « autres gouvernements à l’extérieur du Québec ». Finalement, alors que le texte de 1961 stipule que le ministère « ne peut conclure aucune entente sans l’autorisation du gouverneur en conseil », le texte de 1967 est plus permissif, dans la mesure où il présente le ministère comme étant habilité à conclure de telles ententes avec l’accord du lieutenant-gouverneur en conseil, ce qui implique davantage un processus de ratification par le Conseil des ministres qu’une permission à obtenir. Le changement de ton apparaît clairement dans les différentes péripéties et procédures entourant la signature de l’accord de coopération de 1967 signé au lendemain de la visite du général de Gaulle au Québec[49].
La planification
C’est sans aucun doute dans la capacité associée à la direction de l’État que l’influence de la France aura été la plus recherchée, mais aussi l’une des moins durables. La volonté québécoise de suivre la voie tracée par la France ne fait ici aucun doute. Dans un article sur la planification au Québec et sur le rôle que joua le Conseil d’orientation économique, Michel Sarra-Bournet parle à ce sujet d’un nouveau paradigme de gestion : pour la première fois, dit-il, l’État québécois mettait le développement économique au premier plan de ses objectifs avec la planification comme moyen privilégié pour y arriver. Quant aux origines de ce nouveau paradigme, il suggère que son adoption « découle d’une volonté d’imiter les méthodes françaises et qu’elle fut facilitée par des contacts plus suivis entre des économistes et hauts fonctionnaires québécois avec leurs homologues français[50] ».
Comme il l’avait été promis dans le programme électoral libéral de 1960, le Conseil d’orientation économique du Québec (COEQ) est effectivement relancé en février 1961. Le Conseil existait déjà depuis l’administration Godbout en 1943 sous l’appellation de Conseil économique. Ce dernier ne fut jamais formellement aboli : revenue au pouvoir en 1944, l’Union nationale « oublia » tout simplement de lui demander des conseils et d’en renouveler les membres à la fin de leur mandat en 1947. Quelques semaines après l’élection de juin 1960, le nouveau premier ministre nomme cinq nouveaux membres en leur confiant la mission de formuler le mandat d’un COEQ renouvelé. En février, une loi lui assigne formellement deux missions : « élaborer le plan de l’aménagement économique de la province en prévoyant l’utilisation la plus complète de ses ressources et conseiller le gouvernement de sa propre initiative ou sur demande, sur toute question économique[51] ».
Cinquante ans plus tard, on reste étonné de l’importance prise par la planification économique au début des années 1960, alors que même le mot planification n’apparaît aucunement dans le programme électoral, pas plus d’ailleurs que plan. On parle plus simplement de la nécessité pour le Québec de se donner une politique économique « rationnelle » qui aura comme objectifs une meilleure exploitation des ressources naturelles afin de soutenir l’industrialisation, un meilleur usage des ressources hydro-électriques, une diminution de la taxe sur les claims miniers et la fixation d’un prix minimum sur le poisson. Comme Gosplan à la soviétique, on a déjà vu mieux ou pire selon son point de départ[52].
Pour ce qui est de la fonction de consultation, il fallut plusieurs mois d’un apprentissage réciproque pour que le Conseil et le gouvernement apprennent à travailler ensemble. Comme le Conseil ne disposait pas des ressources requises pour mener à terme des travaux de recherches sur des sujets complexes, les ministères en vinrent à réduire leurs demandes au minimum et à se contenter d’utiliser le Conseil comme un galop d’essai avant de soumettre leur proposition au Conseil des ministres. Comme rapporté par Dale Thomson, ce manque de moyens et d’autorité eut une conséquence imprévue sur l’ensemble du processus décisionnel, celle de voir apparaître un « groupe de pression qui, sans statut officiel, vint combler le vide et l’exploiter à ses fins ». Composé de fonctionnaires et de conseillers hautement compétents, possédant déjà une bonne connaissance des rouages de l’État et disposant de liens solides avec le milieu universitaire et d’un allié indéfectible au Conseil des ministres, René Lévesque, ils en vinrent rapidement à utiliser le Conseil pour véhiculer leurs propres idées. C’est ainsi que Michel Bélanger, Claude Morin, André Marier et Jacques Parizeau devinrent, dans les mots de Dale Thomson, « la force la plus dynamique qui anima la Révolution tranquille ». Ils partageaient aussi en commun le refus d’accorder une grande crédibilité à la démarche de planification économique à la française que le Conseil amorça non sans quelques tâtonnements à partir de 1962.
Cette mission de préparation d’un plan soi-disant « à la française » se révéla impossible à réaliser. En 1963, le Conseil accueille une mission française et publie plusieurs documents préparatoires en vue du lancement officiel d’un plan quinquennal prévu pour 1971. On s’entend pour suivre la démarche utilisée en France, celle des groupes de travail spécialisés comprenant à la fois des fonctionnaires et des experts de l’extérieur. Devant l’impatience du premier ministre, une première échéance est fixée à 1965. Très rapidement, on se rend compte que trop de conditions manquent, dont celle de l’existence de données et d’études sectorielles, pour que l’exercice ait quelque chance de réussite. En 1964, le plan est mis de côté et l’attention du Conseil se porte sur des problèmes à court terme, dont le taux élevé de chômage. Dans son rapport annuel de 1966, le Conseil reconnaît avoir perdu son temps à travailler « sur un calque sans valeur du plan français » et qui de plus prétendait utiliser « une expérience française de la planification inapplicable au Québec ». Le Conseil suggère aussi de confier la réalisation éventuelle d’un plan à un Office du plan et de créer le Conseil de développement du Québec pour tout ce qui concerne les anciennes responsabilités de consultation et de recherche du COEQ.
Un Office de planification chargé de relancer la planification est effectivement créé en 1968, flanqué de deux organismes consultatifs, une Commission interministérielle de planification pour faciliter l’implication des ministères et un Conseil de la planification réunissant des représentants du secteur privé. Comme le rappelle Roland Parenteau, cette relance n’eut pas de suite, car en 1969 le gouvernement modifiait la vocation même de l’Office de planification qui devient l’Office de planification et de développement du Québec (OPDQ) avec pour mission de poursuivre la réflexion sur la planification, mais surtout de voir à la coordination de programmes et à la mise en oeuvre de projets, particulièrement ceux déjà existants dans l’est du Québec. Si la planification à la française ne dura pas, il en restera cependant une capacité réflexive, un réseau de fonctionnaires qui continuera à travailler ailleurs dans l’État québécois, de nombreux travaux de prospective et une capacité externalisée dans le monde universitaire québécois[53].
L’aménagement
La planification à la française n’a guère trouvé preneur au Québec, avons-nous dit. « Le Plan est mort », certes, mais pourrions-nous ajouter « Vive le Plan… du BAEQ » en référence à l’Esquisse et au Plan définitif soumis en 1965 par le Bureau d’aménagement de l’Est-du-Québec (BAEQ) ?
Nous ne referons pas ici l’histoire d’un bureau passé à la légende[54]. On a retenu de l’expérience du BAEQ son engouement pour la participation des citoyens et son opposition à toute planification imposée par « en haut » comme dans les plans « à la française ». Cette différence d’approche est réelle et se fonde sur une perspective différente de la planification et de l’aménagement. Contrairement à la perspective aménagiste telle qu’elle existe alors en France, le développement régional mis de l’avant par le BAEQ ne privilégie pas tant une meilleure distribution des équipements et des infrastructures, mais surtout la mise en valeur des potentialités même des territoires concernés.
Mais alors que l’on pourrait croire que le passage du paradigme de la planification à celui du développement par la base marque la fin de l’influence française en matière de développement territorial, il n’est pas inutile de rappeler que la méthodologie de l’animation sociale telle que mise de l’avant par les « jeunes idéalistes » du BAEQ – c’est ainsi qu’on les caractérisait – emprunte largement à l’humanisme chrétien du Père Louis-Joseph Lebret, un dominicain français devenu économiste et dont la pensée a influencé toute une génération d’animateurs sociaux et d’acteurs locaux tant en France qu’en Afrique, en Amérique latine et au Québec[55].
La France et le renforcement de l’administration de l’État québécois
La description que fait James Iain Gow de la gouverne de l’État québécois à la veille de la Révolution tranquille est sans appel : une administration davantage éparpillée que décentralisée, avec une direction peu structurée, paternaliste, soumise aux autorités du moment et un mode de fonctionnement très loin du rationalisme wébérien[56].
La liste des réformes engagées dès 1960 est toute aussi impressionnante. On crée de nouvelles structures, on en élimine d’autres ; des ministères et des organismes centraux apparaissent. Les procédures d’embauche sont revues et re-revues, les conditions de travail aussi. Le syndicalisme fait son entrée. Les effectifs s’accroissent et passent de 36 766 à 71 941 entre 1960 et 1970. Nous n’avons retenu ici que certains aspects de cette transformation pour mieux comprendre l’influence française.
La professionnalisation de la fonction publique
Comme ce sera souvent le cas pour ce qui est des relations France-Québec, l’initiative est d’abord venue du côté français. Nommé à l’ambassade de France en 1957, Bernard Dorin, un jeune diplomate qui deviendra par la suite un pilier de ce qu’on a appelé « le Lobby du Québec à Paris », entame dès 1960 des démarches pour permettre à des fonctionnaires québécois de passer une année à l’École nationale d’administration (ENA) dont il est lui-même issu. Il faudra trois ans pour que l’idée progresse suffisamment et que Paul Gérin-Lajoie demande à un ancien doyen de la Faculté des sciences sociales de l’Université Laval, M. Jean-Marie Martin, de se rendre en France pour concrétiser le projet de stages. Les négociations sur ce qui était apparu au départ comme une idée fort simple, accueillir 10 stagiaires québécois à l’ENA, prouvèrent être plus compliquées que prévu. Au retour de sa mission, le doyen Martin exprime même ses doutes quant à la possibilité de trouver dix candidats assez qualifiés pour « bien témoigner de la qualité de notre fonction publique[57] ». André Dolbec, le contrôleur de la Trésorerie à Québec, s’interroge sur l’utilité et les coûts de cette initiative. Quant au ministère français des Affaires étrangères, il est tout simplement contre et il faudra une directive de la Présidence française pour qu’il s’engage plus avant. Ce n’est finalement qu’en décembre 1963 que Paul Gérin-Lajoie désigne les six premiers stagiaires. Le programme sera reconduit pendant trois ans subséquents avec un échange d’une dizaine de stagiaires chaque année (dont un ou deux fonctionnaires fédéraux).
Par-delà les compliments d’usage sur un programme qui permettait au Québec d’avoir accès à une école aussi prestigieuse, les avis sont partagés sur ce que l’administration québécoise a pu en retirer. Malgré les ajustements apportés par la direction de l’ENA, le programme offert aux stagiaires québécois est perçu comme peu pertinent compte tenu de la réalité administrative québécoise du moment. De toute manière, le programme est interrompu en 1968 alors que le gouvernement du Québec décide, non sans difficultés, de créer sa propre filière, l’École nationale d’administration publique (ÉNAP). Nous y reviendrons.
La principale contribution française à la réforme de la fonction publique québécoise fut celle de la venue au Québec de Monsieur Roger Grégoire, alors au Conseil d’État français, auteur de nombreux ouvrages sur la fonction publique et responsable de la réorganisation de la fonction publique française après la Libération[58]. Fort de sa connaissance des exigences, mais aussi des contraintes imposées par l’élaboration d’un nouveau plan de classification dans des situations de profonds changements politiques et sociaux, M. Grégoire proposa un modèle dont l’un des avantages était de s’inspirer de l’expérience française, mais aussi de celle des États-Unis et de la Grande-Bretagne[59].
Deux principes se retrouvent à la base du modèle proposé pour le Québec : d’abord offrir aux fonctionnaires une ligne de carrière lisible, ensuite organiser un recrutement régulier suivi d’une formation et d’un fonctionnement continus. Bref, écrit-il dans son rapport, « pas de recrutement valable sans possibilités d’avancement et pas d’avancement justifié sans formation solide et sans effort de perfectionnement durable[60] ». Selon le Conseiller d’État, dont la suggestion est reprise par la Commission de la fonction publique, « [c] lassifier, c’est assurer l’ordonnance logique d’une multitude d’éléments par leur répartition en des unités distinctes et hiérarchisées, d’après des critères définis au préalable[61] ». Pour y arriver, la Commission choisira de créer des corps de fonctionnaires selon le caractère principal de leur tâche habituelle et ensuite de les intégrer à tel ou tel échelon d’une des classes de ce corps.
Contrairement à ce à quoi l’on aurait pu s’attendre d’un système à la française, celui proposé par M. Grégoire n’insiste pas pour tout définir. Il s’en tient aux tâches dites essentielles en évitant le piège d’une énumération fastidieuse et forcément incomplète qui n’aurait finalement servi qu’à emprisonner les fonctionnaires dans la définition de leurs tâches. Une trop grande spécialisation, rappelle-t-il aux autorités québécoises, tue les possibilités d’avancement. Cette « liberté de mouvement » sera l’un des piliers de la réforme de la fonction publique québécoise et du ministère qui s’en vit confier la responsabilité[62].
La formation et le perfectionnement
Reste l’École nationale d’administration publique (ÉNAP). On l’associe instinctivement à l’École nationale d’administration (ENA) mise sur pied en France au lendemain de la Deuxième Guerre et qui, jusqu’à son remplacement à partir du 1er janvier 2022 par l’Institut national du service public (INSP), constituait la voie par excellence pour la formation et le recrutement de la haute fonction publique française[63]. Qu’en est-il exactement ?
Roger Grégoire, qui participa aussi à la mise sur pied de l’ENA, résume ainsi le modèle initialement suivi par la France, soit celui d’un « centre d’application ouvert à de jeunes candidats sélectionnés pour servir dans la haute fonction publique », par opposition, disait-il, « à une sorte d’école d’état-major assurant une sélection en cours de carrière[64] ». Roland Parenteau, le premier directeur de l’ÉNAP, n’aurait sans doute pas choisi la métaphore militaire d’un état-major pour décrire l’institution québécoise mise sur pied en 1969, mais il insistait aussi sur le fait que ce n’est pas à l’âge où l’on entreprend habituellement des études universitaires que le futur administrateur peut recevoir une formation complète et qui le servira tout au long de sa carrière. Cela signifie, conclut-il, que l’École s’adresse essentiellement non pas à des étudiants encore plus ou moins indécis quant à leur orientation de carrière, mais à des professionnels en exercice parmi lesquels on aura identifié de futurs cadres potentiels.
Comme bien d’autres innovations issues de la Révolution tranquille, la décision de créer l’ÉNAP est issue du travail de plusieurs comités grâce à la perspicacité de « passeurs », en l’occurrence Pierre Martin et Roch Bolduc[65].
Dès l’arrivée au pouvoir du Parti libéral, la nouvelle équipe ministérielle réalise non seulement que les administrateurs publics de qualité sont une denrée rare au Québec, mais qu’on ne trouve aucun lieu ou filière privilégiés pour assurer leur formation. Le premier à poser un geste en ce sens fut René Lévesque qui en 1961 demande à Roland Parenteau, alors professeur à l’École des hautes études commerciales de Montréal, de mettre sur pied un tel programme. En 1963, c’est au tour de Paul Gérin-Lajoie, le nouveau ministre de l’Éducation, de mettre sur pied un comité constitué de fonctionnaires et d’universitaires présidé par Jean-Marie Martin, alors président du Conseil supérieur de l’éducation et ancien doyen de la Faculté des sciences sociales de l’Université Laval. Le rapport Martin constate que le problème le plus important auquel est confrontée l’administration publique d’un État en processus de modernisation, comme l’était le Québec à l’époque, tient au fait que les administrateurs sont des spécialistes (comptables, ingénieurs, médecins, avocats, sociologues, etc.) sans une formation adéquate en gestion. Une telle spécialisation dans les filières de recrutement est typique du mode opératoire des administrations publiques nord-américaines et permet un recrutement davantage ciblé sur les besoins immédiats. En contrepartie, elle ne favorise pas l’émergence d’une culture homogène propre à la collaboration et de plus, elle offre un bassin d’administrateurs potentiels beaucoup plus large que dans certains pays, dont la France, qui possèdent des écoles spécialisées sous la forme de « grandes écoles », dont l’ENA, mais aussi Science Po, l’École des Mines, HEC. Tout en retenant la voie nord-américaine d’un recrutement aussi large que possible, le Comité suggère toutefois que l’on reconnaisse une formation par étapes mettant à contribution les divers programmes déjà en place dans les universités québécoises, dont le cours du soir en Administration publique du Département de science politique de Laval. Pour chapeauter l’ensemble du processus, le Comité Martin propose de créer un Centre des études administratives sous contrôle gouvernemental, mais fonctionnant sur un mode partenarial avec les universités, ce qui lui permet d’écarter le modèle des grandes écoles françaises jugé trop élitiste et peu adapté à une réalité nord-américaine basée sur la circulation des idées et le croisement des expériences. Naturellement, on cherche aussi à s’assurer que les modes de formation correspondront aux besoins exprimés par l’administration publique.
Ce premier rapport demeurera sans suite et on se contentera dans un premier temps des échanges universitaires avec l’ENA mentionnés plus haut. De fait, ce n’est pas tant la formule hybride proposée par le comité Martin qui pose problème que le fait que l’environnement même de la fonction publique québécoise est toujours en situation de flux et que le plan de classification des emplois supérieurs proposé par Roger Grégoire est toujours à l’étude. Il faudra attendre 1965 et la Loi sur la fonction publique pour que l’on reconnaisse la spécificité même de l’administration publique. La nécessité de regrouper les milliers de travailleurs du secteur public en un nombre plus limité d’unités de négociations impose de s’éloigner du modèle nord-américain strict où ce sont les tâches et les responsabilités de chaque emploi plutôt que les compétences du titulaire qui déterminent son classement[66].
Du système français, la Commission de la fonction publique allait garder la notion de la nature des tâches ainsi que la formation antérieure comme base de la classification, ce qui permet d’introduire la notion de corps et en conséquence de dissocier le grade de l’emploi[67]. Cependant, on choisit de tenir compte de la formation antérieure et éventuellement de la formation permanente acquise en cours de carrière[68].
Au début de 1967, le nouveau ministre de l’Éducation crée à son tour un groupe de travail chargé cette fois de faire le point sur l’ensemble des problèmes afférents à la formation et au perfectionnement des administrateurs publics. Contrairement au Comité Martin cité plus haut, ce nouveau groupe de travail, aussi appelé Comité Bolduc ne comprend aucun universitaire et est composé presque exclusivement de fonctionnaires. On y trouve entre autres Pierre et Gérald Martin du ministère de l’Éducation, Jean-Guy Fredette de la Régie du gaz et Roch Bolduc et Claude Descoteaux, tous deux à l’emploi de la Commission de la fonction publique et qui deviendront respectivement président et secrétaire du groupe. L’intérêt du rapport de ce deuxième comité est double : d’abord en ce qu’il reprend à son compte l’idée d’une institution de formation pour les administrateurs publics qui est sous la responsabilité, du moins pour son organisation, de l’État ; ensuite que cette institution est dédiée à sélectionner et à former des cadres supérieurs dont la compétence se mesurera à leur « capacité de mener des études et de concevoir des programmes d’action, l’habileté nécessaire à la gestion d’une unité administrative et enfin l’autorité suffisante pour diriger des équipes de fonctionnaires de niveau professionnel[69] ». Ainsi, après avoir fait le tour de la question dans un premier rapport et proposé la création d’une École d’administration publique (c’est le nom qu’on lui donne déjà), le Comité Bolduc choisit de procéder à de nouvelles consultations et à un deuxième rapport afin de statuer sur la localisation et le fonctionnement de la nouvelle École. Plusieurs événements vont alors faciliter le choix du comité et aboutir finalement à la création de l’École nationale d’administration publique, une composante à part entière du réseau de l’Université du Québec.
Premièrement, dès 1966, il était devenu évident que la formule des stages de courte durée à l’ENA ne constituait pas une solution aux problèmes de la formation et du perfectionnement des cadres de la fonction publique. Après quelques tentatives d’ajuster ces programmes pour tenir compte des intérêts des stagiaires québécois, on s’est vite rendu compte que l’ENA, une institution axée sur la formation de généralistes en début de carrière, n’était tout simplement pas en mesure d’offrir des cours plus spécialisés destinés à des fonctionnaires québécois ayant déjà une dizaine d’années d’expérience dans la fonction publique et qui recherchent surtout des connaissances approfondies en gestion budgétaire, en techniques administratives et en organisation du travail[70].
Deuxièmement, après de multiples représentations de la part de l’Université Laval, il s’est avéré que la proposition de cette dernière au Comité Bolduc, soit de mettre sur pied un programme distinct en administration publique, n’a pu rencontrer les exigences des différents départements de l’université elle-même (science politique, droit, sciences de l’administration)[71]. C’est que l’on ne s’entend pas sur la nature même de la discipline « administration publique ». Même si les liens sont étroits entre Laval et les différentes instances du gouvernement québécois, ces derniers ne résistent pas aux querelles de clocher entre les différentes instances universitaires.
Troisièmement, depuis décembre 1967, Pierre Martin, l’un des membres du Comité Bolduc, fait aussi partie du Comité Recherche et Développement chargé de réfléchir à la création de nouveaux établissements universitaires au Québec et aux différentes voies institutionnelles permettant à ces nouveaux établissements – on pense dès le début à Rimouski, Trois-Rivières et Chicoutimi – de trouver leur place dans le nouvel environnement créé par la réforme de l’éducation. Or dès le début de ses travaux, le Comité de R&D opte pour l’idée d’établir au Québec une nouvelle université, l’Université du Québec, fonctionnant en réseau, mais où chaque constituante possède une personnalité juridique autonome. Le modèle est celui des universités américaines telles que l’University of California, la State University of New York ou l’University of Wisconsin, c’est-à-dire des universités publiques, mais non des universités d’État comme il en existe en Europe. Certes, il s’agit d’une institution vouée à l’accroissement et à la diffusion de la connaissance, mais que l’on veut aussi préoccupée par la formation des enseignants et l’éducation permanente avec un souci d’accessibilité et en phase avec certaines priorités nationales ou régionales[72].
Faut-il alors se surprendre si le deuxième rapport du groupe de travail sur les administrateurs publics, le Comité Bolduc, dont est membre Pierre Martin et qui paraît en 1968 recommande la création d’une École d’administration publique dans le cadre de la future Université du Québec ? L’ÉNAP reçoit ses lettres patentes en juin 1969.
Dès le début, les programmes d’études sont axés sur trois grands thèmes : les sciences humaines appliquées, les techniques modernes de gestion, la recherche sur les politiques des administrations publiques. C’est consciemment que l’on choisit de s’inscrire à mi-chemin entre l’ENA française et les business schools américaines[73]. Parce qu’on est bien conscient que le Québec ne dispose tout simplement pas des compétences requises pour doter la nouvelle école du personnel nécessaire, on choisit la solution d’un corps enseignant réduit et fait appel à de hauts fonctionnaires et à des universitaires issus d’autres universités, ce que fait aussi l’ENA. Pour faciliter ces « emprunts », on fait de la nouvelle institution une composante de plein droit du nouveau réseau de l’Université du Québec. À la différence de l’ENA, l’ÉNAP verrait ainsi – du moins on l’espérait – sa légitimité renforcée grâce à son statut universitaire. Afin de faciliter le rapprochement avec les pouvoirs publics québécois, on choisit d’installer l’ÉNAP à Québec, ce qui avait aussi l’avantage de la rapprocher de sa clientèle cible, les fonctionnaires québécois, et de doter la région de Québec d’une institution de l’Université du Québec.
Il ne saurait être question de porter ici un jugement sur la contribution effective de l’ÉNAP à la modernisation de l’État québécois. Après tout, l’école n’ouvrit ses portes à ses premiers élèves qu’en septembre 1970. Le simple fait que l’on reconnaissait enfin l’importance d’une formation avancée pour les fonctionnaires et que le secteur de l’administration pouvait faire l’objet d’activités de recherche constituait en soi un geste fort. Très rapidement, l’ÉNAP devint un rouage important dans la diffusion de nouvelles approches et de nouveaux outils de travail. C’est le cas par exemple du Budget-programme, le PPBS (« Planning Programming Budgeting System ») qui dès 1968 suscita l’attention d’Yvon Tremblay et d’André Gélinas, qui deviendra le premier directeur des études de l’ÉNAP en 1969[74].
Il n’est pas facile non plus de porter un jugement quant à l’influence de la France sur la modernisation du système administratif québécois dans les années 1960. Certes, on peut relativement facilement éliminer les jugements extrêmes tant ils ne résistent pas à l’analyse. C’est le cas des thèses qu’on qualifierait aujourd’hui de complotistes quant au rôle de l’ENA comme tête de pont de la volonté française, sinon de reconstruire son empire, du moins de tenter de détruire le Canada[75]. De même, comme ce fut souvent le cas avec les pays en développement, affirmer que le Québec a procédé par mimétisme institutionnel et cherché à transposer sans trop de réflexion le modèle administratif français à sa réalité ne tient guère la route non plus. S’il y a eu mimétisme administratif, son effet fut surtout celui d’un repoussoir. Le modèle de l’ENA ne fut jamais vraiment dans la course lors des longues tractations entourant l’élaboration d’un nouveau cursus de formation et de perfectionnement pour les administrateurs québécois. Dès le début, les facteurs internes, issus de la logique politique et administrative ainsi que les tribulations des oppositions intra et inter universités jouèrent un rôle déterminant[76].
La capacité de contrôle et de sécurité
Le contrôle des instruments de violence et la volonté d’assurer l’intégrité du territoire national ainsi que la protection des citoyens et de leurs biens sont des instruments incontournables du processus de construction étatique. Pour Charles Tilly, ces capacités précèdent toutes les autres. C’est pour financer leurs guerres, défensives ou offensives, que les initiateurs du state-building, la France et la Grande-Bretagne, ont été amenés à se donner d’importantes capacités financières et administratives[77].
Assurer la sécurité d’un territoire et de ses habitants n’a plus la même signification en 2022 qu’à la fin du Moyen-Âge. C’est que les menaces à cette sécurité ont changé : la cybercriminalité et les pandémies sont là pour nous le rappeler. Et que dire de la sécurité alimentaire, de la sécurité climatique et environnementale et même de la sécurité culturelle, ces menaces qui interpellent autant, et parfois plus immédiatement, les entités étatiques non souveraines que souveraines ? Elles sont de plus en plus parties prenantes à la lutte contre ces menaces dites existentielles tout en assurant des pans importants de la sécurité des biens et des personnes. Certes, elles sont rarement impliquées dans la gestion des menaces provenant de puissances étrangères ou dans la conduite de la guerre, elles ont néanmoins des responsabilités importantes en matière de protection du territoire et surtout pour tout ce qui concerne les mesures d’urgence à la suite des catastrophes naturelles ou sanitaires[78]. Ce n’est cependant pas le cas du Québec dans les années 1960.
Mais revenons en arrière. Gérard Bergeron, qui est l’un des seuls à s’être intéressé à la dimension « sécuritaire » de la Révolution tranquille, l’a déjà dit, et plutôt bien : le droit, la justice et l’appareil policier et judiciaire dans son ensemble ne sont « que peu ou rarement facteur de novation sociale et de changement politique[79] ». C’est que le droit, continue-t-il, est par nature conservateur, « moins que ne le disent ceux qui l’attaquent sous ce rapport, mais plus que n’y consentent avocats et juges ». Il ne faut donc pas chercher dans le système juridique du Québec des années 1960 les ferments d’une quelconque Révolution, aussi tranquille soit-elle.
Mais Bergeron rappelle aussi que les innovations sociales et les changements politiques « ne sont pas acquis avec certitude dans une société tant qu’ils ne sont pas d’abord proclamés juridiquement, puis consacrés judiciairement en même temps qu’administrativement ». La dynamique judiciaire est peut-être lente à se mettre en marche, conclut-il, mais elle a fini par le faire.
On se limitera à en identifier les premiers jalons. Cette dynamique ne débute vraiment qu’en 1967 avec la mise sur pied de la Commission d’enquête sur la justice criminelle et pénale (Commission Prévost) dont les premiers constats furent publiés en 1969 sous le titre Principes fondamentaux d’une action sociale. En mars 1971, soit 11 ans après l’arrivée de Jean Lesage au pouvoir, paraissait la seconde tranche, La société face au crime. On y trouvait toute une série de propositions, dont l’établissement d’un régime de sécurité juridique universel et gratuit, l’accroissement des pouvoirs de l’ombudsman, la réorganisation du système policier, une Académie des juges, une critique acerbe des procès politiques. En juillet de la même année, le Livre blanc sur la police et la sécurité des citoyens propose d’établir une distinction entre le ministère responsable de l’administration de la Justice et celui responsable des services de police et de sécurité. En 1975, lors de la deuxième administration Bourassa, un livre blanc, La justice contemporaine, allait poursuivre la réforme dans la direction mise de l’avant par la Commission Prévost « la Justice pour tous » (cour des petites créances, aide juridique) et qui allait déboucher sur la Charte des droits et libertés de la personne en 1975[80]. Pour toutes ces réformes, on serait bien en peine de déceler une quelconque influence française.
À propos de la capacité de l’État québécois à assurer sa propre sécurité, le dossier demeure sinon désastreux, tout au mieux « peu convaincant ». La gestion de la Crise d’octobre par le gouvernement du Québec, la demande d’un recours à la Loi de mesures de guerre, l’infiltration, réussie ou pas, des agents de la GRC au sein du Parti québécois et même de l’appareil québécois sont là pour le rappeler. La riposte de l’État québécois, que ce soit sous la forme du Centre d’analyse et de documentation mis sur pied par le gouvernement de Robert Bourassa en mars 1971 ou de son remplacement par le Groupe d’analyse sur la sécurité de l’État québécois par le ministre de la Justice, Marc-André Bédard, en 1978, n’est guère convaincante non plus[81].
Pour ce qui est de la France, nulle part n’est-il fait mention d’une quelconque collaboration franco-québécoise en matière de sécurité de l’État. Certes, comme le signale Jean-François Lisée, entre 1960 et 1976 le Québec grouille de représentants officiels et officieux du gouvernement français, sans compter les membres autoproclamés ou confirmés des services de renseignements français et que la Gendarmerie royale du Canada s’évertue de suivre à la trace sans pouvoir trouver un plan derrière leurs déplacements ou leurs actions, ce qui ne faisait qu’accroître leur aura[82]. Certes, après le voyage « mouvementé » du général de Gaulle au Québec, le gouvernement unioniste, ou du moins son premier ministre, a pu trouver que le général allait « trop vite », mais nulle part n’est-il fait mention de récriminations en provenance du Québec quant à une quelconque tentative de la France de manipuler le gouvernement québécois.
En matière de police, de justice et de sécurité publique, les réformes introduites par la Révolution tranquille se sont faites tardivement et n’ont pas entraîné de renforcement majeur des capacités de l’État québécois. Pour ce qui est de la France, elle n’a vraisemblablement pas cherché à être présente sur ce front, pas plus que le Québec n’a signalé un véritable intérêt à voir ses capacités en matière de sécurité renforcées. Dans ce sens, il est assez ironique que le gouvernement fédéral ait cru bon de justifier son invocation de la Loi des mesures de guerre par sa volonté de « protéger » un État québécois jugé chancelant et menacé par un coup d’État ayant à sa tête René Lévesque, Claude Ryan et Michel Chartrand.
Conclusions
Dans les années 1960 et 1970, le Québec se donne un État que nous avons qualifié de « capable », c’est-à-dire disposant de capacités suffisantes pour formuler et conduire à terme des politiques publiques s’appliquant à l’ensemble du territoire. Quel a été l’impact de la France sur ce processus ?
Dans un premier temps, nous nous sommes demandé si la France avait contribué au renforcement des capacités financières de l’État québécois. Ici le nom de la Caisse de dépôt et placement vient immédiatement à l’esprit. N’a-t-il pas été dit et redit que l’idée d’une caisse d’État québécoise venait en droite ligne de celle de la Caisse des dépôts et consignations créée par la France en 1816 ? C’est vrai, avons-nous constaté, mais c’est aussi plus compliqué dans la mesure où la CDPQ ne répondait pas tant à la nécessité de sécuriser les avoirs financiers des Québécois, comme dans la France post-napoléonienne, qu’à celle de fournir une protection sociale adéquate (les rentes), de faciliter le financement des opérations de l’État, d’accroître la participation des francophones à la direction de leur économie et de manière générale de pouvoir contrôler un important levier d’intervention économique.
Pour ce qui est de la capacité d’une action autonome, l’examen a fait ressortir une contribution française qui varie sensiblement selon les champs d’activité. En ce qui concerne la capacité d’une présence active du Québec sur la scène internationale, la contribution française a été déterminante. Que cette contribution ait été guidée par la défense de ses propres intérêts n’y change rien et démontre au contraire que le Québec « compte ». L’intérêt de la France pour le Québec n’est pas désintéressé et c’est tant mieux. Que le Québec ait sauté sur l’occasion pour affirmer sa personnalité internationale, comme le font tous les États dans les limites de leurs moyens, n’a fait que consolider et peut-être même accélérer l’entreprise de modernisation de l’État québécois[83].
La contribution de la France a été tout aussi déterminante pour ce qui est de l’action culturelle de l’État québécois. Dans ce domaine, on peut sans hésitation parler non pas tant d’un transfert que d’un emprunt pur et simple de la part du Québec. Fait inusité, une seule personne en est responsable, Georges-Émile Lapalme.
Dans le domaine de l’économie, l’influence de la France est partout et nulle part à la fois. Peut-être est-ce le signe d’une influence qui s’exerce surtout sur le plan des idées et non pas sur celui des institutions et des structures. Tout comme dans le cas de la culture, l’influence de la France passe surtout à travers l’idée que l’État a un rôle important dans le développement économique.
Contrairement à ce qu’on aurait pu croire, la contribution française est moins perceptible en matière d’éducation (du moins pour cette période) et presque absente pour ce qui est de la santé. Il est intéressant de noter que ces domaines de politiques publiques sont ceux où l’État québécois est le plus décentralisé. Par définition, dans une telle structuration, il est plus difficile d’avoir une action coordonnée, qui plus est avec un autre pays. Dans ces domaines, on constate une influence française en diverses teintes et une construction étatique plus installée dans la durée[84]. Mais ce sont aussi deux domaines où les échanges entre la France et le Québec ont été les moins inégaux, car dès les années 1980 on a pu remarquer des collaborations suivies et plus équilibrées entre les deux. Il faudra y revenir.
Au chapitre de la capacité de commandement, de coordination et de communication, nous avons surtout retenu le cas de la planification économique. Ressuscité des limbes où l’administration unioniste l’avait relégué en « oubliant » de renouveler ses membres, le Conseil d’orientation économique revint à l’avant-plan dès les premiers mois de l’administration Lesage alors que plusieurs ministres, et non des moindres (Gérin-Lajoie, Lévesque, Lapalme), et même le premier ministre, s’étaient laissé convaincre de la nécessité pour le gouvernement de se donner les outils nécessaires pour mieux tirer parti des ressources disponibles. Mais là s’arrête l’histoire de l’introduction du modèle français de la planification dite indicative au Québec. Est-ce la transplantation du modèle français qui a posé problème ou le fait qu’un État infranational n’a qu’un rôle restreint encastré dans l’économie nord-américaine où les centres de décision lui échappent ? La tentation est forte de répondre « un peu des deux ». Dans les faits, on peut se demander si ce n’est pas l’idée même d’une planification qui n’est pas en cause. En France, la Crise de mai 1968 et la crise pétrolière de 1973 semblent avoir signalé la fin de l’expérience d’une planification, aussi indicative et peu coercitive soit-elle. En choisissant le modèle de la concertation, peut-être le Québec avait-il trouvé sa propre voie ?
Pour ce qui est de la capacité d’administrer, la contribution française apparaît paradoxale. L’organisation de stages pour des fonctionnaires québécois à la prestigieuse École nationale d’administration de Paris fut ici déterminante, dans la mesure où elle permit aux responsables politiques québécois de réaliser que le modèle de l’ENA ne convenait tout simplement pas à la réalité québécoise et ne permettait pas de mettre en oeuvre une réforme de la formation des cadres supérieurs privilégiant un cheminement de carrière axé sur la spécialisation, l’expérience acquise et la formation permanente. Ironiquement, c’est à M. Roger Grégoire, un expert français du Conseil d’État et l’un des instigateurs de la restructuration de la fonction publique française au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, que le Québec doit une bonne partie de ce choix. En proposant au Québec une approche de la classification des emplois qui incorporait des éléments des modèles américains et britanniques, il rendait peu probable le choix de faire de la future École nationale d’administration publique une « grande école » à la française. L’option d’en faire plutôt une constituante universitaire intégrée au réseau de l’Université du Québec s’imposa alors d’elle-même.
Et finalement, il a été fait brièvement mention de la capacité de l’État québécois à assurer sa propre sécurité et celle de ses citoyens. Au chapitre de la sécurité, les capacités de l’État québécois ont été mises à rude épreuve entre 1960 et 1980. En matière de justice, les réformes ont été lentes à venir. Tout se passe comme si la Révolution tranquille avait quelque peu oublié ce domaine. Gérard Bergeron explique en partie cette « lenteur » par le caractère même du droit qui vient le plus souvent formaliser des innovations introduites dans les règles de vie en société. Il faut d’abord que les choses changent ou du moins qu’on se propose de les changer avant que ces changements se traduisent en de nouvelles façons de faire.
Reste à savoir si la France a pu inspirer la forme et l’esprit de ces nouvelles règles. Poser cette question, c’est forcément ouvrir un tout nouveau chapitre, celui du droit et particulièrement du droit civil où l’influence française ne date pas des « retrouvailles » franco-françaises issues de la Révolution tranquille. Elle imprègne le Code civil du Bas-Canada entré en vigueur en 1866.
Elle n’est pas disparue non plus. Elle s’inscrit directement dans le droit public québécois et donc au coeur même de l’État. Dans sa présentation de l’impact du « nouveau » Code civil du Québec officialisé en 1994, Denis Lemieux suggère que ce nouveau régime « a introduit de nouveaux rapports entre le droit public et le droit privé ». En conséquence, le droit civil « est devenu le droit commun de l’Administration […]. Il sert à interpréter les lois et règlements qui encadrent l’action administrative[85] ». Il serait ainsi devenu « une source de droit public puisqu’il a intégré des règles particulières applicables spécialement à l’État[86] ».
Et si c’était par l’intermédiaire du droit que l’influence de la France sur la mise en place et sur la modernisation de l’État québécois s’était fait sentir ?
Appendices
Notes
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[1]
Cette note s’inscrit dans un projet de recherche plus vaste sur les États infranationaux, appuyé par le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada. Le cadre général d’analyse a été précisé dans Luc Bernier et Daniel Latouche, « Il y a bien eu une Révolution tranquille : histoire de l’État québécois », dans Stéphane Paquin et Hubert X. Rioux (dir.), Le modèle québécois de gouvernance : 60 ans après la Révolution tranquille, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, 2022, p. 39-59.
-
[2]
Les travaux portant spécifiquement sur la coopération franco-québécoise dans une perspective analytique demeurent rares. Mentionnons Frédéric Bastien, Le poids de la coopération : le rapport France-Québec, Montréal, Boréal, 1999, 275 p. et le chapitre de Louis Bélanger « La France », dans Louis Balthazar, Louis Bélanger et Gordon Mace (dir.), Trente ans de politique extérieure du Québec, 1960-1990, Québec, Éditions du Septentrion, 1993, p. 107-161. Quant aux travaux sur les relations France-Québec dans leur ensemble, le choix est vaste : Frédéric Bastien, Relations particulières. La France face au Québec après de Gaulle, Montréal, Boréal, 1999, 424 p. ; Gabrielle Mathieu, Les relations franco-québécoises de 1976 à 1985, Mémoire de maîtrise, département de science politique, Université d’Ottawa, 1991, 250 p. ; Philippe Poulin, Les relations France-Québec au cours du second mandat du gouvernement Lévesque, 1980-1985, Montréal, Mémoire de maîtrise, département d’histoire, Université de Montréal, 1997, 267 p. ; Louise Beaudoin, Les relations France-Québec : deux époques 1855-1910, 1960-1972, Québec, Mémoire de maîtrise, département d’histoire, Université Laval, 1974, 196 p. La thèse de Nathalie François- Richard, La France et le Québec, 1945-1967 dans les archives du MAE (Thèse de doctorat, Université Paris-VIII, 1998, 502 p.) a l’avantage de présenter le point de vue français.
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[3]
Sylvain Simard, « Les relations France-Québec : aspect important de la Révolution tranquille », dans Yves Bélanger, Robert Comeau et Céline Métivier (dir.), La Révolution tranquille 40 ans plus tard : un bilan, Montréal, VLB éditeur, 2000, p. 157. Dans son introduction à un « autre » colloque commémoratif, le directeur de l’École nationale d’administration publique, M. Nelson Michaud, mentionne le fait que l’État québécois s’est construit aux confluences des influences britanniques, américaines et françaises. Cependant, il réduit ces dernières à la seule visite du général de Gaulle ; voir « Parler de l’État. Un dialogue utile et nécessaire », dans Nelson Michaud (dir.), 50 ans de construction des administrations publiques. Regards croisés entre la France et le Québec, Québec, Presses de l’Université du Québec, 2016, p. 10-16.
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[4]
L’expression « Un État est un État est un État » est souvent utilisée dans les débats juridiques concernant le statut de certains territoires dits « contestés ». C’est le cas pour la Palestine. Récemment, l’expression se retrouve dans la réponse du Procureur de la Cour pénale internationale (CPI) à des contestations de sa décision d’enquêter sur certaines allégations concernant des incidents survenus dans les Territoires occupés par Israël. Il s’agit de savoir si la Palestine, même si elle a ratifié le traité mettant sur pied la Cour pénale internationale, peut de ce fait être considérée comme un État, bien que cette entité ne rencontre pas les critères de la Convention de Montevideo concernant la reconnaissance internationale des États. Dans son argumentaire, le Procureur fait remarquer que sa décision de considérer la Palestine comme un État n’implique aucunement un endossement de la qualité d’État (« Statehood ») de ce territoire selon les conventions internationales, mais simplement la reconnaissance qu’au regard des statuts de la CPI, la Palestine constitue un État opérant selon les principes et les règles du droit international, d’où l’expression « A State is a State is a State ». La décision de la CPI tient sur 60 pages, 100 articles et 364 notes de bas de page. Voir Bureau du procureur, Coup pénale internationale, Situation in the State of Palestine. Prosecution Response to the Observations of Amici Curiae, Legal Representatives of Victims, and States, 30 avril 2020, ICC-01/18-131 30-04-201/60 NM PT. À son tour, cette réponse a suscité des observations des amis de la Cour dont celles du professeur Malcom N. Shaw, de l’Université Cambridge. Voir « A State is a State is a State ? Some Thoughts on the Prosecutor’s Response to Amici Briefs on Territorial Jurisdiction », EJIL : TALK !, Blog of the European Journal of International Law, 4 juin 2020.
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[5]
Voir son article passé à la légende : « Bringing the State Back In : Strategies of Analysis in Current Research », dans Peter Evans, Dietrich Rueschemeyer et Theda Skocpol (dir.), Bringing the State Back In, Cambridge, Cambridge University Press, 1985, p. 3–37. Une relecture de cet article permet d’identifier certaines variables clés, mais fréquemment ignorées, de la construction étatique et qui ont une résonance particulière dans le cas du Québec : l’importance des professions, la prédominance d’un modèle néo-corporatiste, la volonté de modernisation, etc. Les rares travaux sur l’État québécois fournissent peu de portes d’entrée, conceptuelles ou empiriques, permettant d’en apprécier l’importance et l’originalité. C’est le cas des textes rassemblés par Gérard Bergeron et Réjean Pelletier (dir.), L’État du Québec en devenir, Montréal, Boréal, 1980, 413 p. Inclassable, l’étude de Gérard Bergeron, Pratique de l’État au Québec (Montréal, Québec/Amérique, 1984, 413 p.) permet de constater à quel point l’État québécois demeure un cas unique qui a suscité peu d’intérêt chez les historiens et les politologues.
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[6]
Nous empruntons la distinction entre capabilité et capacité à M.J. Andrews, L. Pritchett et M. Woolcok, Building State Capability : Evidence, Analysis, Action, New York, Oxford University Press, 2017, 257 p. Illustrons cette différence en disant que c’est une chose de constater qu’un moteur a la capacité de développer une force de 100 CV et ainsi d’atteindre la vitesse de 100 km/h, cela en est une autre d’imaginer l’ensemble du véhicule « capable » d’atteindre cette prouesse.
-
[7]
Bien que cette dimension soit considérée comme l’élément clé du processus de statebuilding, elle ne sera que brièvement abordée ici.
-
[8]
À partir de l’expérience des pays « en faillite » où l’État n’est souvent qu’une vue de l’esprit, Nicolas Lemay-Hébert a suggéré que le statebuilding sans Nation-building est illusoire. L’expérience récente de l’Afghanistan est là pour nous le rappeler. Et si l’hypothèse s’appliquait aussi au Québec ? Voir « Statebuilding Without Nation-building ? Legitimacy, State Failure and the Limits of the Institutionalization Approach », Journal of Intervention and Statebuilding, vol. 3, no 1, 2012, p. 21-45.
-
[9]
En 2018, sur les quelques 170 milliards $ prélevés au Québec par les administrations publiques, la part du gouvernement québécois était environ de 50 %, contre 32 % pour le gouvernement fédéral, 9 % pour les municipalités et 9 % pour la Caisse de dépôt et placement. Ces chiffres sont tirés de Diane- Gabrielle Tremblay et Vincent Van Schendel, Économie du Québec : mutations, acteurs, enjeux, Montréal, Éditions Albert Saint-Martin, 2004, 930 p.
-
[10]
Tiré de Pierre Fournier, Les sociétés d’État et les objectifs économiques du Québec : une évaluation préliminaire, Québec, Éditeur officiel, 1979, 135 p. L’un des reproches faits à la Caisse par ces nombreux détracteurs tient précisément à ce rôle de « vache-lait » et même de « pompier » de la Caisse auprès du gouvernement du Québec surtout au moment de l’arrivée de l’Union nationale au pouvoir en 1966 et du Parti québécois par la suite. Cette année-là, la Caisse a absorbé 395 millions$ d’obligations émises par le gouvernement du Québec, 50 millions $ d’Hydro-Québec et 30 millions $ de SIDBEC. L’année suivante, elle achetait 560 millions $ d’obligations émises ou garanties par le gouvernement du Québec ; voir Pierre Fournier, « Les nouveaux paramètres de la bourgeoisie québécoise », dans Pierre Fournier (dir.), Le capitalisme au Québec, Montréal, Albert Saint-Martin, 1978, p. 155.
-
[11]
À cela, il faut rajouter la contribution indirecte de la Caisse par la voie de la réduction des taux que sa seule présence a pu avoir sur les émissions des municipalités, Hydro-Québec, les commissions scolaires, les universités, les cégeps et les hôpitaux.
-
[12]
Selon une déclaration faite au Magazine du Québec, p. 11 et mentionné par Roger Barrette dans De Gaulle et la Révolution tranquille. Vive le Québec libre, Orléans, Regain de lecture, 2018, p. 212-214.
-
[13]
Mais certaines « conversions » ont parfois besoin d’être renforcées. Selon Gaston Cholette, la conversion aurait eu lieu l’année suivante, en 1964, lors d’une rencontre entre Jean Lesage et cette fois François-Bloch Lainé, le président de la caisse française. C’est ce dernier qui aurait achevé de convaincre Jean Lesage d’imiter la France. Voir Gaston Cholette, La coopération économique franco-québécoise. De 1961 à 1997, Québec, Les Presses de l’Université Laval, 1998, 375 p.
-
[14]
Nous utilisons ici la trame des événements présentée par Dale C. Thomson (Jean Lesage et la Révolution tranquille, Montréal, Éditions du Trécarré, 1984, p. 231-240) et par Claude Morin (Le pouvoir québécois… en négociation, Montréal, Boréal, 1972, p. 19-32).
-
[15]
Rapporté par Claude Morin dans une entrevue à La Presse, le 1er mars 2021 : Denis Lessard, « De l’assistance publique à la solidarité sociale ».
-
[16]
Il existe une importante littérature sur la CDPQ et sur les débats qu’elle continue de susciter. Nous n’en faisons pas mention ici. Le fait est rapporté par Douglas Fullerton, le conseiller financier du gouvernement, dans D. H. Fullerton, « La Caisse de dépôt : un regard en arrière », dans Claude Forget (dir.), La Caisse de dépôt et placement du Québec, Montréal, C.D. Howe Institute, 1984, 162 p.
-
[17]
Largement mise de l’avant par les gouvernements québécois qui se sont succédé depuis 1965, cette version est néanmoins confirmée par plusieurs observateurs canadiens : Michael Mendelson, Financing the Canada and Quebec Pension Plans, Washington, AARP Public Policy Institute, 2005-18, 2005, 40 p. ; Edward Tamagno, A Tale of Two Pension Plans. The Different Fortunes of the Canada and Quebec Pension Plans, Toronto, Calendon Institute, 2008, 22 p.
-
[18]
On trouvera des informations plus précises sur ces différents rapports dans Dale Thomson, op. cit., p. 232-241.
-
[19]
Comme rapporté par les participants, tant fédéraux que provinciaux, le dépôt du projet québécois eut l’effet d’une bombe. En effet, Québec mettait de l’avant un projet plus généreux que celui d’Ottawa – il incluait les veuves et les orphelins –, plus redistributeur dans ses effets et avec un fonds de réserve de plus de 8 milliards pour le Québec à lui seul. Terminé quelques heures seulement avant le début de la conférence, le rapport ne put être soumis à temps au Conseil des ministres. La réaction des premiers ministres Pearson (Canada) et Smallwood (Terre-Neuve) fut sans équivoque : les deux demandèrent, sourires (jaunes) en coin, s’ils pouvaient se joindre au plan québécois. Une version anglaise de la proposition québécoise fut publiée en 1964, à temps pour la conférence fédérale-provinciale (Gouvernement du Québec, Québec, Interdepartmental Study Committee on the Quebec Pension Plan, Québec, 1964). Dans son livre Federal-Provincial Diplomacy (Toronto, University of Toronto Press, 2006), Richard Simeon y fait largement référence ainsi qu’à l’impact qu’eut le document sur la classe politique canadienne (p. 55).
-
[20]
On trouve peu de travaux comparant la Caisse de dépôt et la Caisse de Consignations. Celui de Frédéric Hanin et Lilia Rekik montre d’importantes différences : « Investisseurs institutionnels publics, socialisation de l’investissement et emploi : les apports d’une analyse comparée France-Québec », Revue multidisciplinaire sur l’emploi, le syndicalisme et le travail, vol. 6, no 1, 2011, p. 124. Sur la caisse française, voir Jeanne Schpilberg-Katz, La Caisse des Dépôts, Paris, Presses universitaires de France, 2008, 128 p.
-
[21]
Comme on pouvait s’y attendre, Claude Morin, un ancien ministre des Affaires intergouvernementales, aime à rappeler que le jeu des négociations fédérales-provinciales et les démarches antérieures du Québec furent aussi pour quelque chose dans ce qui est considéré comme l’une des avancées constitutionnelles importantes du Québec des années 1960. En effet, au moment des négociations de 1964, l’Ontario avait indiqué son intérêt pour suivre l’exemple du Québec et mettre sur pied sa propre Caisse de dépôt, ce qui aurait nécessairement torpillé le projet canadien et éventuellement celui du Québec. Or, les négociateurs québécois savaient très bien que l’Ontario ne pouvait mettre sa menace à exécution, car contrairement au Québec, cette province ne possédait pas son propre ministère du Revenu pour gérer son propre système d’imposition. La province se retrouvait donc dans l’impossibilité de collecter directement les contributions des travailleurs ontariens à un régime provincial. Voir Claude Morin, Mes Premiers ministres, Montréal, Boréal, 1991, p. 125-145.
-
[22]
Mario Pelletier, La Caisse dans tous ses États, Montréal, Carte blanche, 2009, p. 28.
-
[23]
Gaston Cholette, op. cit., p. 217.
-
[24]
Louis Bélanger, « La France », dans Louis Balthazar et al., op. cit.
-
[25]
Voir Richard Simeon, Federal-Provincial Diplomacy, op. cit.
-
[26]
En France, les conditions entourant la création du nouveau ministère n’eurent pas nécessairement le panache imaginé par Georges-Émile Lapalme. Après le retour du général de Gaulle au pouvoir en 1958, Malraux, qui entretenait une relation de grande proximité avec le nouveau Président, lui aurait demandé de se faire confier le poste de ministre de l’Information. Conscient que la nomination de l’auteur de La condition humaine à un poste aussi névralgique passerait mal auprès des « barons » du régime, le président aurait « conseillé » à son premier ministre du moment de lui trouver plutôt une place dans le Conseil des ministres en regroupant quelques services dans un nouveau ministère et qui pourrait porter le nom d’Affaires culturelles. Voir Claude Cardinal, « L’influence d’André Malraux sur l’implantation du ministère des Affaires culturelles », Bulletin d’histoire politique, vol. 21, no 2, 2013, p. 114-122.
-
[27]
Ce point de vue est particulièrement bien développé dans la première biographie institutionnelle du ministère : Claude Trudel, Une histoire du ministère de la Culture, 1961-2021, Montréal, Boréal, 2021, 324 p. Sur les difficultés de lancement du ministère et son impact sur le développement d’un sens de l’État au Québec, on lira avec intérêt les mémoires de Guy Frégault, Chronique des années perdues, Montréal, Leméac, 1976, 218 p.
-
[28]
Gaston Cholette, L’action internationale du Québec en matière linguistique, Québec, Presses de l’Université Laval, 1997, 197 p.
-
[29]
Roger Magnuson, « Gallicism, Anglo-Saxonism and Quebec Education », Revue canadienne de l’éducation, vol. 9, no 1, 1984, p.1.
-
[30]
Cette image a sans doute existé, mais on peut se demander si elle était aussi généralisée que ne le laissent entendre Roger Magnuson et Clermont Barnabé dans « La filière française dans l’éducation québécoise », Prospectives, vol. 24, no 3, 1988, p. 123-128.
-
[31]
Ibid., p. 126.
-
[32]
Ibid., p. 124.
-
[33]
Georges-Émile Lapalme, Pour une Politique, Montréal, VLB Éditeur, 1988, 353 p.
-
[34]
Cité dans Samy Mesli, La Coopération franco-québécoise, op. cit., p. 50.
-
[35]
Sur la Commission Montpetit, voir Martin Petitclerc, « Je ne serais ni Bleu ni Rouge, je serais de la Commission des assurances sociales : l’impartialité de la commission Montpetit à l’épreuve de la partisanerie politique dans le Québec des années 1930 », Bulletin d’histoire politique, vol. 23, no 3, 2015, p. 38-59.
-
[36]
Voir Georges Desrosiers et Benoit Gaumer, « La place du transfert d’expériences européennes dans le développement du système de santé et de services sociaux du Québec : à propos des commissions d’enquête (1933-1986) », Revue d’histoire de la protection sociale, no 3, 2010, p. 89-101 (la citation est de la page 93).
-
[37]
Valéry Ridde, « Une analyse comparative entre le Canada, le Québec et la France : l’importance des rapports sociaux et politiques eu égard aux déterminants et aux inégalités de la santé », Recherches sociographiques, vol. 45, no 2, 2004, p. 343-364.
-
[38]
À l’occasion d’une autre campagne de financement en 1967, des intérêts français se porteront acquéreurs d’actions ordinaires pour une valeur de 5 millions $. Voir Gaston Cholette, La coopération économique franco-québécoise, op. cit., et Jean Vinant, De Jacques Cartier à Péchiney. Histoire des relations économiques franco-canadiennes, Paris, Chotard & Associés, 1985, 390 p.
-
[39]
Voir Dale C. Thomson, Jean Lesage, op. cit.
-
[40]
Plusieurs autres sociétés d’État québécoises sont créées entre 1960 et 1975. C’est le cas du Centre de recherche industrielle du Québec (CRIQ), créé en décembre 1969, de la Société de développement industriel (1971), de la Société d’initiatives agroalimentaires (1975) et de la Société de récupération, d’exploitation et de développement forestiers du Québec (1973). Sauf le CRIQ, la coopération franco-québécoise ne semble pas avoir joué un rôle déterminant dans leur création.
-
[41]
Jean-Louis Roy, Les programmes électoraux du Québec, vol. 2, Montréal, Leméac, 1971, p. 380.
-
[42]
Voir Michel Bélanger et Raymond Latreille, Rapport final du Comité mixte Hydro-Québec et ministère des Richesses naturelles, Québec, 1962, cité dans William Giguère, « Les influences transnationales sur la nationalisation de l’électricité au Québec (1934-1963) », Bulletin d’histoire politique, vol. 27, no 1, 2018, p. 103.
-
[43]
Voir Julien Verville, La réforme du mode de scrutin au Québec. Trajectoires gouvernementales et pistes de réflexion, Québec, Presses de l’Université du Québec, 2020, coll. « Politea », 360 p.
-
[44]
Louis Bernard, Réflexions sur l’art de gouverner, Montréal, Québec/Amérique, 1987, p. 58.
-
[45]
Voir à ce sujet les propos de Claude Morin dans Mes Premiers ministres, op. cit., p. 109.
-
[46]
Québec, Débats de l’Assemblée législative, 13 avril 1967, p. 2167-2181.
-
[47]
Ibid., p. 2171.
-
[48]
Ibid., p. 2170.
-
[49]
Voir le chapitre trois de Luc Bernier, De Paris à Washington : la politique internationale du Québec, Québec, Presses de l’Université du Québec, 1996, 173 p.
-
[50]
Michel Sarra-Bournet, « La planification au Québec : un paradigme de gestion hérité de la France », dans Ibid. (dir.), Les grands commis et les grandes missions de l’État dans l’histoire du Québec, Québec, Presses de l’Université du Québec, 2016, p. 247-271.
-
[51]
Tiré de l’article 3 de la Loi du Conseil d’orientation économique sanctionnée le 22 février 1961 dans James Iain Gow (dir.), Administration publique québécoise. Textes et documents, Montréal, Beauchemin, 1970, p. 51.
-
[52]
Dans son livre Jean Lesage s’engage (Montréal, Éditions politiques du Québec, 1959, p. 11-12), le futur premier ministre prend bien soin de préciser qu’en l’absence de pouvoirs spécifiques le Conseil ne pourra pas devenir « une sorte de Politburo économique, destiné à contrôler l’économie de la province et à dicter ses volontés ».
-
[53]
Dans les années 1970, le Québec développe une approche originale de la prospective avec le Groupe de recherche sur le futur (GRF), basé à l’INRS-Urbanisation et regroupant principalement Pierre Lamonde de l’INRS, Paul-André Julien de l’UQTR et Daniel Latouche, alors à l’Université McGill. Dans le cas du GRF, les chercheurs ont été amenés à prendre leur distance par rapport à certaines notions clés utilisées par la « futurologie » américaine, en particulier celle de la société post-industrielle, et à se rapprocher des travaux de prospective conduits par la DATAR (Délégation à l’aménagement du territoire et à l’Action régionale). Voir Alain Lavallée, « La démarche prospective en France et au Québec : quelques points de repère », dans Danielle Fontaine (dir.), Choix publics et prospective territoriale : Horizon 2025. La Gaspésie, futurs anticipés, Rimouski, Groupe de recherche interdisciplinaire sur le développement régional de l’Est du Québec, 2001, p. 295-300.
-
[54]
L’expression est de Dominique Morin, « Le BAEQ, la légende et l’esprit du développement régional québécois », dans Harold Bérubé et Stéphane Savard (dir.), Pouvoir et territoire au Québec, Québec, Éditions du Septentrion, 2017, p. 265-309. Mis sur pied en 1963 par le Conseil régional d’expansion de la Gaspésie et des îles de la Madeleine (CREEGIM), un organisme de consultation dont la création devait permettre au Québec de recevoir les sommes prévues au titre de la loi fédérale d’Aménagement rural et de développement agricole (ARDA).
-
[55]
Sur l’influence de Louis-Joseph Lebret sur le BAEQ, voir Jean-François Simard, « L’influence du Bureau d’aménagement de l’Est du Québec dans le développement de l’administration publique québécoise », Administration publique du Canada, vol. 52, no 3, 2009, p. 457-483.
-
[56]
Voir la description détaillée qu’il en fait dans son Histoire de l’administration publique québécoise 1867-1970, Montréal, Presses de l’Université Laval, 1986, 443 p.
-
[57]
Dans une note à M. Robert Morin (17 octobre 1963), secrétaire exécutif du premier ministre, citée dans M. Samy Mesli, La coopération franco-québécoise, op. cit., p. 32. Selon M. Mesli, les stagiaires québécois à l’ENA ne furent pas les premiers à se rendre en France dans le cadre des échanges France-Québec. En effet, au printemps 1964, un premier groupe d’ingénieurs et de scientifiques des universités du Québec effectuent des stages d’un à trois mois dans des organisations de recherches ou des entreprises en France. Ces stages sont organisés par l’Association pour l’organisation des stages en France. Il semble que certains fonctionnaires aient pu bénéficier de ces échanges, dont André Marier, qui jouera un rôle important lors de la nationalisation de l’électricité et de la création de la Caisse de dépôt.
-
[58]
Ces informations sont tirées du rapport annuel de la Commission de la fonction publique pour l’année 1966-1967 et citées dans « La nouvelle classification générale des emplois », dans James Iain Gow (dir.), Administration publique québécoise. Op. cit., p. 181-193.
-
[59]
Voir Roger Grégoire, « La fonction publique française et le Civil Service anglais », Administration publique du Canada, vol. 8, no 4, 1963, p. 443-456.
-
[60]
Roger Grégoire, La classification des fonctionnaires de la Province de Québec, Note établie pour M. Jacques Parizeau, Conseiller économique et financier du Conseil exécutif, 1966, p. 6. Dans l’introduction à son rapport, M. Grégoire mentionne que la commande venait directement de M. Jacques Parizeau, inquiet des « incidences que certains défauts de l’actuelle classification [peuvent] avoir sur les négociations salariales ».
-
[61]
« La nouvelle classification générale des emplois », op. cit., p.183.
-
[62]
Le premier titulaire du poste, le ministre Marcel Masse, aimait à répéter que l’idée du ministère de la fonction publique créé en 1969 lui avait été inspirée par la France, où un tel ministère existait sous une appellation ou une autre depuis 1959. L’inspiration, peut-être ? Mais à l’origine les responsabilités sont limitées à la négociation des conventions collectives et à formuler des plans d’organisation des ministères, sans pour autant toucher aux responsabilités de la Commission de la fonction publique. On est loin des attributions du ministère de la Transformation et de la Fonction publique français (son nouveau nom depuis 2020) qui comprennent, entre autres, la transformation de l’État, le développement des services numériques, la modernisation de la gestion budgétaire et comptable, l’allègement des contraintes administratives et la simplification des procédures et surtout la codirection avec le ministère de l’Intérieur de l’administration territoriale, des services déconcentrés (Décret no 2020-882 du 15 juillet 2020). Voir Marcel Masse, « Pourquoi un ministère de la fonction publique ? », dans James I. Gow (dir.), Administration publique québécoise, op. cit., p. 195-212.
-
[63]
L’INSP est présenté sur son site web comme « le nouvel opérateur public français de référence pour le recrutement, la formation initiale et la formation continue des cadres supérieurs et dirigeants français ». Son campus principal sera situé à Strasbourg avec une antenne à Paris, ce qui constitue en soi une petite révolution.
-
[64]
Roger Grégoire, « L’École nationale d’administration. Son influence sur l’évolution de la Fonction publique française », Administration publique du Canada, vol. 8, no 4, 1965, p. 474.
-
[65]
Dans les années 1960, au moins trois comités ou groupes de travail se penchèrent sur la seule question de la formation et du perfectionnement des cadres de la fonction publique : le Comité d’étude sur la formation des administrateurs publics, mieux connu sous l’appellation de Comité Martin, du nom du président du Conseil supérieur de l’Éducation (Rapport, Québec, 1964), le Groupe de travail chargé d’étudier les problèmes de formation et de perfectionnement des administrateurs publics (Premier rapport, 1967 ; Deuxième Rapport, 1968). La décision finale sera prise à la suite d’un troisième rapport, celui-là signé par un conseiller du nouveau ministre unioniste : Guy Dozois (Rapport sur le perfectionnement et la formation dans la fonction publique, Québec, 1968). Ces rapports sont longuement discutés dans Caroline Dufour, Émergence, institutionnalisation et identité du Management public en milieu universitaire au Québec, Thèse de doctorat, Département de science politique, Université de Montréal, 2002, 315 p. et le livre publié en 2012 : L’institutionnalisation du management public au Québec, Montréal, Presses de l’Université du Québec, 160 p.
-
[66]
Avant la réforme de 1965 qui accorde le droit d’association et de grève aux employés de l’État, on comptait plus de 800 catégories d’emploi dans le seul groupe des non-professionnels. Ce nombre sera réduit à environ 122 pour ce qui est des fonctionnaires, ouvriers, agents de la paix, professionnels et enseignants ; voir Caroline Dufour, Émergence, institutionnalisation et identité, op. cit., p. 122-123.
-
[67]
Voir Gilles Boutin et Yvan Daigle, Historique de la classification du personnel professionnel de la fonction publique du Québec, Québec, Éditeur officiel du Québec, 1978, 62 p.
-
[68]
Ce mélange d’éléments empruntés à la France et à la Grande-Bretagne avec les pratiques nord-américaines est bien décrit dans James I. Gow, « La modernisation de la fonction publique au Québec », Revue internationale des sciences administratives, vol. 44, no 3, 1970, p. 234-242 ; Ken Cabatoff, « La réforme du personnel au gouvernement du Québec (1965-1975) », Revue internationale des sciences administratives, vol. 44, no 2, 1978, p. 283-287.
-
[69]
Cité dans Rapport Bolduc I, op. cit., p. 3-4.
-
[70]
Le programme de formation avec l’ENA se termine avec l’envoi des derniers stagiaires en 1969-1970. Malgré tout, Roch Bolduc a pu noter qu’en 1974 un tiers des sous-ministres de l’administration québécoise avait effectué un stage à l’ENA. Voir Roch Bolduc, Le perfectionnement des cadres, Conférence au colloque de l’Institut d’administration publique du Canada, 1974, p. 4.
-
[71]
Les tribulations universitaires entourant la création et surtout la localisation d’une institution universitaire consacrée à la formation des administrateurs publics est relatée dans Caroline Dufour, Émergence, institutionnalisation et identité, op. cit., p.127-135. Dans son étude sur la création des cinq grandes institutions universitaires canadiennes d’administration publique (Carleton, Queen’s, ÉNAP, Dalhousie et Victoria), Sylvia Nadon fait remarquer que si les gouvernements provinciaux et fédéraux ont joué un rôle dans l’émergence de ces institutions, c’est au Québec que l’implication a été la plus active (Émergence de l’administration publique comme spécialité : l’apport des universités canadiennes, Thèse de doctorat, Département de science politique, Université de Montréal, 1996, 318 p.) Roland Parenteau était membre du jury.
-
[72]
Il n’est pas sans intérêt de constater l’importance de la fertilisation croisée entre deux « familles » de comités et de groupes opérant dans les années 1960, ceux qui concernent plus spécifiquement la formation et le perfectionnement dans la fonction publique (ce sont les trois comités mentionnés à la note 66) et ceux préoccupés par la configuration institutionnelle de la future Université du Québec. Dans ce dernier cas, Carolyne Hébert parle de pas moins de quatre comités, en plus des Commissions sur la réforme de l’éducation (Commission Parent) et de la Commission sur l’enseignement des arts (Commission Rioux). Il s’agit du Comité d’étude sur les modalités de réalisation d’une nouvelle université de langue française à Montréal (Comité Rocher, février 1965), le Comité de développement et de planification de l’enseignement et de la recherche de l’Université Laval (Comité Roy, décembre 1967), du Comité directeur pour la mise en place des nouvelles structures administratives (novembre 1967), du Comité Recherche et Développement (décembre 1967) et du Comité de législation chargé de la préparation de la législation relatif à l’Université du Québec (décembre 1967). Fait à remarquer, le travail de ces multiples comités à conduit à l’adoption par le Parlement de la Loi 88 sur l’Université du Québec, le 9 décembre 1968, à l’unanimité (voir le travail de détective administratif mené par Carolyne Hébert, La genèse de l’Université du Québec, 1960-1969, Mémoire de maîtrise, Département d’histoire, Université du Québec à Montréal, 2007). Pas moins de quatre fonctionnaires et universitaires portant le patronyme
-
[73]
C’est ainsi que le ministère de l’Éducation présente la nouvelle constituante de l’Université du Québec. Voir « Création de l’École nationale d’administration », Hebdo-Éducation, no 59, 1969, p. 66.
-
[74]
Yvon Tremblay, quant à lui, occupera successivement les postes de Secrétaire général du Conseil d’orientation économique, de Directeur du Bureau du Plan, de PDG de l’Office de planification et de développement du Québec et de sous-ministre dans au moins trois ministères. Voir leur mention des budgets programmes dans L’activité gouvernementale, Québec, Conseil d’orientation économique, 1968, 95 p. et l’étude comparative d’André Gélinas, Le budget programme, étude comparative, Montréal, OPDQ, 1969, 66 p.
-
[75]
L’exemple le plus connu et le plus surprenant demeure l’ouvrage de J. F. Bosher, The Gaullist Attack on Canada 1967-1997, Montréal, McGill-Queen’s University Press, 1999, 311 p. dans lequel l’ÉNAP est présentée comme la tête de pont de l’infiltration française au Québec avec la responsabilité de préparer les futurs cadres d’un Québec séparé et assujetti à la France. John Le Carré n’aurait pas fait mieux.
-
[76]
Voir Caroline Dufour, « University Matters : Early Institutional Development of Public Administration Education in Quebec », International Journal of Public Administration, vol. 35, no 3, 2012, p. 914-923 ; Idem, La privatisation de l’administration publique : enquête sur le mimétisme administratif au Québec, Mémoire de maîtrise, Département de science politique, Université Laval, 1965, et Idem, L’institutionnalisation du management public, op. cit., p. 27.
-
[77]
C’est moins le cas avec les entreprises de construction étatique depuis les années 1960 où la sécurité intérieure et celle des dirigeants est souvent plus importante que la capacité de mener des actions militaires extérieures. Voir les nombreux articles dans Charles Tilly (dir.), The Formation of National States in Western Europe, Princeton, Princeton University Press, 1975, 711 p.
-
[78]
L’exception est évidemment celle des États américains et de leur droit de posséder des milices armées, la National Guard.
-
[79]
Gérard Bergeron, « L’appareil judiciaire », dans Gérard Bergeron et Réjean Pelletier (dir.), op. cit., p. 146-189 (les citations sont des pages 148-149).
-
[80]
La liste de ces initiatives, aussi tardives soient-elles, n’a d’autre objectif que de rappeler que la modernisation de l’État québécois durant les années 1960-1970 a aussi voulu dire un État davantage préoccupé de question de justice et de sécurité qu’on le dit habituellement, trop diront certains.
-
[81]
Voir à ce sujet l’étude publiée sous la direction de Louis Fournier (dir.), La police secrète au Québec. La tyrannie occulte de la police, Montréal, Éditions Québec/Amérique, 1978, 229 p. (particulièrement les pages 72-83).
-
[82]
Voir son plus récent ouvrage Guerre froide, P.Q. La CIA, le KGB et l’énigme québécoise, Montréal, Éditions carte Blanche/la Boîte à Lisée, 2021, 229 p. Il y relate le seul cas connu d’une allégation d’interférence directe de la France dans la politique québécoise, soit celle de Marc Lavallée, un ancien cadre du PQ qui aurait obtenu, à la suite d’un mandat de René Lévesque, une contribution de 300 000 $ du gouvernement français, une contribution que Jacques Parizeau, chargé d’aller collecter les fonds, aurait finalement choisi de refuser puisque le bruit d’une telle transaction courait dans tous les salons parisiens.
-
[83]
Les plus récents travaux sur le rôle de la Francophonie dans le recadrage de la politique extérieure française au lendemain de la décolonisation montrent bien que le Québec a su mener avec habileté une politique qui servait avant tout ses intérêts, entre autres celui de pouvoir obtenir un accès direct à une scène internationale alors en pleine recomposition, un accès qui lui permettait de contourner le « glacis diplomatique » que le gouvernement fédéral cherchait à installer autour du Québec. À cet égard, Aymeric Durez a suggéré que le général de Gaulle et le Québec étaient loin de voir la situation de la même manière, le premier cherchant dans toutes les occasions à privilégier les relations bilatérales qu’il entendait établir avec chacun des nouveaux États africains alors que pour Québec, il s’agissait plutôt de créer une nouvelle tribune, la Francophonie, qui lui permettrait de prendre sa place sur la scène internationale et d’obtenir indirectement ce qu’il n’avait pu obtenir directement, c’est-à-dire des relations directes, d’État à État, avec d’autres pays que la France. Jusqu’à la fin, de Gaulle s’est montré réservé face à ce nouveau « machin » qu’était la Francophonie. Voir « La diplomatie française et la Francophonie : entre intérêts du pré carré africain et politique québécoise (1964-1970) », Revue internationale des francophonies, no 6, 2019, en ligne : dx.doi.org/10.35562/rif.985
-
[84]
Cette affirmation est documentée dans les différents chapitres de Yves Bélanger et Laurent Lepage (dir.), L’administration publique québécoise : évolutions sectorielles 1960-1985, Sillery, Presses de l’Université du Québec, 1989, 226 p.
-
[85]
Denis Lemieux, « Le rôle du Code civil du Québec en droit administratif », Canadian Journal of Administrative Law & Practice, vol. 18, no 2, 2005, p. 119.
-
[86]
Ibid., p. 126.